Mai 2023,
De l’écrivain colombien Santiago Gamboa, né à Bogota dans les années soixante, on dit qu’il est un auteur de romans policiers, de romans réalistes et de romans historiques. Dans Colombian psycho, il mérite bien ces trois qualificatifs. Il faut toutefois reconnaître que le contexte régional des péripéties du livre s’y prête particulièrement.
La Colombie sort — ou espère sortir — de soixante années de guerre civile. Un conflit armé ultra-violent et sanglant ayant fait plusieurs centaines de milliers de morts et de disparus, entraîné le déplacement de plusieurs millions de personnes, sans compter les viols, les mutilations et autres sortes de tortures pratiquées par les belligérants. Se sont affrontés sans merci les guérilleros d’extrême gauche appartenant aux FARC ou à L’ELN, l’armée gouvernementale, et les milices paramilitaires d’autodéfense d’extrême droite intervenant en supplétifs masqués de l’armée. Sur un fond politique de lutte et de réaction provoquées par les inégalités — effectivement immenses dans le pays —, les vrais ordonnateurs du jeu sont les cartels de la drogue, l’enjeu étant d’une part la maîtrise des cultures du coca, de l’autre la préservation des flux financiers colossaux générés par le narcotrafic. La Colombie détint un temps le record mondial de la criminalité, elle reste le premier pays producteur de cocaïne.
Voilà donc un excellent fondement historique. Il aura suffi ensuite à l’auteur d’avoir la plume un peu lourde sur les turpitudes des personnages, sur leur sexualité et sur la perversité des meurtres, de placer le tout sous le ciel brumeux et pluvieux de la sinistre mégapole de Bogota, pour donner à son livre un caractère réaliste. Un réalisme qui devient terrifiant, lorsqu’est évoqué le scandale des « faux-positifs » : l’enlèvement au hasard de milliers de jeunes gens prétendus activistes, puis leur assassinat dans des mises en scène de combats, afin de toucher des primes. Un scandale sanctionné par de lourdes condamnations… suivies d’amnisties généreuses.
Reste la dimension « polar ». Le roman commence par la découverte macabre de jambes et de bras enterrés. Leur ex-propriétaire, devenu homme-tronc par la force des choses, est bien vivant et purge une longue peine de prison. Quelques jours plus tard, découverte d’un meurtre sanglant, puis d’un autre. Des indices semblent montrer un lien entre les affaires…
Le procureur Edilson Jutsyñamuy, chef du service des Investigations spéciales, gère l’enquête avec un sang-froid et un opportunisme non dénués d’humour. Quand les procédures judiciaires ne lui permettent pas d’intervenir — car la Colombie bénéficie d’une vraie constitution démocratique —, il peut compter sur les aptitudes intuitives et relationnelles de Julieta, une journaliste d’investigation qui fume et qui boit trop, mais qui se maintient en vie, au bord de la crise de nerfs.
On subodore rapidement que les meurtriers sont des paramilitaires, aux ordres d’hommes politiques détenteurs d’intérêts financiers indirects dans le narcotrafic. L’intrigue est complexe, structurée, cohérente et l’on en suit avec plaisir et curiosité le long et patient détricotage par les policiers.
L’auteur a ajouté une part inattendue d’autofiction, puisque l’écrivain Santiago Gamboa fait partie des personnages du roman ! Les enquêteurs découvrent même que les événements de Colombian psycho sont inspirés de précédents ouvrages de l’auteur. Comment l’auteur se sortira-t-il de cette situation très originale ? Voilà qui rajoute du sel à la lecture.
Le livre est très long, mais sa construction en dix parties elles-mêmes décomposées en courts chapitres permet de le lire sans effort. L’écriture n’est pas sophistiquée, ce qui peut heurter au début si l’on sort d’une lecture plus littéraire, mais on s’habitue. Elle cadre en tout cas avec le caractère policier, réaliste et historique de Colombian psycho.
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP