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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

critique litteraire

Papi Mariole, de Benoît Philippon

Publié le 10 Août 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Août 2024,

Papi Mariole ! Le titre ne me disait rien qui vaille, mais deux personnes que j’estime avaient trouvé le livre captivant et hilarant. Elles m’avaient fortement recommandé de le lire. Je ne suis pas contrariant ; tout au moins, je m’efforce de ne pas l’être.

Rencontre fortuite, dans une antique Renault Dauphine, d’un ancien tueur à gages souffrant d’Alzheimer et d’une (jeune) vieille fille paumée, récemment piégée dans une vidéo porno ! En matière de rencontre, cela vaut bien celle d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection, d’autant plus qu’une truie apprivoisée colle aux basques de l’ex-sicaire gâteux !… A défaut de pouvoir être qualifié de surréaliste par un nostalgique de Lautréamont, le cocktail, incontestablement pétillant, est l’occasion de scènes surprenantes, qui m’ont fait sourire… une fois… deux fois… Allez ! trois fois… Après trois cents pages, force est de constater que le comique de répétition n’a pas marché.

Il avait quand même fallu trouver les idées, ainsi que celles des différentes phases du puzzle loufoque où l’on t’invite, lectrice, lecteur, à suivre Mariole et Mathilde, lui dans un contrat qu’il veut honorer et dont il a oublié les tenants et aboutissants, elle dans une revanche vengeresse contre des vidéastes du sexe sans scrupules. Pas de doute, l’auteur a de l’imagination à revendre, beaucoup d’imagination.

Benoit Philippon dispose aussi d’une plume prolixe. Chaque situation génère une profusion de détails narratifs écrits avec finesse et humour ; ils sont séduisants au début, mais la répétition du principe affadit leur truculence et on finit par les lire en diagonale. A l’inverse du dernier Joël Dicker, qui peut se réduire à une succession d’illustrations virtuelles très sommairement décrites et accompagnées de bulles de dialogues, Papi Mariole serait une bande dessinée dont les images auraient été remplacées par des textes descriptifs bavards.

Un roman noir humoristique. C’est ainsi que l’auteur et/ou l’éditeur ont décidé de présenter l’ouvrage. Sinon ils auraient certainement choisi un autre titre. On peut aussi parler d’humour noir, car le cœur des intrigues s’inspire de deux phénomènes de société, qui, d’ordinaire, ne manquent pas de nous troubler, voire de nous angoisser.

Le grand âge ! C’est à la fois un espoir et une menace. Alors que la médecine nous permet de mieux surmonter les maladies graves classiques, voilà que la fin de vie s’accompagne de dégénérescences neurologiques, dégradantes pour qui en est atteint, affligeantes pour les proches. « C’est pas bien de se moquer », pourrait-on ronchonner. Mais après tout, l’humour, tout grinçant qu’il soit, n’est-il pas un réflexe d’autodérision nous permettant de regarder en face les démons qui nous guettent ?

Polémiques #MeToo ! Où commencent les violences sexuelles ? Quand peut-on parler d’abus machistes ? Dans les mésaventures où l’auteur propulse Mathilde, la matérialité des deux ne fait pas l’ombre d’un doute ! Je n’ai vu rien de drôle dans des scènes qui traînent inutilement leur malaise en longueur. La concision est parfois préférable à la redondance complaisante des détails.

Rien d’étonnant, finalement, à ce que les avis sur ce livre soient disparates.

FACILE     oo    J’AI AIME… UN PEU

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Shit ! de Jacky Schwartzmann

Publié le 10 Août 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Août 2024,

De Jacky Schwartzmann, j’avais bien aimé Demain c’est loin, un polar dynamique et atypique, dans lequel il avait conçu un personnage à son image, jonglant avec ironie sur la bien-pensance, au cœur d’une banlieue populaire de province. Une sorte de roman noir, social et humoristique, dont il reprend et approfondit le genre littéraire dans Shit !.

Son personnage principal et narrateur est à nouveau un double de l’auteur. Thibault est installé dans un vaste quartier moderne en périphérie d’une grande ville, un quartier dit « sensible », parce que sa vocation, depuis sa création dans les années soixante, a été d’héberger une population à bas revenus, majoritairement originaire du Maghreb et d’Afrique subsaharienne.

Thibault travaille dans un collège comme CPE. C’est un trentenaire pétri de bons sentiments, attaché à son métier, fidèle aux gens qu’il côtoie, habitué à son quartier. Il craint les brutalités et s’efforce de les éviter… sans toujours y parvenir. Sa rémunération est modeste, il s’en contente, elle lui assure un train de vie qui lui convient.

Mais il arrive que des circonstances fortuites fassent basculer la destinée d’un individu et Thibault va en faire l’expérience. Sur son palier, dans l’immeuble HLM où il demeure, le logement d’en face abrite un point de deal, une officine structurée, quoiqu’illégale, où s’échangent et s’entreposent du shit et du pognon. Un jour, à la suite d’événements inattendus très violents, Thibault et une voisine se retrouvent incidemment devant des liasses de billets épaisses comme ils n’ont jamais vu et face à un stock de cannabis impressionnant ; tout cela à leur disposition, à leur corps défendant !

Que faire ? En parler aux flics ? C’est probablement ce qu’aurait fait Thibault, s’il s’était trouvé seul… Quand on est deux, on réagit différemment…  

L’argent n’intéresse pas Thibault, à titre personnel du moins. Mais autour de lui, dans le quartier, les revenus de la moitié des familles dépassent à peine le seuil de pauvreté et il y a urgence à procéder à quelques subventions. Avec le temps, d’autres soutiens sociaux s’imposeront. Et puis, après épuisement des premières distributions, il faudra bien les renouveler…

Voilà comment on devient un dealer, un dealer bien établi ! Thibault ne change pas ; modeste, effacé, il se soucie des autres, sans pour autant se prendre pour Robin des Bois. Il déjouera cependant toutes les embûches, trompant son monde — toutes catégories confondues ! — presque innocemment. Son ascension se prolongera… jusqu’à quand ?

Dans ce polar social, l’auteur reproduit avec lucidité les différents modes de vie et leurs dérives dans ce qu’on appelle les cités. Il ne concède rien à la bien-pensance ni à la morale civique, témoignant d’un humour à la fois mordant et tendre. En même temps, les péripéties qu’il te sert, lectrice, lecteur, sont captivantes, surprenantes, drôles. Peut-être en trouveras-tu certaines choquantes ! Elles s’enchaînent en tout cas avec intelligence.

L’écriture, au diapason, est inspirée de la langue des quartiers, mais pas de celle des racailles. Thibault, narrateur de bout en bout, s’exprime comme un bobo évolué, capable d’observer et de reproduire avec objectivité et dérision les pratiques de ses semblables. Le travail sur les titres de chapitres mérite d’être salué, même s’il n’apporte pas grand-chose.

Une question m’est venue en lisant Shit !. Je respecte les lois et je m’inquiète des risques que le narcotrafic représente pour notre société ; je me demande toutefois comment certaines familles des quartiers sensibles subsisteraient sans le ruissellement du trafic local.

De quoi conforter une de mes allégations préférées : la lecture d’un roman est parfois plus instructive et plus percutante que celle d’un rapport administratif, d’une enquête documentaire ou d’une thèse idéologique.

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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La Conjuration de Dante, de Fabrice Papillon

Publié le 5 Juin 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juin 2024, 

La Conjuration de Dante est un titre astucieux. En ces temps de profusion de soupçons complotistes, le mot conjuration suscite forcément la curiosité. En y associant le nom de Dante, l’intitulé annonce un parcours initiatique, au plus profond des racines de l’histoire et de la culture, dans une quête de sagesse et de vérité. Un programme aguicheur !

Tu l’auras justement deviné, lectrice, lecteur : le livre se présente comme un thriller historique et scientifique, relevé d’une once d’ésotérisme et d’une larme de fantastique. Un genre de littérature dont je ne suis pas particulièrement adepte, parce qu’elle tient rarement ses promesses de révélations décoiffantes. Qu’en est-il avec La Conjuration de Dante ?

L’auteur a de nombreuses cordes à son arc. Journaliste scientifique, passionné par les questions de bioéthique de génétique, Fabrice Papillon produit des documentaires de vulgarisation et enseigne à Sciences Po. La Conjuration de Dante est son quatrième roman.

Tandis qu’ont lieu d’impressionnants meurtres de notables, un mystérieux groupe se nommant Gyrum Novem commandite le pillage de tombeaux illustres, afin, semble-t-il, de compléter une collection de cerveaux entamée depuis des décennies. Elle ne s’intéresse qu’aux grands noms des arts et des sciences : Marie Curie, Einstein, Dante, Descartes, Darwin, Hawkins… Mais toi, lectrice, lecteur, quand tu constates que de sombres personnages s’attribuent les pseudonymes de Virgile ou de Spinoza, tu comprends aussi que l’auteur sait manier ce qu’on appelle le « name dropping ».

Les péripéties se déroulent de nos jours, dans des lieux emblématiques : le Panthéon de Paris, Westminster Abbey, les Musées du Vatican… Une petite équipe de policiers un peu foutraques fait son possible pour démêler les fils de plusieurs enquêtes complexes, auxquelles participent — avec leur accord amical — des personnalités scientifiques actuelles. En contrepoint s’intercalent des narrations d’événements plus anciens.

Très bien documenté et habilement construit, le texte entremêle donc fiction et anecdotes authentiques. Il serait plaisant à lire s’il ne s’embrouillait pas parfois dans des longueurs et des détails narratifs touffus, dans lesquels, lectrice, lecteur, tu risqueras, comme moi, de perdre le fil.

Peu travaillée, l’écriture est un peu familière, proche du langage parlé, dans le style courant des polars populaires. Certaines explications sont laborieuses, répétitives.

La fin du livre te surprendra, lectrice, lecteur, et te laissera peut-être sur ta faim. Ecrivant moi-même des fictions, je me sens en mesure d’émettre des hypothèses. Quand il aborde les toutes dernières lignes d’un roman, l’écrivain vit un moment exceptionnel : il est totalement libéré de ses intrigues et dispose du pouvoir suprême de vie et de mort sur ses personnages. L’extrême noirceur choisie pour conclure La Conjuration de Dante est délibérée. L’auteur aurait pu opter pour une fin bienveillante, comme tu l’aurais probablement souhaité. Il a préféré te prendre à contrepied, au risque de te contrarier. Ou bien il n’a trouvé aucune idée convenable pour un dénouement apaisant. A moins, dernière hypothèse, qu’il partage les aspirations apocalyptiques de Gyrum Novem et qu’il assume son épilogue comme une prophétie.

Au bilan, quelques anecdotes historiques pittoresques, mais point de révélations spectaculaires sur la nature de l’âme et du génie humain… si ce n’est que les cercles de l’Enfer de Dante pourraient symboliser les circonvolutions du cerveau.

TRES DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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L'année de la sauterelle, de Terry Hayes

Publié le 5 Juin 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juin 2024, 

Il y a une dizaine d’années, comme beaucoup, j’avais été tenu en haleine par Je suis Pilgrim, un épais thriller d’espionnage très efficace, renouant — en mieux ! — avec le genre de livres que j’affectionnais et consommais dans ma jeunesse, du temps de la guerre froide, les aventures d’agents spéciaux anglo-saxons s’appliquant à déjouer les intentions maléfiques des collègues d’en face, alors généralement soviétiques. L’auteur, Terry Hayes, qui a fait ses preuves comme scénariste à Hollywood, avait placé son premier roman dans un contexte géopolitique d’actualité, celui des années post onze-septembre et de la lutte des services secrets américains contre le terrorisme islamiste d’Al-Qaïda.

Dans L’année de la sauterelle, Terry Hayes renouvelle la recette en l’adaptant à la sauce d’aujourd’hui. Le narrateur est un agent américain « exceptionnel » ; sa mission consiste à s’infiltrer en territoire hostile, pour neutraliser un terroriste extrêmement dangereux, un combattant aussi « exceptionnel » que lui — enfin presque ! — : natif de Russie, formé en Tchétchénie et en Syrie, converti à l’Islam, Roman Kazinski alias Abu Muslim Al-Toundra est convaincu qu’Allah l’a choisi pour purifier le monde en éradiquant la civilisation occidentale. Le tatouage de sauterelle qu’il affiche sur son dos est une évocation des fléaux bibliques infligés à l’Egypte des pharaons. Voilà qui promet !

La littérature de Terry Hayes est roborative. Je suis Pilgrim comptait sept cents pages. Avec L’année de la sauterelle, on monte à plus de onze cents. Cela peut te faire peur, lectrice, lecteur, mais sache que j’ai lu le livre avec beaucoup d’intérêt et d’agrément. Il est extrêmement bien écrit. Malgré les périls qui le menacent, le narrateur trouve les mots justes pour décrire son environnement, un paysage désertique spectaculaire, les ruines rouillées d’un complexe industriel désaffecté… Sa prose très fluide et harmonieuse permet d’absorber toutes les vicissitudes du genre : stratégies fumeuses, explications scientifiques ardues, descriptions techniques détaillées, tableaux de tortures et de tueries imagées, lenteurs volontairement suspensives… Sur ce dernier point, pas de quoi se ronger les ongles : quand il te reste cinq cents pages à lire, tu te doutes bien que rien de définitif n’arrivera dans les suivantes.

La guerre secrète moderne fait appel à des armes et à des technologies d’avant-garde impressionnantes, inquiétantes : omniprésence de drones, surveillance visuelle et auditive par satellite, « bombes sushi » encore plus ravageuses que les « bombes ninja »… Certaines sont probablement irréalistes ou futuristes — personnellement, je manque d’expertise —, mais peu importe, il faut jouer le jeu proposé par l’auteur. Il t’arrivera même, lectrice, lecteur, d’être embarqué pour un aller-retour stupéfiant dans le futur. Les fictions d’anticipation ne sont pas trop mon truc, mais là encore, je me suis laissé prendre.

Avant de sauver le monde, notre héros doit repartir plusieurs fois au combat, pour des affrontements impitoyables, dont il sort rarement indemne. Heureusement, il peut compter sur la bienveillance paternaliste de ses chefs de la CIA. Il est aussi très amoureux de sa compagne, une médecin urgentiste dont les compétences tombent à propos, mais qui voudrait bien que son homme change de job. Les chapitres sur les aléas de leur vie privée m’ont un peu rappelé les deux romans très intimistes de Javier Marías (Berta Isla et Tomás Nevinson), consacrés au quotidien d’un agent secret et de sa femme.

Des petites touches sentimentales qui ne dénaturent pas la vocation du livre. L’année de la sauterelle reste avant tout un roman d’action et d’aventure prenant et trépidant.

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

 

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Gatsby le Magnifique, de Francis Scott Fitzgerald

Publié le 12 Mai 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mai 2024, 

New York, début des années vingt. Au lendemain de la Grande Guerre, l’économie, l’industrie et la construction ont rapidement retrouvé des couleurs. On s’enrichit et on dépense. On cherche aussi à s’amuser, à s’étourdir dans la fête, on se précipite dans des bars privés ou dans des soirées où la musique de jazz bat son plein, où les boissons alcoolisées coulent à flots… malgré la Prohibition, une loi qui permet aux trafiquants de faire fortune encore plus vite que les autres. Ce sont les roaring twenties, l’équivalent de ce qu’en France on appelle les années folles.

Cette société qu’on qualifierait aujourd’hui de déjantée et de décadente sert de toile de fond en 1924 au jeune Francis Scott Fitzgerald, pour écrire Gatsby le Magnifique, son roman le plus célèbre. Comme d’autres écrivains américains de ce qu’on nommera la « génération perdue », Fitzgerald s’en ira, en compagnie de son épouse Zelda, brûler sa vie par les deux bouts en France, entre Paris et la Côte d’Azur.

Je n’avais jamais lu Gatsby, un roman iconique qui inspira plusieurs films à grand spectacle, avec dans le rôle-titre des stars comme Robert Redford et Leonardo de Caprio. Des films surtout primés pour leurs décors et leurs costumes, ce qui explique peut-être pourquoi, lors de leurs diffusions à la télé, je ne les avais jamais regardés jusqu’au bout.

En le lisant, j’ai découvert que l’ouvrage ne se résume pas à une peinture extatique ou satirique d’un microcosme mondain des roaring twenties. Il s’y développe aussi une intrigue amoureuse. Indécelable au départ, elle prend corps peu à peu, semblant presque anodine, avant que les circonstances, les obsessions d’un protagoniste et le machiavélisme d’un autre ne la transforment en véritable drame.

Tout commence à Long Island, la station balnéaire huppée de New York, dans les soirées grandioses données en son château par un certain Gatsby, un mystérieux jeune homme de belle allure, dont personne ne connaît les origines ni celles de sa fortune. On s’y presse, on s’y amuse, on y rencontre des notables, des vedettes. Il est d’ailleurs de bon ton d’être là, de se montrer, de jouer les habitués. D’un côté du miroir, les profiteurs, les voyeurs, ceux qui voudraient s’assimiler à leur hôte magnifique, compter sur son appui, tout en expurgeant leur jalousie et leurs rancœurs par des ragots proférés derrière son dos.

Mais de l’autre côté du miroir, quelles sont les vraies motivations de cet homme qui dilapide sa fortune en recevant aussi fastueusement son monde ? Est-ce pour que sa magnificence soit prise pour de la munificence ? Est-ce pour séduire quelqu’un ? A-t-il une idée derrière la tête ?

L’auteur s’est glissé dans la peau du narrateur, Nick Carraway, un jeune financier débutant dont la modeste demeure jouxte celle de Gatsby. D’abord spectateur étonné s’abstenant de tout jugement rapide, Nick sera amené malgré lui à jouer un rôle actif dans l’intrigue amoureuse et à assumer une responsabilité indirecte dans son dénouement tragique. Un dénouement dans lequel il soulignera avec amertume l’ingratitude oublieuse des foules et l’insouciance arrogante des plus privilégiés.

Ses observations morales et sociologiques reflètent l’état d’esprit ambigu de Fitzgerald, impressionné par le luxe et l’opulence, accro aux festivités extravagantes et bien arrosées, tout en dissimulant derrière du mépris le regret de ne pas disposer de l’aisance que procure la gloire ou la fortune. Un mal-être caractéristique d’une génération d’artistes, qui ont cherché désespérément à donner un sens à leur destin dans les années troubles de l’entre-deux-guerres.

Carraway / Fitzgerald ne manque pas de souligner que les protagonistes sont tous originaires du Middle West et qu’ils éprouvent inconsciemment une sorte de fascination pour New York, nouveau symbole du rêve américain. Une autre forme du complexe du « provincial », tel que Balzac le décrivait largement quelques décennies plus tôt.

Flamboyant et sophistiqué, le texte français, que j’ai lu avec beaucoup de plaisir, témoigne du talent singulier et très maîtrisé de l’auteur américain, un grand écrivain. L’humour de son ton, subtil et présent de la première à la dernière ligne, reflète encore son affectation un peu condescendante à l’égard de personnages dont l’aisance le subjugue.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Le docteur Jivago, de Boris Pasternak

Publié le 12 Mai 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mai 2024, 

On n’y rencontre pas que des autocrates belliqueux en quête de lebensraum ! La Russie a aussi nourri de très grands écrivains, parmi lesquels Boris Pasternak. Né en 1890 dans une famille juive d’artistes aisés, le jeune Pasternak avait accueilli avec sympathie les premiers mouvements insurrectionnels de 1905 et de 1917. Il lui avait bien fallu ensuite s’accommoder des atrocités du bolchevisme et des désagréments du régime soviétique. Réputé pour ses recueils de poèmes et gagnant sa vie en tant que traducteur, Pasternak était tombé en disgrâce dans les années trente, les autorités jugeant son style trop subjectif et lyrique, à l’opposé du réalisme socialiste recommandé.

Refusé dans son pays, son roman Le docteur Jivago est publié en Italie en 1957 et lui vaut le prix Nobel l’année suivante. Une récompense que l’écrivain décline sous la pression du pouvoir soviétique, qui l’accuse de bénéficier de soutiens occidentaux – un mode d’incrimination qui persiste dans la Russie d’aujourd’hui. Le docteur Jivago ne paraîtra en URSS qu’à la fin des années 80.

L’ouvrage aura entre-temps bénéficié d’une renommée mondiale grâce au film hollywoodien de David Lean, sorti en 1965, l’un des plus grands succès de l’histoire du cinéma. Un film que j’ai vu adolescent, revu deux ou trois fois à la télé avec plaisir en dépit de sa longueur, et où m’avaient ébloui la présence charismatique d’Omar Sharif et la beauté fascinante de Julie Christie. Leur histoire d’amour écourtée est le point d’orgue du film.

En lisant Le docteur Jivago pour la première fois, impossible de ne pas voir leurs visages derrière les noms de Iouri et de Lara, même si leur romance n’est que l’une des composantes du livre. Tel une vaste saga, le roman relate la vie – et la mort – de nombreux personnages, qui se croisent et se recroisent sur la terre russe entre le début du vingtième siècle et la seconde Guerre mondiale. Plus largement encore, il se lit comme une passionnante chronique historique et sociologique des transformations qu’a subi le pays tout au long de cette période.

En contrepoint des violences et des souffrances racontées, l’ouvrage est aussi un dictionnaire amoureux des paysages multiples et éternels de l’immense Russie, parcourue en toutes saisons par d’innombrables trains, bondés ou blindés, reliant Moscou à la Sibérie, en passant par l’Oural.

Romanesques et lyriques, les narrations sont émaillées de commentaires portant sur les événements, sur l’évolution des mentalités de la population, sur les attitudes à adopter face à des bouleversements qui nous submergent et contre lesquels nous sommes impuissants. « Un homme adulte se doit de serrer les dents et de partager le sort du pays où il est né », déclare Jivago. Issu d’un milieu bourgeois aisé, il était favorable aux réformes et subissait sans broncher des privations cruelles, tout en désapprouvant les dérives radicales.

Appelé comme médecin dans l’armée impériale, puis réquisitionné dans des unités révolutionnaires, il soulage et soigne, sans prendre parti, les blessés et les malades ayant besoin de lui. J’ai pensé au docteur Rieux, dans La peste, qui fait son devoir sans poser de questions parce qu’on ne peut pas expliquer l’absurde… La barbarie non plus ne se discute pas. Converti au catholicisme orthodoxe, Pasternak va au-delà de l’humanisme de Camus. Il prête un rôle christique à Jivago, qui place l’amour de l’autre au-dessus de tout et dont les infortunes auraient un sens sacrificiel.

Les sept cents pages du roman sont très longues à lire. Le narrateur cède souvent la parole à ses personnages, pour des monologues verbeux intégrant des codes de langage spécifiques, qu’il a dû être malaisé de traduire en français. L’ouvrage se présente en courts chapitres, ce qui aère la lecture, mais les pluralités de temps, de lieu et d’action sont telles qu’il est parfois difficile de s’y retrouver, d’autant plus que, comme dans tout roman russe, on se perd dans les noms de villes, ainsi que dans les prénoms, surnoms, patronymes, noms de famille et noms de femmes mariées des innombrables personnages.

L’ouvrage, d’une richesse infinie, mériterait plusieurs lectures et bien des débats. Il s’achève sur un cycle de poèmes. Ecrits de nuit, tandis que Lara dort, avant le départ, ils font office de testament pour le médecin poète Jivago et pour son créateur, l’écrivain poète Pasternak.

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Les alchimies, de Sarah Chiche

Publié le 16 Avril 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Avril 2024, 

Le crâne disparu du célèbre peintre espagnol Goya fait depuis longtemps couler beaucoup d’encre… et de sueur. Il constitue un mythe mystérieux comparable à la légende médiévale du Graal. Celles et ceux qui se consacrent activement à sa quête n’aspirent pas à l’Immortalité ni à la Connaissance absolue. Ils veulent juste savoir à quoi ressemble le cerveau d’un génie.

De ce mystère, Sandra Chiche a fait la clé de voute d’un roman, Les alchimies. Son personnage central, Camille Cambon, est une femme de quarante-huit ans, médecin légiste de profession.

Le livre s’articule en deux parties. La première permet de faire connaissance avec Camille, qui raconte sa vie de femme divorcée. Elle expose la philosophie et les enjeux de son métier, qu’elle exerce dans l’institut médico-légal d’un hôpital important, un métier qui la relie spirituellement à son père, qui avait été lui-même médecin légiste. Ce père, Pierre, disparu accidentellement en compagnie de Léa, son épouse, mère de Camille, avait été l’auteur d’un livre sur Francisco Goya. Il en avait abondamment disséqué l’œuvre et la vie (ainsi que la mort) devant sa fille. Le sujet passionnait aussi Alexandre, le parrain de Camille, un grand neurologue, ami d’enfance de Pierre…

De quoi se demander où la narratrice veut en venir ! Mais tout se connecte logiquement, et puisqu’on est dans un système en plug and play, elle reçoit un mail mystérieux qui l’intrigue, car il y est question de… Goya, de ses parents et de son parrain…

A l’origine du mail, une dame très âgée, Jeanne, qui se présente comme une ancienne amie très proche d’Alexandre, de Pierre et de Léa, un brelan de surdoués, fascinés par la recherche neurologique et par le contenu des cerveaux… vivants ou morts. Ils s’interrogeaient. Quelles sont les alchimies subtiles qui font le cerveau d’un être d’exception ? Alexandre se demandait aussi quelles transmutations, quelles reconnexions cérébrales avaient pu un jour amener un peintre hors norme comme Goya à modifier le sens de son œuvre ? Et Pierre aurait bien voulu savoir si le cerveau de Goya mort avait conservé des traces de son génie.

Alexandre, Pierre et Léa. C’est leur vie qu’évoque Jeanne devant Camille tout au long de la seconde partie du livre. Elle lui raconte leur jeunesse, leurs rencontres, ainsi qu’un événement dramatique négligemment oblitéré. Tout ce qui permettrait, selon Jeanne, — et on se demande avec Camille de quoi elle se mêle — de libérer cette dernière de l’emprise mentale exercée par la mémoire de parents et d’un parrain à la personnalité écrasante.

Un thème qui semble récurrent chez Sarah Chiche, psychanalyste et romancière. Ses personnages principaux sont souvent des femmes englouties dans les appétences insatiables de leurs parents. Dans un tableau célèbre de Goya, Saturne dévore ses enfants, une façon de garder le contrôle.

L’autrice a adossé un bel exercice d’imagination à un gros travail de documentation. Mais à partir de quand l’imagination tourne-t-elle au délire ou au canular ? Dans une enquête de ce genre, la dispersion est inévitable, la vérité est introuvable. Ecrivains et chercheurs ne font que rebattre les cartes. Et toi, lectrice, lecteur, tu peux te dire « tout ça pour ça ! », ou bien te laisser prendre au caractère addictif de la quête et partir à ton tour à la recherche du crâne de Goya.

Malgré un zeste d’humour – noir, bien sûr – tout reste finalement mystérieux, opaque, comme si l’ouvrage était destiné à une élite d’initiés. Un sentiment renforcé par la phraséologie adoptée : une syntaxe savante mais lourde, un peu empathique, avec un usage répété de longues énumérations ; des effets de style particulièrement surprenants dans la narration orale de Jeanne.

J’ai quand même appris beaucoup de choses très intéressantes sur Goya, sa vie, son œuvre, son crâne. J’ai souvent dit qu’un roman divertissant pouvait être plus instructif qu’une monographie austère.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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J'ai péché, péché dans le plaisir, d'Abnousse Shalmani

Publié le 16 Avril 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Avril 2024, 

On la voit et on l’entend de plus en plus dans les médias, où elle défend avec charme et virtuosité des convictions libérales et libertaires bien senties. Avant l’installation de sa famille en France, Abnousse Shalmani avait passé une partie de son enfance en République Islamique d’Iran. Elle sait donc ce que sont l’obscurantisme, la dictature et l’oppression des femmes.

Chroniqueuse, réalisatrice, journaliste, elle est aussi écrivain. Après quelques ouvrages inspirés de son expérience personnelle, elle vient de publier un roman historique au contenu littéraire riche, à la forme originale et au titre inattendu : J’ai péché, péché dans le plaisir.

Le livre raconte les vies de deux femmes poètes aujourd’hui oubliées, deux femmes qui décidèrent de donner libre cours à leurs talents, à leurs désirs et à leurs amours.

Dans les beaux quartiers parisiens, à la toute fin du XIXe siècle, Marie, fille du poète José-Maria de Heredia, épouse le poète Henri de Régnier. Elle prend comme amant un autre poète, Pierre Louÿs, un dandy alors renommé pour ses nombreuses conquêtes féminines et pour sa plume élégamment érotique. Marie écrira elle-même des poèmes et des romans, dans lesquels elle ne s’interdira aucune transgression. Ils lui vaudront plusieurs prix de l’Académie française.

Soixante ans après Marie, à Téhéran, Forough Farrokhzad épouse à l’âge de seize ans l’homme qu’elle s’est choisi. Il la méprise parce qu’elle l’aime et parce qu’elle ressent du désir pour lui : impensable pour une femme ! Forough divorce rapidement et écrit ses premiers recueils de poèmes. Ses vers expriment ses fantasmes féminins et des aspirations féministes. Ils font scandale dans son entourage bourgeois, corseté par des inhibitions civiles et religieuses.

Pour relater les parcours de Marie et de Forough, Abnousse Shalmani s’est affranchie des stéréotypes de la narration historique. Elle a construit un roman autour d’un personnage fictif contemporain de Forough, un jeune Iranien francophone, poète et historien de la poésie. Prénommé Cyrus (un hommage en passant au fondateur de l’Empire perse), le jeune homme avait traduit en persan les œuvres de Marie de Régnier et de Pierre Louÿs. Quand il rencontre Forough, il tombe raide dingue, lui dévoile ce qu’il sait de Marie et de Pierre. La poète iranienne est troublée et séduite. Pendant des années, entre deux étreintes — secrètes et non exclusives —, Forough écoutera Cyrus lui lire les vers et lui raconter la vie libertine de la poète française.

Un conte des mille et une nuits à l’envers. Un homme qui récite, une femme orientale qui découvre la tolérance de la société parisienne à la Belle Epoque. Quel décalage avec l’Iran du Shah, dévot, puritain, conformiste, misogyne, où l’impénitente pécheresse autoproclamée Forough ne trouve ni sa place ni la paix ! Il y eut pourtant une poésie persane classique, laquelle ne se privait pas, il y a des siècles, d’exalter sans fausse pudeur, sans crainte du péché, la beauté des corps et le lyrisme de l’amour. Celle qui en hérite naturellement, c’est la Française. Marie, le péché, connaît pas !

La lecture de J’ai péché, j’ai péché dans le plaisir m’a captivé. Agrémentée d’anecdotes solidement documentées, la biographie de chacune de ces deux femmes procure un éclairage historique et littéraire large et passionnant.

Les deux cents pages du livre sont denses, leur contenu est érudit, mais la lecture est fluide, par moment jubilatoire. La prose est simple, vive, primesautière. L’auteure conjugue habilement les temps et les modes, ce qui imprime du rythme à la narration. Elle n’hésite pas à placer ici ou là un terme cru qui ne choque pas, parce qu’il vient avec pertinence.

Le texte est émaillé de jolies strophes écrites par Forough, par Marie, par Pierre, un brelan de poètes disparus des mémoires, dont je n’avais jamais rien lu. Leurs vers chantent le luxe, le calme et la volupté. Baudelaire n’est jamais loin des grands écrivains.

GLOBALEMENT SIMPLE  ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Le fils du père, de Victor del Arbol

Publié le 1 Avril 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Avril 2024, 

Si je me réfère à ceux que j’ai lus, les romans de l’écrivain espagnol Victor del Arbol sont peuplés de personnages sombres, rongés par la mémoire tragique de l’histoire nationale, hantés par les séquelles de drames familiaux, luttant sans espoir contre un mal-être personnel. C’était le cas dans Par-delà la pluie et surtout dans Toutes les vagues de l’océan, un thriller formidable et complexe dont je garde un souvenir ébloui.

Dans les premières pages de Le fils du père, on apprend qu’un homme vient d’en tuer un autre, après l’avoir torturé. Comment cet homme, nommé Diego Martin, un professeur d’université bien établi à Barcelone, en est-il arrivé à commettre un tel crime ? Pour répondre, l’auteur embarque le lecteur dans la généalogie du meurtrier.

D’extraction misérable, originaire de la province d’Estramadure, la famille avait longtemps servi dans la domesticité d’une vaste demeure, la Grande Maison, appartenant autrefois à d’importants propriétaires régionaux. Une condition de soumission humiliante, qui avait pris fin de façon sanglante, lorsque la guerre civile avait porté à leur paroxysme les haines mutuelles de classes.

Frustes, sans formation, portés par des rancœurs inextinguibles, le grand-père et le père de Diego ont été ballottés dans les équipées militaires de leur époque. Elles ont asséché leurs dernières onces d’humanité et de moralité. Deux mauvais garçons, deux brutes, tueurs à l’occasion, guettant des expédients pour survivre. Ils n’ont cessé de justifier des attitudes ineptes par leur « manque de chance », par la « nécessité de s’en sortir », les excuses classiques des losers qui saisissent les opportunités d’apparence facile, sans réfléchir aux conséquences.

Ces deux hommes, père et fils, se sont mutuellement méprisés et ont trouvé normal de brutaliser leurs femmes. Maltraitées, celles-ci se sont mises au diapason et se sont comportées en mères indignes. Quand ils n’ont pas détesté leurs enfants ou petits-enfants, ces hommes et leurs femmes les ont simplement ignorés.

A l’actif toutefois du père de Diego, le rachat de la Grande Maison en ruine, grâce à un billet de loterie gagnant. Une revanche sociale qui ne rapproche pas Diego de son père — dont on ne connaîtra d’ailleurs le prénom qu’à la dernière ligne du roman ; un artifice littéraire qui n’apporte rien !

Dans ce contexte d’abandon familial, Diego a failli mal tourner. Il s’est pris en charge, a suivi des études, est devenu écrivain, professeur d’université. Il a épousé une femme belle, brillante et riche, qui l’admire. Il s’occupe avec dévouement d’une sœur à laquelle il est très attaché : Liria, une femme au mental fragile, en perdition sociale et physique. Désormais aphasique, elle est hospitalisée sans espoir de sortie.

A l’instar de son père et de son grand-père, Diego ne pourra s’empêcher de saper ses propres fondations. L’auteur l’a fait naître sous le signe du scorpion, ascendant scorpion. Je ne suis pas féru d’astrologie et je n’y connais rien, mais j’ai toujours entendu dire que l’autodestruction était la malédiction incontournable de ce signe.

Comme son père et son grand-père encore, Diego en est arrivé à tuer un homme : l’infirmier en charge de Liria. Peut-être, lectrice, lecteur, te demandes-tu pourquoi ? Eh bien, pour le savoir, tu devras lire Le fils du père ! Mais je te préviens ; la lecture de ce long roman très noir est difficile et quelque peu démoralisante. Un livre qu’on pourrait qualifier de feel bad.

La construction est habile, mais complexe. Les cinquante premières pages sont hermétiques et il m’a fallu refeuilleter les premiers chapitres pour avoir une idée à peu près claire de l’identité des personnages, pour appréhender une chronologie s’étendant sur près de quatre-vingts ans, et pour comprendre pourquoi des événements se passent dans l’agglomération de Barcelone, alors que tout a commencé au sud-ouest de l’Espagne.

DIFFICILE     oo   J’AI AIME… UN PEU

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D'or et de jungle, de Jean-Christophe Rufin

Publié le 1 Avril 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Avril 2024, 

Ses multiples et brillantes carrières inspirent le respect. Docteur en neurologie, diplômé de l’Institut d’études politiques, Jean-Christophe Rufin exerce comme médecin aux Hôpitaux de Paris et s’investit dans des ONG humanitaires qui le conduisent un peu partout dans le monde. Des expériences qui l’amènent à la diplomatie, jusqu’au poste d’ambassadeur de France. Il construit en même temps une œuvre littéraire abondante, comptant plusieurs romans, dont l’un lui vaut de recevoir le prix Goncourt (Rouge Brésil, 2001).

Son dernier roman, D’or et de plomb, relate la genèse, la préparation et la mise en œuvre d’un coup d’Etat, organisé de nos jours par une agence de mercenaires, pour le compte de multinationales de la Tech en quête d’une souveraineté. L’opération est mûrement élaborée. Sans tirer un coup de feu, en usant de simples manipulations et de fake news, elle consistera à ébranler les institutions d’un petit Etat. L’intention est de déclencher une réaction en chaîne jusqu’à l’effondrement du pouvoir en place, afin d’y substituer un autre, ouvert à la création d’une nouvelle Silicon Valley « libérée ».

J’ai été captivé par toutes les étapes de la machination, dès le deal de départ entre l’aventurier et le milliardaire. La constitution de l’équipe — théoricien, stratège, séductrice, hackers, baroudeurs… — est présentée avec finesse et humour. La tension monte lentement, car l’auteur développe ses intrigues en prenant son temps, n’omettant aucun détail, profitant des moments d’attente pour raconter des scènes plaisantes et servir de jolies descriptions de l’environnement naturel.

L’Etat choisi comme cible est le sultanat du Brunei, un tout petit pays enclavé dans la partie malaise de l’île de Bornéo. De la forêt vierge émergent les coupoles dorées de la grande mosquée et celles de l’immense palais présidentiel. Le sultan, qui a longtemps prétendu être l’homme le plus riche du monde, est à la tête d’un régime dont l’auteur, bien documenté, révèle la brutalité, l’obscurantisme, les turpitudes et les failles. Résistera-t-il ?

L’aventure fictive racontée par Jean-Christophe Rufin est d’autant plus savoureuse — et inquiétante — qu’elle est très réaliste. Elle pourrait vraiment survenir demain.

Les commanditaires sont crédibles. L’auteur s’inspire ouvertement de velléités affichées dans l’univers des GAFAM. A leurs têtes, des hommes propulsés en quelques années du statut d’adolescents bricoleurs de génie à celui de multimilliardaires, patrons d’entreprises aux moyens quasi illimités. Ces ascensions fulgurantes les ouvrent à toutes sortes d’aspirations cosmiques ou métahumaines, aussi délirantes soient-elles. Des ambitions aujourd’hui bridées par les cadres juridiques, fiscaux et éthiques des Etats. La souveraineté sur un territoire les débarrasserait de ces entraves.

Pour l’officine assumant la maîtrise d’œuvre du projet, l’auteur s’est inspiré des agences privées de renseignement et des groupes paramilitaires indépendants dépourvus de scrupules et de sens des responsabilités, qui parcourent le monde à la recherche d’opportunités.

Un roman passionnant, facile à lire et en même temps instructif. Il suffit d’en transposer les éléments d’intrigues sur des événements historiques ou actuels, pour percevoir la fragilité de nos institutions démocratiques. Méfions-nous des manipulations orchestrées par des personnes mal intentionnées.

GLOBALEMENT SIMPLE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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