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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Retour à Killybegs, de Sorj Chalandon

Publié le 4 Septembre 2015 par Alain Schmoll

Août - Septembre 2015

Ce livre a tout pour plaire aux amateurs de thrillers et de romans d'espionnage. Inspiré d'une histoire vraie, il retrace la vie tumultueuse – vue et racontée par lui-même – de Tyrone Meehan, Irlandais, catholique, activiste de l'IRA, l'organisation terroriste des indépendantistes (*).

Dans les années 30, à Killybegs, petit port de pêche où il est né, son père lui transmet son flambeau de militant indépendantiste et sa haine des britanniques. La famille s'installe ensuite à Belfast dans un quartier déshérité où les catholiques sont relégués et où ils sont soumis aux provocations des milices unionistes protestantes ainsi qu'aux tracasseries quotidiennes de l'armée et de la police.

Remarqué pour son engagement de jeune militant, Tyrone Meehan intègre l'IRA et pendant 40 ans participe à des opérations armées de toutes natures : manifestations violentes, attaques d'équipements publics, combats de rue, opérations de représailles. Devenu un officier important, il ne transige pas avec les "lois" de l'IRA et n'hésite pas à châtier impitoyablement les contrevenants. Il fait plusieurs séjours en prison dans des conditions très éprouvantes qu'il surmonte avec courage. Son cursus et quelques "faits d'armes" spectaculaires lui valent un statut de héros respecté dans le microcosme indépendantiste.

Une maladresse tragique et sa conséquence inattendue vont le contraindre, à partir de 1980, à infléchir sa trajectoire. En 2006, à la fin de sa vie, rejeté par ses compagnons de lutte qui l'accusent de les avoir trahis et d'être manipulé par les britanniques, Tyrone Meehan revient à Killybegs affronter son destin.

 

Grand reporter, Sorj Chalandon écrit ses romans comme des chroniques de guerre. Dans Retour à Killybegs - comme dans Le Quatrième Mur, paru plus tard - il ne cache rien de la violence extrême et de l'horreur insoutenable quotidiennes dans les conflits communautaires qui ensanglantent certaines régions.

Le style de l'écriture est haché, les phrases sont brèves, donnant le sentiment d'une atmosphère irrespirable, assortie au tragique des événements. Dans la seconde partie du livre, plus intellectualisée, l'écriture est plus fluide.

Le récit met en évidence les processus mentaux qui font qu'en Irlande comme ailleurs, les germes de haine sont transmis de père en fils, avant de se développer, fertilisés par les enchainements de provocations et de répressions qui constituent le quotidien des activistes de chaque bord.

Dans les deux camps, il est désolant de constater le jusqu'au-boutisme absurde auquel conduisent ces haines inextinguibles, les combats sans merci dans lesquels s'arrêter ne serait-ce qu'un instant pour réfléchir, c'est déjà trahir.

Et finalement, que de morts pour rien. Car rien ne change. Illusion, vanité, absurdité du terrorisme.

Cette absurdité s'impose progressivement au narrateur, vieillissant, partagé dés lors entre sa mauvaise et sa bonne conscience ; mauvaise conscience de manquer au principe de fidélité aux siens, bonne conscience de chercher à épargner des vies de part et d'autre.

Mais les meilleures intentions peuvent avoir des conséquences catastrophiques.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

(*) Un rappel historico-politique pour bien comprendre le contexte :

Depuis Cromwell, afin de dominer l'Irlande et sa population catholique de langue gaélique, l'Angleterre avait favorisé l'implantation massive de colons anglais et écossais, protestants. Les conflits, à la fois politiques, communautaires et religieux avaient été sanglants. Au XXème siècle, un compromis était mis en place : reconnaissance de l'Eire, république indépendante, de population catholique, capitale Dublin, et création de l'Irlande du Nord, nation constitutive du Royaume Uni, capitale Belfast, où les protestants, sans être majoritaires, forment une caste dominante.

Les nationalistes et indépendantistes irlandais n'acceptèrent pas ce compromis. Derrière leur parti politique, le Sinn Fein, et son bras armé, l'IRA, une organisation paramilitaire secrète terroriste, leur objectif restait d'unifier la République d'Irlande sur l'ensemble de l'île. Face à eux, les unionistes (ou loyalistes), fidèles au Royaume Uni. En arbitre – forcément partial – l'armée britannique.

Aujourd'hui, l'IRA a déposé les armes. Mais quelques irréductibles...

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Ce qui reste de nos vies, de Zeruya Shalev

Publié le 28 Août 2015 par Alain Schmoll

Août 2015

Un livre exceptionnel, tant par ses qualités littéraires que par la finesse des analyses psychologiques.

En Israël, une mère, sa fille, son fils.

La mère, Hemda, âgée, en fin de vie, alterne lucidité et confusion. Que reste-t-il de sa vie ? Son passé, qui lui revient en souvenirs ou en divagations. Avant d'être une mère, elle a été une fille, élevée à la dure dans un kibboutz par un père pionnier qui lui a inspiré, qui lui inspire encore à la fois vénération et fureur ; fureur de ne jamais avoir été écoutée et comprise. Que reste-t-il encore ? Des regrets ; devenue mère quand elle a cessé d'être fille, elle n'a pas assez aimé sa propre fille et trop aimé son fils. Que faire de ce peu qui lui reste à vivre ? Trouver la paix ?

La fille, Dina, quadragénaire, mère à son tour, universitaire brillante. Un corps trop maigre, à l'image de son esprit tourmenté depuis l'enfance ; la frustration de ne pas exister pour sa mère ; un mari impénétrable ; une fille adolescente qui lui échappe. N'y a-t-il personne pour l'aimer ? Que restera-t-il de sa vie, que faire du reste de sa vie ? Finir une thèse d'histoire, naguère abandonnée ? Adopter un enfant, contre l’avis de son mari et de sa fille ?

Le fils, Avner, quadragénaire, père de 2 garçons, avocat des droits de l'homme. Un corps empâté, à l'image de sa mollesse de caractère. Etouffé par l'amour maternel, il a épousé à 20 ans sa première petite amie, devenue une mégère au physique épaissi ; ils ne se supportent plus, ce qui perturbe leur fils ainé. Que restera-t-il de sa vie, que sera le reste de sa vie ? Cette femme croisée de façon fugace aura-t-elle sa place ? Doit-il quitter le domicile conjugal ? Comment se rapprocher de son fils ?

Zeruya Shalev pénètre dans l'intimité quotidienne, dans les souvenirs, dans le tréfonds de l'âme de ses trois personnages. Elle les suit, les observe, les écoute. En même temps, elle est en eux, elle sait tout ce qu'ils pensent, tout ce qu'ils ressentent, elle connaît leurs espoirs, leurs craintes, leurs secrets.

Elle nous rapporte leurs gestes, leurs conversations, leurs pensées, au fil de leurs enchaînements, à la suite les uns des autres, dans un même alinéa, dans une même phrase, sans guillemets ou autre signe de ponctuation.

C'est extrêmement parlant. Et les trois dernières pages du livre, que j'ai relues plusieurs fois, sont très belles et très émouvantes.

Et moi, et vous, et nous, que restera-t-il de nos vies, que faire du reste de nos vies ?

Faut-il accepter simplement ce qui vient à nous, suivre ce que nous imposent ceux qui ont plus de caractère que nous, ou faut-il tracer nous-mêmes notre chemin, et donc l'imposer à nos proches au risque de les contrarier ?

Et si l'essentiel était l'amour - l'amour paternel, l'amour maternel, l'amour filial, l'amour tout court ... L'amour qu'on donne et celui qu'on reçoit.

TRES DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Jacob, Jacob, de Valérie Zenatti

Publié le 28 Août 2015 par Alain Schmoll

Août 2015

Jacob, Jacob est un joli petit roman, émouvant, facile et agréable à lire. L'écriture de Valérie Zenatti est à la fois raffinée et authentique, avec juste ce qu'il faut de lyrisme attendrissant. Descriptions, actions, dialogues et pensées se mêlent dans un même phrasé, dans un zapping vif et léger qui donne au lecteur l'impression de vivre dans le récit. Certes, en feuilletant le livre, des lecteurs peuvent prendre peur, au vu de pages compactes, affichant peu voire pas d'alinéas. Mais les chapitres sont courts... l'on reprend facilement sa respiration. Il faut y aller !

Jacob, Jacob, c'est l'histoire d'un jeune juif d'Algérie, en 1944 ; la guerre, le débarquement allié en Provence, les combats contre les Allemands en remontant jusqu'en Alsace. Jacob a 19 ans. Il est beau, intelligent, sympa, promis à un bel avenir.

La guerre de Jacob, ce n'est pas la Shoah, ni les bombardements, ni les faits d'armes spectaculaires. C'est la guerre au quotidien, celle du soldat de base, formé sommairement par un sergent-chef scrogneugneu, grelottant, affamé, terrorisé, dans la campagne, dans la forêt, où l'ennemi invisible apparait soudain au détour d'un bosquet ; il faut le tuer avant d'être tué. Cette guerre, c'est le copain qui tombe ; chaque jour un autre ; cela arrive en un éclair, à côté de soi, on a du mal à le croire, c'est pourtant affreusement banal.

Le livre, c'est aussi la famille de Jacob, des juifs de Constantine, très pauvres, arriérés, analphabètes. Ils tirent leur dignité de leur sens de la famille, de traditions et de principes forts. Jacob, si différent de son père et de ses frères, est leur fierté.

Constantine est la ville des ponts suspendus. Proche du quartier juif qu'il surplombe, le pont Sidi M'cid est comme une divinité pour la communauté. Jacob raconte : « La ville est construite sur un rocher, entouré par un fleuve extraordinaire.... Il y a des sources d'eau chaudes, elles jaillissent dans des piscines de pierre, tu es comme un roi dans son bain. Au dessus, des ponts enjambent le fleuve. Le plus haut, c'est le pont Sidi M'cid. Parfois, il y a des nuages en dessous. Tu es dans le vide mais tu ne tombes pas. Tu as peur mais rien ne t'arrive. Tu vas d'un point à un autre, tu traverses le ciel, penses qu'il peut s'écrouler, qu'il va s'écrouler, surtout quand une voiture, un camion passe, il tremble, tu trembles avec lui. »

A la fin de la guerre, la liesse est de courte durée. Montée de la tension entre Arabes et Européens. Escalade des exactions, l'armée d'un côté, les fells de l'autre. L'avenir s'annonce très loin du pont Sidi M'cid.

Le livre évoque instantanément Le Premier Homme, le roman autobiographique inachevé d'Albert Camus ; il en affiche d'ailleurs une citation en épigraphe. Et la dernière page de Jacob, Jacob, clairement autobiographique, est pour moi une évocation de plus.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Trompe-la-mort, de Jean-Michel Guénassia

Publié le 19 Août 2015 par Alain Schmoll

Août 2015

Les romans de Jean-Michel Guénassia ne se ressemblent pas, mais ils ont un point commun : on ne s'y ennuie jamais. Comme auparavant Le club des incorrigibles optimistes (qui m'avait enchanté) puis La vie rêvée d'Ernesto G., Trompe-la-mort m'a procuré des moments de lecture distrayants, captivants et surtout surprenants, grâce aux personnages atypiques, aux basculements d'intrigues, aux péripéties invraisemblables, aux révélations inattendues avec lesquels l'auteur jongle habilement.

Les fictions sont solidement ancrées dans l'histoire récente, tant pour les événements que pour les tendances et les courants d'idées. Cela les rend très vivantes pour le lecteur, surtout s'il est de ma génération (la même que l'auteur).

Trompe-la-mort raconte le parcours d'un homme, Tom Larch, né à New Delhi d'une mère indienne et d'un père anglais expatrié. A 8 ans, il découvre Londres où ses parents s'installent. Tom y vit des années difficiles, sa double origine étant un handicap dans une ville où les communautés ne se mélangent pas. Il est blessé dans plusieurs graves accidents qui auraient pu lui être fatals.

A 18 ans, Tom décide de tout quitter pour intégrer une unité d'élite de l'armée britannique, la Royal Marines. Pendant 15 ans, il fait partie des contingents envoyés en opérations en Irak, en Irlande du Nord, en Sierra Leone et en Afghanistan. A plusieurs reprises, à nouveau, il échappe à la mort miraculeusement, parfois dans des conditions spectaculaires.

Frappée par cette série de surprenantes fortunes, une célèbre journaliste de télévision décide de faire de Tom le héros d'un documentaire. Sous le titre de Trompe-la-mort, le documentaire rencontre un grand succès populaire dans le monde entier où il est largement diffusé et rediffusé.

Réformé pour blessures, Tom rencontre l'amour ; il cherche à se construire une vie familiale et une situation professionnelle. Des opportunités séduisantes se présentent grâce à sa notoriété et sa popularité de Trompe-la-mort. Mais l'état d'esprit et les aspirations de Tom ne sont pas solubles dans les archétypes de la société occidentale libérale contemporaine. Finalement, Tom se laisse convaincre de partir en mission, à la recherche d'un jeune homme disparu en Inde.

La dernière partie du livre, qui conte cette mission en Inde, tranche avec les précédentes. De la fiction moraliste critique du matérialisme branché londonien, on passe au récit d'aventures en terre exotique. C'est une suite d'enquêtes policières et de péripéties rocambolesques à New Delhi, Bangalore, puis dans l'Inde des ashrams, un décor foisonnant où le burlesque des mœurs locales côtoie le sordide de la misère extrême, inspiré des romanciers natifs, tels Salman Rushdie ou Vikas Swarup (l'auteur du très bon roman très bien porté à l'écran sous le titre de Slumdog millionnaire *).

Les coups de théâtre se multiplient dans les dernières pages du roman qui s'achève par un ultime bouclage sur le passé.

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

* : Je ne résiste pas à l'envie de rappeler le titre incroyablement long sous lequel ce roman a été publié en français : Les fabuleuses aventures d'un indien malchanceux qui devint millionnaire, ainsi que le titre incroyablement court de sa publication en anglais : Q&A.

Q&A, abréviation de Questions & Answers, est le nom de l'émission de jeu de télévision dont il est question dans le roman et le film.

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Amours, de Léonor de Récondo

Publié le 19 Août 2015 par Alain Schmoll

Août 2015

C'est un libraire de confiance qui m'a conseillé de lire Amours, de Léonor de Récondo ; le livre avait aussi été lauréat d'un prix littéraire tout à fait honorable. Pour être honnête, si j'avais su de quoi il était question, je ne l'aurais probablement pas acheté, pensant que ce n'était pas mon genre de lecture. Ça aurait été dommage, car j'ai lu ce roman de bout en bout avec plaisir. J'ai même été très ému par certains passages.

L'histoire se situe en 1908 dans un petit bourg de province ; c'est la France profonde du début du XXème siècle, avec ses croyances, ses rigidités, ses préjugés étroits ; Madame Bovary est alors considéré comme un livre inconvenant pour les femmes, qu'elles soient jeunes filles ou mariées.

Au début, ça ressemble à de nombreux romans français d'avant guerre - François Mauriac, Georges Bernanos : une maison bourgeoise, le mari notaire, sa femme au foyer, éducation catholique très stricte, tous deux très soucieux de leur image... Pas d'enfant ...! Et ça, en province à l'époque, ça pose problème. Il faut dire que Madame a horreur des "enchevêtrements immondes" par lesquels il faut passer. Elle ferme sa porte à Monsieur, qui -on est un homme ou quoi ! - trousse d'autorité Céleste, la petite bonne de 17 ans logée dans la maison.

Voilà que Céleste tombe enceinte. Madame (elle s'appelle Victoire) a vite identifié le géniteur et comprend qu'il s'agit d'une occasion rêvée pour ne plus être sollicitée par Monsieur (dénommé Anselme). Pas de scandale, donc, l'enfant sera le leur et Céleste restera à leur service.

Victoire et Céleste se rapprocheront pour s'occuper du bébé et, option inattendue, surprenante, elles engageront une relation amoureuse fusionnelle, passionnelle et torride, qui est le cœur du roman.

Embarqué dans la lecture d'un livre jusque là très classique, j'ai dans un premier temps ressenti de la gêne à me retrouver soudain témoin de cet amour doublement illégitime pour l'époque. Mais j'ai été profondément ému par le récit qui en est fait. Il faut dire que l'écriture est précise, directe, concise ; des mots usuels, une syntaxe simple, une conjugaison au présent, des phrases courtes. Cela donne de la vivacité au texte, du naturel aux personnages, de la pertinence aux images.

Léonor de Récondo, qui est aussi musicienne, illustre son roman par la célèbre sonate Clair de lune de Beethoven, dont Victoire joue et rejoue presque compulsivement les arpèges à trois notes qui symbolisent les amours unissant Victoire, Céleste et l'enfant.

Tout cela ne pourra que mal finir, les convenances étant les plus fortes. Céleste se sacrifiera dans une dernière danse tourbillonnante qui n'aura pas manqué de m'évoquer la fin de La Traviata. C'est une fin un tantinet mélodramatique, mais il faut croire que je dispose d'un fond de sentimentalisme qui fonctionne.

  • FACILE     ooo   J’AI AIME
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Et rien d'autre, de James Salter

Publié le 18 Août 2015 par Alain Schmoll

Août 2015

On m'avait dit : chef d'œuvre. Et rien d'autre est un très bon, un excellent roman. Mais pour que je qualifie un roman de chef d'œuvre, il faut qu'il me surprenne, d'une manière ou d'une autre, qu'il ne ressemble à aucun autre. Or, Et rien d'autre est un roman américain classique, une vaste fresque dont l'axe central est le parcours d'un homme pendant 40 ans, à partir de la fin de la guerre.

Cet homme, Philip Bowman,  a choisi le métier d'éditeur, qu'il exerce avec passion tout au long de ces 40 ans au sein de la même maison new-yorkaise, sans manifester d'ambition financière ni managériale ; le contact avec les écrivains lui suffit. Sa quête personnelle, c'est la recherche d'un foyer, aux deux sens du terme : une maison, où se ressourcer, en bois, au bord d'un lac ou de la mer - archétype américain - et une femme, âme-sœur, avec laquelle construire une relation familiale.

Bien que ne se comportant ni en play-boy, ni en don juan, Bowman ne manque pas de succès féminins. Il parvient aisément à ses fins, porté à chaque fois par de véritables coups de foudre, plutôt d'ordre physique. Mais le plaisir physique ne garantit pas la durabilité des liaisons, qui tournent court, effacées par le coup de foudre suivant, en l'absence de véritables projets consensuels. Au fil du livre, le rythme des rencontres semblent s'accélérer. Mais peut-être est-ce plutôt le temps qui accélère avec l'âge. La fin de chaque aventure ne fait pas souffrir Bowman, sauf une fois ; il se comporte toujours bien, sauf une fois.

La fresque que constitue le roman est d'une ampleur considérable, tant par la période qu'elle recouvre que par le nombre de personnages accessoires qu'elle englobe. Complexe, elle est composée de tableaux relatant le parcours ou des tranches de vie de personnes rencontrées par Bowman : parents, amis, femmes, écrivains, professionnels de l'édition. De courtes anecdotes sur des personnages totalement secondaires aux apparitions fugitives, viennent compléter l'ornementation de la fresque.

Un regret : dans ce milieu littéraire où l'on évoque très brièvement Hemingway, Byron et des écrivains fictifs, où l'on semble passer beaucoup de temps en déjeuners et en cocktails, il n'y a pas de débat, même sommaire, sur des œuvres ou des auteurs, à l'instar des commentaires courts mais intéressants délivrés sur Bacon et Picasso.

L'écriture est limpide et précise, sans lyrisme excessif, sans métaphore inaccessible. La construction ne présente aucun artifice. Le récit se déroule tranquillement. De temps en temps, un retour en arrière de deux ou trois pages est nécessaire pour comprendre de qui il est question, l'auteur ayant probablement pris un malin plaisir à nous embrouiller.

Pas étonnant que James Salter soit considéré comme un monstre sacré de la littérature américaine.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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La fille du train, de Paula Hawkins

Publié le 18 Août 2015 par Alain Schmoll

Août 2015

Ce livre n'était pas pour moi. Je le savais avant, il m'avait suffi de consulter la 4ème de couverture : "un suspense formidable... jusqu'au bout de la nuit! ", "préparez-vous à être ensorcelé, à devenir obsessionnel ". Mais en ouvrant ce blog où je réunis mes critiques de lecture, je m'étais promis d'être objectif, ouvert à tout, sans préjugé discriminant. J'ai donc lu La fille du train de bout en bout.

C'est un thriller, parait-il. Je n'ai pas spécialement "thrillé". C'est vrai, il y a un meurtre, et donc un assassin, qui n'est formellement dévoilé que dans les dernières pages. Mais avec les évidentes fausses pistes que l'auteur balance pendant 300 pages, on n'est pas vraiment surpris (en plus, on s'en fiche, c'est la fin du livre, ouf !).

Le livre se présente sous forme de monologues de trois personnages féminins. Dans ces monologues, qui s'enchaînent et s'entrecoupent, l'auteur fait dire à ces femmes,  en intégralité et de façon répétitive, tout ce qu'elles font, tout ce qu'elles pensent, tout ce qu'elles ressentent ; et même quand elles cachent quelque chose, elles précisent bien qu'elles cachent quelque chose pour que le lecteur comprenne bien.

A les lire, les femmes sont toutes à la recherche d’un maître. Jalouses et enfermées dans leurs fantasmes, quand tout ne se passe pas comme elles veulent, elles pleurnichent et elles boivent. Quant aux hommes, ils sont évidemment violents, libidineux, menteurs et manipulateurs.

Dans ce livre, qui ne présente ni ligne directrice, ni finesse d'écriture, les radotages interminables de Rachel - la fille du train - sur l'alcool qu'elle ingurgite massivement, en conscience qu'elle ne devrait pas, ses pleurs, ses vomissements, ses saignements ont fini par me donner la nausée.

  • FACILE     o   J’AI AIME… PAS DU TOUT
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Lola Bensky, de Lily Brett

Publié le 28 Juillet 2015 par Alain Schmoll

Juillet 2015

Lola Bensky, prix Médicis étranger 2014, est présenté comme un roman inspiré de la vie de son auteur, Lily Brett. Ce n'est pas un roman, selon moi, mais plutôt un ensemble de souvenirs et de professions de foi totalement autobiographiques, ce qui n'ôte rien au plaisir que j'ai eu à le lire.

Trois grands thèmes s'entremêlent dans la vie de Lily alias Lola.

Primo, Lola traine un problème d'embonpoint qui la culpabilise car elle ne parvient jamais à respecter ses plans de régime.

Secondo, Lola est la fille unique de rescapés d'Auschwitz qui ont vu tous les membres de leur famille assassinés de façon épouvantable. Survivre à Auschwitz, ce n'est pas revenir d'un camp de concentration lambda ; il y a une hiérarchie dans l'horreur et Auschwitz est au sommet. On le sait déjà, mais ce n'est jamais inutile de s'en souvenir. Il y a là un héritage dont Lola supporte le poids depuis sa prime enfance.

Tertio, les années 60 : à19 ans, Lola vit à Londres d'un job qui consiste à interviewer des pop stars à peine plus âgés qu'elle : Jim Morrison, Mick Jagger, Jimy Hendrix. Si le premier est un authentique bad boy, les deux autres expriment une étonnante et touchante compassion pour la jeune femme, ses rondeurs et les histoires qu'elle leur raconte sur Auschwitz. On voit même, incroyable anecdote, un Mick Jagger très attentionné, insister auprès de Lola pour la présenter à son ami Paul McCartney.

Deux ans plus tard, Lola est présente au mythique Festival pop de Monterey, où elle sympathise avec les stars et assiste à leurs concerts : Janis Joplin, Jimy Hendrix, the Who, the Mamas & the Papas et d'autres, Otis Redding notamment.

Pauses musicales : entre deux chapitres, je télécharge les tubes mentionnés : Let spend the night together, Light my fire, Wild thing, Purple haze, Ball and chain... Je les redécouvre, près d'un demi-siècle après.

Je n'ai pas besoin de redécouvrir Otis Redding : je n'ai jamais cessé de l'écouter, et particulièrement son concert live in Monterey.

Le dernier chapitre est très émouvant, bien qu'un peu morbide. Malgré toutes ces morts prématurées, malgré Auschwitz, Lola réussira sa vie.

Question pour le traducteur du texte original : pourquoi Lola vouvoie-t-elle les stars alors qu'eux la tutoient ? Elle est intimidée, bien sur. Mais ils ont tous 20 ans. Et c'est une subtilité qui n'existe pas en anglais.

  •  FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP
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Temps glaciaires, de Fred Vargas

Publié le 28 Juillet 2015 par Alain Schmoll

Juillet 2015

C’est un peu toujours la même chose avec les polars de Fred Vargas depuis Pars vite et reviens tard qui l'avait révélée. A chaque fois, comme on a bien aimé le précédent, on s'oblige à lire le suivant. Et chaque fois, ça commence mollement, au point qu'on se demande un moment si ce n'est pas le livre de trop. Puis ça trouve son rythme et on se surprend à être captivé par les énigmes.

On retrouve le commissaire Adamsberg, pour lequel on n'arrive pas à se décider si on le trouve sympathique ou pas. Avec lui, le fidèle commandant Danglard, dont les connaissances encyclopédiques permettent à l'auteur de nous placer de plaisantes  histoires pour les nuls. Dans l'équipe qui les entoure, des flics de tous grades et de tous les profils, avec chacun son idiosyncrasie (c'est vraiment le mot qui convient!) : au commissariat, c'est comme dans les nombreuses séries policières TV françaises et américaines, sauf que Temps glaciaires n'est pas calibré pour durer 52 minutes, c'est un gros polar de près de 500 pages.

Comme chaque fois chez Fred Vargas, tout le monde (c'est-à-dire le lecteur et les personnages du roman) se retrouve plongé dans un monde improbable, en l'occurrence à des séances plénières de la Convention, menées par un Robespierre aussi authentique que celui de 1794.

Une part de surnaturel, aussi, avec l'afturganga, l'horrible monstre mangeur d'homme de la calotte glaciaire.

Sans oublier Marc, un gros marcassin - d'où son nom ! - gentil comme un toutou.

  • GLOBALEMENT SIMPLE     ooo   J’AI AIME
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Toute la lumière que nous ne pouvons voir, d'Anthony Doerr

Publié le 28 Juillet 2015 par Alain Schmoll

Juillet 2015

Ce roman a obtenu le prix Pulitzer 2015 de la fiction. C'est un gage d’une qualité littéraire tout à fait méritée car l'ouvrage est remarquablement construit et écrit. Cela n'empêche pas Toute la lumière que nous ne pouvons voir et ses 600 pages d'être aussi facile à lire qu'un best-seller estival et aussi palpitant qu'un thriller.

De très courts chapitres s'enchaînent pour suivre, alternativement et presque en simultané, la vie de Marie-Laure, une jeune parisienne aveugle, et celle de Werner, un jeune allemand orphelin, entre 1934 et 1944. Leurs parcours sont tracés inexorablement par l'Histoire.
Pour Marie-Laure, c'est la drôle de guerre, l'exode, puis la vie sous l'Occupation à Saint-Malo où son père a de la famille. C'est aussi la Résistance par le biais d'un vieil émetteur radio retrouvé dans le grenier secret de la maison familiale.
Werner suit la formation des jeunes nazis : embrigadement, culte du chef et du sacrifice, éradication de la sensibilité et de la conscience. Passionné par les radio-transmissions, il fait partie d'une unité de détection d'émetteurs clandestins qui sillonne l'Europe.
L'unité de Werner est envoyée en Bretagne à l'été 1944, juste avant les bombardements alliés qui conduiront à la libération de Saint-Malo, bombardements destructeurs et meurtriers qui sont décrits en contrepoint tout au long du roman.

Marie-Laure et Werner se rencontrent-ils ? Dans un roman comme celui-ci, construit pour captiver le lecteur, on a forcément la conviction que la rencontre se produira, qu'elle est prédéterminée, logique, que les parcours personnels des deux jeunes gens les mèneront inéluctablement à se croiser. C’est tout le talent du romancier de nous conduire à cette conviction. Dans la vraie vie, ça fonctionne dans l’autre sens : on rencontre tous les jours des tas de gens, fortuitement. Ils sont juste au même endroit que nous au même moment ; avant et après ce moment, ils ont leur propre parcours, lequel parcours n'a d'intérêt pour nous que parce qu'il y a eu rencontre.

Tout le roman est conjugué au présent ; cela donne le sentiment de vivre en direct les évènements et la vie quotidienne des personnages. Au début, avant la guerre, pendant l'enfance de Marie-Laure et de Werner, les phrases sont courtes, très simples – sujet, verbe, complément – ; presque de la littérature pour enfants. Au fur et à mesure de l'histoire et de son développement tragique, les phrases s'allongent, les tournures gagnent en complexité, le rythme de l’écriture s'accélère dans un crescendo qui aura nourri ma tension de lecteur jusqu'au dénouement.
Dénouement qui n'est pas la fin du roman. Comme dans les histoires vécues, l'auteur met en scène les survivants, 30 ans, 70 ans plus tard. La vie a continué, les blessures ont cicatrisé ; les questions sans réponse le restent, pour toujours.
Ma tension retrouve son niveau normal, je lis les dernières pages avec sérénité, tranquillement. Quand je referme le livre, je me dis que j'ai passé un bon moment.

Quelques jolis passages. Je garde celui-ci :
Le clair de lune reluit et ondule ; les nuages brisés défilent au dessus des arbres. Partout volent des feuilles. Mais le clair de lune n'est pas agité par le vent ; ses rayons, ou ce qui y ressemble, transpercent les nuages, l'air ! Ils restent suspendus au dessus de l'herbe qui se déforme.
Pourquoi le vent ne fait-il pas bouger 
la lumière ?

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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