Avril 2023,
Tout le monde a entendu parler d’Anne Frank et de son Journal. On sait qu’elle est morte en déportation, à seize ans, à quelques semaines de la fin de la guerre. On sait aussi qu’à Amsterdam, dans l’espoir d’échapper aux rafles nazies, sa famille s’était cloîtrée secrètement pendant deux ans dans un ersatz d’appartement, au-dessus des bureaux de son père : un lieu devenu aujourd’hui le Musée Anne Frank, devant lequel s’allonge, chaque jour, une file d’attente de centaines de visiteurs. Mais qui connaît vraiment la véritable personnalité de cette jeune fille qui n’a pas pu devenir adulte ?
Quand tu écouteras cette chanson est le titre d’un livre dont le rôle principal est partagé entre Lola Lafon, son autrice (*), et Anne Frank. « Anne Frank est un symbole. Mais de quoi ? » s’interroge Lola Lafon avec pertinence. « De l’adolescence ? De la Shoah ? De l’écriture ? » Quel est le véritable sens de son Journal, « que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment » ?… Moi-même, à douze ou treize ans, j’en avais reçu une version édulcorée destinée aux enfants. Je l’avais lue rapidement, sans en saisir les implications profondes. Je n’y suis pas revenu depuis.
Danseuse, chanteuse, écrivaine, Lola Lafon est une personne surprenante. D’origine russo-polonaise et juive par sa mère, elle a vécu son enfance en Bulgarie, puis dans la Roumanie de Ceausescu, avant que ses parents s’installent en France. Elle a écrit plusieurs livres, dont un best-seller, il y a une dizaine d’années, La petite Communiste qui ne souriait jamais. Elle y relatait le parcours d’une autre jeune fille, Nadia Comaneci, la petite gymnaste roumaine championne olympique.
Lola Lafon a été écorchée par le regard des autres. A son arrivée en France, elle avait ressenti une sorte de mépris de classe, attribué à sa judéité et aux pedigrees d’immigrés modestes de ses proches. A l’adolescence, elle avait refoulé son histoire familiale et s’était complu dans les combats d’autres révoltés : anarchistes, écologistes, féministes, communistes. Elle s’était, pendant des années, refusée à regarder en face son identité juive et à s’intéresser à la Shoah… jusqu’au jour où le personnage d’Anne Frank s’est révélé à elle.
Début d’une fascination — d’une projection ? — qui l’amène à demander et à obtenir l’autorisation de passer une nuit dans le Musée Anne Frank. Quand tu écouteras cette chanson en est le récit. De courts chapitres racontent le moment de solitude nocturne sur place, l’histoire de la famille Frank, des anecdotes sur Anne, les péripéties éditoriales du Journal après la guerre. Lola évoque aussi ses lectures, sa jeunesse, son anorexie, ses révoltes, des réflexions sur l’antisémitisme, ainsi que des commentaires sur les exils successifs de ses grands-parents, sur leur détermination à s’assimiler en France. L’écriture est simple, parfois fruste, la structure est un peu brouillonne ; on sent la plume lâchée à l’état brut par l’écrivaine, sur un mode presque enfantin, reflétant sa sensibilité, sa sincérité.
Lola Lafon confirme que le Journal d’Anne Frank n’était pas le simple carnet de notes intime d’une jeune fille comme les autres. Anne Frank souhaitait être lue, elle voulait devenir écrivaine, elle l’était même déjà, avant d’avoir quinze ans ! Soucieuse de produire un témoignage vivant des souffrances infligées par l’occupation nazie, elle travaillait et retravaillait ses manuscrits, avec le projet d’en faire, la paix revenue, une véritable œuvre romanesque. Son destin ne l’a pas permis.
Le titre du livre se rapporte à un épisode très personnel de l’enfance de Lola. Il n’a pas grand-chose à voir avec Anne Frank, si ce n’est l’idée de la présence spirituelle d’un être absent physiquement. A nous, il rappelle aussi qu’Hitler trouve des émules chez les idéologues extrémistes de tous bords. Lola évoque les événements au Cambodge dans les années soixante-dix, quand, sous prétexte de fonder une société idéale vraiment égalitaire, Pol Pot et les Khmers rouges assassinèrent méthodiquement ce qu’ils appelaient « un sous-peuple impossible à rééduquer », c’est-à-dire l’ensemble des cadres, intellectuels, croyants et étudiants du pays.
(*) : J’ai vraiment du mal à m’y faire !
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP