Juin 2022,
La littérature ukrainienne actuelle date de trente ans et reste hybride, à l’image d’un de ses porte-étendard, Andreï Kourkov. Né en 1961 à Saint-Pétersbourg – Leningrad à l’époque –, celui-ci vit depuis son enfance à Kiev : Union soviétique jusqu’à ses trente ans, république d’Ukraine ensuite. Se prévalant sans réserves de la nationalité ukrainienne, Kourkov écrit en russe et son œuvre porte un regard critique sur les absurdités cocasses et tragiques des sociétés postsoviétiques.
Son dernier roman, Les abeilles grises, a été écrit avant la guerre d’invasion actuelle. Il prend place dans le contexte d’avant février 2022, datant des événements de 2014 : annexion de la Crimée par la Russie, apparition dans l’est de l’Ukraine de deux « Républiques populaires » séparatistes soutenues par Moscou et début du conflit du Donbass. Une guerre larvée qui se traduit, jusqu’en février 2022, par des combats sporadiques entre séparatistes prorusses et l’armée ukrainienne, pour un bilan de quatorze mille morts et de plus d’un million de personnes déplacées !
Alors, lectrice, lecteur, imagine toi maintenant dans ce qu’on appelle une « zone grise », ni ukrainienne, ni prorusse, un no man’s land situé entre les fronts, d’où l’on se canarde d’obus. Certains n’atteignent pas leur cible et s’abattent au milieu, sur un tissu rural constellé de villages vidés de leurs habitants, détruisant des maisons ou creusant des cratères sur les routes.
Un no man’s land au sens littéral de l’expression ? Pas tout à fait. Dans le village de Mala Starogradivka, tout le monde est parti, sauf deux hommes, Sergueïtch et Pachka. Otages d’une géopolitique où ils n’ont pas voix au chapitre, ils sont restés chez eux et vivent depuis trois ans sans électricité : pas de lumière, pas de télévision, pas de recharge d’appareil portable et donc pas de télécommunications. Sans poste ni commerces, ils sont coupés du monde, se nourrissent de conserves, reçoivent l’aide d’associations humanitaires et quelque pitance de la part de compatissants soldats des fronts les plus proches, Pachka habitant face aux positions prorusses, Sergueïtch du côté ukrainien.
Sergueïtch et Pachka, qui approchent tous deux de la cinquantaine, se connaissent depuis l’enfance, ne s’apprécient pas vraiment, mais quand on se retrouve à deux, il faut bien faire preuve de bienveillance et de solidarité. Pachka est surtout préoccupé par le renouvellement de ses réserves de vodka, Sergueïtch, à l’esprit très analytique, est étonnamment soucieux de préserver tous les petits détails de sa vie quotidienne et de celle de ses abeilles.
Car Sergueïtch est apiculteur. Il est attentif au bon état physique et psychologique de ses abeilles. Elles sont sa seule famille et leur production de miel lui est bien utile dans une économie de proximité revenue au troc. Au printemps, quand ses ouvrières achèvent leur hibernation, Sergueïtch charge ses six ruches sur une remorque attelée à sa vieille guimbarde et part sur les routes ukrainiennes, en quête d’un site bucolique et pacifié. Il trouve une âme sœur dans un village, mais on s’y méfie de cet « étranger » qui s’évertue à nier être un réfugié, un Russe, ou un séparatiste du Donbas.
Il prend alors la route de la Crimée, fantasmant sur ses paysages montagneux et son climat estival. Mais les frontières, les points de contrôle et la surveillance policière locale sont l’occasion de tracas humiliants, de la part d’une administration russe autoritaire, tatillonne et kafkaïenne, jusqu’à en troubler la sérénité des abeilles, à l’organisation sociétale exemplaire.
Sergueïtch a le cœur sur la main, se montre empressé auprès de ses prochains, mais il est fruste, naïf, et son empathie, maladroite, tombe souvent à plat. Il se nourrit l‘esprit de souvenirs, de rêves, de contemplations de la nature, de visions oniriques. Le texte est émaillé d’images poétiques un peu faciles. La narration te donnera l’impression, lectrice, lecteur, de l’imminence d’événements importants, voire tragiques, et de l’apparition de graves problèmes de santé pour Sergueïtch.
Mais il n’en est rien, les aventures de Sergueïtch sont tranquilles, tour à tour absurdes, comiques, exaspérantes, globalement attachantes, malgré l’absence totale d’intrigue dans le roman.
DIFFICILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP