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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

La conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole

Publié le 24 Avril 2016 par Alain Schmoll

Avril 2016,

La conjuration des imbéciles, roman dont l’écriture et la publication ont fait l’objet d’aléas pour le moins... romanesques – j’y reviendrai –, a été un très grand succès de littérature, aux Etats-Unis puis dans le monde entier. De nombreuses critiques actuelles restent dithyrambiques. Cela m’avait donné envie de le lire.

Je le dis tout net, je n’ai pas aimé ce livre ; mais pas du tout, du tout ; je ne l’ai même pas terminé, malgré mes résolutions de toujours aller au bout de mes expériences (*)

Ce n’est pas pour autant que je n’ai rien à en dire...

Un roman au parcours romanesque. L’écriture de ce gros bouquin date du début des années soixante. N’ayant pu trouver d’éditeur, son auteur, John Kennedy Toole, se suicide à l’âge de trente deux ans. Sa mère parvient à le faire publier en 1980 et il obtient le prix Pulitzer l’année suivante à titre posthume. Bravo !

Le livre narre les tribulations quotidiennes d’Ignatius Reilly, un marginal vivant avec sa mère à la Nouvelle Orléans. C’est un géant obèse, habillé ridiculement, sans-gêne, provocateur, scatologique, mais intelligent et érudit. Une sorte de Gargantua impécunieux, sans les aspects sympathiques du personnage de Rabelais. Ignatius croit en son génie, vilipende l’évolution de la société américaine, méprise ses congénères et s’emploie à donner des leçons à tout un chacun...

J’imagine que l’auteur s’est quelque peu transposé dans son personnage. Le titre de son livre est inspiré d'une formule de Jonathan Swift : « Quand un génie parait en ce bas monde, on peut le reconnaitre à ce signe que les imbéciles se sont tous ligués contre lui ».

Moi, cela me fait plutôt penser à cette blague : un automobiliste s'engage sur une autoroute. Soudain, il entend à la radio : « Attention, on nous signale un véhicule à contre-sens » ! Il s’exclame : « ce n’est pas un véhicule à contre-sens... c’est dix, c’est cent,... c’est mille !... »

De quel côté suis-je moi même : imbécile ou à contre-sens ? Je veux bien assumer faire partie des con-jurés...

Tout m’a déplu dès le début : le style, l’humour, les personnages, les péripéties. Je sais pourtant être patient ; il y a des chefs d’oeuvre dans lesquels il faut du temps pour entrer. Là, à la moitié du livre, rien n’avait évolué. J’ai feuilleté la deuxième partie, me suis arrêté sur quelques pages... Le ton était toujours le même ; j’ai laissé tomber...

Un livre très drôle, hilarant, dit-on ? Ça ne m’a pas amusé du tout. J’ai lu dans une critique une référence à Gros dégueulasse, un personnage de Reiser. J’y trouve comme une idée... Après réflexion, ce livre me fait l’effet d’une BD sans les illustrations : juste un empilage des textes des bulles et des récitatifs... Peut-être aurait-il fallu un illustrateur de talent pour que La conjuration des imbéciles me fasse rire comme un ouvrage de Reiser ou de Binet (pas Laurent, Christian, celui des Bidochons).

(*)

Je précise que La conjuration des imbéciles ne figure pas au catalogue de ma liseuse et qu’on ne le trouve qu’en collection de poche : 530 pages dans une typo très petite et serrée. C’est très désagréable et fatigant à lire. La lecture, c’est  pour le plaisir, non ?

DIFFICILE     o   J’AI AIME… PAS DU TOUT

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Trois jours et une vie, de Pierre Lemaitre

Publié le 5 Avril 2016 par Alain Schmoll

Avril 2016

Trois jours et une vie est un authentique roman policier. Joliment écrit et construit avec cohérence par un maître du genre, il porte, jusqu'à la fin, des rebondissements surprenants. Les péripéties se déroulent dans un univers chabrolien.

Nous sommes à Beauval, petit village bordé de forêts. Tout le monde se connait, depuis l'enfance. Chacun a son destin lié aux autres ; tous vivent, plus ou moins directement, d'une usine appartenant au maire. Les amitiés et les inimitiés cuisent et recuisent indéfiniment... Un village banal, quelque part en France.

Dès les premières pages, un meurtre... Il faut bien appeler les choses par leur nom. Ce n'est pas un crime crapuleux, ni passionnel, ni même intentionnel. Juste un éclair fugitif de folie furieuse échappant à Antoine, un pré-adolescent en plein désarroi. Malheureusement, Rémi, six ans, git à terre, mort... Presque un accident !

Meurtrier à douze ans. Voilà ce qu'est Antoine. Sa vie est-elle fichue ? Devrait-il passer des années en prison, subir l'opprobre de son entourage et porter au front toute sa vie une étiquette de meurtrier ? En droit, dans la vraie vie, probablement oui.

Mais moi, lecteur, je suis plongé dans un roman dont Antoine est le personnage principal. Alors forcément, même si le garçon n'incite pas spontanément à l'empathie, je prends acte de son désespoir et de ses remords ; je comprends ses efforts pour dissimuler dans les bois le corps du petit Rémi et pour échapper à toute suspicion de responsabilité dans sa disparition. Je me mets même à trembler pour lui. C'est l'aspect thriller du livre, car au fil de l'histoire, je tremblerai de plus en plus.

La disparition du petit garçon bouleverse la vie locale : la population se mobilise en masse autour des gendarmes et des édiles ; des moyens importants sont mis en œuvre pour l'enquête et les recherches, sous l'œil des journalistes et les caméras de TV braquées sur la famille en détresse. Comme tous les villageois et une partie du pays, Antoine et sa mère, –dont les relations sont empreintes de sentiments sincères à défaut d'être démonstratifs –, suivent avec anxiété les journaux télévisés et les éditions spéciales... Antoine se figure déjà que tout est découvert... Il en est malade, ... plus que malade...

Mais c'est Pierre Lemaitre et lui seul qui tire les ficelles ; il nous réserve des surprises... Les événements auraient pu se produire n'importe quand ; dans un village comme Beauval, les jours, les années se suivent et se ressemblent, rien ne bouge, la vie quotidienne est intemporelle... Mais voilà, pour l'auteur, nous sommes dans les derniers jours de décembre 1999. Le vent se lève, enfle, terrifiant !... Cris de l'enfer, voix qui hurle et qui pleure !... Tempête ! Rappelez-vous ces trois jours de terrible tempête qui ont balayé l'Europe et la France !... A Beauval et aux alentours, les dégâts et les dommages sont considérables : Il faut porter secours aux uns, en reloger d'autres...

Dans ces circonstances, est-il possible de poursuivre les recherches ? Antoine se prend à espérer... A espérer quoi ? Un sursis ? Pour quelques heures, pour quelques jours ?...

Le sujet du livre, c'est le combat d'Antoine contre lui-même, pour survivre, pour échapper à la découverte de sa culpabilité. Le sujet du livre, c'est l'angoisse insupportable, interminable d'être démasqué. Et moi lecteur, j'ai fini par passer le petit Rémi par pertes et profits, pour mieux partager l'angoisse d'Antoine.

Au final, il faudra bien qu'Antoine subisse – ou choisisse – un châtiment expiatoire. Mais lequel ? Un séjour infamant en prison ? Un exil dans une contrée lointaine et hostile ? Une vie étriquée dans un village qu'il exècre ?...

A quoi tient une destinée ? Parfois juste à une montre, perdue lors de l'"accident", oubliée ensuite, et qui réapparait à la dernière page.

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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En attendant Bojangles, d'Olivier Bourdeaut

Publié le 29 Mars 2016 par Alain Schmoll dans Littérature, romans, critique littéraire, poésie

Mars 2016

Trouver les mots justes... Allons-y carrément : En attendant Bojangles est une merveille, un enchantement !

"C'est drôle et bien écrit, ça n'a ni queue ni tête" – c'est l'éditeur qui le dit ! – et c'est ce qui fait son charme, ajoute-t-il. Il est vrai que ce livre ne ressemble à aucun autre, même si l'on peut lui trouver, comme il est dit ici et là, un petit air de famille avec L'écume des jours, l'œuvre culte de Boris Vian, qui elle non plus, pour ainsi dire, n'a ni queue ni tête.

En attendant Bojangles est l'histoire d'un amour fou, d'un amour à la folie, d'un amour qui va au bout de la folie,... au delà même de la folie...

Un couple à la Fitzgerald...

Elle, gracieuse et élégante, femme-objet, femme-enfant, extravagante et inconséquente ; elle a choisi et envahi l'homme de sa vie... Lui, homme d'affaires rationnel et pondéré – frappé toutefois de "phobie administrative" comme certain ministre éphémère – ; il subit le charme en toute conscience, dans l'impossibilité de s'y soustraire.

Leur vie n'est que fantaisies et excentricités. Aspirés dans un maelström de fêtes déjantées, arrosées d'abondances de cocktails, pimentées de facéties suscitant rigolades et fous-rires, ils dansent jusqu'à pas d'heure sur un air de soul music qu'ils passent en boucle, Mister Bojangles, chanté par Nina Simone.  

C'est leur fils qui raconte, un petit garçon dont on ne connait ni le prénom ni l'âge. Il a quoi ?... six ans, huit ans ? Il vit intensément la vie de ses parents, observe tout, note tout, rapporte tout avec précision, sans rien omettre... Mais il interprète les événements à l'aune de sa base de références personnelles d'enfant au parcours atypique, profilé par des parents dont seules comptent leurs commodités personnelles. Effets de mots d'enfants, dont la candeur et la naïveté nous font sourire avec émotion, nous adultes, alors que nous percevons le sens réel, implacable, tragique de ce que l'enfant ne voit pas. Lui s'interroge simplement : "Comment font les autres enfants pour vivre sans mes parents ?"

Une histoire ébouriffante, à la fois gaie et triste, hilarante et bouleversante, attrayante et effrayante. J'ai un instant retrouvé les rêves de mon adolescence, les temps où j'imaginais que le bonheur passait par l'idéal, idéal du projet, idéal de l'amour ; l'âge où chaque fin de semaine, les slows entrouvraient la porte de l'espoir.

Tout au long du roman, Georges et sa femme – quel que soit son nom ! – dansent sur la mélodie mélancolique et obsédante de Mister Bojangles, un slow à l'ancienne porté par la voie grave et rauque de Nina Simone. Ecoutez cette musique, écoutez-la plusieurs fois, imprégnez-vous d'elle en lisant le livre. – On la trouve facilement sur You Tube.

Et tant que vous y êtes, une fois le livre refermé, écoutez encore Nina Simone, cette pianiste qui aurait pu devenir la première concertiste classique afro-américaine, écoutez sa voix éraillée dérailler doucement dans Aint got no, I got life, extrait de Hair, et dans Ne me quitte pas, de Jacques Brel.

Si avec tout cela – littérature et musique –, vous n'avez pas versé une larme, pas senti votre gorge se nouer,... c'est que je ne peux vraiment rien pour vous...

A voir désormais comment Olivier Bourdeaut nous surprendra et nous charmera à nouveau lorsqu'il publiera son deuxième roman !...

FACILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Saga, de Tony Benacquista

Publié le 24 Mars 2016 par Alain Schmoll

Mars 2016,

Saga, roman de Tony Benacquista, aura attendu des années dans ma bibliothèque que des circonstances m'incitent à le lire. Il m'a offert un très agréable moment de lecture.

L'intrigue de base de l'ouvrage se situe dans le monde de l'audiovisuel ; écrite il y a près de 20 ans, elle n'est en rien démodée. Aux seules fins de satisfaire à des quotas de création française, quatre scribouillards miteux sont recrutés pour écrire les scénarios d'une série télé de quatre-vingt épisodes, baptisée Saga, à diffuser au plus profond de la nuit. Mot d'ordre du producteur : écrivez n'importe quoi, personne ne regardera... Contre toute attente, un noyau de public germe, gonfle, enfle... Des passionnés font pression sur la chaîne et sur la production, les horaires évoluent vers le prime time, Saga devient un énorme succès populaire ; et même national !...

La cocasserie des situations flatte nos sens les plus élémentaires et embarque les rieurs. Aucune raison de bouder son plaisir, d'autant que les scénarios présentés sont imaginatifs, inattendus, parfois subtils. Le système de coworking très amical et solidaire dans lequel sont immergés les quatre scénaristes fait éclore leurs talents, jusqu'au moment où frappés à leur tour d'hubris et de péché de vanité, ils déclencheront un scandale hallucinant.

Au delà de cet imbroglio qui pourrait sembler rebattu, le roman ne manque pas de profondeur. Ses péripéties reprennent le mythe de la machine qui échappe à l'homme pour devenir infernale, sa morale s'appuie très concrètement sur la symbolique du boomerang et sa portée met en exergue l'incroyable force d'évocation de l'écrit, du scénario.

Je constate en effet qu'il suffit de quelques lignes écrites d'un avant-projet de scénario, pour donner instantanément réalité et sens à des personnages et à leurs actes, avec une expressivité qui ne manque pas d'éveiller ma sensibilité de lecteur. Cela me fait penser à je ne sais plus quel roman de Paul Auster, où les mots d'un personnage fictif lui permettent d'arracher à l'auteur le contrôle de la fiction... Au commencement était le Verbe, me rappellerez-vous !

Au commencement de Saga, on est dans un polar ; il y a un meurtre. L'auteur ne nous incite pas particulièrement à rechercher le coupable, mais il finit par le dévoiler dans les dernières pages, bien des mots plus tard.

Saga est un roman enlevé, amusant, plein de trouvailles et de rebondissements. Un roman joyeux, aussi ; c'est avec gaité que j'ai accompagné les parcours heureux des quatre scribouillards du début. On voit bien que le romancier est aussi, et surtout, un excellent scénariste.

D'ailleurs, où le pouvoir du scénariste s'arrête-t-il ? Le monde ne marcherait il pas mieux si les affaires diplomatiques mondiales lui étaient confiées ?... Après tout, si Dieu renonce à s'en charger ...

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Demande, et tu recevras, de Sam Lipsyte

Publié le 19 Mars 2016 par Alain Schmoll

Mars 2016

Demande, et tu recevras est un roman plaisant à lire, par la typologie et la psychologie des personnages qui s'y croisent dans les faubourgs de New York, à commencer par le narrateur, Milo Burke.

Demande !... Et tu recevras !... Oui mais justement, Milo n'aime pas demander... Ou il ne sait pas !.. Du coup, à 40 ans, il n'a rien à lui ; il n'a rien réussi...  C'est un raté, un looser. Jeune, il s'était imaginé une vocation pour la peinture, mais c'était juste un rêve enfantin pour un destin de star...

Milo vit de petits boulots ; il s'est laissé aller et il continue encore et encore : il boit, sniffe, mange des cochonneries achetées au coin de la rue tout au long de la journée, comme un enfant qui gaspille son argent de poche. Il ne fait des efforts que pour son fils, un petit bout de chou de 4 ans, aux réparties craquantes ; Milo en est fou. Il aime aussi sa femme, Maura, à laquelle il tient. Mais il fait tout ce qu'il faut pour la perdre ; pire, il en est conscient. Mais bon ! ... Il ne cherche plus à séduire, faire son affaire tout seul lui convient.

Des bouffées d'amertume ou des velléités existentielles l'amènent parfois à s'en prendre à l'Amérique d'aujourd'hui, à son capitalisme étroit qui pourrirait tout… En fait, il est suffisamment lucide pour s'observer – comme avec une espèce de jubilation – s'enterrer inexorablement dans le présent de sa triste existence et son absence de futur.

Pendant ses études, il avait vécu auprès de Purdy, un fils de famille riche, sur de lui et charismatique, entouré de colocataires profitant de ses largesses et de ses relations. Après avoir fait fortune par lui-même en développant et cédant une start-up, Purdy est resté fidèle à cette petite cour qui continue à vivoter tranquillement autour de lui. Milo, lui, n'a pas gardé le contact. C'est bien conforme à sa nature !

Purdy est devenu un milliardaire à l'américaine, très investi dans le mécénat culturel et les mondanités philanthropiques, en compagnie de son épouse, Melinda (tiens ! le même prénom que Madame Bill Gates...). C'est sous prétexte d'une volonté de donation à un projet universitaire que Purdy a repris contact avec Milo. Mais en fait, sa véritable intention est de confier à Milo une mission délicate et confidentielle auprès d'un fils caché d'une vingtaine d'années, revenu d'Irak gravement mutilé physiquement et psychologiquement... Trouver un compromis arrangeant pour chacun... Une opportunité de dernière chance pour Milo ?

Demande et tu recevras est un ouvrage souvent drôle, mais l'humour y est cynique, désabusé, cruel. Milo reflète la petite part d'ombre de notre propre personnalité ; son destin représente ce que nous pourrions redouter pour nous-même, notre négatif contre lequel nous luttons au quotidien, espérons-le avec succès.

Très bien traduit de l'américain parlé, assez cru et débridé, ce roman de Sam Lypsite  se lit très agréablement ; passages descriptifs et dialogues alternent harmonieusement ; le style et la syntaxe sont juste irréprochables, jamais choquants, jamais dissonants.

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Golem, de Pierre Assouline

Publié le 6 Mars 2016 par Alain Schmoll

Mars 2016

De Pierre Assouline, je n'avais lu, ou plutôt parcouru, que deux ou trois de ses fameuses biographies. Tout le monde parlant de lui autour de moi, cela m'a donné envie de lire Golem, son dernier roman. Mon plaisir de lecture a balancé, tantôt vers le haut, tantôt vers le bas. Au final, je reste sur un avis mitigé.

Gustave Meyer, le personnage principal du roman, est un grand maître international d'échecs ; il a les aptitudes intellectuelles et mentales que cela suppose ; c'est un sexagénaire solitaire, original, amateur d'arts, qui souffre de fortes migraines et bénéficie d'un suivi médical très spécialisé pour des troubles neurologiques.

Voilà qu'on assassine son ex-femme, animatrice inflexible d'un blog d'alerte sur les dérives éthiques dans les neurosciences. Considéré par la police comme le principal suspect, Gustave Meyer décide de fuir et d'entrer en clandestinité. Il se résigne à une destinée de fuite sans fin, à l'instar du docteur Richard Kimble, le fugitif de la série TV culte dont ceux de ma génération ne manqueront pas de se souvenir.

Dans le même temps, il découvre que lors d'une intervention chirurgicale récente, des électrodes ont été implantées dans son cerveau – "à l'insu de son plein gré !..." – afin de booster sa mémoire et son intelligence. Cette prise de conscience le perturbe au plus haut point. Il se sent dépossédé de sa condition d'être humain, rabaissé au niveau d'un être sans âme, tel un Golem de la mystique juive, créé et manipulé par un aspirant démiurge. Il en vient à s'interroger sur sa conscience juive ; sa fuite tourne en quête de la mémoire des souffrances de son peuple, sur les traces des communautés survivantes de la Shoah aux quatre coins de l'Europe centrale, pour s'achever à Prague – ville qui garde le souvenir d'un Golem légendaire –, où il s'attarde dans le vieux cimetière juif... – J'en profite à titre personnel pour rendre hommage à Umberto Eco, récemment disparu.

Tout se boucle finalement dans une conjuration menée par des zélateurs du transhumanisme, des idéologues assoiffés de puissance et des financiers soucieux de rentabiliser leurs investissements dans les neurosciences, entraînés dans l'aventure par un savant génial et affairiste, psychopathe au point d'éliminer les gêneurs... Le docteur Gang et Mad mis en échec par l'Inspecteur Gadget... Le docteur Septimus démasqué par Blake et Mortimer... Les téléfilms des années soixante-dix et leurs scénarios complotistes.

Si le côté polar laisse à désirer, l'écriture en revanche est très belle ; choix juste et précis des mots et des locutions, syntaxe parfaite et élégante. La rédaction donne l'impression d'être à la fois naturelle, spontanée, tout en étant en même temps travaillée, léchée, jusqu'à frôler le maniérisme. Quand toutefois Gustave Meyer et l'auteur s'enfouissent dans des considérations mystiques trop profondes, le juif non croyant et non observant que je suis finit par se lasser et perdre le fil, l'œil mouillé de sommeil et l'esprit embrumé...

De belles évocations artistiques, en cohérence avec le livre ; Proust et ses théories sur la mémoire ; Rothko et ses champs de couleur irradiant directement le cerveau derrière la rétine ; Glenn Gould et ses fredonnements obsessionnels, comme ceux de Gustave Meyer pendant tout le roman, sur l'air de la Mantovana (ou Mantovina), une rengaine lancinante du 16ème siècle ayant servi de matière première à Smetana pour la composition de la Moldau, musique culte à Prague, elle même inspiratrice de la Hatikva, l'hymne national d'Israël.

Enfin, ne vous arrêtez pas à la question posée à la première ligne du livre : où va le blanc quand fond la neige ? Pierre Assouline donne la réponse à la dernière ligne : il va au ciel...!

  • DIFFICILE     oo   J’AI AIME... UN PEU

 

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La femme qui avait perdu son âme, de Bob Shacochis

Publié le 2 Mars 2016 par Alain Schmoll

Mars 2016

La femme qui avait perdu son âme m'a littéralement fasciné... La femme autant que le roman !

Une femme d'une beauté renversante, dont tous les hommes sont fous… Elle porte plusieurs noms, parle dix langues, sait tout faire, a vécu au moins deux vies, s'exprime et jure crûment, utilise son corps sans vergogne – j'allais écrire sans état d'âme !... C'est parfois en perdant son âme que l'on se construit...

Revenons au roman. Il est somptueux, mais autant prévenir, la lecture n'en est pas un long fleuve tranquille. C'est long, très long, même ; et c'est plutôt un torrent impétueux aux eaux boueuses, parfois sanglantes, jonché d'obstacles invisibles. Dans la première partie, il faut s'accrocher avec patience et détermination. La femme qui avait perdu son âme relève de ces romans formidablement conçus en puzzle, difficiles d'accès, qu'on abandonne après cent pages ou qu'on ne peut plus lâcher et qu'on relit tout de suite après, au moins en diagonale, une fois qu'on a les clés pour comprendre ce qui était hermétique à première lecture.

L'histoire s'étend dans le temps comme une saga, et dans l'espace comme une fresque.

Le premier chapitre se passe en 1998 en Haïti ; quelques mots d'un poème célèbre me viennent : ... un palais flétri par la cohue / On s'y saoule, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux. Ça part dans tous les sens, là-bas. Extrême pauvreté et abus de pouvoir arrogants. Mysticisme vaudou ou chrétien. Violence crapuleuse ou démente. Qui sont les gentils, qui sont les méchants ? Qui est ami avec qui ? Les Américains viennent de se replier, après avoir essayé vainement de rétablir l'ordre, la justice et la démocratie. Incompatibilité culturelle totale. Sauf pour les gros trafiquants internationaux qui profitent de la corruption généralisée.

Ça commence comme un thriller. Une femme est tuée... Oui, c'est bien celle dont il est question !... Deux ans auparavant, en Haïti déjà, sa beauté, son attitude provocante et un comportement insensé lui avaient valu une présence remarquée. Elle s'appelait Renée, ou Jackie, peut-être Dorothy. Qui l'a tuée, et pourquoi ? Pour brouiller les pistes, l'auteur, Bob Shacochis joue avec les procédés d'écriture : des dialogues et des flash-backs insérés sans les ponctuations appropriées ; des considérations anecdotiques qui sont autant de fausses pistes ; des gros plans sur des personnages qu'on croit importants et qui ne le sont pas ; des interrogations en trompe-l'œil sur des événements étranges... Ne cherchez pas à comprendre, les dernières pièces du puzzle ne vous seront livrées qu'au cinquième chapitre.

Les trois chapitres intermédiaires, d'une lecture plus aisée, éclairent les personnalités des personnages principaux.

1945, libération de la Croatie. Epuration. Dans les Balkans, la violence est toujours sauvage, barbare, insoutenable. Stjepan, huit ans, regarde le cadavre décapité de son père, un chef Oustachi criminel de guerre, torturé et tué par un Serbe communiste et un Bosniaque musulman, pendant que sa mère est violée. Voilà déterminés clairement les ennemis contre lesquels il luttera, plus tard, quand devenu Américain sous le nom de Stephen Chambers, il fera carrière dans la diplomatie et le renseignement international.

1986, Istanbul. Chambers y est installé après avoir été en poste un peu partout sur la planète. De jeunes musulmans commencent à se rebeller contre la laïcité militaire en vigueur. D'autres turbulences les interpellent, ailleurs : en Afghanistan, les Soviétiques, espèce en voie de disparition, se heurtent à des Moudjahidins, espèce en voie d'apparition. Chambers observe ; les ennemis de ses ennemis sont ses ennemis…

Diplomate influant, Chambers dispose de fonds et de réseaux importants. Il a une fille, Dorothy – Dottie pour les intimes – qui vit seule avec lui. Père et fille s'adorent ; un peu trop, sans doute !... Dottie est éduquée comme un singe savant, comme pour devenir une machine de guerre au service de son père. A dix-sept ans, déjà sublime, elle est encore un peu midinette ; mais ça ne va pas durer.

1996. Des terrains de golf et des bases militaires aux Etats Unis. Chambers est Sous-Secrétaire au Département d'Etat. Avec ses homologues du Département de la Défense et de l'"Agency", ils font et refont le monde. A la suite d'actions équivoques en Amérique latine, Haïti est devenu un sujet de préoccupations ; trop de trafics, trop de corruption, trop de tentatives de déstabilisation, il va falloir faire quelque chose ; et si ça tourne mal, n'abandonner personne ! Le sergent-chef des Forces spéciales Eville Burnette, un grand gaillard d'une loyauté à toute épreuve, fera office d'homme-lige.

Mais lui aussi, comme les autres, sera subjugué par la femme. Il sera pourtant bien le seul à conserver son âme, à l'inverse de Tom Harrington, un avocat des droits de l'homme, qui l’aura perdue par excès de naïveté et de fascination pour une femme trop belle et trop intelligente pour lui.

La femme qui avait perdu son âme est une composition littéraire magistrale, pour un ouvrage complexe qui m'a passionné. Et quant à cette femme, à laquelle je pense encore, qui sait ? Pour retrouver son âme perdue, peut-être lui suffirait-il de mourir et renaître...

  • TRES DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT
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Le roi des aulnes, de Michel Tournier

Publié le 14 Février 2016 par Alain Schmoll

Février 2016

Prix Goncourt 1970, vendu à quatre millions d'exemplaires, chef d'œuvre de Michel Tournier, grande figure de la littérature française contemporaine et récemment décédé... ce livre m'a mortellement ennuyé !...

Il raconte l'histoire d'Abel Tiffauges, un individu médiocre, solitaire et tourmenté. Cet homme s'invente une destinée fantasmagorique, qu'il est le seul à percevoir au travers de signes et de symboles empruntés à quelques mythes chrétiens et germaniques. Deux narrations se juxtaposent : un récit traditionnel transcrivant les faits tels qu'ils se déroulent et leur réinterprétation par Tiffauges, en mode spirituel et mystique, dans ses écrits sinistres, un journal personnel écrit de la main gauche.

Dans son enfance, Tiffauges avait été longtemps pensionnaire dans une institution catholique, où il avait été le souffre-douleur des uns, tout en étant protégé par les autres. Rien de très explicite ne nous est livré sur d'éventuels sévices qu'il aurait eu à subir,... mais on n'en pense pas moins... Devenu adulte très grand et massif, disposant d'une force herculéenne, il nourrit une forme de tendresse obsessionnelle et perverse – mais non sexuelle !! – pour les enfants pré-adolescents, filles, puis plutôt garçons... En 1939, la déclaration de guerre le sauve de graves ennuis judiciaires.

Piteux soldat dans un piteux régiment, il est fait prisonnier et transféré en Prusse orientale. Les paysages et les populations qu'il découvre l'enthousiasment au point de croire que ce pays lui offrira la destinée qu'il attend. Il travaille un temps sur un domaine forestier où le maréchal Göring chasse à courre, puis finit par se faire recruter dans une napola, sorte d'internat d'élite où les nazis forment les jeunes au combat. A l'approche de la défaite finale, Hitler ordonne une mobilisation totale, y compris des plus jeunes. Dans la napola vidée de ses instructeurs et des adolescents, Tiffauges se retrouve seul adulte, entouré de quatre cents pré-adolescents ; un rêve extatique... mais de courte durée : la napola est détruite par l'Armée Rouge ; les jeunes pensionnaires sont tués les uns après les autres.

Dernier personnage à apparaitre : un très jeune juif échappé d'Auschwitz, Ephraïm, trouvé à moitié mort et soigné en secret par Tiffauges, qui découvre à son contact l'horreur des camps de la mort et la monstrueuse réalité du nazisme. Fuyant avec Ephraïm sur ses épaules, Tiffauges perd ses repères et s'enfonce dans la vase d'un marécage bordé d'aulnes noirs…

Cette figure de l'adulte portant un enfant sur ses épaules, très présente dans le livre, évoque le Roi des Aulnes, l'ogre voleur d'enfants de la mythologie germanique. Mais pour Tiffauges, c'est le fantasme absolu, un concept halluciné qu'il nomme phorie, imaginé par Michel Tournier à partir du mythe très ancien de l'homme-mère-enfant réuni en une seule chair.

Oiseuses tribulations psycho-mythologiques de l'auteur par personne interposée. Interminables regards sur les paysages plats, humides et froids parcourus par Tiffauges. Observations sans intérêt sur les pérégrinations des cerfs et des pigeons-voyageurs. Tout cela m'a profondément abattu. Il arrive que la fin d'un livre soit un soulagement et qu'on soit heureux de passer au suivant..

.TRES DIFFICILE     o   J’AI AIME... PAS DU TOUT

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Le parfum, de Patrick Süskind

Publié le 10 Février 2016 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Février 2016

Véritable best-seller lors de sa parution il y a une trentaine d'année, Le parfum est considéré comme l'un des meilleurs romans de sa génération. L'histoire qu'il raconte est tellement originale et captivante, qu'à l'époque, je l'avais lu d'une traite, comme un thriller, emporté à chaque page par l'envie irrésistible de découvrir la suivante. Libéré de cette frénésie lors de ma relecture, je me suis laissé prendre au charme envoûtant de ce livre sensationnel… – un qualificatif que j'emploie au sens propre...

Dans Le parfum, mélange de fresque sociale et de fiction fantastique, tout commence et finit en effet par des odeurs. Elles marquent et différencient tout ce qui existe physiquement : la nature, les hommes, les objets ... Elles reflètent et submergent l'immatériel : les sentiments, les bruits, les pulsions... Et ça ne sent pas toujours la rose ; il est plus souvent question de puanteurs écœurantes et de remugles peu ragoûtants, que de suaves fragrances.

Le personnage principal, Jean-Baptiste Grenouille, dispose d'un odorat hyper-développé qui lui sert de sens principal dans sa perception du monde, une fonction qui, chez l'homme du commun, est dévolue à la vue et à l'ouïe. Pourquoi pas ! Les parfums, les couleurs et les sons se répondent, écrivait Baudelaire. Cette sensibilité sensorielle exceptionnelle va porter naturellement Grenouille à s'intéresser aux métiers d'élaboration des parfums.

Mais il reste en marge. C'est un être totalement déshérité, tant par la nature que par le contexte social dans lequel il évolue. Ses disgrâces physiques, ses carences mentales et ses handicaps comportementaux le condamnent à une forme d'isolement dans une vie misérable et asservie. Étranger à toute conviction, il n'éprouve de sentiment pour personne, car seules les odeurs lui parlent, si j'ose dire. Et justement, celles de ses congénères lui répugnent. A l'inverse, lui-même ne dégage aucune odeur personnelle, une malédiction supplémentaire qui le rend inexistant aux yeux, ou plutôt aux nez des autres.

En quête d'un sens à sa vie, il entrevoit la confection d'un parfum sublime ; un arôme subtil, le bouquet parfait, qui, quand il s'en aspergerait, susciterait l'amour, le respect et l'admiration des autres... Oui, mais où en trouver les ingrédients de base ? Apparemment, pas d'autre terreau que le corps de jeunes filles vierges très belles !... Au fait, le titre complet du roman est : Le parfum, histoire d'un meurtrier...

Une sensibilité perceptive exacerbée, le sentiment douloureux d'être différent et incompris, la volonté irrépressible de s'exprimer à sa façon propre : ne seraient-ce pas des caractéristiques déterminantes de l'artiste, du créateur ?... Et ce serait aussi celles du serial killer ! Observation préoccupante ! Reste la conscience du Bien et du Mal... Affaire aussi de circonstances : le peintre n'a nullement besoin d'ôter la vie à ses modèles...

Un mot sur l'écriture, très particulière, inspirée de la syntaxe de l'allemand, langue originale du roman : rigueur grammaticale sans faille, locutions claires et précises qu'on imagine traduites de mots composés allemands ; cela donne une narration au phrasé rythmé, à la tonalité égale, uniforme, sans être pour autant monotone, car il s'y révèle un fond d'humour décalé réjouissant, même dans les passages les plus sordides et les plus effroyables.

GLOBALEMENT SIMPLE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Profession du père, de Sorj Chalandon

Publié le 24 Janvier 2016 par Alain Schmoll

Janvier 2016,

Un récit fascinant, empoignant. Une fin un peu plan-plan, en point d'interrogation. Dans un premier temps, cela m'a surpris. Puis j'ai pris conscience du caractère fondamentalement autobiographique de l'œuvre ; au delà de la simple mise en forme de souvenirs, elle est l'expression de la recherche douloureuse et désespérante d'une vérité introuvable, une recherche que l'auteur nous fait partager.

Sorj Chalandon est coutumier des romans "choc", généralement des histoires de guerre civile inspirées de ses reportages d'envoyé spécial. Profession du père donne l'effet d'un coup de poing à l'estomac ! Je suis resté les muscles noués pendant tous les chapitres où Emile, le narrateur, raconte son enfance et son adolescence. Pas de scène de guerre, pourtant, même si le roman débute en 1961, en plein putsch d'Alger. L'action se situe dans une grande ville de métropole et les méfaits de l'OAS n'apparaissent qu'au travers des journaux et de la radio.

Un immeuble modeste, un appartement étriqué, de rares meubles bon marché. Le père, la mère et Emile, leur fils unique... Profession du père, demande-t-on ?... Un homme imposant, brutal, gueulard, mythomane... fou à lier ! Qui s'invente des relations éminentes, des talents improbables et un passé héroïque dont il s'emploie à convaincre son entourage ; qui appelle à la mort de de Gaulle et prétend plus tard en avoir été le bras droit ; qui hurle et cogne tous les jours sur Emile parce qu'il n'est pas assez ceci, pas assez cela ; qui passe ses journées reclus chez lui, la plupart du temps en pyjama ; qui... Profession du père ?...

Emile, douze ans, chétif, asthmatique ; un écolier médiocre, doué pour le dessin, mais pas pour la parodie d'éducation militaire qu'on lui impose à la maison. Soumis comme un petit chien battu à son maître, il est à la fois terrorisé et ébloui. Par délégation de son père, animé presque malgré lui par un mimétisme inattendu, il se pose en activiste de l'OAS et va mener une incroyable manipulation...

Et la mère ? Effacée, transparente, elle survit au milieu d'éléments déchainés qu'elle refuse de voir, ne voulant pas d'histoire, acceptant tout sans broncher ; tu connais ton père, excuse-t-elle chaque fois. Cinquante ans plus tard, elle demandera innocemment à son fils : tu étais malheureux quand tu étais enfant ?

Vers la fin du livre, la tension tombe. Les années ont passé. Emile s'est construit ; il a un métier, s'est marié ; un fils est né, tout va bien. Resté marqué par son enfance, il se tient à l'écart de ses parents, âgés, de plus en plus reclus et recroquevillés sur eux-mêmes. Il voudrait comprendre, pénétrer l'âme de ce père, découvrir son passé, sa vraie personnalité... L'auteur usera d'un artifice un peu éculé pour justifier de ne rien nous en dire. En fait, lui et Emile ne savent pas, ne sauront jamais. Tant pis pour eux et dommage pour le lecteur... Mais Sorj Chalandon reste un grand écrivain et sa sensibilité est bouleversante.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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