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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

La Sentence, de Louise Erdrich

Publié le 11 Mars 2024 par Alain Schmoll in Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mars 2024,

De Louise Erdrich, j’avais lu il y a deux ans Celui qui veille, roman qui avait obtenu le Pulitzer de la fiction. Personnellement, j’avais trouvé le livre un peu ennuyeux. Avec La Sentence, auréolé à l’automne dernier du Femina étranger, ne risquais-je pas de me retrouver dans la même situation ?

Louise Erdrich est une écrivaine atypique. D’origine amérindienne, elle puise son inspiration dans la vie, l’histoire et les cultures des peuples autochtones, auxquelles elle est indissolublement liée. Les fictions qu’elle imagine se déroulent précisément là où s’étendaient jadis les territoires des tribus sioux. Elle confronte ses principaux personnages à l’actualité et à l’histoire des Etats-Unis, dans des épisodes qui les concernent plus ou moins spécifiquement.  

Ces personnages portent en eux les traces d’une civilisation disparue, ainsi que les stigmates des drames de leurs ancêtres, massacrés ou chassés de leurs terres lors de la conquête de l’Ouest. Des fantômes qui les aident à supporter ou à expliquer des difficultés au quotidien. N’en étant pas moins citoyens américains, ils assument de surcroît une sorte de culpabilité collective plus ou moins consciente pour des failles personnelles dues à des situations sociales précaires : vols, violence, alcoolisme, drogue, prostitution, mensonges en tout genre.

Tout cela ressort de la narration de Tookie, personnage principal de La Sentence. A quarante ans, elle a bénéficié d’une remise de peine après dix ans de prison, à la suite d’une condamnation à soixante ans pour avoir participé, à l’insu de son plein gré, à des faits délictueux. Une sentence absurde pour une conduite absurde : gag cocasse ou outrance dialectique ? Tookie évoque aussi son enfance tragique, sa toxicomanie compulsive. Ses dix ans d’emprisonnement semblent ne mériter que quelques pages.

L’histoire qu’elle raconte commence lors de son retour à la vie civile. Elle a décidé de s’acheter une conduite. Elle épouse Pollux, le flic (tribal) qui l’avait arrêtée dix ans plus tôt — encore un gag ? — et qui, depuis, était devenu entrepreneur et commerçant.

En prison, Tookie avait découvert le pouvoir des mots, des phrases — sentence in english — et des livres. Sa capacité à les lire, à les comprendre et à les assimiler lui vaut d’être embauchée dans une petite librairie de Minneapolis, dont la propriétaire n’est autre que Louise Erdrich, qui apparaît en filigrane dans la fiction.

Tookie adore son métier et les contacts qu’il lui procure, mais après le décès d’une cliente, elle se sent hantée par l’esprit de cette femme. La divagation s’étend et alimente des débats sans fin avec son mari et ses collègues. De très longs passages, où s’entremêlent lyrisme et surnaturel, mais que mon cartésianisme occidental un peu hermétique au symbolisme amérindien aura eu du mal à supporter.

Je me suis senti plus accroché par la deuxième moitié du livre, où Tookie et ses proches se trouvent confrontés à deux événements dramatiques survenus en 2020.

En mai, la mort à Minneapolis de l’Afro-Américain George Floyd, étouffé sous le genou d’un policier, déclenche une série de manifestations, d’émeutes et de destructions urbaines. Tookie et cie sont bouleversés par le meurtre perpétré et par les dégâts commis, tout en en commentant les circonstances avec un certain fatalisme. Voilà qui donne matière à réflexion.

Survient aussi la pandémie de la Covid, les inquiétudes initiales, les interrogations sur la contagion, les rumeurs vraies ou fausses, la recherche désespérée de masques réglementaires. Je ne sais pas si tu te reconnaîtras, lectrice, lecteur, mais tu reconnaîtras sûrement des proches ; rétrospectivement, c’est plutôt drôle. Moins drôles sont les hospitalisations d’urgence en détresse respiratoire, les longs séjours en soins intensifs sous oxygène, et le martyr des proches, privés d’informations fiables et d’autorisation de visites. Peut-être en avais-tu souffert. On n’évoquera pas les issues plus graves.

La richesse narrative de Louise Erdrich et la poésie de son écriture sont très agréables à lire, mais les trop nombreuses pages consacrées aux états d’âme et aux fantômes de Tookie ne m’ont pas fait vibrer, pas plus que son érudition littéraire. D’ailleurs, j’ai lu bien peu de livres de sa bibliothèque idéale.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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