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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

romans

Les choses humaines, de Karine Tuil - Prix Interallié et prix Goncourt des lycéens 2019

Publié le 25 Septembre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Septembre 2019, 

Karine Tuil trouve son inspiration dans des sujets d’actualité qui interpellent, qui font débat, qui divisent. Elle sait en tirer des fictions percutantes, articulées autour d’évènements dramatiques impliquant des personnages aussi vrais que nature, qui ne peuvent laisser personne indifférent. J’avais beaucoup aimé son précédent roman, L’insouciance. Son dernier livre, Les choses humaines, est en piste pour les grands prix littéraires, ce qu’à mon avis, il mérite… et ce qui ne manque pas de susciter quelques grincements de dents germanopratins.

 

Principaux protagonistes de l’intrigue centrale du roman : Jean Farel, soixante-dix ans, un journaliste politique, vedette des médias depuis des lustres et qui tient à le rester ; Claire, sa femme – ou plus précisément sa future ex-femme, car ils divorcent –, beaucoup plus jeune, une essayiste féministe reconnue ; Alexandre, leur fils, vingt-et-un ans, un étudiant brillantissime, mais tourmenté ; Adam, pour qui Claire a quitté Jean, un quadragénaire issu d’un milieu juif orthodoxe et qui enseigne en banlieue ; Mila, dix-huit ans, fille d’Adam, une jeune femme effacée mal dans sa peau.

 

Dans une première partie, l’auteure dresse le portrait des personnages ; des portraits en mouvement, où l’on découvre l’évolution des projets, des rapports aux autres, des anxiétés. Leur statut privilégié et leur approche gourmande du lendemain valent aux trois Farel, Jean, Claire et Alexandre, d’occuper presque toute la place. Les obstacles qui les guettent et qu’ils ont bien l’intention de franchir sont à la mesure de leurs ambitions, de leur souci de « performance ». Leur tension est palpable et je l’ai fortement ressentie, presque comme pour moi-même. Car Karine Tuil, qui s’est voulue en narratrice qui ne juge pas, fait preuve d’une empathie communicative.

 

La tension se charge de violence dans la seconde partie, jusqu’à l’annonce d’une mise en garde à vue pour viol. On sent alors que tout va exploser. La configuration de la narration change. Les dialogues prennent une place prédominante. Perquisition, convocations, interrogatoires, confrontations. A ce jeu, les policiers sont les plus forts. Ils imposent un rythme étouffant, ils fouillent les âmes et les mémoires jusqu’au tréfonds de l’intime. Malgré les tentations de déni, qui peut résister ?

 

Troisième partie, cour d’assises. Dans une atmosphère surchauffée par les controverses #MeToo et #BalanceTonPorc, feu nourri de questions énoncées de façon banale, sereine, presque routinière ; des questions pourtant incisives, intrusives, cruelles. Quand la présidente se tait, les avocats prennent le relais et c’est encore pire. Devant eux, accusé, victime et témoins ne sont plus que des êtres humains mis à nus, contraints d’exhiber leurs chairs et de renoncer à toute pudeur. Violence de la recherche de la vérité. Et dans violence, le mot viol.

 

Les plaidoiries sont de tels morceaux d’anthologie que l’on pourrait croire à l’insertion de textes rapportés. Très longues et argumentées, aussi irréfutables les unes que les autres, elles témoignent de la rigueur intellectuelle de l’auteure. Elles n’expriment que des choses justes, des vérités, même si pour chaque partie, ces vérités sont antinomiques et inconciliables.

 

L’accusé d’un viol peut-il toujours bénéficier du doute, comme le prévoit le droit pénal ? Que valent les convictions d’une intellectuelle d’opinion, quand entre en jeu l’avenir de l’être qui lui est le plus cher ? Le stress paranoïaque d’une star des médias en fin de carrière lui ôte-t-il toute humanité ?

 

Comme tout est complexe ! C’est le lot des choses humaines. Karine Tuil évite de prendre parti. En tant que femme, elle se déclare solidaire de la jeune femme victime, dont la vie est détruite. En tant que romancière, elle se place sous l’angle de la famille du jeune homme, dont la vie est aussi détruite.

 

Et moi, et vous, sommes-nous en mesure de juger ? Le livre évoque bien d’autres sujets d’actualité. Les personnages sont justement stéréotypés, car l’objectif de la fiction est de montrer comment ils réagissent à un événement qui fracasse leur vie. Le livre est absolument passionnant, je ne l’ai pas lâché jusqu’à la dernière page. Et je suis encore remué.

 

FACILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Le schmock, de Franz-Olivier Giesbert

Publié le 13 Septembre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Septembre 2019, 

Franz-Olivier Giesbert, communément dénommé FOG, est une star incontestable des médias écrits et audiovisuels. Il a un avis sur tous les sujets et n’hésite pas à le donner, dans un style d’expression très particulier, conjuguant gouaille provocatrice, humour au second degré et admiration pour soi-même. Sa production littéraire, très diversifiée, ne m’avait jamais tenté, mais le succès qu’il rencontre avec Le schmock a suscité ma curiosité.

 

Qu’est-ce qu’un schmock ? En yiddish, c’est à la fois un idiot et un salaud. Ou encore un pénis, et par extension, un type qui ressemble à un pénis. Un pénis mollasson, mais coupable parfois d’intromissions sournoises. Pour FOG, la personnalité d’Adolf Hitler en fait le prototype même du schmock.

 

Avant FOG, beaucoup avaient cherché à comprendre comment le peuple allemand, aux structures fondées sur de solides traditions éducatives, philosophiques, scientifiques et artistiques, avait pu se laisser embarquer dans le double objectif nazi, aussi stupide que criminel : éradiquer la population juive de la surface de la Terre, et conquérir militairement l’Europe pour donner de l’espace vital à la nation allemande.

 

C’est par le biais d’un roman historique que FOG présente sa vision des choses. L’ouvrage s’articule autour du parcours de deux familles fictives de la grande bourgeoisie allemande éclairée, les Gottsahl et les Weinberger, ces derniers ayant des antécédents juifs. Les membres de ces familles vivent au contact de personnages ayant réellement existé, parmi lesquels un certain Adolf Hitler.

 

1914, front allemand dans le Nord de la France. Karl Gottsahl, un officier d’une quarantaine d’années, prend en sympathie un soldat de quinze ans son cadet, un pauvre type solitaire et paumé, peintre dans le civil, du nom d’Adolf Hitler. Ils se lient d’amitié et leur amitié durera trente ans. Hitler restera toujours fidèle à Karl, le camarade de jeunesse, l’aîné brillant qui lui a tendu la main. Gottsahl verra longtemps en Hitler un loser, un activiste sans avenir, un tribun de brasserie, un idéologue de pacotille parmi d’autres. Un pauvre type, quoi ! Un schmock, pour lequel il continuera à éprouver une sorte d’affection indulgente mêlée de mépris. Il ne croira jamais à sa réussite. Lorsque Hitler sera appelé à la Chancellerie, il ne croira pas plus à la capacité des nazis de mettre en œuvre son programme absurde. Plus tard, chaque fois qu’il rencontrera le Führer, il sera frappé par sa confusion mentale, par ses abattements dépressifs alternant avec des impulsions désordonnées. Un schmock, on vous dit !

 

A l’incrédulité des Gottsahl de tous crins, s’ajouteront la peur de représailles et le souci de préserver quelques intérêts. Voilà, selon l’auteur, ce qui explique la passivité de la majeure partie de la population, ce qu’on a l’habitude d’appeler aujourd’hui la majorité silencieuse. La base idéologique du nazisme a pris racine dans la frustration haineuse des classes allemandes les plus fragilisées par l’humiliation de la défaite de 1918 et les terribles difficultés économiques qui ont suivi… Ne pas prendre à la légère les frustrations haineuses des minorités !

 

Dans Le Schmock, la fiction romanesque proprement dite n’a pas vraiment d’intérêt. Les tribulations familiales et sentimentales des Gottsahl et des Weinberger ne sont ni crédibles ni passionnantes. En mettant en scène ce casting de personnages fictifs et historiques, FOG a le mérite de donner un éclairage pragmatique sur la période, pointant la dangerosité d’idéologies semblant débiles au premier abord. FOG n’oublie pas non plus de rappeler que les crimes antisémites ne datent pas de l’Allemagne nazie et qu’elles étaient monnaie courante en Europe orientale, où les pogroms faisaient partie des traditions récréatives.

 

La personnalité de FOG transparaît tout au long de l’ouvrage. L’auteur ne résiste pas à la possibilité de placer un bon mot ou d’émettre un avis esbroufant. Mais ce qui marche bien dans un talk-show à la télé, trouve difficilement sa place dans un roman. On s’en doutait un peu. Le schmock n’en reste pas moins une lecture très intéressante.

 

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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La vie secrète des écrivains, de Guillaume Musso

Publié le 13 Septembre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Septembre 2019, 

Qu’est-ce qu’il lui a pris, vous demandez-vous à mon propos, de se lancer dans La vie secrète des écrivains, le dernier ouvrage de Guillaume Musso ? Il est vrai que, sans n'avoir jamais rien lu de lui, je nourrissais un préjugé littéraire négatif à l’encontre de ce romancier, que je considérais, disons-le clairement, comme un marchand de soupe. Une soupe qui avait le mérite de faire sa fortune… Mais foin des idées préconçues ! Il faut bien, un jour ou l’autre, se faire son opinion sur pièces.

 

Le titre du livre se prêtait particulièrement à ma curiosité de néo-romancier. Quel en est le sujet ? Au centre de l’intrigue, Nathan Fawles, un écrivain dont les livres avaient connu en leur temps un succès fulgurant ; pour une raison inconnue, il a cessé d’écrire et d’apparaître en public depuis vingt ans. Les secrets de sa vie fascinent ses lecteurs, un peu comme ce fut le cas de J.D. Salinger dans les années soixante, après la publication de son œuvre culte, L’Attrape-Cœur.

 

En fait, La vie secrète des écrivains est un polar noir, un thriller, où les révélations fracassantes et les éclaboussures d’hémoglobine ne manquent pas. L’intrigue est plutôt bien montée, si ce n’est que le hasard fait un peu trop bien les choses, en faisant de personnages présents sur l’île méditerranéenne où Nathan Fawles vit en reclus, les acteurs ou les témoins d’un meurtre épouvantable commis à Paris vingt ans plus tôt ; un crime qui pourrait avoir impliqué l’écrivain-star… Mais peut-être justement n’est-ce pas le hasard !

 

Sur les trois premiers quarts de l’ouvrage, c’est Raphaël, un jeune écrivain en herbe fasciné par Nathan Fawles, qui mène l’enquête en candide et assure l’essentiel de la narration, ponctuée d’insertions de fakes d’articles de presse ou d’avis administratifs. Quelques chapitres s’intercalent en narration classique, apportant des éclairages complémentaires. Une construction littéraire efficace, qui maintient très habilement le lecteur en haleine, tandis que les principales pièces de l’intrigue se mettent en place.

 

C’est ensuite que ça se gâte. Raphaël fait les frais d’un conseil littéraire cynique du romancier américain John Irving, que Musso suit à la lettre après l’avoir cité en tête de chapitre. Sans Raphaël pour raconter la fin, le niveau baisse. C’est pourtant le moment où tout se dénoue, où l’« incroyable vérité » se dévoile. La scène se joue dans la superbe maison de Nathan Fawles, dans un face-à-face entre l’écrivain et Mathilde, une jeune femme sexy venue lui demander des comptes. L’un et l’autre se révèlent mutuellement ce qu’ils savent, d’une façon qui ôte toute crédibilité à la scène : une série de monologues sans âme pour Mathilde, un texte de vingt pages, soi-disant tapé en une demi-heure sous la contrainte, pour Fawles. Il y avait certainement plus subtil à trouver !

 

Peut-être les lecteurs de Guillaume Musso ont-ils tellement hâte de connaître les réponses aux énigmes, qu’ils n’ont que faire de la forme sous laquelle l’auteur les leur révèle. Pour ma part, je le regrette, car pour le reste, le livre est plutôt bien écrit, en phrases courtes à la tonalité pertinente et crédible, qui donnent du rythme à la lecture. Juste une chose que je ne comprends pas : pourquoi, lorsqu’il fait parler Nathan Fawles, Musso lui fait-il proférer des jurons et des expressions vulgaires ?

 

Le livre est agrémenté de références culturelles, de citations de grands auteurs. Est-ce pour Guillaume Musso une façon de s’étalonner ? Une intuition qui pourrait être confortée par les nombreux conseils littéraires du genre masterclass glissés dans la bouche de Nathan Fawles.

 

Globalement, un livre qui se lit facilement et agréablement.

 

FACILE     ooo   J’AI AIME

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L'amour est aveugle, de William Boyd

Publié le 1 Septembre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Septembre 2019 

Écrivain à la réputation bien établie, William Boyd est avant tout un conteur talentueux. Cela fait plusieurs décennies que ses livres se succèdent et qu’il trouve à chaque fois une histoire qui ne ressemble pas aux précédentes. Dans L’amour est aveugle, il embarque lectrices et lecteurs aux quatre coins de l’Europe, dans l’univers de la musique aux confins du dix-neuvième et du vingtième siècle.

 

Le personnage principal, Brody Moncur, est un jeune Écossais. Doté d’une mauvaise vue, mais doué en revanche de l’oreille absolue, Brodie est accordeur de pianos, un accordeur de piano à la sensibilité tactile digitale aussi subtile que son audition. Il est capable de rendre les touches d’un piano « légères comme des plumes, des bulles de savon, des flocons de neige… ». En mission à Paris pour le compte d’un grand facteur de pianos écossais, il se rend ainsi indispensable auprès d’un grand pianiste irlandais sur le retour, John Kilbarron, qui souffre des doigts d’une main. A chaque prestation, Brodie aura réglé tellement finement le piano qu’il lui a vendu, que le maestro pourra reprendre avec succès sa carrière de concertiste international.

 

Les deux hommes partiront ensemble à Saint-Petersbourg pour une tournée ambitieuse, à la demande d’une richissime mécène russe. Mais leurs relations auront des hauts et des bas, avec, au fil du temps, plus de bas que de hauts. Entre le dévoué Brodie Moncur et l’orgueilleux John Kilbarron, se dressera le frère du pianiste, un homme d’affaires retors aux manigances imprévisibles. Et entre eux deux, il y aura aussi Lika...

 

Lika, une cantatrice sans avenir, mais une femme fatale ! Brodie tombe raide dingue dans la minute où il la voit. Et Brodie est ainsi fait qu’il restera toujours l’homme d’une seule femme. Est-elle, de son côté, la femme d’un seul homme ? Non, on le sait depuis le début. Alors la question doit être reformulée différemment : de combien d’hommes Lika est-elle la femme ? Le pauvre Brodie n’est pas au bout de ses (mauvaises) surprises.

 

Au deux-tiers du livre, se produit un événement totalement inattendu, surprenant : un duel anachronique qui se termine tragiquement. Plus rien ne sera désormais comme avant. Brodie devient un homme traqué, un fugitif. La suite de l’ouvrage est consacré à ses pérégrinations dans toute l’Europe pour échapper à ses poursuivants présumés : Biarritz, Édimbourg, Paris, Nice, Saint-Pétersbourg, Vienne, Trieste... Une diversité de lieux qui n’empêche pas la répétitivité des situations.

 

Finalement, c’est dans les îles Andaman, au large des côtes de l’Inde, que Brodie cherchera à se faire oublier définitivement. Il y deviendra l’assistant d’une ethnologue américaine, célibataire endurcie, passionnée par la sexualité des aborigènes…

 

Il est temps d’évoquer un détail triste, que j’ai passé sous silence et qui a son importance : Brodie est phtisique, tuberculeux dirait-on de nos jours. Cette maladie, hélas fatale, était courante à l’époque. Dans une fiction, un personnage principal atteint de phtisie présente l’avantage de pouvoir mettre une fin à l’ouvrage en mourant, quand bon semble à l’auteur. Car il faut bien que les histoires – même les meilleures – aient une fin… Et la possibilité d’arracher une larme à leurs lectrices et leurs lecteurs.

 

Boyd est bavard et observateur. Rien dans l’univers de son personnage principal n’échappe à son œil et à sa plume. Le lecteur est ainsi invité dans la famille de Brodie, ce qui n’apporte rien à l’intrigue, pas plus que les personnages rencontrés par Brodie au hasard de ses voyages. Cela donne par moment à la lecture un sentiment de longueur.

 

Mais globalement, sans être le chef d’œuvre de William Boyd, L’amour est aveugle se laisse lire agréablement ; quelques passages sont prenants ou surprenants. Le personnage de Brodie Moncur est attachant. L’auteur, bien documenté comme à chacune de ses publications, reconstitue parfaitement l’atmosphère des grandes villes européennes de l’époque, ainsi que l’actualité musicale qui s’y déploie.

 

FACILE     ooo   J’AI AIME

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Salina, de Laurent Gaudé

Publié le 1 Septembre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Septembre 2019, 

Romancier gratifié à plusieurs reprises de prix littéraires prestigieux, Laurent Gaudé est aussi dramaturge, poète et, de surcroît, moraliste. Il faut en avoir conscience avant de s’embarquer dans la lecture de Salina, car l’auteur a un style bien à lui, symbolique, emphatique, déclamatoire. Si l’on n’est pas préparé, l’on peut être dérouté, voire agacé.

 

L’histoire qu’il raconte se passe en un temps ancien, peut-être même très ancien, sans autre précision. Peu importe, retenons qu’il s’agit d’un temps où réalité, légendes et mythes se confondent. Le lieu où elle se déroule pourrait évoquer le Sahel, du côté du Sahara ; parfois on a plutôt l’impression d’être à proximité de l’Afrique subsaharienne, parfois encore d’être non loin de la Corne de l’Afrique… Peu importe, retenons qu’il s’agit d’une région symbolique de déserts de sable et de pierres, à courte distance de zones habitées plus hospitalières.

 

En dépit de ses indices africains, le livre est écrit comme une épopée de la mythologie grecque, à la gloire d’une héroïne tragique. Bannie dès sa naissance, Salina est recueillie et élevée non sans réticence dans le village des Djimba, une tribu locale, où elle sera considérée comme une étrangère porteuse de signes funestes, et dont elle sera bannie à deux reprises par le chef du village. Car Salina ne supportera pas les soumissions et les avanies qui s’imposent aux femmes de son temps. Elle protestera, se révoltera, ne voudra pas céder… en vain. Alors, conformément au destin qu’on lui prête, elle se vengera avec une détermination et une cruauté implacables, … ce qui ne lui apportera aucun apaisement. Il faudra qu’une rivale plus heureuse se montre bienveillante, pour que Salina comprenne enfin que la haine ne mène à rien, que seul le pardon apporte la paix.

 

Bon ! Quel est le message ? Il pourrait peut-être s’exprimer ainsi : il n’y a pas de victoire si définitive qu’elle justifie de plastronner, alors l’esprit de revanche ne doit pas obséder celui qui se croit vaincu… Ecoutez nos défaites !... Ça vous dit quelque chose ?

 

Le livre pourrait aussi être vu comme un conte moralisateur – Morale, morale, quand tu nous tiens ! – Après la mort de Salina dans son exil de poussière et de solitude, son troisième fils et seul survivant, Malaka, cherche un endroit pour l’ensevelir. Dans une ville inconnue où ses pas l’ont mené, chargé de la dépouille de sa mère, on lui explique que l’accès au cimetière implique une longue traversée nautique. Pour obtenir le droit de l’y enterrer, Malaka devra, pendant la traversée d’un Styx improbable, raconter la vie de Salina, en suscitant suffisamment d’intérêt et d’empathie de la part d’un tribunal invisible. C’est ainsi, par la narration de Malaka, que le lecteur prend connaissance du destin de Salina. On est libre d’y voir un hymne au dévouement filial

 

Dans une interview, Laurent Gaudé va plus loin, assumant la difficulté d’accès au sens profond de son œuvre. Il trouve qu’on ne se donne plus le temps de la réflexion, de la méditation, que devraient inspirer certains textes et certains actes. En l’occurrence, à l’instar de la population de la ville qui accueille la sépulture de Salina, il convient de s’intéresser à la destinée des étrangers, des personnes qui ne nous ne sont pas proches et qui viennent à nous. Il est aussi important de raconter la vie des gens qui viennent de mourir, car d’une certaine façon, cela permet de les garder en vie... Tout cela est un peu agaçant, voire ennuyeux.

 

J’ai pourtant été sensible à l’émotion portée par quelques passages du texte, lorsque la haine s’évapore, comme chassée par le pardon et par le sacrifice ; ou lorsque la férocité des hyènes cède devant la volonté de vivre d’un nourrisson.

 

Une lecture pour les inconditionnels de l’auteur.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     oo    J’AI AIME… UN PEU

 

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Le Maître et Marguerite, de Mikhaïl Boulgakov

Publié le 17 Août 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Août 2019, 

Un livre fascinant. Il se lit très agréablement, ce qui ne l’empêche pas d’être complexe et d’inciter à la réflexion. Après l’avoir terminé, j’ai été à plusieurs reprises amené à le rouvrir pour approfondir certains passages. Sa cohérence globale et ses messages sous-jacents sont en effet peu perceptibles à première lecture. Bien que reliés par des enchaînements de pure forme, les chapitres sont imbriqués sans logique apparente, tels « des éclats de soleil brisé », pour reprendre une image évoquée plusieurs fois par l’auteur.

 

Je vais donc essayer de mettre de l’ordre dans ce qui pourrait sembler ne pas en avoir, en répondant à la question de base « de quoi le roman Le Maître et Marguerite est-il l’histoire ? ».

 

A Moscou, vers 1930, un écrivain avait travaillé à un roman sur Ponce Pilate et ses rapports vécus ou rêvés, à Jérusalem, avec un vagabond philosophe du nom de Joshua. Le sujet avait fortement déplu aux autorités soviétiques, car il allait à l’encontre d’un dogme matérialiste niant l’existence de Jésus. L’écrivain s’était retrouvé au ban de la société. Laissant son livre inachevé, il avait disparu et échoué anonymement dans une clinique psychiatrique, abandonnant Marguerite, l’amour de sa vie, pour ne pas l’entraîner dans sa chute. Désespérée, Marguerite rêve de retrouver celui qu’elle appelle le Maître. Le Diable décide de lui venir en aide en contrepartie d’un service. Il débarque alors à Moscou sous l’apparence d’un professeur de magie noire, Woland, assisté de trois démons hauts en couleur. Ils vont se faire un malin plaisir à semer désordre et panique dans les milieux culturels de Moscou.

 

Les victimes de Woland, de ses assistants et de leur arsenal de sorcellerie fabuleuse sont des citoyens soi-disant exemplaires de l’Union soviétique, des bureaucrates à la mentalité étroite, des apparatchiks de la culture officielle. Les scènes sont proprement délirantes et leur cocasserie est irrésistible. On rit comme un enfant au théâtre de marionnettes, lorsque Guignol bastonne le gendarme. Mais derrière la magie burlesque des disparitions soudaines et des réapparitions en clinique psychiatrique, pointe une évocation du quotidien moscovite de purge politique.

 

L’auteur, Mikhaïl Boulgakov, reprend le mythe de Faust qui, chez Goethe, avait vendu son âme au Diable pour réussir sa vie. Là, c’est Marguerite qui s’y colle. Elle accepte de jouer le rôle de Reine du Bal de la Pleine Lune, au bras de Satan, dans l’espoir d’obtenir la réhabilitation du Maître et la reprise de leur liaison amoureuse. Débrouillarde, cette Marguerite ! En tout cas, plus que Boulgakov lui-même. Malgré son statut d’intellectuel dissident, il n’avait pas rechigné à quelques compromissions avec le diabolique Staline… sans jamais rien obtenir en échange dans son parcours d’écrivain. Le Maitre et Marguerite ne sera publié que dans les années soixante, vingt-cinq ans après sa mort.

 

Vendre son âme au Diable est une félonie. Mais céder son âme au Diable sans contrepartie est une félonie doublée d’une lâcheté. Dans le roman inachevé du Maître, c’est ce dont s’accuse Ponce Pilate qui, bien que convaincu de l’innocence de Jésus, l’avait laissé supplicier dans le seul but de ne pas compromettre sa carrière. L’Histoire n’a pourtant retenu que son acte de lâcheté. Dans l’univers fantasmagorique de Boulgakov, Pilate aura ruminé cette lâcheté pendant vingt siècles, avant que le Maître ne l’absolve en achevant son roman. Façon pour ce dernier – et pour Boulgakov lui-même – de profiter par procuration de cette absolution.

 

Où est le bien, où est le mal ? En exergue, Boulgakov reprend une phrase prononcée par Méphistophélès, dans le Faust de Goethe : « Je suis une partie de cette force qui, éternellement, veut le mal, et qui, éternellement, accomplit le bien ». Woland / Satan est-il, comme Staline, un autocrate tout-puissant qui impose sa volonté maléfique dans un univers centré sur sa personne ? Ou est-il au contraire l’elfe facétieux qui vient défier l’ordre établi perverti, en mettant les rieurs de son côté ?

 

Ce roman, à la fois joyeux et désespéré, paraissant déjanté et pourtant méticuleusement construit, est le chef d’œuvre d’un écrivain maudit qui lui consacra dix ans de sa vie, avant de mourir en 1940 à l’âge de quarante-neuf ans.

 

Sa prose légère et poétique – remarquablement traduite – m’a entraîné mine de rien dans son univers onirique, enfer ou paradis, illuminé de lune pour l’éternité. Un univers que j’ai quitté avec regret une fois le livre achevé. Je me console en conservant Le Maître et Marguerite à portée de main, persuadé qu’une relecture prochaine sera l’occasion de nouveaux émerveillements.

 

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

 

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Une journée d'Ivan Denissovitch, d'Alexandre Soljenitsyne

Publié le 17 Août 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Août 2019, 

Ce livre occupe une place à part dans la littérature. Ecrit dans les années cinquante, sa publication est autorisée en Union Soviétique en 1962, au cours d’un moment éphémère d’assouplissement du régime. Une journée d’Yvan Denissovitch révèle alors au monde l’existence du goulag, un système concentrationnaire à grande échelle, administré secrètement par la police politique aux ordres du pouvoir soviétique et du parti communiste. L’existence de camps de concentration, où étaient déportés les opposants et les dissidents au même titre que les condamnés de droit commun, était jusqu’alors subodorée sans preuve dans le monde libre et formellement démentie dans les pays de l’Est, ainsi que par leurs sympathisants en Occident.

 

L’auteur, Alexandre Soljenitsyne, un ancien officier, avait lui-même été déporté pendant huit ans, à la suite de critiques émises dans une correspondance privée sur la politique militaire de Staline pendant la seconde guerre mondiale. La publication d’Une journée d’Yvan Denissovitch le fait connaître à la fois pour sa détermination de dissident au régime et pour son talent d’écrivain, qui lui vaudra le Prix Nobel de littérature en 1970.

 

Pour faire connaître la vie quotidienne des prisonniers – les zeks – d’un camp du goulag, Soljenitstyne choisit de circonscrire sa narration à une journée et à un détenu, Ivan Denissovich Choukhov, un brave paysan, condamné à dix ans de travaux forcés de maçonnerie huit ans plus tôt, en 1941, parce qu’après avoir été fait prisonnier par les Allemands, il avait réussi à s’évader quelques jours plus tard. Lors d’un simulacre de procès, la justice soviétique en avait conclu qu’il était un traître et un espion.

 

La journée s’ouvre sur le réveil des prisonniers. Il est 5 heures. C’est en tout cas l’évaluation des zeks, car ils n’ont ni montre ni horloge auxquelles se référer. A quoi leur servirait de connaître l’heure, ont pensé leurs geôliers, si ce n’est pour comptabiliser le temps de travail qu’on leur impose ?

 

Les camps sont situés loin de tout, dans des zones désertiques, la plupart en Sibérie du Nord, où les températures peuvent descendre jusqu’à 40 degrés en dessous de zéro. Les zeks sont logés dans des baraques rudimentaires non isolées, à peine chauffées, où des structures de couchettes collectives superposées sont installées. Pour leur vie quotidienne, comme pour le travail qui leur est assigné, ils sont organisés en brigades, sous l’autorité d’un des leurs, le brigadier, un zek « expérimenté » chargé de négocier leurs intérêts, face aux surveillants et aux autres personnels de l’administration du camp.

 

Les conditions de détention sont très dures. Le froid est terrible, la nourriture inconsistante et insuffisante. La surveillance est à chaque instant un prétexte de maltraitance physique ou mentale : appels, contre-appels, ordres, contrordres, fouilles, récriminations, brimades, sanctions, chantage… tout est fait pour détruire l’homme derrière le zek. Seul point non négatif, au regard de ce que l’on sait sur d’autres camps de concentration, il ne s’y trouve ni chambre à gaz ni four crématoire. Mais cela, Choukhov et les autres zeks n’en ont pas la moindre idée.

 

Certains zeks décomptent les jours qu’il leur reste à tirer. Pas Choukhov ! Il a constaté qu’une fois la peine purgée, les condamnations sont systématiquement reconduites, sans même qu’on en donne la raison. Il sait donc qu’il est inutile d’espérer, qu’il ne rentrera jamais chez lui, qu’il ne reverra jamais sa femme et ses enfants.

 

En l’absence d’espérance, la seule façon de survivre est de s’adapter avec pragmatisme. Éviter de se faire sanctionner par les surveillants, de se faire spolier par les autres zeks. Collectionner les tous petits plaisirs : du rab de pain, la chaleur d’une soupe, une bouffée de cigarette, un échange de sourires, quelques minutes de répit près du poêle, un instant à soi emmitouflé sur sa paillasse… La journée qui fait l’objet du livre aura été bonne pour Ivan Denissovitch Choukhov. Il s’endort heureux.

 

Le livre est écrit dans le langage parlé d’un homme fruste et madré. La traduction est plutôt réussie. A ma grande honte, j’avoue avoir trouvé le livre un peu ennuyeux. Peut-être est-ce dû au fait que les révélations de Soljenitsyne sont aujourd’hui archi-connues.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     ooo   J’AI AIME

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Demain c'est loin, de Jacky Schwartzmann

Publié le 30 Juillet 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juillet 2019, 

Demain c’est loin est un polar ancré dans le quotidien, à l’instar de son auteur, Jacky Schwartzmann, pour qui l’observation de ses contemporains est sa matière première d’écrivain. Elevé alternativement dans une cité ouvrière et dans un centre-ville bourgeois, il en a observé les modes de vie et de pensée. Cela lui permet d’en tirer avec humour des analyses décomplexées, confrontant sans hésitation les clichés extrêmes les plus éculés, sans rien concéder au politiquement correct. Pour le langage, il choisit un camp, celui des jeunes des quartiers difficiles.

 

Ce langage est celui du personnage principal et narrateur du roman. On le prend généralement pour un Arabe, parce qu’il a une tête de Rebeu et parce qu’il a grandi entouré d’Arabes dans une cité difficile de Villeurbanne, en banlieue de Lyon. Pourtant, son nom, c’est François Feldman – comme le chanteur, mais faut pas le lui dire, parce qu’on lui en a déjà fait dix mille fois la remarque et ça l’énerve –. Dans la cité, il est le Juif. On l’appelle ainsi en raison de la consonance de son nom – Curieux d’imaginer cela quand on s’appelle Schwartzmann ! – En fait, François n’est ni arabe ni juif. C’est un mec normal, quoi ! aurait dit Coluche.

 

François connaît bien les Rebeus. Il les observe avec bienveillance sans oublier d’être lucide. Il sait leurs qualités, connaît les obstacles auxquels ils doivent faire face dans leur vie de tous les jours et a conscience des galères pouvant conduire certains à des activités illicites. Il reconnaît aussi leurs insuffisances, leur orgueil souvent mal placé, leurs tendances à s’énerver pour un rien, et les bonnes excuses qu’ils se donnent pour leurs échecs ou leurs choix malavisés.

 

A force d’être pris pour un Arabe et de vivre avec eux jour et nuit, François finit par parler comme eux et par avoir les mêmes réflexes, lorsque des Français, des bons Français, font mine de se méfier de lui ou de ne pas le prendre au sérieux.

 

C’est en l’occurrence une Française qui se trouve en travers de son chemin. Juliane Bacardi est une jeune responsable d’agence bancaire bien comme il faut, bonne famille, bonne éducation, bons diplômes. Quoi d’étonnant à ce qu’elle lève les yeux au ciel en écoutant les arguments de ce type avec sa tronche d’Arabe : tous les mêmes, pas structurés, pas francs, pas fiables ! Quoi d’étonnant à ce que François se retienne difficilement d’injurier cette bourge coincée qui lui balance avec morgue des conseils de surveillante de maternelle !

 

C’est là que le polar reprend ses droits. L’intrigue échafaudée par l’auteur conduira François et Juliane au centre d’une aventure rocambolesque à rebondissements multiples. Ils devront en affronter ensemble les périls, étant recherchés activement par toutes les forces de police de la région, tout en ayant à leurs trousses une bande de mafieux rebeus prêts à leur faire la peau.

 

Le livre est noir, violent, très violent même par instant, mais le ton de la narration reste toujours imprégnée d’une touche d’humour décalé, comme pour rappeler qu’il ne s’agit que de littérature.

 

Un mot sur l’humour de l’auteur. Il entend ne faire aucune concession à la bien-pensance, ne se fixer aucune limite de bon goût. Il flirte avec la ligne jaune, notamment dans les premières pages qui, pour moi, ont failli être les dernières : une trop forte concentration d’humour bête et méchant, ni vraiment nouveau ni vraiment drôle, aurait pu me faire abandonner le livre… J’ai bien fait de persévérer, car finalement, les mots d’esprit du narrateur contribuent à rendre la lecture plaisante.

 

Polar bien construit et captivant, Demain c’est loin livre aussi un constat sur les rapports sociaux, ou plutôt sur l’absence de rapports quotidiens entre les classes sociales. Chacun ses modèles, chacun ses contre-modèles. Jacky Schwartzmann ne juge pas, ne prend pas position... sauf quand il fait déclarer par son François Feldman que la France est le plus beau pays au monde.

 

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Sauver Mozart, de Raphaël Jerusalmy

Publié le 30 Juillet 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juillet 2019, 

Un ouvrage romanesque d’une forme très subtile. Le journal personnel et secret tenu par un homme dans la dernière année de sa vie, avant que la maladie incurable dont il souffre ne l’emporte. Des phrases brèves ajustées au manque de souffle. Certains jours, juste quelques mots lâchés, sans verbe, lors des courtes pauses consenties par la douleur, la fatigue et la difficulté à respirer.

 

Le journal d’Otto J. Steiner n’est pas autobiographique. L’auteur, Raphaël Jerusalmy, se porte bien, du moins je lui souhaite. Né en France, normalien, il est aujourd’hui établi à Tel Aviv après avoir fait carrière dans les services de renseignement de Tsahal. Sauver Mozart, son premier roman publié en 2012, est le journal d’un personnage fictif dans un contexte historique.

 

Salzbourg, juillet 1939. Le Festspiele, le fameux festival d’opéra, de théâtre et de musique classique, bat son plein avant d’être écourté. Une décision soudaine venue d’en haut. Personne ne se hasarde à protester : depuis un peu plus d’un an, l’Autriche est annexée à l’Allemagne nazie. Personne ne se manifeste non plus quelques mois plus tard, quand les autorités nazies proclament leur volonté de faire du Festspiele de 1940 une démonstration éclatante du rayonnement culturel du Reich.

 

Les Nazis au pouvoir ont imposé leurs lois antijuives, accueillies avec enthousiasme par une partie de la population. On ne voit quasiment plus de Juifs à Salzbourg, ni ailleurs en Autriche. Ceux qui n’ont pas quitté à temps le pays ont été persécutés, spoliés, déportés. Quelques-uns survivent ; en dissimulant leur judaïsme.

 

C’est le cas d’Otto Steiner. Au fond de lui, il sait bien qu’il est juif, mais il préfère se convaincre qu’il ne l’est pas. Ou presque pas, l’essentiel étant de ne pas susciter le doute autour de lui. Question de survie.

 

Il faut dire que la survie d’Otto Steiner est sujette à d’autres contingences. La tuberculose dont il souffre a atteint un stade très avancé. Pronostic vital engagé, dirait-on de nos jours. Très affaibli, il est hospitalisé dans un sanatorium de Salzbourg. Le quotidien y est sinistre. Les locaux sont sordides, les repas rationnés, les soins illusoires, les conditions hygiéniques précaires. La promiscuité avec les mourants est angoissante, désespérante, avilissante. Et tout va se dégrader, à mesure que s’affirme la volonté de dédier en priorité les établissements de soins aux soldats blessés au front. Chez les Nazis, on n’aime pas trop les malades. Ce sont des parasites encombrants. Des intouchables.

 

Au travers des propos très laconiques de son journal, on comprend qu’Otto Steiner est un grand mélomane. Il a même été un spécialiste reconnu de la musique. Il connaît par cœur les partitions des œuvres majeures, ainsi que les paroles des grands opéras allemands et italiens. Malgré sa maladie et ses origines … hum ! …, on vient le voir discrètement pour avoir son avis sur le programme des concerts du festival à venir et pour en rédiger les brochures de présentation. On le sollicite aussi pour l’accompagnement musical d’un événement politique majeur, la rencontre au sommet – dans tous les sens du terme – du Führer et du Duce au col du Brenner en mars 1940. Une occasion qu’Otto Steiner aurait bien mise à profit pour tuer Hitler ! Mais c’était plus facile à dire qu’à faire !

 

Steiner est particulièrement amateur de l’œuvre de Mozart, dont on sait, bien sûr, qu’il est la personnalité emblématique de Salzbourg, et dont les œuvres occupent toujours une place de choix dans le programme du Festspiele.

 

Dans un premier temps, Steiner, abattu, ne critique pas la programmation qu’on lui dévoile et qu’il juge stupide. Il rédige ses textes en caricaturant discrètement la pompe nazie. Il va s’enhardir peu à peu, indigné d’apprendre qu’une œuvre d’un compositeur lieutenant de SS est programmée juste avant un concerto de Mozart. Il concoctera alors une petite surprise savoureuse pour le public et les dignitaires nazis assistant au concert.

 

Avant de tirer sa révérence en paix quelques jours plus tard.

 

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Belle-Amie, de Harold Cobert

Publié le 17 Juillet 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juillet 2019, 

Dans Bel-Ami, Guy de Maupassant avait raconté, à la fin du dix-neuvième siècle, la réussite de Georges Duroy, un homme à femmes ambitieux, dénué de scrupules et de sens moral, parvenu à la tête d’un journal d’opinion perverti par des rapports malsains avec les mondes de la politique et de la finance. Harold Cobert, un homme de lettres d’aujourd’hui, rouvre le dossier du même personnage, désormais connu sous le nom de Georges du Roy de Cantel, dix ans après son mariage en grande pompe. A-t-il poursuivi son ascension ? Se peut-il que ses frénésies de sexe, d’argent et de pouvoir aient précipité sa chute ? Peut-être aussi s’est-il acheté une conduite, en se consacrant à des œuvres nobles ! C’est le sujet du roman Belle-Amie, qui s’inscrit donc comme la suite du roman de Maupassant.

 

L’auteur place intelligemment sa fiction dans le contexte historique de l’un des grands scandales de l’époque, celui de la faillite de la société du canal de Panama, rebaptisé pour l’occasion canal du Nicaragua, sans doute pour pouvoir s’affranchir si nécessaire de quelques détails historiques. Il en reconstitue parfaitement les circonstances et les conséquences pour l’époque, les disgrâces et les condamnations pour corruption de nombre d’hommes politiques de premier plan, ainsi que l’opportunité qu’y virent certains de tenter de renverser la République et de restaurer la monarchie.

 

Dans la logique de ses ambitions insatiables et de ses impulsions mal maîtrisées, Georges du Roy du Cantel se retrouve au cœur du cyclone. Saura-t-il tirer durablement son épingle du jeu ? Pourra-t-il toujours compter sur son charme et sur sa capacité à manipuler les femmes ?

 

Les personnages féminins de Bel-Ami sont bien là, autour de lui, à l’exception de Clotilde de Marelle, dont on apprend qu’elle est décédée. J’ai sur le moment pensé que l’auteur avait supprimé son personnage parce qu’il ne lui avait pas trouvé de place dans l’intrigue, mais je me trompais… A découvrir par vous-même !... Deux nouveaux personnages apparaissent : le mystérieux Siegfried de Latour et sa troublante cousine Salomé, pour des péripéties étranges, parfois franchement extravagantes, quelque peu tirées par les cheveux.

 

J’ai été bluffé par une trouvaille géniale de l’auteur. Les épisodes du roman Bel-Ami avaient été publiés en leur temps sous forme de feuilleton. Dans l’intrigue de Belle-Amie, ces épisodes sont présentés comme des articles de presse d’investigation, publiés pour incriminer Georges du Roy de Cantel, en révélant les turpitudes de son parcours d’ascension. Auteur du premier ouvrage, le dénommé Guy de Maupassant se retrouve personnage du second : il est le journaliste en charge de l’enquête et le rédacteur des articles. Harold Cobert s’est inspiré des méthodes d’une certaine presse d’opposition d’aujourd’hui à l’encontre d’hommes politique à dézinguer.  

 

L’auteur réussit peu ou prou à se placer dans la continuité de Maupassant, sans toujours restituer la fluidité et la subtilité de son écriture. J’ai regretté une tendance à abuser de passages descriptifs se voulant lyriques, mais pas toujours heureux. Ils rallongent inutilement le texte et cassent le rythme de la lecture, surtout dans la première partie du livre.

 

J’ai noté quelques références discrètes et élégantes à la littérature et à l’histoire. Il me revient notamment une évocation de Dorian Gray ; j’ai aussi noté le nom d’un aventurier russe qui jouera plus tard un rôle clé dans l’histoire des emprunts russes. La future affaire Dreyfus, en revanche, n’est pas évoquée, bien que l’auteur rappelle avec insistance l’antisémitisme largement partagé par la population de l’époque, un antisémitisme attisé par des campagnes virulentes menées par certains courants politiques, en marge des scandales et sans lien particulier avec eux.

 

On peut certes être tenté par des comparaisons avec quelques événements actuels. Attention toutefois à en relativiser les circonstances pour ne pas alimenter une thèse de « tous pourris », qui ferait proliférer des propos et des actes nauséabonds.

 

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