Février 2024,
Figure reconnue de la littérature policière française, Hervé Le Corre a été primé à maintes reprises pour ses romans. Leurs intrigues se nouent généralement au cœur de faits divers tragiques, survenant dans des univers sociaux de misère et de souffrance, inspirés de la réalité sociale ou historique. Des rapports de force particulièrement violents et sordides exposent des personnages faibles et fragiles à d’autres, puissants et malveillants.
Qui après nous vivrez n’est pas un polar, c’est une dystopie, un roman d’anticipation pessimiste, dans lequel l’auteur a imaginé un monde auquel il apporte ses codes habituels de noirceur, de terreur, d’horreur, de mort, tout en s’inspirant des pires prédictions survivalistes d’effondrement de la civilisation.
En 2050, tout saute. Plus d’électricité et donc plus d’éclairage, plus d’appareils, plus de réseaux, plus d’industrie ! Une mégapanne ? Bon ! C’est déjà arrivé, on attend que ça reparte… Mais là, ça ne repart pas. Ça tombe mal, quand le quotidien est déjà plombé par les pénuries, les épidémies, les incendies, les guerres de gangs, sous un soleil brûlant alternant avec des pluies glacées.
Fin de la civilisation technologique, telle que nous la connaissons. Retour progressif à des conditions de vie pratique qui ressemblent à celles du Moyen-Age. Ce saut en arrière s’accompagne en parallèle d’une perte de sens de l’humain et de la société, au profit de luttes individuelles ou en clans pour survivre, tous les coups étant permis. Retour en même temps, et peut-être encore plus rapidement, à une certaine forme de bestialité, qui réinstalle l’homme dans son rôle de domination, de prédation et d’asservissement de la femme.
Les chapitres du livre entremêlent — dans un désordre auquel il faut s’habituer — les aventures traversées entre les années 2050 et 2120 par un lignage de quatre personnages féminins, Rébecca, Alice, Nour et Clara. Elles se transmettent, de mère en fille, la volonté de survivre jour après jour. Au fil des générations, leurs environnements sont de plus en plus hostiles. Mais l’espèce humaine a du ressort et s’efforce de s’adapter. Ce qui compte, c’est le lendemain. Pour après, on verra ! Parfois se présente ce qui ressemble à un havre de paix, où l’on peut se poser quelque temps. Il faudra toutefois repartir. L’humanité retrouve des habitudes de nomadisme. On se remet en route, en quête d’on ne sait trop quoi.
Comment en est-on arrivé là ? s’interrogent les personnages. L’auteur a des convictions politiques claires : ce sont les riches et les puissants qui ont mené le monde à la catastrophe. Il faut bien désigner des coupables, même si l’auteur déclare aussi que cela faisait des décennies que chacun était prévenu et pensait pouvoir s’adapter.
L’on peut à bon droit être impressionné par le travail d’imagination et d’écriture déployé pour décrire, avec autant de détails, la nature qui retourne à l’état primaire et les ruines de ce que furent des maisons, des quartiers, des villes. Des visions cauchemardesques, entrecoupées de scènes insoutenables de brutalités, de meurtres, de guerres, de viols. Un texte d’une poésie macabre et fangeuse, qui rappelle qu’Hervé Le Corre révère Lautréamont.
L’auteur sait mettre en tension sa narration, y introduire du suspens. On s’attache à Rébecca, à Alice, à Nour et à Clara, qui, en dépit des agressions et des sévices, placent l’amour au-dessus de tout. Quel destin l’auteur leur a-t-il réservé ?
Les sentiments humains n’ont pas tous disparu. Dans les moments d’espoir ou de désespoir apparaissent des gestes d’entraide, de solidarité. Quelques épisodes sont très émouvants. L’amour maternel pourrait-il sauver l’espèce ? Un éclair réconfortant dans une lecture plutôt démoralisante.
Une lecture en même temps éprouvante, car d’un chapitre à l’autre, il n’est pas facile de saisir dans quelle génération l’auteur nous invite. Cela donne par moment l’impression de relire des descriptions et des péripéties déjà entrevues.
DIFFICILE ooo J’AI AIME