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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

litterature

La vie clandestine, de Monica Sabolo

Publié le 26 Octobre 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Octobre 2022, 

J’ai bien aimé ce livre. Je l’annonce d’entrée, car je vais émettre quelques réserves qui pourraient faire croire le contraire. D’abord, je n’éprouve aucune curiosité pour les secrets malsains, pour les histoires sordides que des victimes dissimulent, puis qu’elles révèlent un jour à demi-mot, sans vraiment le dire, tout en le disant. Ensuite, je considère que les malheurs personnels des gens qui me sont inconnus ne me regardent pas, dès lors que je ne puis pas faire grand-chose pour eux. En tant que lecteur, j’ai donc un a priori de méfiance à l’égard des romans qui traitent des souffrances intimes des écrivains ou qui leur servent à régler des comptes avec des proches.

Pourquoi alors avoir choisi de lire le dernier roman de Monica Sabolo, me direz-vous ? En feuilletant rapidement les sujets abordés par les ouvrages sélectionnés pour le Goncourt, j’avais cru comprendre que La vie clandestine révélait des actes criminels du père de l’auteure, liées à ceux du groupe Action directe et leur apportant un éclairage nouveau. Ça m’intéressait… Certes, le prologue du livre évoquait quelques problèmes existentiels, mais quand je suis engagé dans une lecture, je ne construis pas mon avis dès ses premières pages. J’ai donc mis du temps à me rendre compte de mon contresens.

Action directe ! Comment des idéalistes aspirant à œuvrer au bonheur de l’humanité ont-ils été amenés à basculer dans la clandestinité, à devenir des hors-la-loi, des assassins ? Après avoir purgé leur longue condamnation, comment ont-ils assumé leur statut d’anciens terroristes ? Se sont-ils sentis coupables d’avoir tué des êtres humains ou regrettent-ils juste d’avoir tout raté dans leur vie ?

Au fil de ma lecture de La vie clandestine, je comprends que les forfaits commis par l’homme dénommé Yves S. n’ont rien à voir avec le terrorisme. Ça me contrarie un peu, mais je suis captivé par les deux enquêtes parallèles que l’auteure me fait suivre, d’un côté sur les traces des membres d’Action directe, de l’autre sur sa propre naissance, sur son enfance et son adolescence.

Quels sont les ponts entre les deux histoires ?

Le secret est le propre de la vie clandestine ; celui que cultivent les membres d’AD pour se rendre invisibles ; celui dans lequel l’auteure baigne depuis l’enfance ; celui des activités illicites d’Yves S., des turpitudes cachées qui conduisent l’homme qu’elle appelle son père à disparaître et à ne réapparaître que pour mourir ; des conséquences qui l’amènent, elle, à occulter une part d’elle-même.

Plus grave est l’indicible, l’impardonnable, l’indélébile. Pour y survivre, coupables et victimes se rejoignent, parce qu’inconsciemment, ils doivent chacun fabriquer des souvenirs falsifiés acceptables, respirables. Une part du passé disparaît de la surface de leur mémoire, s’enfouissant dans une sorte de clandestinité mentale.

On a tous sa part d’ombre, on a tous fait du tort à autrui, on s’est tous un jour comporté d’une façon dont on n’est pas fier. Mais il y a une gradation dans le mal que l’on peut commettre. Le meurtre, l’inceste sont des actes dont les coupables ne peuvent pas s’exonérer. Il est insupportable d’entendre d’anciens terroristes dire trente ans plus tard quelque chose du genre « c’était l’époque qui voulait cela », ou un père ayant violé sa fille prétendre : « c’est courant dans les familles ».

Les victimes ont besoin de tourner la page pour survivre. Je comprends donc la réaction de la narratrice devant la tombe de son père. Elle prononce en silence ces mots : « Je te pardonne, et je ne te pardonne pas ». Elle est victime. En revanche, je n’aime pas l’empathie, qu’en tant qu’enquêtrice, elle éprouve pour les anciens d’AD, au point de préférer les qualifier de « combattants révolutionnaires » plutôt que de terroristes ou d’assassins.

Mais l’écriture de Monica Sabolo est très belle, lyrique, envoûtante. Ses métaphores sont magnifiques. Elle se laisse parfois aller à l’autocompassion — c’est agaçant ! — mais on est agréablement emporté par la narration attachante et mélodieuse de ce livre, qui n’est pas vraiment un roman.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Les liens artificiels, de Nathan Devers

Publié le 26 Octobre 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Octobre 2022,

Créer sur Internet des mondes virtuels, pour les substituer ou les juxtaposer au monde réel ! C’est un objectif sérieux pour des spécialistes en technologies numériques. C’est un sujet de préoccupation pour des philosophes. C’est depuis longtemps un champ d’inspiration pour une littérature de science-fiction réservée à ses amateurs. Et voilà que la littérature dite générale s’y intéresse à son tour.

Il y a deux ans, le prix Goncourt récompensait L’Anomalie, où l’on émettait l’idée que notre monde pourrait lui-même être une simulation conçue dans un avenir éloigné. Cette année, l’un des candidats au titre a anticipé l’existence d’un métavers sophistiqué… Le terrain était tentant pour Nathan Devers et son premier (ou deuxième ?) roman, Les liens artificiels. Ce tout jeune intellectuel français bardé de diplômes est déjà bien en cour dans les cénacles politico-philosophico-littéraires, et il n’est pas rare de voir son visage lors de tables rondes sur les télés d’infos en continu.

Mais qu’est-ce donc qu’un métavers ? Tout simplement un jeu virtuel en 3D, auquel l’internaute participe par l’intermédiaire d’un avatar, un personnage virtuel qu’il a créé et qui lui est personnel. Les jeux vidéos des années quatre-vingt-dix et leur iconographie très rudimentaire étaient les précurseurs des métavers. Dans Les liens artificiels, celui que l’auteur imagine est bien mieux élaboré : « l’Antimonde » est une reproduction parfaite, au moindre détail près, du monde réel.

Le roman met en scène un jeune homme, Julien, dont les raisons d’exister sont en train de perdre tout leur sens. Viré par sa compagne après cinq ans de vie commune, il s’est exilé faute de moyens dans une banlieue éloignée et sans caractère. Musicien, il gagne à peine de quoi vivre en donnant des leçons de piano. Il reste déterminé à composer un album de chansons, mais jour après jour, il procrastine sur les réseaux sociaux, où il perd son temps et ce qui lui reste d’âme.

L’autre personnage principal est le créateur de l’Antimonde ; Adrien est un homme d’une intelligence et d’une culture supérieures, mais il est aussi narcissique et pervers, au point de vouloir dominer et manipuler l’humanité grâce à son métavers, dont il fait la promotion sur les réseaux sociaux.

Julien va découvrir l’Antimonde, y ouvrir un compte et se lancer à corps perdu — si l’on peut dire ! — dans l’aventure, par le biais d’un avatar qui en deviendra un acteur essentiel. Ce nouveau monde virtuel lui permettra-t-il de faire fortune ? De faire reconnaître ses talents d’artiste ? En tout cas, Julien et Adrien finiront par être fascinés l’un par l’autre.

Les liens artificiels est un livre original. La fiction est bien documentée et malgré quelques inévitables incohérences sans importance, elle s’intègre bien dans l’histoire récente des savoir-faire numériques et de la réalité simulée. La narration est accrocheuse. L’auteur stimule l’intérêt du lecteur par de bonnes questions, mais celles-ci ne trouvent pas les développements « décoiffants » qu’on pourrait espérer. Chaque chapitre se résume à une sorte de sketch, dont la chute est banale ou prévisible. Beaucoup d’imagination, une inspiration parfois morbide et un léger manque de sens romanesque.

La narration est accompagnée des commentaires prospectifs habituels sur les dérives des réseaux sociaux, du déclin des civilisations qui leur accordent une importance démesurée… L’auteur n’hésite pas à faire parler des personnalités, mortes et vivantes ; des pastiches amusants, mais timides, comme s’il ne fallait pas aller trop loin dans l’impertinence.

L’auteur maîtrise parfaitement l’écriture, variant le style selon les personnages et les intrigues. Lorsqu’il faut toutefois adopter le vocabulaire de personnes ordurières, qu’il est difficile d’être crédible ! Enfin, bravo pour les alexandrins, même sans rimes ; mais ils ne révolutionnent pas la poésie.

La réalité augmentée existe déjà, les paradis artificiels aussi. La vraie vie ne serait qu’un miroir aux alouettes, où chacun s’illusionnerait sur la place qu’il pourrait prendre… Je retiens aussi une idée intéressante et cocasse pour mettre fin au conflit israélo-palestinien.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Cher connard, de Virginie Despentes

Publié le 5 Octobre 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Octobre 2022, 

Cher connard est le premier livre de Virginie Despentes que je lis. J’ai hésité. D’abord parce que je n’oublie pas les propos insupportables qu’elle avait tenus après les attentats islamistes de Paris en 2015. Et aussi parce qu’en tant que mâle blanc sexagénaire, pédégé, hétérosexuel, marié depuis quarante-cinq ans, clean et vierge de toute consommation de stupéfiants, j’ai craint de m’immiscer dans un lectorat où je serais jugé illégitime : si je n’appréciais pas l’ouvrage, je risquais d’être qualifié à mon tour de connard ; et si j’étais amené à émettre une critique positive, je pouvais être accusé d’appropriation culturelle.

L’intrigue tourne autour de trois personnages, Oscar, Rebecca et Zoé, par ordre d’entrée en scène.

Oscar Jayack est un écrivain quadragénaire reconnu. Issu d’un milieu ouvrier, l’homme est timide, maladroit, anxieux. Sa vie sentimentale est hachée. Depuis l’adolescence, il compense son mal-être existentiel en se défonçant régulièrement aux drogues et aux alcools de toutes sortes. Rebecca Latté est une actrice. Naguère adulée pour son physique, elle se sent démonétisée à l’arrivée de la cinquantaine. Elle aussi abuse de l’alcool et des narcotiques, mais sur un mode festif, car elle dispose d’un bon capital de confiance en soi et elle observe avec un humour distancié les pratiques de ses contemporains. Zoé Katana est une jeune femme plutôt jolie, ayant autrefois officié comme attachée de presse dans l’édition. Elle est aujourd’hui une militante et blogueuse féministe. Elle a un compte à régler avec Oscar.

Dix ans auparavant, Zoé avait travaillé auprès d’Oscar. Il était tombé amoureux d’elle, n’avait cessé de lui tourner autour et de lui faire des avances. En vain ! Elle l’avait repoussé jour après jour. Leur manège avait fini par faire jaser dans la maison d’édition et son entourage. Pour mettre bon ordre, il avait été convenu de préserver l’auteur à succès et de virer la jeune attachée de presse, dont la carrière avait été brisée. Des années plus tard, encouragée par le mouvement #MeToo à libérer sa parole, Zoé décide de se venger en dénonçant sur son blog le harcèlement insupportable que l’écrivain lui avait fait subir. Les réactions sur les réseaux sociaux sont terrifiantes et l’opération s’avère aussi délétère pour Zoé que pour Oscar.

L’affaire, qui s’étend sur plusieurs années, est abondamment débattue par Rebecca et par Oscar, qui s’adressent de longs textes écrits, pouvant être des emails ou des messages privés, ce qui toutefois d’un point de vue formel, paraît peu crédible. Peu importe, on adhère facilement au principe narratif adopté par l’auteure et il n’est pas déplaisant. L’ensemble est structuré en plusieurs chapitres, introduits — à l’exception du premier — par une chronique du blog de Zoé : chaud bouillant ! A la suite, Rebecca et Oscar, issus d’un même prolétariat provincial, reprennent leur échange pseudoépistolaire, pour commenter successivement leur parcours d’artiste parisien, leur vie sociale, sexuelle et sentimentale, leurs rapports aux drogues et à l’alcool, ainsi que certains événements ou sujets de l’air du temps : le féminisme radical lesbien, les réseaux sociaux, la pandémie, les inégalités…

Les premiers chapitres installent entre les trois personnages un climat conflictuel. Insensiblement, tout au long du livre, sous l’influence de Rebecca qui joue un rôle d’arbitre, la tension s’apaise ; la guerre des trois n’aura pas lieu. Étonnamment, Rebecca et Oscar mettent à profit les semaines de confinement, qui les préservent des pressions habituelles de leurs milieux professionnels, pour se libérer de leurs addictions.

Sous sa forme romanesque particulière, Cher connard a été une lecture documentaire que j’ai trouvée agréable et intéressante, en dépit de longueurs et de redondances. L’ouvrage dépeint un monde qui m’est inconnu et qui m’a étonné, choqué. Un monde où pour faire illusion, on vend son âme à son dealer, tout en en attribuant la responsabilité au « système », dont on ne manque surtout pas de mentionner avec une once d’animosité méprisante qu’il est capitaliste, patriarcal et occidental.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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L'homme peuplé, de Franck Bouysse

Publié le 5 Octobre 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Octobre 2022, 

En peinture, on connaît plusieurs interprétations de « L’artiste et son modèle ». En littérature, on pourrait en exprimer l’idée par la formule « Attention, un roman peut en cacher un autre ».

Franck Bouysse est l’un des très grands écrivains français actuels. Il puise la matière première de ses romans dans le terroir de sa Corrèze. Dans L’homme peuplé, Harry, un auteur en panne d’inspiration après un premier livre à succès, a décidé, pour se ressourcer, de quitter sa grande ville. Il a acheté une vieille ferme, éloignée de tout, en rase campagne. La maison est ancienne, délabrée, ses ossatures gémissent, surtout la nuit. Harry s’installe en plein hiver. Le ciel est plombé, la neige n’en finit pas de tomber, le brouillard gomme les paysages ; des bruits étranges fusent, d’on ne sait où. Dans cet univers inhospitalier et nouveau pour lui, Harry cherche ses marques… et son inspiration.

Au village le plus proche, une jeune femme, jolie, tient l’unique commerce des environs. Harry entre en contact. Il s’interroge sur un voisin invisible, dont on prétend là-bas qu’il est un peu sourcier, un peu sorcier… Ce voisin, est-ce le dénommé Caleb, que l’auteur nous présente dès le premier chapitre ? Un éleveur solitaire, taiseux, fantomatique ; un homme bridé par l’emprise de sa mère, Sarah, aujourd’hui morte et enterrée, mais toujours présente par l’esprit !… Caleb, Sarah : des prénoms peu courants chez les paysans du terroir. Mais appartiennent-ils encore au monde de Franck, ou font-ils déjà partie de celui de Harry ?

Les chapitres alternent le quotidien balbutiant de Harry et les divagations paranoïaques de Caleb. Il finira par apparaître que ce dernier n’était pas sorti indemne, jadis, d’une situation qui avait mal tourné. A ce stade du livre, la narration aura pris l'allure d’un thriller horrifiant… C’est qu’il se passe des choses terribles dans nos campagnes, des événements que chacun raconte par bribes à sa manière, peut-être même des crimes restés impunis ! La neige, le brouillard, le vent effacent tout ; enfin, c’est ce que voudraient les puissants. Il est malvenu de chercher à en savoir plus…

Ni les silences hostiles ni les secrets impénétrables n’entravent la démarche de Harry l’écrivain. Ils lui valent des angoisses, des cauchemars, des hallucinations, mais ils l’amènent à libérer son esprit, à imaginer l’inimaginable. Sa vocation est d’observer, d’écouter, d’engranger des dires, d’enregistrer ses émotions et de tout noter soigneusement noir sur blanc. Le moment venu — seulement le moment venu ! — il pourra lier et ordonner le tout dans une histoire peuplée de souvenirs, de rêves, de regrets, de haines, de fantasmes et de personnages… vivants ou morts.

La lecture de L’homme peuplé est difficile, déroutante. Les premiers chapitres, très immobiles et pointillistes, sont un éloge d’une lenteur évocatrice de la vie de tous les jours sur les territoires reculés. Le rythme s’accélère soudain, devient même haletant, angoissant, avant de s’arrêter net… Déboussolé dans un premier temps, j’ai alors compris qu’il me fallait abandonner des interprétations en trompe-l’œil et replacer le tout dans un roman en cours de conception.

La construction romanesque de L’homme peuplé est époustouflante, dès lors qu’on l’a perçue. Il convient de relire une deuxième fois le livre, au moins en partie, pour en saisir la subtilité, indécelable au premier abord. Les indices sont pourtant là ; les jeux sur les prénoms aussi. Mais on ne les entrevoit qu’après coup.

La plume de Franck Bouysse est très imagée, mystique, lyrique, ce qui la rend par endroit hermétique. Elle s’inspire de la terre, du ciel, du vol des oiseaux. N’en fait-il pas parfois un peu trop ? Quand la recherche de la métaphore percutante devient trop visible, l’on en arrive à douter de la modestie de l’auteur. Il m’est arrivé d’éprouver de l’agacement, mais dans son ensemble, l’écriture est superbe ; j’avoue m’être laissé très agréablement dériver au fil des lignes et des pages.

Et plus je reviens sur ce roman, plus je trouve exceptionnelle la performance qu’il constitue !

TRES DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Ohio, de Stephen Markley

Publié le 13 Septembre 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Septembre 2022, 

Ohio est le titre du premier roman d’un jeune Américain natif du Midwest, nommé Stephen Markley. Publié en 2020, le livre s’inscrit dans la tradition d’une certaine littérature d’outre-Atlantique, celle qui trouve son inspiration dans les Etats périphériques, leurs espaces illimités, leur nature sauvage, leur climat impitoyable, leurs villes en déshérence, où des laissés-pour-compte du rêve américain, défoncés à l’alcool et aux stupéfiants, circulent dans leurs pick-up cabossés, essayant de dépasser leurs intolérances ancestrales, s’efforçant d’éviter la chute finale.

Début du vingt-et-unième siècle. L’Amérique tout entière a subi le choc du 11 septembre, elle va vers la crise des subprimes, qui frappera surtout le pays profond. Les habitants de la petite ville fictive de New Canaan, dans l’Ohio, ont tiré un trait sur son passé industriel prospère. Ils survivent dans des conditions économiques dégradées sans trop penser aux lendemains. Un panorama sociologique qui ressemble en pire à celui que dépeint notre romancier national Nicolas Mathieu dans sa Lorraine natale (Leurs enfants après eux, Connemara). En France, celles et ceux qui n’ont pas pu ou pas su partir de leurs territoires sans futur sont condamnés à la médiocrité. Aux Etats-Unis, les mêmes se détruisent dans l’alcool, les drogues, la violence, les armes à feu ; ils tombent dans la misère au premier problème de santé, faute de protection sociale ; sans oublier ceux qui, engagés en Irak, ne rentreront pas, reviendront handicapés, ou resteront prisonniers d’images horrifiantes et de sentiments ineffaçables de culpabilité.

A New Canaan comme dans toutes les petites villes, les femmes et les hommes de chaque classe d’âge se fréquentent depuis l’école et le lycée. C’est là que leurs personnalités se sont façonnées, lors des premières rébellions, des premières bagarres, des premiers flirts, des premières bières, des premières fumées, des derniers « tubes », et dans l’engouement aveugle pour les éphémères stars locales de l’équipe de football (américain, of course).

Dix ans après le lycée, quatre anciens camarades reviennent par hasard le même soir à New Canaan, pour des motifs différents. Bill, un éternel révolté, militant humanitaire, ivrogne et toxicomane, transporte un mystérieux paquet, dont on ne devinera le contenu et les destinataires qu’au dernier chapitre. Stacey, une universitaire brillante, est à la recherche de son premier amour, qui l’avait révélée à sa vraie sexualité. Dan, revenu d’Irak avec un œil en moins, n’a jamais oublié celle qui était faite pour lui et qui lui avait échappé, ni elle ni lui ne sait pourquoi. Tina, une ancienne beauté, est elle aussi restée marquée par son premier amour et elle aurait un sacré compte à régler avec lui.

Ohio est un pavé de près de six cents pages, touffu, labyrinthique, difficile. On se perd parfois dans la diversité des personnages secondaires. On s’embrouille un peu dans les flashbacks ressassés par les quatre revenants, obsédés de façon indélébile par des événements survenus dans leur adolescence. Des événements dont la teneur n’est livrée qu’au compte-gouttes, mais que l’on subodore peu à peu, comme un puzzle dont l’image finale effarante émergerait implacablement.

Il a fallu quatre années à Stephen Markley pour élaborer, écrire, reprendre, corriger, compléter son roman. Dans son rôle de narrateur omniscient, il jongle avec ce que sait, comprend et ressent chacun des quatre personnages principaux. Il ne néglige aucun détail. Tout est dans le texte, quelque part, dans l’une des nombreuses pages. Il nous revient juste à nous, lecteurs et lectrices, d’assembler les éléments. Et ce n’est pas toujours facile !

L’écriture, variée, est fascinante. Les parties narratives sont claires, imagées avec pertinence. L’auteur n’hésite pas à laisser les personnages s’exprimer, dans le langage parlé émaillé de trivialités qui leur est propre. Elles côtoient des passages d’une poésie sombre, tourmentée, belle comme l’enfer, où l’on ressent la noirceur des drames sociaux en germe dans nos sociétés occidentales.

Ohio offre un plaisir de lecture à la mesure de l’effort qu’elle exige. Sitôt la dernière page tournée, on a presque envie d’en reprendre la première. Ce roman est un chef-d’œuvre.

TRES DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Les hommes ont peur de la lumière, de Douglas Kennedy

Publié le 13 Septembre 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Septembre 2022, 

Ce dont j’étais sûr, c’est que j’avais lu au moins un des nombreux romans de Douglas Kennedy. Je ne me rappelais pas le titre ni le sujet — c’était il y a très longtemps —, mais j’avais gardé un souvenir positif de cet écrivain américain, qui séjourne souvent en Europe. J’observais qu’il avait une bonne réputation, qu’il comptait un grand nombre de lecteurs fidèles, dans plusieurs langues. Il était donc logique que je choisisse un jour, en toute confiance, de lire et de critiquer l’un de ses derniers livres.

Douglas Kennedy est connu pour construire ses romans à partir d’intrigues policières, qui lui servent de support pour critiquer sévèrement la politique et les mœurs sociales et sociétales aux Etats-Unis. Les hommes ont peur de la lumière ne déroge pas à la règle.

A cinquante-six ans, Brendan est au bout du rouleau. Cela fait plusieurs années qu’il a été viré de son poste d’ingénieur commercial, il n’a jamais retrouvé de boulot et il peine à se maintenir à flot dans un job de chauffeur Uber, avec l’angoisse d’être rayé des cadres compte tenu de l’état de sa voiture. Du côté familial, c’est encore pire, sa vie est un enfer, son épouse étant devenue une insupportable grenouille de bénitier. Leur fille Klara, dont il est proche, a préféré s’éloigner.

Au hasard d’un trajet dans Los Angeles, Brendan et une cliente — une femme âgée d’une grande bienveillance, nommée Elise — sont soudain confrontés à des expéditions ultra-violentes, aux conséquences parfois mortelles, menées contre des antennes du planning familial par un groupe d’intégristes chrétiens antiavortement. Un groupe auquel semble appartenir l’épouse de Brendan, ainsi qu’un ami d’enfance un peu manipulateur devenu prêtre.

De fil en aiguille, Brendan et Elise se retrouvent poursuivis par des tueurs lâchés à leurs trousses par un multimilliardaire compromis dans une affaire d’esclavage sexuel impliquant une toute jeune fille… Tout cela n’a ni queue ni tête, mais les péripéties sont l’occasion pour l’auteur d’afficher ses positions sur un certain nombre de sujets faisant l’actualité outre-Atlantique, comme l’ubérisation du travail, la liberté d’avorter, ou les menaces que les fondamentalismes religieux et le pouvoir de l’argent font peser sur la démocratie.

Le livre se lit très facilement, le texte français étant très fluide, tellement fluide qu’il donne parfois l’impression de manquer de consistance. Difficile d’évaluer sur ce sujet la responsable du traducteur ou celle de l’auteur, dont il est notoire qu’il est parfaitement francophone.

Un mot sur le misérabilisme de Brendan, narrateur des péripéties, qui ne m’a pas vraiment inspiré de compassion. Il pleure beaucoup, ce qui m’a fait penser aux romans préromantiques où l’on voyait des personnages poursuivis par le malheur et « versant des torrents de larmes ».

Le droit à la liberté pour une femme d’interrompre sa grossesse est actuellement mis à mal aux Etats-Unis. Les conflits sur le sujet ont toute leur place dans une fiction, mais il est à mon sens inutile et ennuyeux d’y introduire du débat. Ce n’est pas une question de peur de la lumière ; quand les conflits opposent foi et raison, il n’y a pas de débat qui tienne. Le roman de Douglas Kennedy est loin d’avoir le niveau de celui de Joyce Carol Oates, Un livre de martyrs américains, dont j’ai publié la critique en novembre 2019. La grande femme de lettres américaine a exploité avec beaucoup plus de subtilité romanesque et de réflexion psychosociale le phénomène qui transforme en assassins hargneux des bigots confits en dévotion et opposés à l’avortement, tandis que leurs ennemis proavortement mutent en militants prêts à se sacrifier pour leur cause.

Les hommes ont peur de la lumière est probablement un mauvais cru ! Cela peut se produire chez les auteurs prolifiques, de la même façon que pour une bouteille de grand vin… Faut-il d’ailleurs préconiser, comme semble s’en féliciter Douglas Kennedy par l’entremise d’Elise, l’usage de bouchons à dévisser sur les bouteilles de grand vin ? Les grands écrivains ont toujours envie d’aller très haut. Attention ! Il peut leur arriver aussi de dévisser.

FACILE     oo    J’AI AIME… UN PEU

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Les nuits de la peste, d'Orhan Pamuk

Publié le 19 Août 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Août 2022,

Prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk est né et vit à Istanbul, point de rencontre de l’Orient et de l’Occident, carrefour d’influences culturelles qui ne sont pas vraiment compatibles et dont il est un observateur critique avisé. Pour Les nuits de la peste, son dernier roman, il a imaginé une épidémie de peste en 1901 à Mingher, une île fictive de la Méditerranée orientale, au sein de l’Empire ottoman.

Un gros pavé de sept cents pages, tellement riche et foisonnant qu’il est difficile de le définir ! Essayons d’y voir clair et commençons par le cœur du sujet.

Sur l’île de Mingher, les références spirituelles sont partagées entre l’islam et le christianisme orthodoxe. Une partie des habitants est tentée par la modernité et la libre entreprise, l’autre partie est attachée aux traditions et à la soumission. Le Gouverneur, nommé par le Sultan, n’a pas la tâche facile pour répondre en même temps à la raison et aux croyances, pour accompagner les initiatives des uns et respecter le fatalisme des autres. Quand toutefois apparaissent les premiers indices d’une épidémie de peste, la dénégation est unanime : « il n’y a pas de peste chez nous ». Le clivage ne se manifeste qu’ensuite ; dans la frange la moins éduquée de la population, on se demande si les médecins, formés en Occident, n’ont pas importé eux-mêmes le bacille ! La suspicion s’étend lors de la mise en place de mesures sanitaires – quarantaine, isolement des malades, destruction d’effets contaminés, fermetures –, chaque groupe y voyant une stratégie complotiste d’un groupe adverse. Contestations, rebellions, violences ; la répression se veut implacable, la tension devient extrême.

Mais à la surprise des observateurs, l’épidémie joue un rôle déclencheur dans la destinée de Mingher. L’auteur a imaginé que face à l’incapacité de l’Empire à endiguer l’épidémie, les institutions basculent : un militaire laïque prend le pouvoir, déclare l’indépendance de Mingher, mais ne parvient pas à améliorer la situation sanitaire ; le théologien islamique qui prend sa place fait encore pire. Puis, dans l’île qu’un blocus isole du reste du monde, s’installe peu à peu un sentiment national autour d’une légende mythologique « minghérienne », dans laquelle finissent par se reconnaître tous les corps sociaux… Un sentiment national assez puissant pour devenir un jour absurde et excessif…

La fiction s’accompagne d’un aperçu documentaire sur un Empire ottoman en déclin, proche de sa chute : bureaucratie ubuesque, pouvoir absolu d’un sultan à bout de souffle, insignifiance d’une famille de princes trop gâtés pour être capables de quoi que ce soit et vanités de princesses plus subtiles qu’il n’y parait, mais recluses dans leurs palais.      

Une exception : par la justesse d’observations transcrites dans sa vaste correspondance, la princesse Pakizê, nièce du sultan au pouvoir, marque les événements et leur récit de son empreinte. Élevée à Istanbul, intronisée à Arkaz (capitale de Mingher), puis réfugiée à Hong Kong avant de finir ses jours à Genève, elle mène avec son mari, le docteur Nuri, une longue histoire d’amour, dont l’harmonie tranche avec d’autres, brisées tragiquement.

Réunir dans un même livre le récit des aventures surprenantes d’une princesse-sultane, une spectaculaire fresque sociopolitique et une saga historique authentique constitue une véritable prouesse littéraire. Ajoutons que les péripéties racontées sont l’occasion pour le lecteur de contempler les beautés naturelles de l’île, de respirer l’atmosphère des avenues élégantes et des faubourgs populaires d’Arkaz ; la profusion de détails est telle qu’on en oublie que Mingher n’existe pas. Ajoutons encore que Pamuk fait mine de céder ses talents de conteur et la fluidité de sa plume à une narratrice qui réserve quelques surprises dans le dernier chapitre.

Ma critique, écrite après avoir refermé le livre, pourrait sembler dithyrambique. Je n’oublie pourtant pas l’ennui parfois ressenti au cours de ma lecture, la difficulté à lire plus de dix pages à la suite, l’impression d’errer péniblement sans savoir où j’en étais ni où j’allais. Comment l’expliquer ? Peut-être ai-je été anémié par l’extrême chaleur de ce mois d’août… Et si, tout simplement, lire Les nuits de la peste méritait de prendre tout son temps. Orhan Pamuk lui-même a bien mis cinq ans à l’écrire !

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Madame Hayat, d'Ahmet Altan

Publié le 19 Août 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Août 2022,

Madame Hayat m’a rappelé la teneur et le style de romans du XIXe siècle, ceux dans lesquels Stendhal, Balzac ou Flaubert racontaient les aventures d’un jeune homme qui prenait son indépendance et structurait son passage à l’état d’adulte. A leur manière, Julien, Eugène et Frédéric expérimentaient des liaisons amoureuses, prenaient conscience de l’environnement social et politique dans lequel les circonstances les avaient propulsés, et affinaient leurs vocations personnelles. Nous les avions suivis au même âge qu’eux, leurs parcours nous interpellaient.

Le temps a passé, tant pour moi que pour l’auteur de Madame Hayat, Ahmet Altan, qui a presque mon âge. Drôle d’effet, que de retrouver un tel parcours initiatique dans son roman! Le narrateur, Fazil, est un jeune étudiant en lettres. Sa famille, aisée, vient d’être brutalement ruinée. Il est plongé dans l’univers précaire des étudiants isolés et fauchés, et il fait ses premiers pas dans une société à la fois flamboyante et inquiétante, où l’on se méfie des intellectuels et de ceux qui aspirent à le devenir.

Aucun nom de lieu n’est cité. Les événements racontés par Fazil se déroulent dans une grande ville universitaire d’un pays qui ressemble à la Turquie. Un régime autoritaire, corrompu, où l’arbitraire règne. Mieux vaut ne pas s’exposer aux répressions policières. En même temps, des groupes de barbus sillonnent la ville, armés de bâtons, afin de détruire les lieux de divertissement et de punir leurs adeptes. Bondée et joyeuse au début de la narration, la rue se vide peu à peu, pour terminer déserte et muette.

Sur le tournage d’un show télévisé quotidien qui l’a recruté comme figurant, Fazil rencontre deux femmes très différentes, dont il tombe amoureux. Une tranche de vie, pendant laquelle il mène ses deux liaisons en parallèle, faisant en sorte que chacune ignore l’autre. Voilà qui est délicieusement amoral. Ne sera-t-il pas finalement contraint de choisir ? Mais laquelle choisir ?

L’une, madame Hayat, est beaucoup plus âgée que lui. Elle symbolise la femme orientale traditionnelle : plantureuse, coquette, épicurienne, charnelle, mystérieuse. Insensible à la philosophie et à la littérature, qui sont les sujets de prédilection de Fazil, madame Hayat bâtit sa culture personnelle en regardant des documentaires à la télévision. Elle fait découvrir à son jeune amant les plaisirs simples de la vie, à déguster tendrement au quotidien, sans se préoccuper du lendemain.

L’autre femme, Sila, est jeune, belle, élégante. Elle est le double féminin de Fazil. Issue d’une grande famille qui vient d’être spoliée de tous ses biens en guise de représailles politiques, elle est étudiante en lettres et passionnée de littérature. Plus pragmatique que Fazil, elle est bien résolue à ne pas se laisser enchaîner et à construire son avenir, en exil s’il le faut, sans Fazil s’il le faut.

S’adapter ou résister, tel est en fait le dilemme personnel que Fazil devra résoudre… à moins qu’il ne se résolve tout seul ! Nous avons tous connu cela.

L’intrigue de Madame Hayat est tout à fait captivante et le roman rend hommage à l’univers miraculeux de la littérature : l’unique univers où l’on puisse contempler des décors mirobolants, participer à des aventures extraordinaires, rencontrer des personnages surprenants — et justement, ils sont nombreux dans l’ouvrage —. Grâce à la littérature, l’écrivain traverse les murs de pierre ou de béton… Il faut savoir que Madame Hayat a été écrit en prison…

Ahmet Altan est un intellectuel, journaliste et écrivain turc, aujourd’hui septuagénaire. Accusé d’avoir « participé de façon subliminale » au coup d’État manqué de 2016 contre le régime du Président Erdogan, il a été emprisonné, condamné à la perpétuité, puis relaxé et finalement libéré cinq ans plus tard, après maintes péripéties.

Une lecture enluminée par une prose magnifique, poétique, légère, par des descriptions et des métaphores sublimes, que l’on doit à l’auteur et aussi à son traducteur, Julien Lapeyre de Cabannes.

GLOBALEMENT SIMPLE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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L'Horizon d'une nuit, de Camilla Grebe

Publié le 20 Juillet 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juillet 2022,

J’entends dire beaucoup de bien de ces auteures suédoises, dont les thrillers semblent se vendre comme des petits pains. Trouverai-je dans leurs œuvres les qualités narratives qui, selon moi, manquent dans de nombreux polars français ? Il fallait que j’en aie le cœur net. Au hasard de mon inspiration, j’ai choisi le dernier roman en date de Camilla Grebe : L’Horizon d’une nuit.

Un titre qui prend son sens dans les premières pages. Au cours d’une nuit en l’an 2000, dans une zone résidentielle au bord de la mer, non loin de Stockholm, Yasmin, une jolie jeune fille pour le moins frivole, disparaît. Tout bascule dans la famille recomposée de Maria, une enseignante quadragénaire, mère longtemps célibataire d’un petit garçon « différent » âgé de dix ans, mariée sur le tard au père de Yasmin, Samir, un médecin chercheur français d’origine marocaine.

Yasmin s’est-elle enfuie, s’est-elle suicidée, a-t-elle été assassinée ? Et dans cette dernière hypothèse, par qui ? Dans une très longue — trop longue — première partie dont Maria est la narratrice, il est établi que père et fille entretenaient une relation conflictuelle, que certains indices sont accablants et que les personnes au poil et à la peau sombres suscitent de la méfiance dans le pays. Les soupçons se portent donc sur Samir. Maria voudrait ne pas y croire, mais les apparences semblent avoir raison de ses convictions.

Bien sûr, tout sera beaucoup, beaucoup plus compliqué que cela, un peu tarabiscoté, même, car comment, sinon, faire durer les incertitudes pendant quatre cent cinquante pages ?

J’ai failli abandonner la lecture après une centaine de pages, tant la longue narration de Maria est alourdie d’ennuyeuses professions de foi empreintes de bien-pensance naïve et mêlée de lamentations compassionnelles interminables. Heureusement, d’autres personnages finissent par prendre la narration à leur compte, apportant un éclairage nouveau sur les faits et sur leurs circonstances. La lecture retrouve alors de l’intérêt. La vérité se fait jour vingt ans plus tard, après reprise de l’enquête par Gunnar, un policier intervenu au moment de la disparition de Yasmin et qui avait été entre-temps lui-même confronté à de graves problèmes personnels.

Une fois qu’on l’a comprise, l’architecture du livre, fondée sur des narrations croisées alternant l’époque des événements et celle de la reprise de l’enquête, est assez astucieuse. Il est dommage que pour montrer la subjectivité de chacune de ces narrations, l’auteure en ait exagéré les traits de dramatisation et de sentimentalisme.

Il est aussi dommage que la structure du roman, bien qu’intelligemment conçue, soit déséquilibrée par la trop longue première partie. Un déséquilibre accentué par le titre, L’Horizon d’une nuit, dont j’ai dit qu’il trouvait son sens dans les premières pages. Le problème est qu’il ne le trouve que là !

A cet égard, le titre suédois d’origine, Alla ljuger, en français Ils mentent tous, est plus cohérent avec le principe des narrations subjectives. Ils mentent tous ? Dans la frénésie actuelle d’inclusivité, impossible d’afficher un tel titre ! Il faudrait quelque chose comme Toutes et tous mentent ! Vous imaginez cela  ? Impossible !… Impossible est devenu français !

GLOBALEMENT SIMPLE     oo    J’AI AIME… UN PEU

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Une voisine encombrante, de Shari Lapena

Publié le 20 Juillet 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juillet 2022,

Ma femme avait aimé Une voisine encombrante, un polar qu’elle m’a conseillé de lire. Le fait est suffisamment rare pour que j’aie considéré sa recommandation comme sincère et pertinente. Elle sait bien que la plupart des thrillers ne me plaisent pas.

J’ai quand même pris quelques informations préalables. Une voisine encombrante est le sixième ouvrage de Shari Lapena, une romancière canadienne ayant trouvé le succès dans ce qu’on appelle les « thrillers domestiques », une catégorie littéraire à suspens, dont la particularité est que les intrigues se développent, pour l’essentiel, dans les foyers familiaux de la classe moyenne.

Le livre s’ouvre sur le meurtre sauvage d’une jeune femme : juste une page et demie de grande violence. Dans les trois cent cinquante pages suivantes, les scènes se déroulent de façon civilisée dans les contextes domestiques d’une petite bourgade typiquement américaine, avec leurs jolies maisons indépendantes, tenues par des femmes désœuvrées sans illusions, des desperate housewives, si vous préférez.

L’identité de l’assassin n’est révélée que dans les toutes dernières pages. Naturellement, les intrigues tournent autour de la personnalité de la victime. L’enquête et les témoignages nous brossent le portrait d’une femme très séduisante et très séductrice. Chaque personnage masculin est susceptible d’avoir été sensible à son charme, d’y avoir succombé, puis de s’être laissé aller à commettre un crime passionnel. Il est tout aussi légitime d’imaginer les épouses envahies par la colère ou la jalousie, au point d’en arriver à éliminer violemment une rivale. Toutes et tous sont tour à tour suspects et il ne faut point se fier aux personnes auxquelles on donnerait le bon Dieu sans confession, ni condamner prématurément celles qui semblent cacher des secrets honteux. Comme on a déjà lu pas mal de polars, on ne croit pas à la culpabilité de celles et de ceux qui auraient eu les meilleures raisons de passer à l’acte, parce qu’on sait que l’assassin sera la dernière personne à laquelle on aura pensé.

L’atmosphère générale m’a rappelé celle des romans d’Agatha Christie, transposée dans notre vingt-et-unième siècle, avec les outils et les accessoires d’aujourd’hui, qui facilitent nos vies, mais compliquent de plus en plus la tâche des assassins : emails, smartphones, tests ADN, caméras de vidéosurveillance…

L’auteure explore les pensées et les inquiétudes de chaque personnage, un procédé narratif captivant. Le rythme est enlevé, agrémenté par une touche d’ironie ; l’écriture est limpide, fluide. Un livre tout à fait agréable, qui m’a séduit de bout en bout, sans autre prétention que de faire passer un bon moment à ses lecteurs.

PS d’un lecteur très habitué à sa liseuse et désormais en inconfort dans le livre papier : Avant de lire, j’hésite, je pèse et je soupèse, puis j’ouvre et je regarde. Là, il s’agit d’un polar en format poche. Les caractères sont petits, les marges intérieures sont trop faibles et il faut écraser le volume à plat, pour lire les débuts ou les fins de ligne, suivant que l’on est sur la page de droite ou de gauche. Les éditeurs ont-ils le souci de la qualité ?

Autre commentaire destiné à l’éditeur : Le titre, Une voisine encombrante n’est pas bien convaincant. Après lecture, je préfère de loin le titre original, Someone we know. Il est vrai que la langue anglaise facilite les locutions courtes et expressives.

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

 

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