C’est un peu toujours la même chose avec les polars de Fred Vargas depuis Pars vite et reviens tard qui l'avait révélée. A chaque fois, comme on a bien aimé le précédent, on s'oblige à lire le suivant. Et chaque fois, ça commence mollement, au point qu'on se demande un moment si ce n'est pas le livre de trop. Puis ça trouve son rythme et on se surprend à être captivé par les énigmes.
On retrouve le commissaire Adamsberg, pour lequel on n'arrive pas à se décider si on le trouve sympathique ou pas. Avec lui, le fidèle commandant Danglard, dont les connaissances encyclopédiques permettent à l'auteur de nous placer de plaisantes histoires pour les nuls. Dans l'équipe qui les entoure, des flics de tous grades et de tous les profils, avec chacun son idiosyncrasie (c'est vraiment le mot qui convient!) : au commissariat, c'est comme dans les nombreuses séries policières TV françaises et américaines, sauf que Temps glaciaires n'est pas calibré pour durer 52 minutes, c'est un gros polar de près de 500 pages.
Comme chaque fois chez Fred Vargas, tout le monde (c'est-à-dire le lecteur et les personnages du roman) se retrouve plongé dans un monde improbable, en l'occurrence à des séances plénières de la Convention, menées par un Robespierre aussi authentique que celui de 1794.
Une part de surnaturel, aussi, avec l'afturganga, l'horrible monstre mangeur d'homme de la calotte glaciaire.
Sans oublier Marc, un gros marcassin - d'où son nom ! - gentil comme un toutou.
Ce roman a obtenu le prix Pulitzer 2015 de la fiction. C'est un gage d’une qualité littéraire tout à fait méritée car l'ouvrage est remarquablement construit et écrit. Cela n'empêche pas Toute la lumière que nous ne pouvons voir et ses 600 pages d'être aussi facile à lire qu'un best-seller estival et aussi palpitant qu'un thriller.
De très courts chapitres s'enchaînent pour suivre, alternativement et presque en simultané, la vie de Marie-Laure, une jeune parisienne aveugle, et celle de Werner, un jeune allemand orphelin, entre 1934 et 1944. Leurs parcours sont tracés inexorablement par l'Histoire.
Pour Marie-Laure, c'est la drôle de guerre, l'exode, puis la vie sous l'Occupation à Saint-Malo où son père a de la famille. C'est aussi la Résistance par le biais d'un vieil émetteur radio retrouvé dans le grenier secret de la maison familiale.
Werner suit la formation des jeunes nazis : embrigadement, culte du chef et du sacrifice, éradication de la sensibilité et de la conscience. Passionné par les radio-transmissions, il fait partie d'une unité de détection d'émetteurs clandestins qui sillonne l'Europe.
L'unité de Werner est envoyée en Bretagne à l'été 1944, juste avant les bombardements alliés qui conduiront à la libération de Saint-Malo, bombardements destructeurs et meurtriers qui sont décrits en contrepoint tout au long du roman.
Marie-Laure et Werner se rencontrent-ils ? Dans un roman comme celui-ci, construit pour captiver le lecteur, on a forcément la conviction que la rencontre se produira, qu'elle est prédéterminée, logique, que les parcours personnels des deux jeunes gens les mèneront inéluctablement à se croiser. C’est tout le talent du romancier de nous conduire à cette conviction. Dans la vraie vie, ça fonctionne dans l’autre sens : on rencontre tous les jours des tas de gens, fortuitement. Ils sont juste au même endroit que nous au même moment ; avant et après ce moment, ils ont leur propre parcours, lequel parcours n'a d'intérêt pour nous que parce qu'il y a eu rencontre.
Tout le roman est conjugué au présent ; cela donne le sentiment de vivre en direct les évènements et la vie quotidienne des personnages. Au début, avant la guerre, pendant l'enfance de Marie-Laure et de Werner, les phrases sont courtes, très simples – sujet, verbe, complément – ; presque de la littérature pour enfants. Au fur et à mesure de l'histoire et de son développement tragique, les phrases s'allongent, les tournures gagnent en complexité, le rythme de l’écriture s'accélère dans un crescendo qui aura nourri ma tension de lecteur jusqu'au dénouement.
Dénouement qui n'est pas la fin du roman. Comme dans les histoires vécues, l'auteur met en scène les survivants, 30 ans, 70 ans plus tard. La vie a continué, les blessures ont cicatrisé ; les questions sans réponse le restent, pour toujours.
Ma tension retrouve son niveau normal, je lis les dernières pages avec sérénité, tranquillement. Quand je referme le livre, je me dis que j'ai passé un bon moment.
Quelques jolis passages. Je garde celui-ci : Le clair de lune reluit et ondule ; les nuages brisés défilent au dessus des arbres. Partout volent des feuilles. Mais le clair de lune n'est pas agité par le vent ; ses rayons, ou ce qui y ressemble, transpercent les nuages, l'air ! Ils restent suspendus au dessus de l'herbe qui se déforme.
Pourquoi le vent ne fait-il pas bouger la lumière ?
Je viens de relire Feu Pâle, que j'avais découvert il y a 25 ans et qui m'avait fasciné. C'est un livre de Vladimir Nabokov, un romancier que je place au dessus de tous les autres et que ses admirateurs qualifient souvent de magicien, d'illusionniste ou d'enchanteur.
Ce livre, un roman, ne ressemble à aucun autre, en tout cas dans sa structure : il se présente comme une monographie consacrée à un long poème – 999 vers! –, comportant une introduction et 200 pages de notes de commentaires numérotées. Imaginez ma surprise quand j'avais ouvert et feuilleté le livre pour la première fois... Coup d'œil à la page de couverture pour vérifier qu'il y avait bien inscrit : Feu Pâle, roman...
L'introduction – imprimée en italique! – m'étant apparue longue et rébarbative, je m'étais attaqué directement au poème. J'avais buté sur les 4 premiers vers :
C'était moi l'ombre du jaseur tué
Par l'azur trompeur de la vitre ;
C'était moi la tache de duvet cendré - et je
Survivais, poursuivais mon vol, dans le ciel réfléchi.
... 999 vers comme cela!... Ce n'était pas ce que j'avais envie de lire...
Déterminé à comprendre, j'avais repris consciencieusement l'introduction. Et là, il m'était apparu que cette introduction n'en est pas vraiment une. S’y dissimule le début d'une narration, laquelle trouve sa suite dans les notes de commentaires, notes dont il faut enchaîner la lecture sans trop se préoccuper du poème. L'histoire prend corps progressivement, comme un puzzle inattendu se construisant tout seul : un narrateur bizarre, un peu incohérent, raconte les aventures d'un roi (du genre roi d'opérette) en fuite à la suite d'une révolution dans son pays et sa traque par un tueur mandaté pour l'exécuter. Personnages caricaturaux et scènes cocasses, vrais-faux témoignages et mensonges par omission, digressions dont on ne mesure pas l'intérêt sur le moment et qui prennent tout leur sens 50 pages plus loin : à la fin du livre, quand toutes les pièces du puzzle sont assemblées, c'est l'enchantement ; la magie de Nabokov a opéré.
Aussitôt achevée, j'avais repris la lecture au début afin d’avoir une vision d'ensemble clarifiée de ce qu’il faut bien appeler un exercice de style parodiant certains ouvrages universitaires américains. Je voulais aussi repérer les signaux qui m'avaient échappé la première fois, mieux comprendre des passages qui m'avaient paru obscurs, bref, tenter de déceler les "trucs" du magicien Nabokov.
J'avais gardé un souvenir émerveillé de ce livre et je m'étais promis de le relire. Bien sur, la magie n’opère plus de la même façon quand on a déjà vu le spectacle et qu'on a démystifié la plupart des ficelles. Mais je reste fasciné par l'habileté de l'auteur.
Le relirai-je un jour à nouveau ? Pourquoi pas. Je découvre sur Internet que ce roman peu connu (une centaine de lecteurs sur Babelio, à comparer aux 27 000 lecteurs du Petit Prince) est considéré comme un ouvrage culte par quelques exégètes et que les actes, gestes et paroles des personnages font l'objet de multiples interprétations.
Et les 999 vers du poème doivent bien avoir du sens. Il faudra donc qu'un jour je m'y remette.
Ce livre sort du commun à tous égards, à commencer par son titre, l'amour et les forêts, qui ne laisse rien entrevoir du contenu, et aussi par le nom de l'héroïne, Bénédicte Ombredanne, dont la probabilité de rencontrer un jour un homonyme est quasi nulle. C'est un livre très exigeant pour le lecteur. L'écriture est superbe, variée, tour à tour flamboyante et touffue ...comme les forêts. Il est en effet difficile de se situer, de suivre un chemin, de garder des repères, quand des pages se suivent, compactes, sans alinéa, mêlant sans transition d'une phrase à la suivante, le fil de l'histoire avec l'évocation d'événements passés, l'observation de détails anecdotiques ou l'expression de sentiments personnels, sans qu'on sache si ces observations ou ces expressions sont celles du personnage principal ou de l'auteur. Car l'auteur se met en scène dans la fiction en tant que lui même, auteur, face à ses personnages, un peu comme les peintres dans les tableaux les représentant dans un miroir avec leurs modèles.
Le premier chapitre nous plonge à froid dans un texte dense, obscur et savamment désordonné. Il m'a fallu beaucoup de concentration. Je me suis demandé si je serais capable de tenir 350 pages. Rupture totale de style pour le deuxième chapitre, consistant pour une grande part en échanges rythmés et facétieux de mails sur un site de rencontre. Ça m'a surpris, amusé et détendu pour la suite de ma lecture.
On entre ensuite dans le cœur de l'histoire. En quoi consiste-t-elle ? D'un moment particulier dans la vie de Bénédicte Ombredanne, femme harcelée moralement par son mari ; un moment qu'elle a raconté à l'auteur, tel qu'elle l'a vécu, ou imaginé, ou rêvé, ou les trois à la fois. Le texte écrit très travaillé s'enrichit harmonieusement de l'insertion directe de dialogues, de réflexions, ainsi que des questionnements et imprécations paranoïaques du mari. C'est assez envoutant. Et fascinant est l'état psychologique de cette femme, structurée, brillante, qui se laisse humilier au quotidien par un mari médiocre et étriqué. Elle le domine, ne l'aime pas. Elle pourrait l'anéantir d'une pichenette, elle le sait, elle sait que ce serait son salut ; et elle ne le fait pas.
Au dernier chapitre, apparait un nouveau personnage, inattendu. On découvre alors des éléments qui avaient été occultés par Bénédicte Ombredanne, des éléments éclairant de façon objective son personnage. Dans ces pages, moins originales et moins inattendues, on n'est plus dans la subjectivité poétique des chapitres précédents. L'histoire perd en magie ce qu'elle trouve en cohérence. Dommage de terminer sur ce decrescendo.
Check-Point est avant tout un roman d'aventures classique, facile et agréable à lire.
En toile de fond, la guerre civile dans l'ex-Yougoslavie pendant les années 90.
L'histoire met en scène 5 personnages, une femme et quatre hommes, jeunes, venant pour la plupart d'horizons différents, avec pour chacun un profil bien marqué, un peu stéréotypé. Ils ont un objectif (apparemment) commun : amener un convoi humanitaire au cœur de la guerre.
Ils disposent de deux camions, dans lesquels se passe l'essentiel de l'histoire. Le récit se présente ainsi en une succession de huis-clos, à 2 ou à 3 dans chaque camion, parfois à 5 lors des haltes. Au fil des événements, des réflexions et des dialogues, on découvre les personnalités profondes de chacun ainsi que les véritables objectifs personnels. Des alliances se nouent entre les uns, puis rompent pour se reformer avec les autres. Une relation prend corps entre la femme et l'un des hommes. Des jalousies apparaissent, les différences s'exacerbent jusqu'à la haine et la violence.
Mais l'aventure se termine "bien". Le "méchant" meurt. Le couple qui s'est formé reste uni à la fin du livre. Qui sait ? Peut-être vivront-ils heureux et auront-ils beaucoup d'enfants.
Au delà du simple roman d'aventure, le livre soulève en fait de nombreuses questions de fond, très bien formulées par l'auteur dans la postface.
La guerre civile de Bosnie évoquée dans le roman date d'il y a 20 ans, les engagements et les passions se sont calmées et il en reste surtout des images de territoires partiels enclavés et mouvants dont l'accès implique de passer des check-points, sortes de postes frontières bricolés et éphémères, mais aussi potentiellement explosifs.
Ces images sont totalement transposables dans les nombreuses zones de conflits civils que nous présente l'actualité, avec leurs horreurs au quotidien.
Comme le dit l'un des personnages : "La guerre civile, c'est (...) le triomphe des salauds... Il y en a de tous les côtés". Et aussi : "Les salauds sont un produit de la guerre, pas sa cause".
Dans ce contexte, le roman souligne l'aspect dérisoire, superficiel et obsolète de l'action humanitaire pacifiste traditionnelle.
J'ai lu avec une sorte de plaisir gourmand cet ouvrage qui a déjà provoqué beaucoup de commentaires, de réactions et de polémiques, parfois de haut niveau. C'est donc avec modestie et sincérité que je me permets de dévoiler ce qui m'a plu.
J'ai aimé la fluidité de l'écriture. La syntaxe, très maîtrisée, s'accommode fort bien de phrases à rallonges fantasques, de passages en langage parlé, ainsi que de l'insertion cocasse d'expressions en usage dans la pub, les commentaires d'actualité ou les bulletins météo.
J'ai aimé retrouver dans le narrateur le personnage houellebecquien classique, commentateur lucide mais "résigné et apathique" du déclin de la société, qui aménage sa petite survie matérielle, son petit confort, ses petits plaisirs. Comme dans Extension du domaine de la lutte, il observe que la capacité de séduction des hommes dépend de leur position sociale et il s'en accommode personnellement, sans fausse honte, avec un pragmatisme désabusé.
J’ai n’ai pu m’empêcher de rire aux commentaires absolument fracassants sur des hommes politiques nommément cités.
Quelques passages sont très très crus... C'est Houellebecq. On sourit en imaginant certaines réactions de lecteurs (-trices).
Et j'ai suivi avec intérêt le fil de cette fiction d'anticipation, qui voit un parti "islamiste modéré" prendre démocratiquement le pouvoir en France et, sous couvert de déclarations d'ouverture et de tolérance bienveillantes, imposer en douceur un mode de vie inspiré des sociétés arabo-musulmanes les plus traditionnelles du Moyen Orient : éducation religieuse, suprématie masculine, polygamie.
Quelques soient ses convictions, religieuses ou non – et je pense que c'est aussi vrai pour les Français de confession musulmane –, on est forcément hérissé lorsque les défenseurs du nouveau régime, fraîchement convertis, en font valoir tous les avantages. Avantages surtout pour les hommes, apparemment prêts à vendre leur médiocre âme faustienne et "à leur maître complaire" comme un certain chien chez La Fontaine.
Soumission des hommes, donc. Pour la résistance, il faudra compter sur les femmes.
Un roman policier israélien. Plaisant, bien construit, bien mené.
Un roman policier, mais pas un "polar". De la littérature. Un auteur qui sait adroitement et agréablement promener son lecteur pendant près de 350 pages. Un peu comme Fred Vargas.
Un roman policier israélien ? En dehors de la nationalité de son auteur, le livre n'a rien de spécifiquement israélien, sur le plan identitaire, je veux dire. L'histoire se situe dans une banlieue moyenne comme il en existe partout dans le monde, alignant des immeubles banals, ni beaux ni moches, abritant une petite bourgeoisie uniforme et tranquille. Le commissariat est un lieu tristounet et on l'imagine semblable à ceux des séries policières vus à la télé.
Le policier personnage principal du livre est un être moyen, introverti, désabusé, mais sensible et finalement attachant. Des points commun avec des policiers de fiction comme Maigret, Colombo, Adamsberg, sauf qu'eux sont des policiers inspirés et efficaces. Alors que professionnellement, Avraham Avraham – c'est comme ça qu'il s'appelle – est un policier moins que moyen.
Une caractéristique, non pas israélienne, mais juive. Le policier Avraham Avraham a une maman, qui voudrait bien qu'il se marie et qui vient chez lui en son absence sans lui dire, pour remplir son réfrigérateur.
Il y a aussi Marianka, rencontrée à Bruxelles, venue le rejoindre en Israel pour quelques jours de vacances et qu'il emmène dîner chez ses parents. Et le papa, âgé, incohérent par moment, qui à la fin du dîner "chuchote comme pour lui-même : C'est bien que vous partiez d'ici, tous les deux. Vous n'avez rien à faire dans ce pays." Une phrase étonnante sans lien avec le contexte. Qu'a voulu dire l'auteur ?
Voilà un livre que j'ai failli abandonner en cours de route, j'expliquerai pourquoi plus loin. Je l'ai lu en entier et je ne le regrette pas. J'ai finalement bien aimé cette chronique d'amour impossible entre une artiste idéalisée et un journaliste critique d'art ressemblant à l'auteur. On observe sans illusion le fossé qui se creuse inexorablement : un homme blasé aspirant à l'embourgeoisement et une femme tourmentée en quête d'une respiration.
Après un début difficile – je vais y revenir –, la lecture a fini par m'être agréable. Et j'ai appris des tas de choses non dénuées d'intérêt sur des univers aussi différents que le maelström de l'événementiel artistique et l’immobilité des fonds marins, territoires des requins éternels.
Pour en arriver là, il m'a fallu, pendant plus de 100 pages, surmonter avec agacement l'impression que l'auteur avait cherché à m'en mettre plein la vue : une construction faussement originale et peu convaincante en forme de lettre à son fils ; une écriture se voulant lyrique, mais plutôt ampoulée et maniérée très 19ème siècle ; une cascade de références culturelles touchant à la cuistrerie ; un étalage complaisamment narcissique des mondanités people du narrateur (donc de l'auteur).
Et en point d'orgue, la femme aimée, forcément sublime, sa plastique de rêve mise en valeur dans des fringues minimalistes de créateurs branchés ; j'ai cru me retrouver dans les SAS de mon adolescence.
Un point essentiel du roman : c'est sur un malentendu que l'intrigue se fonde. Le contre-sens de César dans sa critique d'une œuvre de Paz est le triple point de départ de sa carrière fulgurante d'artiste, de leur histoire d'amour et de leur incompréhension mutuelle.
Pas pleuré, un Goncourt au rabais ? Je l'ai lu ou entendu. Il est certes difficile de succéder à l'exceptionnel Au revoir là haut. Mais pour ma part, j'ai eu grand plaisir à lire cet ouvrage romancé qui joue avec efficacité sur plusieurs registres.
Courte parenthèse lumineuse dans une longue existence terne et dure, les aventures vécues par la mère de la narratrice, Montse, à l'âge de 15 ans, au début de la guerre civile espagnole, sont plus que touchantes. Et dans le petit village isolé où elle est née, les événements qui surviennent au rythme des passions et des ambitions politiques dérisoires feraient penser à Don Camillo si l'on n'en pressentait pas le dénouement tragique.
En toile de fond, avec une honnêteté d'historienne, Lydie Salvayre dresse les horreurs de la guerre civile, dont je n'imaginais pas le degré de monstruosité, probablement occulté pour les personnes de ma génération et de mes origines, par celui de la seconde guerre mondiale.
Autre caractéristique, réjouissante celle-là, la retranscription de la langue parlée par Montse depuis son exil en France. Vocabulaire de racines espagnoles francisées. Ça sonne juste et c'est drôle. On dirait du Boris Vian.
Et quand Lydie Salvayre écrit "en direct", l'écriture et le style sont superbes.
On est surpris dès l'ouverture du Charlotte de Foenkinos : une phrase par ligne. Est-ce un poème ? On pense à Feu Pâle, de Nabokov. En fait, rien de comparable. Autre exigence, une ligne par phrase. Sans exception. Est-ce un exercice de style inspiré de ces réseaux sociaux qui limitent le nombre de caractères ?
L'auteur explique dans le texte la raison de ce parti : besoin de respiration. Pourquoi pas. En tout cas, cela passe bien. Pas de ressenti "haché". Toutes conjuguées au présent, les phrases coulent doucement les unes après les autres. Comme un kaléidoscope. Et le lecteur, lui aussi, peut s'arrêter pour respirer quand l'émotion, l'indignation ou l'horreur deviennent trop pesantes.
Il y a du travail dans ce mode d'écriture, bravo à l'auteur.
Que dire de l'objet du roman ? "Je ne lis pas de roman parce que l'on n'y apprend rien". C'est ce que prétend l'un de mes amis. Avec Charlotte, voilà la preuve du contraire. Ce roman m'a transmis une sorte de fascination pour une artiste peintre inconnue, dont l'aperçu de l'œuvre sur les moteurs de recherche me donne envie de vite programmer un saut au Musée d'Histoire Juive d'Amsterdam.