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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Les Vivants, d'Ambre Chalumeau

Publié le 6 Mai 2025 par Alain Schmoll dans Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Mai 2025, 

Ambre Chalumeau est une jeune journaliste. Chroniqueuse culture dans l’émission Quotidien, elle s’y est fait remarquer par son esprit pétillant et facétieux, ainsi que par la diversité de ses pôles d’intérêt. Les Vivants est son premier roman. Je ne sais pas pourquoi je m’y suis engagé, car il ne correspond pas à mon genre de lecture — un sujet sur lequel je reviendrai. Je l’ai toutefois lu agréablement, je l’ai trouvé attachant, il m’a ému, il m’a fait sourire. Il m’a aussi rappelé ma jeunesse.

Inséparables depuis l’enfance, Diane, Cora et Simon passent tous les ans leurs vacances ensemble, en famille, au même endroit. Cette année-là, ils ont dix-sept ans et viennent d’obtenir leur bac. Moment charnière, choix décisifs, prise d’indépendance intellectuelle, affirmation du corps, libération des désirs, premiers pas vers l’âge adulte et les responsabilités.

Survient la rentrée. Brillante élève littéraire, Diane intègre une classe préparatoire d’élite et s’efforce d’en évaluer les exigences. Très jolie et victime d’un viol quelques années plus tôt, Cora cherche surtout à surmonter une souffrance qui bloque son épanouissement. Et pour Simon, tout s’arrête net ; frappé par un virus rarissime, il est à l’hôpital dans un coma profond.

Bouleversées par ce drame, Diane et Cora sont bien obligées d’avancer dans leur parcours personnel, où les embûches ne manquent pas. Mais les deux jeunes filles/jeunes femmes n’abandonnent pas leur ami, elles se rendent presque quotidiennement à son chevet. Elles se rapprochent ainsi de sa mère, Coralie, dont le couple bat de l’aile et dont les moments terribles qu’elle traverse aggravent la perte de repère.

Pour le personnage de Diane, Ambre Chalumeau s’est fortement inspirée d’événements qu’elle a réellement vécus. Et moi, par principe, j’évite les romans autobiographiques. Ils m’interrogent : pourquoi se met-on à raconter sa vie ? Est-ce pour partager une expérience heureuse ou malheureuse ? Pour régler un compte avec un proche ou avec soi-même ? Je n’ai pas la curiosité de m’intéresser aux secrets des autres, ils leur appartiennent et je ne me sens aucune légitimité pour m’y immiscer.

On me dira qu’à partir du moment où je ne connais pas personnellement l’auteur ou l’autrice, je pourrais faire abstraction de l’aspect autobiographique et considérer l’histoire racontée comme une fiction. Mais je préfère que la conception d’un roman résulte d’un exercice d’imagination, même si ce n’est pas, bien sûr, la seule qualité d’un texte narratif. La construction, le style de l’écriture sont essentiels.

Les Vivants est structuré en courtes séquences ni titrées ni numérotées, consacrées tour à tour à l’un des personnages ; les retours en arrière dans le temps sont fréquents, ce qui anime la lecture, dynamique et fluide, d’autant que la plume d’Ambre Chalumeau est légère, d’apparence naturelle, à l’occasion impertinente, à la manière de sa parole très spontanée. Maîtrisant parfaitement la syntaxe et disposant d’un vocabulaire riche, elle n’hésite pas à insérer des expressions du langage courant populaire propre à sa génération. Ses métaphores humoristiques parfois osées m’ont fait sourire. Elles permettent de relativiser la gravité des événements relatés et renforcent le message d’apprentissage de la vie que la jeune autrice prétend partager.

Au début du livre, lorsqu’elle prend connaissance de l’état d’inconscience permanente dans lequel Simon se trouve plongé, Diane se sent, par réflexe, choquée qu’un accident aussi brutal et injuste ne s’accompagne pas d’un arrêt du temps, d’une suspension des mouvements, d’une mise de côté des projets. Dans les dernières pages, un an plus tard, elle a compris que les drames et les malheurs surviennent inopinément, sans empêcher la terre de tourner ni chacun de nous d’y poursuivre son parcours personnel. Ils sont inhérents à la vie.

Ambre a la sienne devant elle et son talent de narratrice est incontestable. Voilà qui permet d’espérer un jour ou l’autre un excellent roman fondé sur une fiction.

FACILE     ooo   J’AI AIME

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La guerre par d'autres moyens, de Karine Tuil

Publié le 6 Mai 2025 par Alain Schmoll

Mai 2025,

La guerre par d’autres moyens n’est pas le premier roman de Karine Tuil que je lis. Une fois de plus, je suis séduit, et j’ose même dire, enthousiaste. Mon intérêt s’est éveillé dès les premières pages, je me suis ensuite passionné pour les sujets soulevés, avant d’être emporté par l’enchaînement dynamique des péripéties, qui se bouclent dans un final trépidant, angoissant… Un vrai thriller !

Le personnage principal n’est pas n’importe qui : il a été président de la République et n’a pas été réélu. Un an après, Dan Lehman ne s’est pas habitué au vide de son nouvel état et il se laisse aller à boire. Sa vie privée aussi est compliquée. Il avait été marié pendant vingt-cinq ans à une écrivaine, Marianne, avec laquelle il avait eu trois enfants. Il l’avait quittée il y a huit ans pour Hilda, une actrice beaucoup plus jeune. Leur couple se délite, mais ils adorent leur fille, Anna, trois ans.

Marianne avait écrit une fiction sur les violences dans un couple et sa publication avait rencontré un certain succès d’estime. Elle a participé à l’adaptation de son livre pour le cinéma, sous la houlette d’un ambitieux réalisateur de films d’auteur, Romain, qui en a confié le rôle principal à Hilda. Le film sera-t-il sélectionné pour le Festival de Cannes ?

Imagines-tu, lectrice, lecteur, les imbroglios possibles, lorsque, en plein débat de société sur la nature des rapports entre les hommes et les femmes, les circonstances mettent en relation, sur ce thème, un cinéaste pervers narcissique et les deux épouses d’un ex-président, sous l’œil de ce dernier, empêtré dans sa déprime, son alcoolisme et ses velléités de retour ? En d’autres mots, la guerre peut-elle être évitée, mais… de quelle guerre parle-t-on ?

Le titre du livre s’inspire de Clausewitz, qui définissait la guerre comme un acte de violence pour contraindre les autres à exécuter notre volonté. Il ajoutait : « La politique, c’est la guerre continuée par d’autres moyens ». En fait, la guerre est partout, elle couve entre homme et femme, elle est explosive dans le monde du cinéma, où les enjeux financiers, médiatiques et égotistes peuvent rendre fou. L’élaboration du film de Romain, sa thématique et sa destinée constituent d’ailleurs la colonne vertébrale du livre. S’y rattachent de nombreuses intrigues secondaires ramenant à d’autres questions sociétales d’actualité, qui se complètent mutuellement : l’ambition, le pouvoir, l’élitisme, les clivages, l’antisémitisme…

La structure du roman, finement conçue, donne de l’allant à sa lecture. Comme dans une tragédie antique, le narrateur (du genre omniscient) pose le contexte général des intrigues et commente les péripéties. Il laisse par moment la parole à un personnage ou à un autre, puis s’efface peu à peu derrière de véritables scènes de théâtre à la dramaturgie bien pensée, sombre ou jubilatoire : rencontres et dialogues plus ou moins intimes à huis clos, réunions stratégiques, conférences, interviews, interrogatoire judiciaire…

Tandis que les problématiques homme-femme ne cessent de rebondir, de s’élargir et de se complexifier, la dynamique romanesque du livre est soutenue par son écriture, nerveuse, directe, comme jetée spontanément, sans affèterie, sans offrir de respirations. Tout cela se traduit, dans la narration et dans les thèmes de réflexion, par une densité qui se retrouve aussi dans la mise en page, où les espaces sont rares. Certes, les chapitres sont courts, mais l’effet conjugué de cette densité qui ne se relâche pas et de l’accélération des péripéties m’a laissé groggy au moment du dénouement.

Dans sa façon d’aborder les enjeux de société sans prendre explicitement parti, Karine Tuil prend le risque de déplaire. Certains ont des positions tranchées et ne tolèrent pas que l’on nuance leurs convictions. Et les experts et spécialistes, qui se targuent d’étudier en profondeur les problèmes, s’agacent qu’un simple roman puisse les soumettre directement au jugement de lectrices et de lecteurs, dont l’aptitude leur paraît incertaine. Moi, j’aime bien cette autrice, qui m’a aussi fait sourire en instillant dans le personnage de Dan Lehman des petits détails spécifiques à plusieurs hommes de pouvoir contemporains.

GLOBALEMENT SIMPLE   ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Un avenir radieux, de Pierre Lemaitre

Publié le 22 Avril 2025 par Alain Schmoll dans Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Avril 2025, 

En tant que lecteur de romans, j’ai mes préférences personnelles. Mais en tant qu’entrepreneur et investisseur, j’ai d’autres critères pour juger ce que produisent les professionnels de l’édition, un magnifique métier, notamment en matière de marketing. Etre éditeur consiste à identifier des créneaux de lecteurs aux spécificités bien comprises et à leur proposer des livres soigneusement calibrés à leur intention, afin qu’ils s’en déclarent satisfaits. Bien qu’exprimée ainsi cette réflexion puisse paraître d’une grande banalité, encore faut-il avoir conscience de ce qu’elle implique.

Le propos s’illustre par un admirable projet d’édition : la publication, à raison d’un volume par an, d’une série littéraire — peut-être même d’une saga… — consacrée à une famille française, sur une période allant de la fin de la dernière guerre jusqu’au début des années soixante.

Avec l’expérience, le produit s’affine. Astucieux, le découpage en courts chapitres, à l’instar des séquences d’un feuilleton ! Chacun peut ainsi lire à son rythme, sans être contraint à des pauses au milieu de nulle part. Pragmatique, l’agencement du texte en brefs paragraphes d’une ou deux phrases maxi, avant retour à la ligne ! Cela facilite la compréhension, comme lorsqu’on prend connaissance de courriers commerciaux ou d’instructions administratives.

Génial, surtout, d’en avoir obtenu l’écriture par un auteur célèbre, lauréat d’un prix Goncourt et, en même temps, réputé pour le suspense et les rebondissements de ses romans policiers ! Cela permet d’offrir au public de la « vraie » littérature, tout en l’assurant qu’il ne s’agira pas d’une lecture ennuyeuse.

Et donc, après Le Grand Monde et Le Silence et la Colère, Pierre Lemaitre a écrit Un avenir radieux, suite des aventures de la famille Pelletier, dans la France de la fin des années cinquante. Une famille terne, menant une vie terne, en une époque particulièrement terne.

Des années cinquante, on a presque tout oublié. Elles n’ont mérité le qualificatif de « glorieuses », que parce qu’il était alors facile de s’enrichir dans les affaires, même pour les incapables, comme Jean Pelletier et son épouse Geneviève avec leurs magasins de draperie. Je ne sais pas, d’ailleurs, si les faits et gestes caricaturaux de ces personnages sont censés être drôles ou enrageants, mais pour ma part, je trouve affligeante leur récurrence d’épisode en épisode.

C’était le temps de la Guerre froide : Occident proaméricain vs bloc de l’Est sous contrôle soviétique. Elle ne faisait pas tous les jours la une de l’actualité, mais il en était souvent question dans les romans et dans les films. L’auteur reprend le flambeau en envoyant François Pelletier à Prague, ex-Tchécoslovaquie ; prétexte à une intrigue inattendue au-delà du rideau de fer, manipulée par des services secrets français inspirés des romans d’espionnage de John Le Carré, sans en avoir cependant la saveur trouble et mystérieuse. Une intrigue toutefois bienvenue pour sortir Un avenir radieux de son ronronnement inconsistant.

Il y a un an, en refermant Le Silence et la Colère, j’étais résolu à ne pas lire le tome à venir. Mais peut-on faire l’impasse sur Pierre Lemaitre ? C’est comme ces feuilletons ou ces séries qu’on suit sur les écrans ; on est parfois déçu par un épisode, mais on attend quand même fidèlement le prochain. Et j’ai souvent dit qu’il valait mieux lire des livres insipides que ne pas lire du tout.

Un avenir radieux devait clore la trilogie Les Années glorieuses, mais il se murmure qu’un quatrième volume pourrait paraître en 2026. Guettons les accents wagnériens de cuivre et de percussion, qui annonceront l’élévation de la trilogie en tétralogie.

FACILE     oo    J’AI AIME… UN PEU

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L'Annonce de Pierre Assouline

Publié le 22 Avril 2025 par Alain Schmoll dans Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Avril 2025

Pierre Assouline est un homme de lettres dont la polyvalence est remarquable. Journaliste, historien, essayiste, chroniqueur littéraire, il est aussi romancier, et particulièrement réputé pour ses biographies. Son dernier ouvrage, L’Annonce, reflète parfaitement l’ensemble de ses talents.

L’Annonce se présente comme le récit d’un Français juif, prénommé Raphaël, ayant vécu en Israël deux aventures personnelles l’ayant profondément marqué. La première date de l’année de ses vingt ans, au temps de ce qu’on a appelé la Guerre du Kippour, provoquée par la tentative d’invasion d’Israël par les armées égyptiennes et syriennes, lesquelles avaient voulu profiter, le 8 octobre 1973, de la pause spirituelle juive du Grand Pardon. La seconde aventure de Raphaël en Israël a lieu cinquante ans plus tard, au début de la guerre en cours dans la bande de Gaza, consécutive au monstrueux pogrom et à l’enlèvement d’otages orchestrés par le Hamas, le 7 octobre 2023.

Pierre Assouline l’affirme et il n’y a aucune raison de ne pas le croire, la première partie du récit est autobiographique ; Raphaël, c’est lui. A l’annonce de l’agression ennemie de 1973, l’auteur, jeune juif français d’origine marocaine, avait laissé en suspens ses études parisiennes et pris l’avion pour Israël, en compagnie de quelques camarades, dans l’intention de se rendre utile, d’une façon ou d’une autre. Au sein d’une nation n’existant que depuis vingt-cinq ans et subissant sa troisième guerre, l’occasion lui a d’abord valu de mener une expérience saugrenue : gérer un élevage de dindons dans un kibboutz ! Plus sérieusement, il a aussi découvert la vie quotidienne et la mentalité spécifique d’une population restée choquée par l’annonce de l’invasion, et qui n’a pas manqué de s’interroger sur les failles politiques et/ou militaires l’ayant mise en danger. 

En même temps, Raphaël aura vécu une idylle aussi intense qu’éphémère avec une jeune Israélienne de son âge. Esther effectuait ses obligations militaires dans une unité chargée d’un rôle très ingrat, celui d’annoncer aux familles la mort de proches au combat. L’annonce : une tâche très éprouvante psychologiquement, qui n’aura pas été sans rappeler un drame familial à l’auteur.

2023. Cinquante années ont passé… Pierre aurait pu écrire ce récit depuis longtemps… Et voilà que Raphaël est à nouveau en Israël, sur les traces de sa jeunesse, d’autant que, depuis peu, des images d’Esther ont émergé dans son esprit. Qu’est-elle devenue ? Fantasme courant, quand le grand âge approche, que de se laisser aller à la nostalgie des amours d’antan ! Raphaël reverra-t-il Esther ? Autobiographique, la narration passe à l’autofiction… sublimée dans une guerre provoquée par les événements du 7 octobre, dont l’annonce avait pétrifié la population d’Israël et d’une partie du monde.

D’une partie seulement ! Car dans l’autre, on trouve intolérable la présence de Juifs en plein cœur de terres prétendument arabo-musulmanes, ce qui revient, après la Shoah, à proclamer que la présence des Juifs est intolérable partout. Il en est même qui pensent que le monde se porterait mieux si les Juifs n’existaient pas et qui vocifèrent que leur antisionisme n’est pas de l’antisémitisme.

En Israël, Raphaël aura participé, comme tout le monde, aux réflexions sur les causes et les conséquences des deux guerres, déclenchées à cinquante ans de distance, quasiment jour pour jour. Sont évoqués le même excès de confiance collective en soi, la conviction partagée d’invincibilité, sans pour autant oublier les dysfonctionnements dans le traitement du renseignement. Après la guerre du Kippour, la Première ministre, Golda Meir, avait été amenée à démissionner. Aujourd’hui, la société israélienne connaît des clivages, qui risquent d’affaiblir l’esprit de solidarité qui a fait sa force.

Le livre est intelligemment conçu. Sur le plan historique et géopolitique, il est passionnant. Il lui manque juste, dans sa part romanesque, la touche émotionnelle qui aurait pu atteindre le lecteur que je suis, si l’auteur n’avait pas masqué sa sensibilité sous la fine pellicule d’une écriture trop maîtrisée. Tenir son rang d’académicien Goncourt peut amener à l’emphase, histoire de se montrer digne des innombrables références littéraires invoquées tout au long du texte.

GLOBALEMENT SIMPLE     ooo   J’AI AIME

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Bastion, de Jacky Schwartzmann

Publié le 2 Avril 2025 par Alain Schmoll dans Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Avril 2025, 

Quel bonheur de retrouver Jacky Schwartzmann, son imagination débordante, ses personnages truculents, ses commentaires empreints de gros bon sens, sa langue gouailleuse, son humour pas vraiment politiquement correct ! Issu d’une cité ouvrière de Besançon, ce quinquagénaire s’est, à la force du poignet, construit une véritable destinée d’écrivain, vivant aujourd’hui sereinement de sa plume en Rhône-Alpes. Je l’avais découvert il y a cinq ans, avec Demain c’est loin, que j’avais noté « trois étoiles ». L’année dernière, j’en avais alloué quatre à Shit !. Que m’était-il possible d’espérer avec Bastion, son nouveau roman ?

Quel en est donc le sujet ? Deux Lyonnais, copains d’enfance, viennent de prendre leur retraite. Entre Jean-Marc, le narrateur, et Bernard, ça a toujours été à la vie à la mort. Mais voilà que Bernard vient de s’engager dans un groupe de militants travaillant à la candidature d’Eric Zemmour pour la prochaine présidentielle. Pas vraiment la tasse de thé de Jean-Marc, mais craignant que son ami ne se laisse embarquer malgré lui dans une aventure foireuse, il accepte de l’accompagner au Bastion, un réseau de gros bras, bas du front, qui démarchent des élus locaux en vue d’obtenir des parrainages pour leur héros…

Ce n’est toutefois que la partie émergée de l’iceberg…

En réalité, le Bastion est dirigé et financé clandestinement par Didier, un industriel régional en vue, lequel s’entiche de Jean-Marc et lui dévoile son grand projet : déclencher à Paris un événement d’envergure terrifiante, « genre Bataclan », qui précipiterait les Français dans les bras de celui qu’il appelle le Z. Pour mener à bien ce projet, il faudra des moyens importants. Alors Didier compte sur Jean-Marc pour récupérer en douceur un lot de kalachnikovs conservés, après saisie, au Palais de Justice de Besançon, puis pour faire main basse, sans effusion de sang, sur un gros paquet de pognon provenant du narcotrafic régional et destiné à traverser la Méditerranée.

Horrifié, mais prompt à l’action, Jean-Marc décide de jouer à l'infiltré, dans l’intention de faire échouer le projet…

Pas si facile de mener double-jeu dans un tel contexte ! Et particulièrement dangereux ! Car Jean-Marc ne dispose que d’une équipe de pieds nickelés, tandis que les conspirateurs, qui ne sont ni des imbéciles ni des enfants de chœur, sont prêts à tout… Et ils peuvent compter sur des relais puissants et des appuis inattendus.

Une quarantaine de chapitres répartis en cinq parties pour ce roman, qui compte un peu moins de trois cents pages à la lecture très fluide. Il faut un peu de patience au début, le temps que les personnages et les décors se mettent en place, le temps aussi de s’habituer ou de se réhabituer au style particulier de l’auteur.

J’ai ensuite savouré Bastion avec gourmandise, bonne humeur, j’irais jusqu’à dire excellente humeur. Cette parodie de thriller politique et social vire, au fil des pages, à la parodie de thriller tout court, pour se transformer finalement, dans les ultimes chapitres, en un authentique thriller au suspense haletant. Ses intrigues trépidantes, son humour ravageur et son écriture colorée m’ont un peu rappelé les San Antonio que je dévorais, adolescent, en l’absence cependant, chez Schwartzmann, de tout dérapage trop sexiste ou graveleux qui ne serait pas de mise de nos jours.

Bastion fait partie de ces romans dont on tourne les pages de plus en plus vite, parce qu’il est difficile de résister à l’envie de connaître l’issue de certaines péripéties. On regrette ensuite d’en avoir terminé trop tôt avec le plaisir de découvrir certains passages jubilatoires.

FACILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Le chant du prophète, de Paul Lynch

Publié le 2 Avril 2025 par Alain Schmoll dans Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Avril 2025, 

De Paul Lynch, il y a sept ans, j’avais lu et critiqué La neige noire, un roman très sombre, ancré sur une terre irlandaise rurale soumise à des conditions climatiques ingrates et marquée par des modes de relations séculaires farouches. Dans Le chant du prophète, récompensé par le Booker Price 2024, les événements imaginés par l’auteur prennent cette fois place dans un environnement urbain et civil contemporain. Si tu vis dans une grande ville européenne, lectrice, lecteur, tu n’auras aucun mal à te transposer dans le Dublin fictif du roman et tu en ressentiras d’autant le poids des péripéties.

Eilish, Larry et leurs quatre enfants mènent une vie heureuse et structurée dans une maison confortable d’un quartier tranquille. Eilish est cadre dans une entreprise de biotechnologies, Larry occupe des fonctions de direction au sein du principal syndicat national d’enseignants. La famille est plutôt aisée financièrement, des vacances au Canada sont prévues. Très attachée à son métier, Eilish n’en est pas moins exemplaire dans son rôle d’épouse et de mère, ainsi que dans ses devoirs à l’égard de son père, lequel perd un peu la boule, vivant seul depuis le décès de sa femme.

Un parti nationaliste a récemment pris le pouvoir. Afin d’assurer l’ordre public, l’état d’urgence a été discrètement décrété, une police secrète mise en place. Mine de rien, le pays a glissé dans un régime politique illibéral. Courtoisement interrogé par la police à l’approche d’un mouvement de contestation, Larry est déstabilisé ; que doit-il craindre ? Après la manifestation, violemment réprimée, il ne rentre pas à la maison, son portable ne répond pas. Il serait en détention on ne sait où. Pleine d’espoir, ne percevant aucune raison d’être inquiète, Eilish multiplie les démarches pour en savoir plus, tout en veillant à ce que l’absence difficilement explicable de leur père ne perturbe pas la vie courante et la scolarité des enfants. Ses questions ne rencontrent que le silence ; glaçant, humiliant.

Chapitre après chapitre, la situation générale se dégrade. Des gens affichent avec morgue leur adhésion au parti, comme si elle leur donnait des droits. L’armée nationale verrouille la ville, à la poursuite de rebelles, lesquels s’organisent et montent une armée de libération. La guerre civile éclate. Les deux armées s’affrontent dans les rues, à l’arme lourde. Leurs troupes se montrent aussi violentes d’un côté que de l’autre, elles terrorisent la population. Des quartiers sont bombardés. L’économie s’effondre, la corruption explose…

Dans ce contexte dramatique et invivable, Eilish ne perd jamais espoir, elle continue à s’efforcer de ne pas faillir dans son rôle d’épouse aimante, de mère poule, sans oublier son père. Il faut préserver le rêve de la famille rassemblée, même si… Tout devient difficile, absurde, dans un pays qui se désagrège…

Le texte de Paul Lynch se déploie en continu, dans de longs paragraphes occupant plusieurs pages sans retour à la ligne. Les dialogues, suites nerveuses de demandes réponses, sont intégrés aux narrations descriptives sans signes typographiques. Cette disposition littéraire procure à la lecture un effet percutant, qui se focalise de près sur un personnage, la plupart du temps, Eilish. C’est comme si, au fil des jours, des semaines, des mois, tu la suivais pas à pas, à la maison, au bureau, dans la rue, caméra à l’épaule, micro ouvert, tout en lisant dans ses pensées.

La leçon est claire. Comment évoluerait notre vie quotidienne, si le régime démocratique et libéral, auquel nous sommes habitués sans nous rendre compte de notre chance, abandonnait peu à peu les principes de l’état de droit ? Insensiblement, insidieusement, nous en viendrions à nous égarer dans des voies sans issue, à errer vers le chaos, au hasard de circonstances fortuites malencontreuses, dont nous ne comprendrions pas le sens… La fin du monde ? Même pas ! Un simple épisode de l’Histoire, comme l’humanité en a déjà connu, en connaît aujourd’hui, en connaîtra demain ! Depuis des temps immémoriaux, selon Paul Lynch, nous refusons d’entendre les prophéties : la fin annoncée de notre petit monde éphémère, juste le nôtre, sous l’œil presque indifférent des mondes voisins.

Une lecture anxiogène, oppressante, et pourtant fluide, addictive, dans laquelle on s’efforce désespérément de croire en une fin heureuse.

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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J'écris l'Iliade, de Pierre Michon

Publié le 19 Mars 2025 par Alain Schmoll dans Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Mars 2025, 

Dans certains cénacles littéraires élitistes — dont je ne fais pas partie —, il se dit que Pierre Michon est l’un des plus grands écrivains français de sa génération. Pour juger le talent de cet homme de lettres, qui vit dans son village natal de la Creuse, je me devais de lire au moins l’un de ses livres. J’hésitais, je ne savais pas lequel choisir. L’occasion est enfin survenue avec la publication de son dernier ouvrage, J’écris l’Iliade.

Avant de se lancer dans la lecture, il faut prendre conscience que l’ouvrage, qualifié de « récit » en page de couverture, est en fait constitué de quatorze courts récits, des nouvelles indépendantes les unes des autres, toutes inspirées plus ou moins directement par la mythologie grecque…

… Plus ou moins directement, dis-je. La deuxième nouvelle, titrée Le rêve d’Homère, m’a effectivement plongé en pleine guerre de Troie. En revanche, dans la première, Hoplite, où l’auteur relate le souvenir réel ou fictif d’un voyage en chemin de fer dans les années soixante, j’ai cru comprendre qu’il avait entrevu l’image d’hoplites — des guerriers grecs armés pour la bataille —, après avoir été ébloui par l’aspect rutilant et agressif d’une locomotive à vapeur.

Les références à la mythologie grecque, qui vont d’ailleurs bien au-delà de l’Iliade, sont manifestes. Mais si l’essentiel était ailleurs ? Pour parler clair, ce qui relie l’ensemble des textes réunis dans J’écris l’Iliade, c’est avant tout ce que l’auteur et son éditeur appellent « l’érotisme », un érotisme dans lequel mon imagination et mes sens n’ont reçu ni suggestion ni stimulation, et que je qualifierais donc plutôt de « pornographie ». Une pornographie certes très littéraire, écrite dans une langue riche, foisonnante et lyrique, mais dont le sens des mots ramène presque systématiquement au sexe de la femme et à sa pénétration, comme un éternel fantasme d’adolescent.

Comment interpréter cette obsession ? L’auteur a quelques années de plus que moi. Les garçons de nos générations étaient en pleine puberté lorsque, entre deux bagarres à la récré, ils découvraient la mythologie grecque et sa statuaire dénudée : Achille et les héros ardents au combat, représentés tous muscles saillants devant Hélène admirative, sous l’œil de déesses, de demi-déesses et d’esclaves magnifiques, sculptées dans des poses pâmées, lascives, ou désespérées en cas d’enlèvement par Zeus ou Apollon, les deux séducteurs impénitents de l’Olympe. De quoi, pour certains, rester fascinés par la violence, qui serait la conduite obligée pour écarter les contradicteurs et pour posséder des femmes.

Que penser finalement de ce texte sublime, touffu, aussi déroutant qu’incommodant, dont la lecture — et la relecture de certains passages abscons en première approche — m’ont exigé concentration, persévérance… et parfois lutte contre l’ennui ? Que penser aussi du dernier chapitre et de l’autodafé titanesque de la grande bibliothèque des siècles et des mondes ?

De ce feu ravageur, l’on peut parler de mascarade, car les mémoires informatiques survivent aux pulsions destructrices des hommes, l’auteur étant d’ailleurs le premier à le reconnaître. Plus généralement, peut-être faut-il conclure qu’une table rase s’impose pour réécrire l’œuvre absolue qu’est l’Iliade, et pour que Pierre Michon, dont l’érudition et la qualité de plume sont immenses, rejoigne un jour Homère, Shakespeare et Borges au panthéon des poètes qu’il vénère. Un processus de destruction-reconstruction recommandé pour son efficacité sur soi-même.

Un dernier mot ; ce n’est sans doute pas demain que je serai admis dans les cénacles littéraires élitistes dont je parlais au début de ma chronique.

TRES DIFFICILE     oo    J’AI AIME… UN PEU

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Bristol, de Jean Echenoz

Publié le 19 Mars 2025 par Alain Schmoll dans Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Mars 2025, 

Auteur d’une vingtaine de romans, tous publiés par les Editions de Minuit, lauréat de plusieurs prix littéraires, dont un Médicis et un Goncourt, Jean Echenoz a mené depuis quarante-cinq ans un parcours d’écrivain atypique. Peu connu du grand public, il est très apprécié dans les cénacles de la littérature francophone. Après Vie de Gérard Fulmard, qui date de 2020, son nouveau roman, Bristol, vient de paraître.

Bristol – Robert de son prénom — est le nom du personnage principal, un cinéaste qui compte à son actif une douzaine de films. Aucun n’a vraiment rencontré le succès, même si l’un d’eux a valu à son réalisateur « un Clap de bronze aux Journées cinématographiques de Panazol »… Le livre s’ouvre à Paris par la chute d’un corps nu s’écrasant sur le trottoir à quelques mètres de Robert Bristol, qui n’y prête pas attention. Il faut dire que son esprit est absorbé par la préparation du tournage de son nouveau film, une adaptation d’un ouvrage fameux de la célèbre romancière Marjorie des Marais, Nos cœurs au purgatoire. Le titre du film sera finalement changé en L’Or dans le sang, « que la production, au vu de la copie de travail, et foutu pour foutu, trouvera plus vendeur » que le titre d’origine…

Voilà qui te donnera, lectrice, lecteur, le ton de la narration : tout est parodique et loufoque dans Bristol. Le roman rapporte les mésaventures du réalisateur, de ses acteurs et de ses techniciens, lors du tournage en Afrique australe, très précisément au Botswana, « à Bobonong, chef-lieu du sous-district de Bobirwa, dans le bassin versant du Limpopo » (on se croirait dans un poème de Georges Fourest). Pour l’essentiel, les tribulations de l’équipée se poursuivent à Paris, dans l’immeuble où habite Robert Bristol, que la police soupçonne d’être impliqué dans la défenestration de son voisin du dessus, évoquée à la première page du livre et dans le précédent paragraphe de ma chronique.

C’est une habitude chez Echenoz, les personnages sont des losers, des tocards, des êtres en perdition, un peu vains et dérisoires dans leurs tentatives désordonnées de sauver la face, à l’occasion de péripéties souvent abracadabrantesques.

L’écriture est superbe. Par sa maîtrise de la langue, de la syntaxe et du vocabulaire, l’auteur parvient à s’abstraire des règles littéraires courantes et à oser toutes les fantaisies, comme mêler dialogues et narration, changer de narrateur au beau milieu d’une phrase, ou introduire une digression incongrue inspirée de lieux communs. Des variations de rythme souvent inattendues, donc surprenantes, qui relancent l’agrément de la lecture.

L’auteur a aussi la manie d’insérer des mots rares au sein d’assertions d’une absurde banalité. Ces mots rares, lectrice, lecteur, tu as peu de chances de tous les connaître, à moins que tu ne sois spécialiste à la fois de psychologie, de philosophie, de cinéma, de faune, de flore, de technologies de pointe, que sais-je encore ! Mais rassure-toi, — sauf curiosité irrassasiable —, il n’est pas forcément utile de t’aider d’un dictionnaire, ces mots inconnus font plutôt partie d’un décor de mise en scène et ils ne perturberont pas ta bonne compréhension du texte.

Le livre est court, à peine plus de deux cents pages, une trentaine de chapitres distribués sur trois parties, la dernière, très brève, clôturant sans crier gare des intrigues, dont il serait injuste de prétendre qu’elles n’ont ni queue ni tête, parce justement elles en ont plusieurs. A l’occasion, écoute et regarde une interview de l’auteur en vidéo, voit son œil malicieux de pince-sans-rire. Cet homme a de l’humour, il a le sens de l’absurde, il s’est certainement amusé à écrire Bristol, un authentique exercice de style. Le livre est drôle, sa lecture est très distrayante. Alors, pourquoi s’en priver ?

GLOBALEMENT SIMPLE   oooo J’AI AIME BEAUCOUP

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Le Déluge, de Stephen Markley

Publié le 25 Février 2025 par Alain Schmoll dans Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Février 2025, 

Il y a deux ans, Stephen Markley m’avait enthousiasmé avec son premier roman, Ohio, une imposante fiction ancrée sur un territoire post-industriel du Midwest, auquel restaient liés des personnages ne se reconnaissant plus dans le rêve américain. Comptant plus de mille pages, Le Déluge, son deuxième roman, est encore plus dense et volumineux. Il m’a passionné, mais il est si complexe que j’ai du mal à résumer et à ordonner les commentaires qu’il m’inspire.

L’auteur, qui a consacré plusieurs années à ce livre, le qualifie d’épopée romanesque futuriste. L’on peut voir Le Déluge comme le grand récit dramatico-historique d’une Amérique en proie au changement climatique ; un récit à plusieurs voix insérant des parcours personnels fictifs au sein d’événements réels récents, puis les développant dans une préfiguration de l’avenir ; une préfiguration crédible, car elle s’inscrit, sans transition, dans le prolongement du présent dont nous sommes témoins.

Plusieurs personnages principaux t’emmèneront ainsi, lectrice, lecteur, dans un long périple aux quatre coins des Etats-Unis, de 2013 à 2040. Ils sont des êtres d’esprit, de chair et de sang, plus ou moins concernés par le dérèglement climatique. Tony, un océanographe renommé, peine à faire entendre les alertes qu’il lance ; Shane, une mère célibataire vivant dans la clandestinité, fomente des actions écoterroristes ; Jackie, une jolie et brillante publicitaire, se fait un nom dans le green washing ; Keeper, un petit délinquant violent, est prêt à tout pour payer sa prochaine dose ; Ashir, un jeune universitaire surdoué, conçoit des algorithmes prévisionnels de référence ; Kate, une femme charismatique au sourire ravageur, monte une ONG dont l’activisme non violent s’impose à l’Administration.

Tout en te dévoilant leurs secrets, lectrice, lecteur, ces personnages et ceux qui les entourent te feront pénétrer dans les principales institutions du pays, participer à des débats politiques, scientifiques, économiques, financiers ; tu liras la presse et les rapports d’experts, tu verras ourdir des complots, tu assisteras à des crises parfois tragiques et même à des crimes. Avec eux, tu découvriras au fil des ans les conséquences des accidents climatiques sur l’évolution des modes de vie en ville, en site périurbain, à la campagne, sur les rives des océans…

Peu importe que le livre, achevé en 2023, n’ait pas prévu l’élection de D. Trump de novembre 2024. Car la narration du retour fictif au pouvoir des Républicains quelques années plus tard ressemble fortement à ce à quoi nous assistons aujourd’hui en direct. Il en est de même pour les nombreuses catastrophes naturelles — ouragans, inondations, tornades, mégafeux — survenues récemment dans plusieurs Etats ; elles avaient été imaginées par Markley, mais pas avant la fin des années 2020 ; leurs descriptions saisissantes sont étrangement similaires aux reportages vus à la TV. Lectrice, lecteur, les étonnantes précisions prémonitoires de l’auteur te feront passer du présent au futur sans t’en rendre compte, et elles renforceront ta sensation de vivre en direct des événements de demain.

Tu seras à peine surpris de constater que les politiques tournent en rond, en dépit des désastres survenant un peu partout dans le pays. L’enjeu majeur est d’engager rapidement la décarbonation de l’économie. Mais certains voudraient y joindre des objectifs sociaux et sociétaux. L’intention se heurte alors à l’opposition des partisans de politiques radicales sécuritaires et anti-immigration, qui vient renforcer celle des lobbies engagés dans les énergies fossiles. Pour obtenir des avancées consensuelles de la part d’institutions gouvernementales sans véritable majorité, les législateurs sont amenés à concéder des amendements édulcorant les mesures de base… Heu ! Toute ressemblance, etc… !

Le Déluge est un roman ; la destinée de l’humanité n’y vaut pas plus que celles des personnages principaux. L’auteur a adopté pour chacun un mode narratif différent. Les récits sont agrémentés de coupures de presse, de comptes-rendus de réunions, d’extraits de textes administratifs, tous fictifs. Une construction littéraire qui confère un aspect hyperréaliste à la lecture.

J’avais en son temps qualifié Ohio de chef-d’œuvre. Les mots me manquent pour Le Déluge, un ouvrage éblouissant, captivant comme un thriller… et sacrément angoissant.

TRES DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Les fantômes de l'Hôtel Jerome, de John Irving

Publié le 25 Février 2025 par Alain Schmoll dans Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Février 2025, 

Je traîne depuis longtemps un problème avec l’œuvre littéraire de John Irving. Il y a quarante ans, j’avais interrompu ma lecture de Le monde selon Garp pour des raisons très personnelles, dont j’ai un peu honte, qui me font toutefois sourire aujourd’hui et que je suis prêt à révéler à quiconque me le demandera. J’avais tenté plus tard de lire un ou deux de ses romans des années quatre-vingt. Etais-je allé jusqu’au bout ? Je ne peux le dire, je n’en ai aucun souvenir.

Il est temps désormais que John Irving m’accorde une nouvelle chance. Alors j’atteste avoir lu intégralement Les fantômes de l’hôtel Jerome… En fait non ! Pas tout à fait intégralement. Tout au long de ses presque mille pages, le texte est émaillé de digressions bavardes, parfois redondantes, que j’ai préféré survoler en partie, chaque fois que je craignais de piquer du nez. Même punition pour les chapitres traités sous forme de scénarios, qui, à mon sens, n’apportent rien et cassent le rythme de la lecture. Je me sens quand même tout à fait apte à parler du roman.

En le lisant, il m’est apparu qu’écrire l’histoire de sa propre vie de sept à soixante-dix-sept ans est une tâche himalayenne, lorsqu’on est écrivain et scénariste. Ce n’est pas John Irving qui est en cause, mais Adam Brewster, le personnage principal et narrateur de Les fantômes de l’hôtel Jerome. Il se perd un peu — et nous avec, lectrice, lecteur — entre les aventures qu’il vit, celles de ses souvenirs réels, rêvés ou fantasmés, celles qu’il imagine pour ses livres, publiés ou non, et celles de ses scénarios de films, tournés ou pas tournés…

Pour clarifier son pedigree, il a fallu de surcroît qu’Adam se penche sur le parcours de sa mère, une femme menue, jolie et fantasque, qui l’avait conçu en 1941 à l’Hôtel Jerome, dans la fameuse station de sports d’hiver d’Aspen, au Colorado, en marge d’une compétition de ski. Mordue de ski alpin, Little Ray — c’est ainsi que ses proches l’avaient surnommée — n’avait jamais caché son homosexualité et elle aura vécu avec la même compagne pendant plusieurs décennies. Qui était donc le géniteur d’Adam ? Son identité restera longtemps un mystère, tant pour Adam que pour toi, lectrice, lecteur. L’on sait juste que Little Ray avait un faible pour les hommes de petite taille, ce qui l’a amenée à épouser Elliot Barlow, un amateur de ski nordique mesurant un mètre quarante-cinq. Au fil des années, ce Mr Barlow prendra l’habitude de se travestir en femme, avant de carrément changer de genre…

Cet aperçu truculent des principaux personnages laisse augurer des péripéties inattendues, tragiques et/ou comiques. Mais leurs effets sont affadis par une narration verbeuse, parfois alambiquée, probablement prisonnière de l’égo de l’auteur et de son ambition de produire un ouvrage sortant de l’ordinaire, inspiré de son parcours et de ses convictions propres.

Ainsi, l’auteur et son personnage sont tous deux nés en 1942 à Exeter (New Hampshire), et dans leurs vieux jours, ils se sont installés à Toronto ; ils n’ont connu que tardivement l’identité de leur père ; dans le roman comme dans la vie de l’auteur, il est couramment question de pratique de la lutte et du ski. Mais Irving se défend de toute intention autobiographique, arguant qu’il a choisi d’écrire sur des sujets et des lieux qu’il connaît, plutôt que de gaspiller son temps à se documenter. Soit !

Irving a toujours défendu la liberté du corps, la liberté sexuelle, toutes les libertés sexuelles. « On peut s’aimer de bien des façons », écrit-il. Avec les années, il ajoute la liberté de choisir son genre. Le livre parait au moment où les opinions sur ces thèmes se radicalisent aux Etats-Unis. Cela ne le gêne aucunement de s’afficher en provocateur. Il assume ses choix politiques et éthiques. Le déroulé de la vie d’Adam dans les dernières décennies du XXe siècle, lui permet notamment de s’en prendre aux positions de la droite américaine pendant la guerre du Vietnam et lors de l’apparition du sida.

Reste l’humour de l’écrivain, son talent pour imaginer des situations burlesques et pour trouver les expressions justes, parfois très crues, qui les font vivre de façon réaliste. Les fantômes de l’hôtel Jerome est une sorte de longue — trop longue — fresque ne souffrant d’aucune incohérence, où j’ai fini par m’attacher aux personnages (et à leurs fantômes), sans pour autant m’enthousiasmer.

TRES DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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