Janvier 2025,
Est-ce parce que le sommeil nous résiste, que nous nous mettons à gamberger la nuit ? Ou est-ce, au contraire, parce que nous gambergeons sans fin, que nous ne parvenons pas à nous endormir ?… Non, non, lectrice, lecteur, je t’en prie, ne cherche pas à trancher entre ces deux assertions qui semblent s’opposer ; je serais désolé que, par ma faute, tu les médites tout au long de la nuit qui vient. Et quel que soit le talent de plume de Gaëlle Josse, son livre ne t’apportera pas non plus de réponse.
D’ailleurs, ce n’est pas vraiment la question portée par son titre.
Alors, A quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? L’autrice présente diverses situations individuelles sous la forme de très très courtes anecdotes, tenant pour la plupart en trois pages, les plus longues en comptant six. Dans chacune, un personnage fictif est envahi, pendant la nuit, par un souvenir agréable ou triste, plus ou moins lointain, qui l’embarque dans des états d’âme, des espoirs, des regrets, des inquiétudes, des cas de conscience…
Mais toutes les personnes ainsi scrutées ont-elles réellement un problème de sommeil ? Après lecture attentive, mon opinion est autre. Pour la plupart, ce qui, dans leur cerveau, met en branle le cortex, l’amygdale ou l’hippocampe, ce n’est pas l’insomnie, c’est la nuit…
… La nuit qui, l’heure venue, une fois les volumes terrestres effacés, éclaire les images de l’esprit et installe chacun face à soi-même ! La nuit ne se limite pas à son moment le plus profond, celui où tout dort ; elle marche doucement du crépuscule à l’aube. Dans A quoi songent-ils…, Gaëlle Josse, venue à la littérature par la poésie, lui consacre une quarantaine de vers libres qui la glorifient : « nuit des abandons… nuit fleuve obscur », et en même temps « nuit pleine lune… nuit promenade », et surtout « nuit jasmin souvenir d’une autre nuit… nuit cahier blanc pour nos histoires »…
Chaque vers est isolé sur une page libre, comme une respiration entre deux microfictions…
Microfictions. C’est ainsi que l’autrice — ou son éditeur — nomme ses histoires courtes. Non-violentes, douces-amères, souvent touchantes, parfois troublantes, elles n’ont rien en commun avec celles des trois volumes éponymes représentant chacun cinq cents histoires courtes sur mille pages, dans lesquelles un autre écrivain français avait cherché à enficher tous les profils d’une espèce humaine dévoilant ses meilleurs côtés et ses pires travers.
Chez Gaëlle Josse, l’ouvrage est modeste, une trentaine de séquences. Des personnages de toutes sortes, féminins ou masculins, jeunes ou vieux, solitaires ou en couple. Parmi eux, une femme escomptant désespérément un dîner romantique, une autre soulagée d’avoir rompu et recouvré sa liberté ; un pianiste concertiste en fin de carrière, un champion de karaté ambitieux ; un voyageur de commerce, une écrivaine en tournée de signatures ; une femme âgée aux portes de la dépendance, une adolescente impatiente de prendre son envol ; un couple de retraités partant au bout du monde, un jeune ménage prêt à accueillir un premier nouveau-né ; bien d’autres encore.
La justesse des mots de Gaëlle Josse, la fluidité de sa syntaxe et la souplesse de son phrasé rendent A quoi songent-ils… très agréable à parcourir. Mais cet ensemble de microfictions indépendantes les unes des autres n’a pas forcément vocation à être lu d’une traite. A la manière d’un recueil de poésies ou d’une sélection de chroniques, tu trouveras peut-être avantage, lectrice, lecteur, à le garder à portée de main et à en savourer de temps en temps quelques morceaux choisis.
Gaëlle Josse est une romancière reconnue, gratifiée de nombreux prix littéraires. Je n’avais pourtant, jusqu’alors, rien lu d’elle. A quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? Le titre de ce livre m’avait interpellé, voilà pourquoi j’avais décidé de le lire. J’ai pu ainsi découvrir une partie des talents de son autrice, m’obligeant à revenir un jour vers elle pour l’un de ses romans.
FACILE ooo J’AI AIME