/image%2F1426270%2F20251106%2Fob_86219c_cvt-le-monde-est-fatigue-621.jpg)
Novembre 2025,
Un titre intrigant, une héroïne hors du commun, un destin implacable, des situations improbables, des rebondissements à la limite du vraisemblable, une construction finement élaborée, un parti d’écriture original : Le monde est fatigué est un livre surprenant à tous égards. Son auteur, Joseph Incardona, est suisse et réside à Genève. Dans un précédent roman publié en 2020, La soustraction des possibles, j’avais apprécié ses qualités d’imagination et sa capacité à me tenir en suspens… Et je m’étais aussi demandé si ses allusions mi-indignées mi-goguenardes sur les modes de vie des très riches ne masquaient pas une sorte de fascination…
Dans son nouveau roman, le monde est peut-être fatigué, mais il est surtout illuminé par un personnage de femme qui ne porte que des pantalons ou des jupes longues. Ce n’est pas sans raison. Cette femme a un secret : comme son visage, son corps semble idéalement harmonieux… mais il s’arrête juste en dessous des genoux. Ceux-ci sont prolongés par des prothèses en titane qui lui permettent de se mouvoir normalement… ou presque.
En fait, ce qui compte pour Êve — avec un accent circonflexe, comme dans rêve —, c’est surtout de se mouvoir en nageant. Après s’être soigneusement maquillée, elle glisse ce qu’il lui reste de ses jambes dans une queue de sirène en silicone peinte écaille par écaille, plonge avec élégance dans des bassins, des piscines ou des aquariums géants, évolue avec grâce dans l’eau et offre des spectacles aquatiques éblouissants. Pour répondre à la demande de collectivités, d’entreprises ou de très très riches particuliers prêts à dépenser sans limites pour des festivités sortant de l’ordinaire, elle sillonne le monde comme une femme d’affaires de haut vol, habituée aux gares et aéroports, s’arrêtant dans des hôtels au luxe ultramoderne désincarné, de Genève à Tokyo, de Paris à Brisbane, sans oublier Dubaï. Des périples longs et fatigants pour rejoindre, sur des sites d'exception, des réalisations humaines se ressemblant à en être fatigantes…
Pas toutes ! Il y a pire. Au cœur du Pacifique Nord flotte entre deux eaux une colossale masse de déchets plastiques, s’assemblant naturellement au même point géographique sous l’effet de courants océaniques tourbillonnants dans le même sens. De quoi amener certains à s’interroger : dans une intention de pédagogie et de prise de conscience, ne serait-il pas intéressant de filmer un spectacle de sirène dansant dans cette soupe boueuse ?
Êve est seule dans la vie, elle n’a personne, à l’exception de Matt Mauser, une espèce de détective privé obèse et transpirant qui enquête pour elle. Car entre deux contrats, Êve veut savoir ce qu’est devenu son enfant. Et elle veut retrouver le responsable de l’accident ayant laissé une jeune femme belle et heureuse, ancienne championne de natation synchronisée, éparpillée façon puzzle au bord de la route. Vengeance !… Autre question qui la turlupine : D’où proviennent ces versements mensuels conséquents qui alimentent depuis quelques années un compte à son nom dans une banque de Zurich ?
Un texte au présent de l’indicatif, des phrases courtes et un soupçon de causticité dans le ton donnent à la narration un rythme saccadé, une allure décalée. Par ses observations cinglantes, ses métaphores drôles et cruelles, sa façon de balancer inopinément des chiffres et des rapports scientifiques, Joseph Incardona démasque l’absurdité de l’air du temps, des tendances du jour, de la modernité en général. Et le spectacle des riches lui fait toujours le même effet.
Le monde est fatigué se laisse lire agréablement, mélangeant les genres avec bonheur : une part de satire sociale, une part de thriller palpitant et poignant, une part d’alerte environnementale. Le chapitre te conduisant, lectrice, lecteur, sur une route de montagne surplombant le lac de Derborance, dans le Valais, et celui te faisant survoler le vortex d’ordures du Pacifique Nord sont aussi terrifiants l’un que l’autre, chacun à sa manière.
Roman de Joseph Incardona déjà critiqué : La soustraction des possibles.
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP
/image%2F1426270%2F20230713%2Fob_43d236_img-0417.jpeg)
/image%2F1426270%2F20251024%2Fob_335293_41i7tg5rscl-sx95.jpg)
/image%2F1426270%2F20251024%2Fob_1d9376_cvt-la-preuve-de-mon-innocence-3326.jpg)
/image%2F1426270%2F20251005%2Fob_48d04c_cvt-la-maison-vide-2615.jpg)
/image%2F1426270%2F20251005%2Fob_5469ea_cvt-entre-toutes-9027.jpg)
/image%2F1426270%2F20250917%2Fob_b143f8_617fjdgkekl-sx95.jpg)
/image%2F1426270%2F20250917%2Fob_b27c18_cvt-les-elements-240.jpg)
/image%2F1426270%2F20250827%2Fob_4d8aa1_cvt-la-lecon-dallemand-pavillons-poche.jpeg)
/image%2F1426270%2F20250827%2Fob_0bc6fe_cvt-un-monde-a-refaire-8600.jpg)