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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Le gang des rêves, de Luca di Fulvio

Publié le 26 Juillet 2017 par Alain Schmoll dans Littérature

Juillet 2017,

Que vous soyez addict à la littérature ou que vous ne lisiez qu’un livre par an, profitez des vacances pour lire Le gang des rêves : une saga romanesque mettant en scène, dans les années vingt, à New York et à Los Angeles, des personnages bien campés dans un enchaînement d’intrigues intelligemment ficelées ; des péripéties qui, tout au long des sept cents pages du roman, sont opportunément émaillées de violence, de sexe, de célébrités, de dollars, et aussi de romantisme, de bons sentiments et d’amour – avec un grand A !

 

Le rêve américain, ça marche toujours ! Écrit par un Italien du nom de Luca di Fulvio, le roman aurait pu s’appeler « Il était une fois en Amérique » – comme beaucoup d’autres, d’ailleurs –. Je ne peux m’empêcher de penser au célèbre film du regretté Sergio Leone, un autre Italien, père des fameux westerns « spaghetti », dont le réalisme très expressif avait bousculé un genre jusqu’alors contrôlé par les descendants des pionniers du Far West... La gang dei sogni ! Un roman « spaghetti » ?

 

Christmas – c’est le nom du personnage principal ! – est le fils né d’un viol d’une jeune Italienne fraîchement débarquée, réduite à la prostitution pour survivre. Il traîne son adolescence dans les rues du Lower East Side de Manhattan, où il retrouve d’autres gosses d’immigrés miséreux, des Italiens, des Irlandais et de nombreux Juifs d’Europe centrale. Tous se veulent américains, mais ce sont les communautés qui structurent les amitiés, puis les bandes, les gangs, et finalement les mafias. Dans ce quartier déshérité, la délinquance et le crime semblent être le seul ascenseur social.

 

Heureusement, des secteurs d’activité novateurs prennent leur essor, inspirés par des technologies nouvelles. A New York, les premières émissions radiophoniques ouvrent des perspectives de carrière aux jeunes gens prêts à investir leurs talents dans l’aventure. Justement, Christmas ne manque pas de bagout, ni d’ambition, ni de sens de l’opportunité. Sans doute pourrait-il aussi réussir dans le cinéma, un phénomène en plein big bang, qui provoque une nouvelle ruée vers l’Ouest. A Hollywood, l’industrie du cinéma brasse un fric invraisemblable et offre des réussites fulgurantes à quelques happy few... suivies de dégringolades tout aussi foudroyantes. Pour le plus grand nombre, un miroir aux alouettes ; beaucoup n’auront jamais une chance et finiront par sombrer dans l’alcool, la drogue, la prostitution...

 

Hollywood, Los Angeles. Quel destin y attend Ruth, une pauvre petite fille riche, dont les yeux verts avaient fasciné Christmas lors de leur rencontre à l’âge de treize ans dans des circonstances tragiques ? Partie en Californie avec sa famille après une agression qui l’a marquée à vie, ne risque-t-elle pas surtout de recroiser la route d’un criminel psychopathe récidiviste, venu comme d’autres chercher fortune dans l’univers ensorcelant du cinéma ?

 

L’auteur utilise tous les ingrédients qui font un best seller, ceci dit sans la moindre connotation négative … ou presque. Quelques épisodes un peu simplistes, quelques commentaires un peu naïfs, quelques traits de caractère un peu caricaturaux, quelques scènes sentimentales un peu candides… mais il faut parfois savoir ne pas faire la fine bouche et juste se laisser emporter par les aventures que vivent les différents protagonistes. Le plaisir simple d’une lecture romanesque.

 

Le livre est structuré en courts chapitres consacrés successivement à chaque personnage. L’intensité dramatique est bien maîtrisée, sans effets de suspens artificiels. Chacun peut lire Le gang des rêves à son allure, tranquillement, sans se laisser entraîner à tourner frénétiquement les pages.

 

Vers la fin, le rythme s’accélère dans un scénario à la fois prévisible et tiré par les cheveux. Que voulez-vous, il faut bien qu’un roman s’achève ! A moins d’être très naïf, on ne craignait pas vraiment que l’histoire se termine mal pour ceux qu’on aime, Ruth et Christmas. Amour, réussite, argent, bonheur… Et pourtant ! Se pourrait-il que les naïfs aient raison, au moins en partie ? Pour parvenir à un happy end, il faut parfois s’y prendre à plusieurs reprises !

 

Pour finir, quelques réserves sur la traduction française. Je n’aime pas trop lire des dialogues comme ceux-ci :

« Mais qu’est-c’que c’est qu’ce nom ?

– Ça te r’garde pas »

Une écriture semi-phonétique censée transposer le langage des quartiers populaires de New York, à la manière des traducteurs de Faulkner cherchant à reproduire la façon de parler des bouseux des Etats du Sud. Ça sonne aussi faux que les doublages en français des vieux westerns et séries B. C’est d’autant plus absurde que le livre a été écrit en italien et, j’ai vérifié, sans profusion d’apostrophes !... Traduire un texte italien en français tout en lui donnant une tournure américaine ! Voilà qui aurait enchanté Aaliya, l’héroïne de Les vies de papier, roman que j’ai chroniqué en novembre dernier…

 

Le gang des rêves, un ouvrage conçu pour plaire au public le plus large, avec un clin d’œil pour l’intelligentsia, dont on sait le goût pour le théâtre. Une très belle réussite, qui mérite son succès.

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

 

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Deux hommes de bien, d'Arturo Pérez-Reverte

Publié le 12 Juillet 2017 par Alain Schmoll dans Littérature

Juillet 2017,

Il y a des lectures qui démarrent poussivement et qui s'avèrent finalement passionnantes.

 

L’intrigue de Deux hommes de bien prend place dans un contexte historique tellement particulier, qu’il est naturel d’en bien fixer les tenants et aboutissants, puis d’en explorer les perspectives, qui sont multiples. Loin de se contenter de ce programme déjà riche, Arturo Pérez-Reverte en rajoute encore : tout au long du roman, il s’attache à en dévoiler les ficelles de sa gestation.

 

Un récit complexe, donc. Pas étonnant qu’un minimum de patience et de persévérance soient nécessaires au lecteur pour en prendre la mesure.

 

La trame romanesque est inspirée d’une histoire vraie. A Madrid, dans les années 1780, deux membres de l’Académie royale espagnole reçoivent mandat de se rendre à Paris et d’en rapporter un exemplaire original de l’Encyclopédie, publiée en France depuis une vingtaine d’années. Une mission qui n’est pas considérée comme opportune dans certaines sphères d’un royaume d’Espagne très catholique, où les idées restent soumises à la censure de l’Inquisition.

 

Car l’Encyclopédie véhicule des idées subversives ! Cet ensemble de vingt-huit volumes, écrits par un groupe d'intellectuels supervisés par Diderot et d’Alembert, est emblématique du mouvement des Lumières, qui se propage sur toute l’Europe. L’intention est que chacun puisse accéder à une connaissance ouverte, fondée sur la raison, l’échange d’idées et l’observation expérimentale, par opposition à l'obscurantisme, la superstition et l'intolérance, privilégiés alors par la religion et la monarchie.

 

Des routes inconfortables et peu sûres, une vie parisienne recelant moult embûches – dans les salons de la haute société comme dans les ruelles des quartiers populaires ! –, d’impitoyables manigances ourdies par les adversaires du projet. On imagine bien que l’expédition des deux académiciens espagnols n’aura pas été de tout repos. Leurs aventures sont contées en mode cape et d’épée, scènes de duel et de galanterie incluses. C’est plaisant et l’auteur sait faire monter la pression dans les moments dramatiques.

 

Le contexte historique est l’occasion d’ouvrir le débat, avec les principaux personnages qui confrontent leurs idées et expriment leurs convictions. Que de questions difficiles à trancher ! Raison et révélation sont-elles compatibles ? Peut-on concilier idéal de liberté et exigences de la foi ? Le progrès exclut-il le respect des traditions ? Les corps doivent-ils s’émanciper en même temps que les esprits ?... Les échanges n’en finissent pas entre les deux Espagnols, des intellectuels lettrés qui découvrent la vie parisienne avec les mêmes yeux que les Persans de Montesquieu, soixante ans plus tôt. Un attelage qui évoque aussi Don Quichotte et Sancho Pança, les héros mythiques de l'œuvre mère de la littérature romanesque espagnole.

 

Justement, voilà que le romancier Pérez-Reverte nous divulgue les secrets de son travail de composition. Point de départ : un fait historique mineur, banal, oublié. Consultation d’archives, confrontation avec des observations in situ. A l’imagination ensuite d’entrer en jeu : il faut retracer des événements effacés des mémoires, reconstruire des personnages dont ne reste que le nom. Modelage de l’écriture pour imposer au lecteur un rythme en harmonie avec celui des péripéties. Ne pas oublier l’année de travail ingrat, à lire et relire, ajouter, supprimer, corriger, réviser sans fin…  

 

Avant d’écrire des romans et d’être lui-même membre de l’Académie royale espagnole, Pérez-Reverte avait été journaliste ; un correspondant de guerre, du genre baroudeur droit dans ses bottes. Toute ressemblance avec l’un de ses deux héros, celui qu’on appelle l’Amiral, est-elle vraiment fortuite ? Un homme grand, sec, au caractère ferme, ouvert aux Lumières, mais qui ne transige pas avec ses valeurs, même si elles vont parfois à l’encontre de ses idées...

  

Un mot sur un autre personnage du roman, un abbé plus ou moins défroqué, prêchant à Paris la révolution dont les présages se laissent entrevoir. Etouffé par les rancœurs, il appelle à la disparition d’un art de vivre dont il profite en parasite. Un humaniste ? Certainement pas ! Ce n’est pas l’amour de l’humanité qui l’anime, c’est le mépris qu’elle lui inspire. Que les têtes tombent !... Ce personnage réel de l’époque, pseudo-philosophe aigri et radical, ruminait sa haine de ses confrères, lesquels, selon lui, le privaient de la reconnaissance qu’il estimait mériter. La Révolution Française lui aura permis de régler ses comptes... avant de le conduire à l’échafaud à son tour.

 

Qu’en pensent ceux que l’on entend aujourd’hui, sur les ondes, exhaler leurs frustrations personnelles, tout en s’arrogeant le droit de parler au nom du peuple ?

 

Ce n’est pas le cas d’Arturo Pérez-Reverte, érudit, humaniste, européen. Un homme de bien, en somme.

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

 

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Miniaturiste, de Jessie Burton

Publié le 2 Juillet 2017 par Alain Schmoll dans Littérature

Juillet 2017,

Fin du dix-septième siècle, Amsterdam est la capitale mondiale du commerce et de la finance. Au cœur de cette cité à l’apogée de sa puissance, où la population est mise en coupe réglée par un calvinisme puritain implacable, Jessie Burton, jeune néo-romancière britannique, place une fiction imaginative à la limite du fantastique... Et je ne jurerais pas que cette limite ne soit pas par instant franchie.

 

En ouverture du livre, une scène de conclusion funèbre préfigure l’opacité trouble des événements du récit. On pourrait pourtant croire à une histoire banale. Johannes Brandt, riche homme d’affaires d’âge mur, célibataire endurci ayant enfin décidé de prendre épouse, a jeté son dévolu sur une jeune fille issue d’une famille modeste de province. C’est ainsi que Petronella – Nella pour les intimes – s’installe dans la maison de sa nouvelle famille, au bord de l’Herengracht, le canal des Seigneurs. Une somptueuse demeure régentée avec autorité par Marin, la sœur de Johannes, une femme belle, imposante, sévère, restée elle aussi célibataire.

 

Nella ne voit jamais son mari. Jamais ! Les affaires de Johannes – qu’on qualifierait aujourd'hui d’import-export – semblent le contraindre à de nombreux voyages et, entre deux, lui imposer une charge de travail incessante, dans son bureau ou en réunion à la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales, dont les bateaux sillonnent les mers par centaines.

 

Vois sur ces canaux / Dormir ces vaisseaux / Dont l’humeur est vagabonde ; / C’est pour assouvir / Ton moindre désir / Qu’ils viennent du bout du monde…

 

Dans la maison, Nella découvre une atmosphère étrange, pesante, étouffante. Frôlements de tentures, d’étoffes, de draperies. Bruissements ou craquements de matières riches, soie, velours, bois précieux. Propagation d’odeurs insistantes, les unes agréables, d'autres incommodantes.  

 

… Des meubles luisants / Polis par les ans / Décoreraient notre chambre ; / Les plus rares fleurs / Mêlant leurs odeurs / Aux vagues senteurs de l’ambre, / Les riches plafonds, / Les miroirs profonds, / La splendeur orientale, / Tout y parlerait / A l'âme en secret / Sa douce langue natale...

 

Dans la grande bourgeoisie amstellodamoise, Johannes et Marin tiennent le haut du pavé. Craints, respectés et admirés, ils cachent toutefois de lourds secrets, dont la révélation pourrait compromettre leur position. Car la stricte morale calviniste qui régit les âmes locales se veut un acte collectif de rédemption ne souffrant pas d’exception. Une sorte de contrat tacite avec Dieu : en échange de piété et de vertu, il garantirait la prospérité de la cité et la protègerait d’une montée des eaux qui la submergerait. Chacun surveille donc son voisin et n’hésite pas à dénoncer les comportements déviants.

 

A son arrivée à Amsterdam, Nella s’est vu offrir par Johannes un étrange cadeau ; une reproduction à échelle réduite de leur demeure. Une sorte de maison de poupée, un chef d'œuvre de miniaturisation, reconstituant fidèlement tous les aménagements intérieurs. A l'initiative de Nella – qui s’interroge sur le sens de ce cadeau –, s’ajoutent des figurines à l’image des personnages du roman. Figurines et personnages semblent inexplicablement assujettis. Quelle est la nature du mystérieux miniaturiste sollicité par Nella ? Témoin ou prophète, démiurge ou devin ?

 

En dépit de longueurs dans la narration et de lenteurs dans l’action, je suis resté accroché à la lecture de Miniaturiste. A la fin du livre, on ne sort pas de la confusion engendrée par des indices contradictoires et des discours fumeux. En fait, il faut accompagner l’auteure dans son voyage dans le temps, ne pas chercher à interpréter les choses en s’appuyant sur notre rationalité et notre bon sens d'aujourd'hui. Les lumières de Descartes et de Spinoza n’avaient pas encore rayonné sur les esprits, profondément cupides et bigots, qui s'accommodaient mieux des clair-obscur de Rembrandt, où pouvaient se dissoudre secrets et ambiguïtés.

 

Seule Nella semble capable de s’élever. Mais prisonnière de son temps, elle ne comprend pas tout. Est-ce un problème ? A la différence d’aujourd'hui, l’on savait à l’époque qu’on ne pouvait tout comprendre. On l’acceptait.

 

Etonnant de voir comme Amsterdam a évolué ! Que reste-t-il du moralisme étroit de l’ancienne oligarchie calviniste, dans l’Amsterdam chantée par Jacques Brel ou dans l’image libertaire et bobo affichée aujourd'hui par la cité ?

 

J’ai pensé que Baudelaire, lui aussi, avait vu Amsterdam : Là tout n’est qu’ordre et beauté / Luxe, calme et volupté… Pour la volupté, on repassera !...

 

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

 

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L'affaire Rosenblatt, de Joël Haroche

Publié le 23 Juin 2017 par Alain Schmoll dans Littérature

L'affaire RosenblattJuin 2017,

Dallas, 22 novembre 1963. C’est là-bas, aux alentours de cette date, que se situent les événements racontés dans L’affaire Rosenblatt. Une date qui aura aussi compté dans la destinée d’un certain John F. Kennedy, bien que lui-même n’ait pas la possibilité de s’en souvenir... Vous trouvez ce mot d’esprit déplacé ? Alors ne lisez pas ce livre, un presque chef d’œuvre d'humour noir et de mauvais goût, écrit par un presque inconnu nommé Joël Haroche.

Le titre fait bien évidemment penser à l’affaire Rosenberg, ce couple de New-Yorkais juifs communistes, accusés d’espionnage au profit de l’Union Soviétique, et qui, malgré leurs protestations d'innocence, furent exécutés sur la chaise électrique. Le 19 juin 1953.

19 juin 1953, c’est aussi la date de naissance du fils aîné des époux Rosenblatt. Il a donc dix ans au moment des faits dont il est le narrateur. La concordance de date, c’est pour lui comme si ses parents étaient la réincarnation spirituelle des Rosenberg... En complètement louftingues !

A l’instar de leurs presque homonymes, les Rosenblatt sont juifs, athées, d’origine russe, engagés dans les mouvements des droits civiques, sympathisants communistes et carrément admirateurs de Fidel Castro. Tout pour plaire dans le quartier chic de Dallas, Texas, où ils occupent la seule maison délabrée et où les résidents se situent plutôt dans la continuité des convictions sudistes les plus radicales. Une confrontation culturelle frontale. Ajoutons que les finances des Rosenblatt sont à sec alors que celles de leur voisinage nagent dans le pétrole… Une intégration locale difficile !

Papa, Julius Rosenblatt, est un avocat raté. Quelque peu parano, il a tendance à attribuer ses échecs à des complots d’anticastristes. En réalité, il a l'habitude de dormir quatorze heures par jour, ce qui ne facilite guère le développement de son cabinet. Il doit se contenter d’une clientèle de petits délinquants mexicains minables, incapables de payer ses honoraires, si ce n'est en nature : une portée de chihuahuas, par exemple, ou une palette de boîtes de corned-beef !… Un jour, il entreverra l'opportunité de défendre le plus grand criminel de l’époque, mais il s’y prendra comme un manche. Un coup à finir derrière les barreaux…. Le comble pour un as du barreau !

Dans la famille, ils sont tous cintrés. Maman, une intellectuelle darwinienne, est phobique au dernier degré et pourchasse microbes, bactéries et autres amibes. Grand’Pa, presque centenaire, aphasique, est toujours à la recherche – en mobilité réduite – de sa femme, la mère de Julius, une jeune danseuse qui s’est tirée il y a quarante ans. L’autre grand-père – famille Katzenellenbogen – vient de publier Les splendeurs de l'intestin, un ouvrage scientifique à la gloire d’un organe injustement déprécié alors qu’il pourrait être la preuve ultime de la non-existence de Dieu !...

Mais le plus délirant, c’est Nathan, le fils cadet, huit ans, un QI qui frôle les 180, hypermnésique et caractériel. Il est aussi atteint du symptôme de Gilles de la Tourette, ce qui l’amène à déclencher toutes sortes de catastrophes absurdes, comme en gueulant brusquement « bandes d’enculés ! » en plein dîner de shabbat.

Des scènes loufoques. Un nez rouge de clown en carton bouilli atterrissant avec sang et morve dans la soupe à la recette immuable depuis une arrière-arrière-grand-mère Katzenellenbogen. Une dinde de Thanksgiving, peut-être casher, peut-être laïque, qui finit par disparaître en passant à travers la fenêtre. Un pique-nique familial où Julius fait venir son meilleur pote et meilleur client, un freluquet nerveux qui répond au petit nom d’Ozzie, que les enfants surnomment Lucky Rabbit, et que sa femme Marina, une russe qu’il a ramenée d’Union Soviétique, appelle tendrement Lee-Lee-Darling. Un pote qui leur réserve bien des surprises !...

Car comme dans le poème récité à l’occasion de nombreuses obsèques et qui commence par « je suis juste passé dans la pièce d'à côté… », on vient juste de passer un mort dans la pièce d’à côté de celle où Nathan est en consultation de neurologie au Parland Memorial Hospital…

Avant de commencer la lecture, j’avais vu qu’il était mentionné après la dernière ligne : « New-York, novembre 1969 ». Inconsciemment, j’en avais déduit que le livre était l’adaptation française d’une œuvre américaine déjà ancienne. Je trouvais le texte remarquablement traduit… avant de prendre conscience de mon erreur d’interprétation. L’affaire Rosenblatt est le presque premier roman d’un Français et c’est presque génial. Presque ! Un peu compliqué d’appréhender du premier coup la chronologie des événements. Pas facile de prendre note de tous les détails… et pourtant ils comptent tous. Et le narrateur aurait pu dire... bien d’autres choses, en somme…

En prenant le temps qu’il faut, c’est un moment de lecture savoureux, inattendu, par moment hilarant.

GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP

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La tresse, de Laetitia Colombani

Publié le 23 Juin 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire

La tresseJuin 2017,

Un gentil petit livre, à lire en quelques heures, pour découvrir un épisode de la vie de trois femmes d’aujourd'hui. Ce sont en fait trois histoires qui s’entrelacent comme une tresse. Ces femmes vivent à des milliers de kilomètres l’une de l’autre, chacune dans son monde. Elles n’ont absolument rien en commun. Sauf que finalement… Non, vous découvrirez en temps utile ce qui les relie, ce n’est pas moi qui vendrai la mèche !...

Laetitia Colombani déploie une écriture simple et directe, qui donne à son roman une tournure de conte. Une tonalité mélodieuse, parfois enfantine, mais sans niaiserie. Les récits sont découpés en courts chapitres consacrés tour à tour à l’une des trois femmes. Une discontinuité de bon aloi, que l’auteure croit pourtant devoir atténuer par des effets de suspens à la fin de certains chapitres ; un peu artificiel, mais somme toute en ligne avec l’allure un peu ingénue de l'ouvrage.

Le corps des récits exhibe les modes de vie de Smita, Giulia et Sarah, dans leur univers très spécifique. Il révèle leur comportement à un moment charnière de leur existence.

Le quotidien de Smita, c’est la condition épouvantable des Intouchables en Inde. Hallucinant et révoltant pour nous, occidentaux du vingt-et-unième siècle. Parviendra-t-elle à extraire sa fille de cette destinée avilissante ?

En Sicile, Giulia est soumise au ronron tranquille d’une famille d’artisans traditionnels. Ils sont brutalement rattrapés par la modernité. La disparition de son petit monde est-elle une fatalité inexorable ?

À Montréal, les journées trépidantes de Sarah, avocate brillante et ambitieuse élevant seule ses trois enfants, sont soudain percutées par un problème de santé. Quelles remises en question faut-il consentir pour retrouver l’équilibre ?

Les trois femmes doivent ainsi faire face à des difficultés devant lesquelles elles ne sont pas loin de rendre les armes. Elles relèvent la tête et décident de se battre. Elles ont raison ; lutter pour gagner, c’est déjà gagner.

La plus déterminée, celle qui ne renonce jamais, c’est la plus déshéritée. Smita saisit la moindre chance et s’y accroche avec l'énergie du désespoir. Peu importe que sa foi en des croyances d’un autre âge nous fasse sourire. A l’inverse, la plus fragile est celle dont les auspices avaient été les plus favorables. Pas étonnant. Sarah avait toujours franchi les obstacles en conquérante. Elle menace de s’effondrer dès lors que son invincibilité est contestée.

Et Giulia ? Elle est la plus réaliste des trois. Envers et contre toutes les réticences de ses proches, elle saura imposer les idées providentielles de l’homme qu’elle a choisi pour accompagner sa vie.

Car dans ces histoires de femmes, écrites par une femme et qui seront lues par une majorité de femmes, je me permets d’observer que la clé qui boucle le sens de La tresse est apportée par un homme.

Et puisque c’est mon instant de rébellion masculine, je conteste la discrimination avancée par Sarah pour qualifier l'attitude des dirigeants de son cabinet d’avocats. Ils sont pragmatiques et je trouve qu’ils font preuve de délicatesse dans l’exercice très difficile qui consiste à préserver contre son gré une collaboratrice en difficulté. Quand elle aura cessé de voir tout en noir, Sarah reconnaîtra elle-même que l’on ne peut pas mener de front tous les combats, surtout quand l’un est prioritaire.

Au final, une lecture agréable, parfois émouvante, mais pas inoubliable.

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Anna Karénine, de Léon Tolstoï

Publié le 11 Juin 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Anna KarénineJuin 2017,

Greta Garbo, Vivian Leigh, Jacqueline Bisset, Sophie Marceau, Keira Knightley… quelques actrices parmi les plus belles et les plus « bankables » de l’histoire du cinéma ! Elles ont interprété Anna Karénine dans l’une des nombreuses adaptations du roman à l’écran. C’est dire la puissance mythique du personnage de femme imaginé par Léon Tolstoï dans son ouvrage éponyme, même pour celles et ceux qui ne l’ont pas lu, ce qui était mon cas jusqu'à ces derniers jours.

Pour tout un chacun, Anna Arcadievna Karénine incarne, jusqu'à se perdre, la femme qui choisit délibérément l’amour d’un séducteur patenté, le comte Vronski, envers et contre tous usages, préjugés et obstacles...

Un coup de foudre réciproque. Une femme et un homme, disposant tous deux d’une force de séduction hors du commun, se regardent, se sourient et cèdent à l’attirance qu’ils exercent l’un sur l'autre. S’installe une relation passionnelle échappant à toute maîtrise par la raison. Vronski, célibataire, met sa carrière de côté ; pas grave pour un homme né riche, à la conscience légère. Anna, mère d‘un petit garçon, trompe ouvertement son mari Karénine, puis quitte le foyer familial pour s’installer avec son amant. Dans la société aristocratique russe de l’époque, c’est une faute dont le poids est insupportable. L’histoire d’amour devient histoire d’amour coupable, puis, dans la logique de la littérature classique, tourne à l’histoire d’amour tragique.

On connaît Phèdre et la malédiction de l’amour interdit… Dans Anna Karénine, l’aspect transgressif de sa relation pousse le couple à se replier sur soi, à s’isoler, à ne plus se nourrir à chaque instant que de l’exaltation de sa passion… Mais cela ne marche pas éternellement. Même si les sentiments restent vifs, les rituels de l’amour s’affadissent avec les années. L’ennui guette. Quand l’un cherche alors à s’en extraire, c’est la jalousie qui infiltre l’autre, un poison insidieux qui ronge l’âme jusqu'à la folie…

La jalousie ! Tolstoï en dissèque minutieusement – comme Proust quelques années plus tard – les mécanismes et les effets sur ses différents personnages. Car le roman dépasse la seule histoire du couple formé par Anna et Vronski. Structuré en épisodes comme un feuilleton ou une série se déployant sur plusieurs années, le livre, qui compte un millier de pages, trace aussi l’évolution des Oblonski et des Lévine, deux couples légitimes, sans que pour autant leur parcours soit un long fleuve tranquille. Trois femmes et trois hommes, parents pour certains, se croisent et se recroisent ainsi dans les milieux aristocratiques dont ils sont issus.

L'occasion de s'immerger dans la Russie de l’empereur Alexandre II des années 1870. La philosophie des Lumières infuse lentement dans les esprits. Les premières théories socio-économiques aussi. Tolstoï pose les débats de son temps. Faut-il s’ouvrir à la modernité occidentale ou préserver la tradition russe ? Doit-on donner la priorité au peuple ou à l’individu ?... L’agriculture, l’industrie et le commerce sont confrontés aux mutations déclenchées par le progrès technique, une problématique qui dure de nos jours. Le servage vient d’être aboli, mais les paysans n’en vivent pas moins misérablement. A Saint-Pétersbourg, la haute société vit dans un faste et un luxe inouïs, à quelques centaines de mètres des immeubles lugubres où survivent avec peine les personnages de Crime et châtiment, publié une dizaine d’années plus tôt par Dostoïevski, l’autre géant du roman russe. Pas étonnant que ces contrastes détonnants mènent, quelques décennies plus tard, à la révolution d'octobre.

A l’instar d’un Zola, Tolstoï observe attentivement les détails de la vie quotidienne, en ville, dans les campagnes, dans les différents milieux sociaux. Mais ce qui est essentiel et passionnant dans Les Rougon-Macquart n’est qu’accessoire et parfois fastidieux dans Anna Karénine. La cérémonie religieuse du mariage de Lévine, par exemple, est très longuement développée ; la lecture donne l’impression d’y assister en temps réel : les mariés sont en retard, les invités bavardent… Aussi ennuyeux qu’en vrai !... Même chose pour l’agonie interminable du frère de Lévine, dont la narration est oppressante.

Lévine par ci, Lévine par là ! Et si c’était lui le personnage principal du roman ? Un idéaliste en amour, un visionnaire social utopiste, un homme qui croit au progrès et aussi en Dieu ; un homme qui s’exprime sur tous les sujets abordés dans ce roman aux multiples facettes. Un personnage créé par Tolstoï à son image : un aristocrate qui se voudrait un homme du peuple, mais qui reste désespérément un aristocrate.

GLOBALEMENT SIMPLE ooo  J’AI AIME

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Crime et châtiment, de Fedor Dostoïevski

Publié le 30 Mai 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire

Résultat de recherche d'images pour "crime et chatiment actes sud"Mai 2017,

Un long et intense moment de lecture, qui m’aura frappé tour à tour au cerveau, au cœur, aux tripes. Crime et châtiment est un ouvrage exigeant, roboratif, éprouvant, dont j’ai terminé la lecture à bout de souffle, mais tellement fasciné que je m’y replongerais volontiers à l'instant.

Rien à voir avec les vagues souvenirs que je gardais d’une première lecture trop rapide, il y a trente ou quarante ans, probablement agacé par la lenteur des développements, perdu dans les patronymes et la psychologie des personnages, perturbé de surcroît par le style inapproprié d’une ancienne traduction. Car encore faut-il choisir la bonne traduction. (Voir mon article à ce sujet, sur le blog, rubrique « Et moi, et moi... émoi ! »).

Ecrit il y a un siècle et demi, Crime et châtiment est en fait de la littérature policière tout ce qu’il y a de plus moderne, un roman noir à suspense, du genre de ceux où l’on connaît l’assassin dès le début, mais où l’on ne sait pas quand et comment sa culpabilité sera finalement établie. En l'occurrence, l'attitude de Raskolnikov, l'assassin, est exaspérante, mais l’on est submergé par son angoisse d'être confondu, par sa détresse devant les doutes de ses proches – et ce n’est que le début de son châtiment ! –. L’affaire traine en longueur, la police tâtonne sur de fausses pistes, mais progresse lentement, inexorablement. Je ne serai pas le premier à évoquer l’analogie avec une série télévisée policière archi-célèbre. Laquelle ? Observez le juge d’instruction tournicoter mine de rien, en ami, autour de Raskolnikov en l’enserrant insensiblement dans son filet. On croirait presque entendre certain lieutenant : « Veuillez m'excuser, M’sieur, encore une p’tite question et je vous laisse… »

Dostoïevski n’a jamais vu Columbo à la télé, mais il admirait Shakespeare et Schiller. Crime et châtiment est conçu comme le scénario détaillé d’une immense pièce de théâtre, d’une tragédie géante dont un narrateur décrirait les décors, façonnerait l'âme des personnages pour modeler leurs pensées, et assisterait clandestinement à leurs rencontres pour en rapporter les dialogues, comme en voix off.

L’ouvrage se présente aussi comme une vaste fresque sociale dans le Saint-Petersbourg de l'époque. L’action se situe en plein été, dans un quartier miséreux. Chaleur, saleté, puanteur, poussière, l’air est irrespirable. On titube et l’on s'invective dans les rues, au sortir de cabarets où l’on s’est enivré jusqu'au dernier kopeck. Des cages d’escalier sinistres desservent des taudis crasseux à peine meublés, loués par ce qu’on appellerait aujourd'hui des marchands de sommeil. Là s’entassent des familles loqueteuses : des hommes ayant éclusé dans l’alcool toute la honte de leurs échecs, des femmes au bout du rouleau criant après leur marmaille, des jeunes filles qui se prostituent, des gamins qui mendient… enfin, ceux qui ne sont pas malades !... Une petite élite émerge : ils sont ou ont été étudiants, fonctionnaires, commerçants, militaires. Ils tentent de tisser un semblant de solidarité, même s’il faut se méfier des profiteurs et des débauchés.

Dans les grandes tragédies, les intrigues secondaires sont souvent captivantes. Dans Crime et châtiment, elles percutent notre sensibilité. Compassion pour les malheurs sans fin de la famille Marmeladov. Émotion pendant les échanges empreints de non-dits entre Raskolnikov et ses proches, sa mère, sa sœur Dounia, son ami Razoumikhine. Indignation et dégoût lors des offensives tentées sur la très belle Dounia, par des types pas nets comme Loujine et Svidrigaïlov.

Venons-en à l’événement majeur du roman, le crime, et à son auteur, Raskolnikov. Le personnage inspire des sentiments contrastés. C’est un jeune homme en perdition, qui peut susciter de l’indulgence, de la bienveillance, mais les motifs qu’il confesse pour son geste sont insupportables.

Parce qu’il s’imagine d’une essence supérieure, parce qu’il lui faut trois mille roubles pour sortir du dénuement et terminer ses études, Raskolnikov, vingt-deux ans, ne trouve ni anormal ni immoral de trucider à la hache une vieille usurière – un être ignoble et inférieur, un « pou », prétend-il – pour la dévaliser. Un avis dont il ne se départira pas, même quand il se sentira contraint d’aller se livrer, même encore lorsque il purgera sa peine au bagne. Finalement, dans les toutes dernières pages du récit, Sonia, la petite prostituée qui, pour ne pas l'abandonner, l’aura suivi jusque là-bas, en Sibérie, obtiendra la reconnaissance de sa faute et son repentir. Une double rédemption, par la foi et par l'amour, afin de pouvoir ouvrir les yeux sur un avenir d’espérance.

Mais ne faut-il pas chercher plus en profondeur la motivation réelle du crime ? Alors que sa mère et sa sœur le portent aux nues et se sacrifient pour ses études, Raskolnikov a tout lâché. Il passe ses journées allongé sur son lit à ne rien faire, si ce n’est à ressasser des frustrations délirantes. Ne pouvant assumer cette forme de trahison à l’égard des personnes qui lui sont le plus cher, il se laisse dériver dans une spirale de déchéance devenue irréversible. Lui apparaît sa médiocrité, aux antipodes de l'être supérieur qu’il aurait voulu être. C’est intolérable et cela le conduit à commettre l'irréparable, à franchir le point de non-retour vers une damnation totale et définitive, que ses proches pourront toujours expliquer par un coup de folie.

L'élimination d’un être vil et malfaisant aurait été ainsi le seul et unique acte d'homme supérieur de Raskolnikov. L’acte et la pensée qui le sous-tend restent ignobles, mais en nous plaçant dans le contexte d'aujourd'hui, notons que son crime le distingue du terroriste qui, dans le même état d’esprit, aura cherché à commettre un attentat massif et aveugle.

TRES DIFFICILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Les dieux du tango, de Carolina de Robertis

Publié le 18 Mai 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Les dieux du tangoMai 2017,

Les dieux du tango ne sont pas avec moi !

Je ne les ai pas rencontrés tout au long – très long ! – de ce livre, que je n’aurais pas lu jusqu'au bout si l'éditeur ne l’avait soumis à ma critique, par l'intermédiaire du réseau Babelio.

Je risque désormais leur courroux, en écrivant cette chronique comme je m’y étais engagé, alors qu’il eût peut-être été préférable de me taire.

Quelle est la trame du roman ? Leda est une toute jeune Italienne, débarquée seule et sans ressources à Buenos Aires. Son unique patrimoine est un violon dont elle sait à peine jouer. Munie de ce violon, Leda parviendra à survivre, puis à vivre, en inscrivant son parcours dans celui du tango pendant les premières décennies du vingtième siècle. Un tango au début confiné dans les bastringues et les bordels des bas-fonds, où prostituées et travailleurs misérables s’enivrent de sa chorégraphie lascive ; un tango qui finira par acquérir ses titres de respectabilité et trouver sa place dans les cabarets fréquentés par la meilleure société de Buenos Aires… Lascivité pour tous !

Un parcours semé d'embûches pour Leda, les femmes musiciennes n’étant pas à l'époque tolérées en Amérique Latine, où les esprits étaient resté désespérément machistes. Leda devra se faire passer pour un homme et ne jamais se dévoiler à quiconque…

Cadré comme cela, tout aurait pu aller bien… Mais voilà ! Des longueurs, des redondances, des digressions sans intérêt ! Carolina de Robertis sait incontestablement manier la plume. Sur un détail de rien du tout, elle vous noircit facilement cinq feuillets. Au total, un récit de cinq cent quarante pages et une forme de verbiage qui ralentit la lecture, la rendant ennuyeuse… Pour moi, en tout cas !

Des invraisemblances, aussi. Peut on croire, par exemple, que Leda apprenne à jouer du violon toute seule, dans le silence, en mimant les gestes ?... Après tout, pourquoi pas ! Enfant, j’avais bien appris à nager le crawl en répétant les mouvements sur mon lit…

Je n’ai pas été sensible aux velléités lyriques de l’auteure, à ses manières d’envolées emphatiques parfois proches du ridicule, comme ce titre de chapitre intitulé « une gorgée de la rivière de l’oubli » ou ce propos sur la chaleur de l’été, quand « l’air devint aussi épais qu’un grog brûlant dont une simple bouffée suffisait à rendre saoul ».

Toute à ses recherches de style, Carolina de Robertis ne m’a pas donné le sentiment d’une véritable passion pour la musique en général et le tango en particulier. Tiens ! Tango et blues ont des racines communes, apprend-on ! « Les mots ne sont jamais les mêmes, pour exprimer ce qu’est le blues », chante Johnny, exsudant sa passion. Ne pas le prendre au pied de la lettre. Peu de mots, en fait. Des mots simples. C’est suffisant.

A l'évidence, l'auteure n’a pas écrit ce roman pour un lecteur de mon genre. Comment aurais-je pu me sentir concerné par les acrobaties intimes accomplies chaque jour par Leda pour dissimuler sa féminité ?... Prisonnière à perpétuité de son apparence masculine, Leda se découvre une attirance sexuelle pour les femmes. Elle s’avérera une amante experte, emportant ses partenaires dans des tourbillons de jouissances semble-t-il inouïes (!), sans que ces femmes ne doutent de sa masculinité. L’une d’elles l’accusera même d’être le père de son enfant !... Si ! c’est dans le livre !... Si vous voulez en savoir plus, lisez-le. Mais je vous préviens, ce ne sont que des scènes de cul très soft, aussi érotiques qu’un documentaire sur la reproduction des huîtres. Des récits où le plaisir est idéalisé et sublimé, juste crédibles pour celles et ceux qui préfèrent que l’amour physique reste un rêve…

Je terminerai par un compliment pour un très bel effet littéraire. Je suis revenu à plusieurs reprises sur la première page, incompréhensible à la lecture des événements racontés par la suite. La lumière ne surgit qu’après les toutes dernières pages. Magnifique !... Combien s’en rendront compte ?

GLOBALEMENT SIMPLE o J’AI AIME… PAS DU TOUT

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Price (Rencontre d'été), de Steve Tesich

Publié le 13 Mai 2017 par Alain Schmoll dans Littérature

Price (ou) Rencontre d'été Mai 2017

Quel étrange roman !... La lecture de Price est captivante, je dirais même ensorcelante, malgré le sentiment de malaise qui s’en dégage… Ou peut-être est-ce en raison de ce sentiment de malaise...

East Chicago est une petite ville industrielle à une heure du centre de Chicago. Des aciéries et des raffineries font vivre une population modeste et laborieuse. Daniel Price, dix-huit ans, termine ses études secondaires. Il ne sait pas encore que faire de sa vie. Pas d’inquiétude. En 1961, année où Steve Tesich situe les événements de son roman, l’activité économique est en plein développement. Les jeunes ne sont pas angoissés par la recherche de leur premier emploi. L’époque ne les exempte toutefois pas de tous tracas ; la libération sexuelle est encore à venir. Ce qui agite les pensées des garçons comme Daniel, ce sont les filles. Et la possibilité ou pas de coucher avec...

Une fille, justement, Daniel en rencontre une. Elle s’appelle Rachel. Belle, sûre de son charme, elle va tournebouler la tête de Daniel. Leurs dialogues sont pétillants, délicieux, surprenants. Lui s’accroche, parfois drôle, souvent pathétique. Elle papillonne, taquine, imprévisible. Séduite, certes ; mais dans quelle mesure ? Le hasard peut-il prendre la forme d’un destin ? Daniel veut s’en persuader.

Rachel est une jeune fille étrange. Elle habite avec son père, explique-t-elle, David, un homme entre deux âges, photographe ; un personnage étrange lui aussi…

J’ai dit étrange ? Comme c’est étrange !

Daniel vit chez ses parents. Il entretient une relation compliquée avec son père, un homme médiocre, meurtri, que des frustrations ont rendu agressif, méchant. Père et fils s’aiment-ils, se haïssent-ils ? Et pourquoi cette tension pesante entre père et mère ? Une atmosphère confinée dont Daniel voudrait s’échapper… Mais voilà qu’on découvre à son père un cancer inexorable. Il réclame présence, assistance, compassion ; jusqu’à la fin. Pénibles pour Daniel, tous ces moments à rêver à Rachel, à la désirer, loin d’elle ! Conscience filiale et conquête féminine ne font pas bon ménage.

Daniel en vient à s’embrouiller dans ses rapports avec Rachel. Narrateur du récit et de ses péripéties, il en perçoit les zones d’ombre et les malentendus, mais il ne les comprend pas. Il les interprète à sa façon, imaginant des explications sous forme de scénarios à son avantage ; il adopte alors des attitudes maladroites, qui tombent à plat et ne font qu’accentuer le malaise. Un malaise qui nous envahit à notre tour, nous lecteurs. Car peu à peu, nous subodorons la réalité cruelle des choses, laquelle continue à échapper au jeune homme, naïf et novice.

Plus la vérité prend forme, plus Daniel se réfugie dans l’écriture mentale de ses scénarios, très détaillés et néanmoins erratiques. Il les rabâche dans des soliloques tourmentés et obsessionnels, excluant toute possibilité de lucidité.

Un procédé littéraire que l'auteur a aussi utilisé dans son autre roman, Karoo, un chef d'œuvre, où l’on voit le héros se lancer dans une logorrhée enfiévrée et interminable pour tenter de conjurer la révélation d’une catastrophe annoncée. Prématurément disparu, Steve Tesich maîtrisait avec talent la gradation dramatique de ses fictions. Dans Price, il s’était inspiré de son adolescence dans cette même ville d’East Chicago.

Le parcours de Daniel trouve un écho dans la mémoire intime d’hommes de ma génération. Pour paraphraser Swann, n’avons-nous jamais eu l’impression d’avoir gâché nos dix-huit ans pour des filles qui, finalement, n’étaient pas notre genre ? Des rencontres d’été. Des amourettes enfouies dans le tréfonds de lointains souvenirs.

Attention ! Certaines aventures peuvent détruire un adolescent. « L’amour peut être un poison. Et ça peut être aussi un antidote », dit-on à Daniel. Ce qui importe, c’est de toujours faire la différence entre les deux. Quand ce n’est pas le cas, cela peut conduire un jeune garçon au pire : désespoir, suicide, meurtre. A l’inverse, cela peut le construire et l'aider à entrer de plain-pied dans sa vie d’adulte.

Dix-huit ans, c’est l'âge du questionnement, de la rébellion, du choix d’un chemin. Au lycée, Daniel avait deux amis proches. L’un reproduira un médiocre modèle familial, allant jusqu'à porter les vêtements de son père décédé. L’autre partira en vrille... gravement, très gravement… Et Daniel ? Peut-être choisira-t-il de tout mettre par écrit et de s’en aller par le monde.

DIFFICILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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L'île des chasseurs d'oiseaux, de Peter May

Publié le 1 Mai 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

L'Ile des chasseurs d'oiseauxMai 2017

L’île des chasseurs d’oiseaux s’ouvre sur la découverte d’un meurtre. C’est un roman policier, un très bon roman policier qu’à première apparence on imagine de facture classique.

Mais cet ouvrage de Peter May, écrivain né en Ecosse et naturalisé français, est bien plus que cela.

En mettant un instant entre parenthèses le meurtre et ses caractéristiques glauques, ce qui captive l’attention, c’est le territoire insolite sur lequel il a été commis et sa population de personnages singuliers. C’est un régal de les découvrir et de les observer tout au long du roman.

L'île de Lewis présente un panorama de bout du monde. Au large de l’Ecosse, dans l’Atlantique Nord, elle est effectivement au bout du monde. Au bout d’un monde.

Une nature austère, un climat ingrat. Un vent froid et humide balayant sans trêve des paysages maussades de landes et de tourbières détrempées. Pas d’arbre. Des plages de sable doré, désertes, bordées de falaises rocheuses sombres. Plus loin, des lignes d’écume blanche agitent une mer couleur d’étain. En face, les silhouettes vertes et bleues de montagnes ondoient dans la brume. Le long de routes étroites et sinueuses, des ruines d’anciennes maisons de pierres sèches, noircies par le chauffage au feu de tourbe, offrent à l'œil des perspectives pittoresques. La beauté étrange des paysages est soulignée par des rubans de nuages gris et mauves s’effilochant dans un ciel en mouvement, où perce par instant un soleil pâle, éphémère. Pas un jour sans pluie.

Les personnages principaux sont des natifs de l'île. La plupart n’en ont jamais bougé. A l’image de leur terre, il sont hors du temps. De bons vivants, attachés à leur histoire, à leurs traditions, à leur langue gaélique, à leurs secrets. Une fois par an, ils se régalent de la chair du guga… Le guga !? C’est ainsi, en gaélique, que l’on nomme le poussin du Fou de Bassan. Ce grand oiseau de mer rejoint tous les ans ses congénères pour la ponte, sur le rocher d’An Sgeir, en surplomb de l’océan, très loin dans l’Atlantique au nord de Lewis. Un endroit escarpé et glissant où l’on chasse à main nue… Une expédition dangereuse, d’où certains jeunes initiés risquent de ne pas revenir indemnes. Que peut-il bien s’y passer, parfois ?... Le silence des hommes est aussi assourdissant que le cri des oiseaux. On entend à peine les militants écolos protester contre une pratique qu’ils jugent barbare.

Revenons au crime… à supposer qu’on s’en fût éloigné ! Sa mise en scène vaguement rituelle évoque un crime similaire survenu quelques semaines plus tôt à Edimbourg. Peut-être donc le geste d’un serial killer. On envoie sur place l’inspecteur Fin McLeod, habituellement en poste à Edimbourg. Il est particulièrement bien placé pour enquêter, car il est né sur l'île et y a passé sa jeunesse.

Ils sont tous là, ceux de l'époque, amis et moins amis. Même le mort est l’un d’eux. Après dix-huit ans d'absence, Fin est plongé dans un environnement dont il s’était échappé à la suite d’événements troubles et tragiques qui l’avaient mis mal à l’aise, sans pour autant qu’il en eût alors saisi toute la gravité, ni les implications psychologiques qui allaient cheminer dans l’esprit des uns et des autres.

Sous nos yeux de lecteur, Fin va revivre son enfance, morceaux choisis de bonheur et de malheur. Il va aussi redécouvrir ses émois d'adolescent, se mettre au clair avec les fantômes de son passé, prendre conscience des sentiments de certain(e)s à son égard et découvrir sa part de culpabilité... Le temps perdu peut-il se rattraper ?

Le roman alterne les chapitres consacrés à l’enquête, en narration classique, et ceux dans lesquels c’est Fin lui-même qui raconte son passé, laissant sourdre une émotion qu’il nous fait partager.

J’ai souvent dit qu’un bon livre est un livre qu’on a pas envie de terminer. Dans L’île des chasseurs d’oiseau, on n’est pas pressé de connaître l'assassin, on parcourt agréablement l’île de bout en bout, on écoute – si je puis dire ! – les uns et les autres ; sur le chemin qui mène à la vérité, on prend le temps qu’il faut pour découvrir pièce par pièce les secrets de jeunesse de Fin, Artair et Marsaili.

Finalement, où que l’on soit sur notre terre, ce sont les mêmes choses qui font le malheur ou le bonheur des enfants et les façonnent pour le reste de leur vie.

GLOBALEMENT SIMPLE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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