Novembre 2024,
Roman écrit sous une forme inattendue, — j’y reviendrai plus loin —, par une enseignante férue d’Histoire et d’études sociales, La Petite Bonne est une jolie surprise. Bérénice Pichat a conçu une intrigue entre trois personnages au mitan des années trente : « Monsieur », « Madame » et leur nouvelle « bonne-à-tout-faire », comme on disait à l’époque.
On ne connaîtra pas le prénom de la petite bonne, jeune femme anonyme, effacée et invisible. Dans les demeures bourgeoises où on l’emploie, elle nettoie, lave, range et effectue des tâches secondaires en cuisine. Elle est confinée dans la condition ingrate de domestique, comme sa mère l’avait été avant elle. Dure au mal, elle est lucide sur sa destinée, qui ne peut lui offrir que de rares et pauvres petits plaisirs. Elle ne se plaint pas. Illettrée, naïve, dévouée et empathique, elle vient d’être engagée dans une nouvelle place. Un couple sans enfant dans une maison sans luxe ni joie.
Monsieur a pour prénom Blaise. Très grièvement blessé pendant la Grande Guerre, il a survécu de justesse… mais dans quel état ! Amputé des mains, amputé des jambes au-dessus du genou ! Le bas de son visage, emporté par un éclat d’obus, a été reconstruit fonctionnellement, mais Blaise reste une « gueule cassée », avec des difficultés pour boire, manger, articuler. Il n’a pas bon caractère. On imagine son mal de vivre, le dégoût de soi-même, la honte de sa dépendance. Vingt ans qu’il supporte cela.
Madame, prénommée Alexandrine, est fidèle au poste. Elle purge un absurde sentiment de culpabilité, cela fait vingt ans qu’elle a abandonné toute vie sociale, pour prendre en charge avec un extrême dévouement et sans se plaindre celui qui est toujours son mari. Un sacrifice quotidien très lourd.
Avant la guerre, Blaise était un jeune pianiste séduisant, appelé à un avenir brillant. Alexandrine était très amoureuse. Ils venaient de se marier… Deux vies gâchées… La nuit, en dormant, Blaise rêve qu’il joue au piano devant un public enthousiaste. Quand il ne dort pas, il souffre et tout son corps lui fait horreur. Son aspect, repoussant, accentué par les sujétions hygiéniques de ses handicaps, a fait fuir ses proches. Les servantes, engagées l’une après l’autre par Alexandrine, donnent très vite leur congé.
La petite bonne prendra sur elle, tiendra le coup. Des circonstances amèneront Madame à la laisser, pendant deux jours, seule avec Monsieur… Pour celui-ci, vingt ans, ça suffit ! Sa vie n’a aucun sens, il est temps que ça s’arrête. Et il a un plan… Mais le huis clos dans lequel il va se retrouver avec la petite bonne ne se passera pas comme prévu. Des moments surprenants, émouvants.
Pour la narration de cette histoire touchante, l’autrice a fait le choix d’un parti littéraire original : une partie du texte est en vers libres ; dès le début !... Déroutant, non ? Quand je m’en suis aperçu, j’ai failli renoncer. Avais-je envie de lire des vers, tout libres soient-ils ? Finalement, j’ai décidé de tester les premières pages… elles m’ont embarqué pour l’ensemble du livre.
Ne t’inquiète pas outre-mesure, lectrice, lecteur. De larges parties du texte, celles qui sont consacrées à Alexandrine et à Blaise, et notamment aux deux jours qu’ils passent loin l’un de l’autre, sont écrites en prose traditionnelle.
Seules les séquences portant sur la petite bonne sont en vers libres ; des assertions courtes, une grammaire élémentaire, une expression simple pour décrire avec réalisme le quotidien et la psyché du personnel de maison dans les années trente. La fluidité du phrasé, sa clarté, son dépouillement, l’absence de tout artifice de langage, m’ont séduit. De ces lignes soigneusement alignées sur la marge gauche se dégagent un rythme, une douce musicalité. Quelques rares alinéas (des strophes ?) sont alignés sur la droite ; je me suis longtemps demandé à quoi ils correspondaient et n’ai compris leur sens que dans les toutes dernières pages.
Une lecture agréable, attendrissante, qui ne manque pas d’évoquer des sujets d’actualité délicats : le handicap, la dépendance, la fin de vie, sans oublier les différences sociales et la condition féminine.
FACILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP