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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

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Ombres sur la Tamise, de Michael Ondaatje

Publié le 27 Juillet 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juillet 2020,

Michael Ondaatje est un poète, romancier et éditeur canadien, né au Sri Lanka en 1943. Son œuvre a été à plusieurs reprises saluée par des prix littéraires et l’un de ses romans a atteint une dimension universelle lorsqu’il a été adapté à l’écran sous le titre Le Patient anglais.

 

 Ombres sur la Tamise, son dernier roman, est publié en 2018. Des ombres qui brouillent les souvenirs d’enfance de Nathaniel, le narrateur de l’ouvrage, des ombres qu’il lui faudra dissiper afin d’y voir clair sur son passé. A l’âge adulte, il mènera une longue enquête pour faire la lumière sur son étrange adolescence et sur la vraie personnalité de sa mère.

 

Londres, 1945. La guerre vient de se terminer, la ville panse les plaies que lui a values le Blitz, cette série de bombardements violents sur lesquels comptait Hitler pour faire craquer les Anglais. Les parents de Nathaniel, quatorze ans, et Rachel, à peine plus, annoncent qu’ils doivent s’installer à Singapour, sans les emmener. Le frère et la sœur sont pris en charge par deux hommes supposés être de toute confiance, mais les deux adolescents voient plutôt en eux des énergumènes aux tendances interlopes.

 

Ont-ils raison, ont-ils tort ? Toujours est-il qu’influencés par leur imagination immature, Nathaniel et Rachel interpréteront à leur façon les aventures qu’ils vont vivre. Des expéditions de nuit en bateau sur la Tamise et des réunions dans des lieux glauques leur font entrevoir un monde rocambolesque, où il est question de courses de lévriers, de paris, de truquages, de contrebande, de transport de substances illicites... Plus tard, Nathaniel comprendra.

 

Confortés sur le moment dans leurs premières impressions, Rachel et Nathaniel ont de surcroît très vite la certitude que leurs parents leur ont menti et que leur mère n’est pas partie à Singapour. Ils échafaudent toutes sortes de théories fumeuses.

 

Quinze ans plus tard, soupçonnant que leur mère aurait pu jouer un rôle dans les services secrets britanniques, Nathaniel se remémore les moments passés seul avec elle à la fin de son adolescence, dans une maison familiale à la campagne, avant qu’un événement tragique n’y mette fin. Il saisit l’opportunité d’entrer lui-même dans les services secrets, où il est chargé de mettre de l’ordre dans des archives portant sur des événements qui s’étaient produits dans l’immédiat après-guerre : combats d’arrière-garde de groupes ayant soutenu les Nazis et n’acceptant pas la défaite, et à l’inverse, raids de représailles d’autres groupes ayant souffert de la barbarie nazie.

 

Ce travail de documentation lui permettra d’y voir plus clair sur l’activité de sa mère pendant la guerre et les mois qui ont suivi la fin officielle des hostilités. Une occasion pour l’auteur de saluer des personnes ayant tenu à jouer un rôle concret pendant la guerre, sans attendre plus qu’une discrète célébration pour « service honorable au sein du Foreign Office ».

 

D’un point de vue littéraire, on dira que l’auteur procède par touches impressionnistes sans ligne claire, à l’instar de certains tableaux de peintres classiques, où l’on devine la Tamise et ses rives derrière des jeux d’ombres et de lumière, censés illustrer le traditionnel smog londonien.

 

Le mode d’écriture de Michael Ondaatje vise moins l’explicitation des événements que l’effet littéraire. Ombres sur la Tamise est un livre où transparaît le naturel poétique de l’auteur. Il ne plaira donc pas à tout le monde, mais la narration force la curiosité du lecteur et n’est ainsi jamais ennuyeuse.

 

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Retour de service, de John Le Carré

Publié le 27 Juillet 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juillet 2020,

Je n’avais pas relu John Le Carré depuis des décennies. Dans les années soixante, cet ancien agent des services secrets britanniques avait révolutionné la littérature d’espionnage et connu rapidement une consécration mondiale avec l’un de ses premiers romans, L’Espion qui venait du froid (1964). 

 

John Le Carré a puisé son inspiration dans ce que l’on appelait la guerre froide et ses entrelacs de réseaux plus ou moins opaques de renseignement, de noyautage et de manipulation, orchestrés d’un côté du rideau de fer par les démocraties à l’Occidentale, et de l’autre par le bloc soviétique. A l’opposé des agents secrets playboys et cascadeurs ou des espionnes au galbe de séductrices fatales, les personnages de John Le Carré principaux sont d’apparence banale. Les fictions mettent en valeur la réflexion et les discussions feutrées, où l’analyse géopolitique, la stratégie d’influence et la manœuvre psychologique ont la primauté sur l’opération spéciale. Une littérature plus intellectuelle que spectaculaire, ce qui n’a pas empêché certains de ses livres d’être des best-sellers.

 

À quatre-vingt-huit ans, John Le Carré sort un vingt-cinquième roman, dont le titre français Retour de service est particulièrement bien trouvé, puisque le personnage principal et narrateur, prénommé Nat, est à la fois un pratiquant assidu de sport de raquette – en l’occurrence le badminton, où il excelle – et un vétéran des services actions à l’étranger, en attente de reconversion dans un poste de management à la direction centrale, à Londres.

 

Dans son club londonien, Nat se voit défier au badminton par un jeune homme timide prénommé Ed. En l’espace de quelques mois, Nat jouera avec lui plusieurs parties, suivies d’un verre au bar du club, occasion pour les deux hommes d’échanger des propos qu’ils pensent sans importance. Mais voilà qu’au cours d’une opération complexe de retournement d’un transfuge, avec l'objectif de transformer un agent double en agent triple, l’activité de badiste (*) de Nat va se télescoper avec sa vie d’officier du contre-espionnage. De vraies-fausses révélations en rebondissements inattendus, la situation pourrait devenir compliquée pour lui…

 

J’ai aimé retrouver le style de narration de John Le Carré, un peu désuet, très british, au demeurant très fluide et agréable à lire. L’auteur multiplie les digressions dont on ne sait jamais s’il s’agit de badinages accessoires ou de faits à garder en mémoire en prévision de développements futurs. On se sent quelque peu perdu dans le fil de la narration, et même carrément baladé, les intentions de Nat étant parfois confuses. Mais peu importe, ce n’est jamais ennuyeux.

 

Les personnages restent conformes à la vision de l’auteur. Les agents et les dirigeants des services de contre-espionnage sont des cadres et des cadres supérieurs, tel qu’on en rencontre dans l’Administration et dans les grandes sociétés privées : en parallèle de leurs missions, ils ont des vies de famille compliquées, un patrimoine personnel à faire fructifier, une santé qui les préoccupe, des états d’âme qui les rongent. Ce ne sont pas des héros.

 

Sur le fond géopolitique, tout a changé, mais rien n’a changé. La guerre froide appartient à l’Histoire, mais la Russie de Poutine, toute postsoviétique qu’elle soit, n’a pas perdu ses propensions à l’entrisme, ce qui oblige, pour le contrecarrer, à mobiliser la meilleure part des services secrets anglais. Et bien qu’en ces temps de Brexit, le Gouvernement de Sa Majesté cherche à s’adosser aux Américains, entre services opérationnels, ça reste un éternel « je t’aime moi non plus ». L’auteur en profite pour dire, sans mâcher ses mots, ce qu’il pense du Brexit, de Boris Johnson, et de Donald Trump.

 

Sur le terrain, chacun fait donc un peu ce qu’il veut, car les cadres ont une conscience propre, des convictions personnelles… et des intérêts particuliers. La plupart sont capables de trouver un compromis quand il faut tenir compte d’opinions contradictoires. Mais leur autonomie se heurte à la raideur de la bureaucratie, où les réactions sont marquées par un mélange de philosophie du soupçon et de principe de précaution, quand ce n’est pas par de simples réflexes comptables de limitation des dépenses. Décidément, le monde des espions est terriblement semblable au nôtre.

 

(*) Badiste : joueur de badminton.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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L'amitié est un cadeau à se faire, de William Boyle

Publié le 14 Juillet 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juillet 2020, 

La maison Gallmeister est spécialisée dans la littérature américaine contemporaine et elle publie souvent des romans au souffle puissant. C’est donc en toute confiance que je me suis lancé dans L’amitié est un cadeau à se faire, d’un dénommé William Boyle, qui avait déjà écrit quelques polars.

 

Le livre est un thriller burlesque, imprégné de références au cinéma, à la bande dessinée, à la musique rock et aux jeux vidéo. Une source d’inspiration qui transparaît dans le déroulé des événements racontés, comme dans le style de l’écriture.

 

L’action se développe entre Brooklyn, le Bronx et une petite ville du New-Jersey. Les personnages principaux sont des femmes. Les unes, d’ascendance italienne, ont vécu en marge de mafieux au petit pied ; les autres sont d’anciennes actrices porno, quelques temps reconverties dans l’arnaque au mariage, et désormais à la retraite. Des personnes hautes en couleur donnant à l’auteur l’occasion d’agrémenter sa narration d’anecdotes qu’il semble trouver croustillantes.

 

L’ensemble du roman se présente comme une succession de péripéties mouvementées un peu loufoques, ce qui ne les empêche pas d’être parfois très violentes. Des personnages qu’on aurait pu croire essentiels sont tués brutalement, dans des circonstances tragiques et inattendues. Leurs meurtres sont racontés de façon vaguement édulcorée, comme si les victimes étaient des avatars de jeux vidéo, et qu’un simple « reset » pourrait suffire à les ressusciter.

 

Tout est écrit au présent, en phrases courtes, à la façon de commentaires en instantané d’images qui défilent, comme cela se pratique dans l’audiovisuel pour expliquer ce qui pourrait échapper à des personnes mal-voyantes ou mal-entendantes.

 

 Je n’ai pas été sensible aux formes d’humour et de suspens du roman. Je ne doute pas qu’il y ait un public pour ce livre, mais personnellement, je ne l’ai pas trouvé distrayant et je n’en garderai rien en mémoire.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     oo    J’AI AIME… UN PEU

 

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De bonnes raisons de mourir, de Morgan Audic

Publié le 14 Juillet 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juillet 2020,

« Le nouveau prodige du polar français », peut-on lire en travers de la couverture. C’est l’éditeur qui le dit et après tout, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. En tout cas, s’il y a bien une catégorie à laquelle ce livre n’appartient pas, c’est celle des ouvrages « feel good » qui semble tant prospérer de nos jours. De bonnes raisons de mourir est bien un polar, c’est même un thriller, où les pages nauséeuses ne manquent pas.

 

Rien n’est fait pour tirer vers le haut le moral du lecteur. Des cadavres atrocement mutilés, un tueur mystérieux et illuminé qui maîtrise la taxidermie, technique consistant à empailler les animaux morts… et pas que les animaux, si vous voyez ce que je veux dire. Beaucoup de morts, pas beaux à voir.

 

Le décor non plus ne fait rêver personne, sauf peut-être les collapsologues. Le tueur officie dans la zone de sécurité mise en place autour de Tchernobyl, la centrale nucléaire soviétique qui avait explosé en 1986. Le secteur, contaminé par les radiations, est à l’abandon et gardé par une police armée. L’auteur – qui n’y est jamais allé, j’en reparlerai – amène le lecteur à déambuler dans Prypiat, fantôme d’une ville de vingt mille habitants, créée quelques années avant la catastrophe selon un schéma d’urbanisme monotone à la soviétique ; des bâtiments géométriques tous identiques, abandonnés depuis par la population et envahis par une végétation foisonnante.

 

Ne résident officiellement sur place que quelques centaines de personnes, des ouvriers travaillant dans ce qui reste de la centrale. Officieusement, elles sont quatre fois plus nombreuses. On y croise des stalkers (du nom d’un film de science-fiction d’Andreï Tarkosvski) ; ce sont des trafiquants qui récupèrent des composants irradiés pour les recycler mine de rien. S’y trouvent aussi des malades contaminés venus se planquer pour mourir. Sans oublier des groupes de touristes en manque de sensations fortes. Les animaux domestiques sont redevenus sauvages, la végétation aussi. Vision dérangeante d’un monde post-apocalyptique.

 

Un thriller, donc. Un crime horrible, qu’on découvre lié à un autre, commis trente ans plus tôt, le jour même de l’explosion de la centrale nucléaire. Deux flics tourmentés mènent l’enquête. Un Ukrainien, originaire de Kiev, muté dans la zone à la suite d’un différend avec sa hiérarchie. Un Russe, né à Prypiat d’où il fut évacué, enfant, dans des conditions dramatiques, les jours qui avaient suivi la catastrophe ; il agit comme « privé » pour le compte d’un riche oligarque endeuillé lors des deux meurtres.

 

Le thriller est de construction classique et l’auteur prend plaisir à multiplier les fausses pistes. Pas sûr pour autant que le lecteur ne s’y laisse prendre aussi facilement. La vérité, ou plutôt les vérités finissent par apparaître. C’est un peu tarabiscoté, ce qui n’a pas tellement d’importance… Je parle pour moi. Les thrillers ne m’ont jamais conduit à me ronger les ongles ou empêché de dormir en attendant de connaître le coupable.

 

Le livre est surtout une passionnante visite de la zone de Tchernobyl, trente ans après la catastrophe. C’est aussi un formidable document sur la vie en Ukraine, vingt-cinq ans après le démantèlement de l’Union soviétique et l’indépendance des anciennes « Républiques socialistes ». L’action se passe en 2016, en pleine guerre du Donbass, un conflit armé entre la Russie et l’Ukraine, qui fait suite à ce que l’on a appelé la révolution de Maïdan. S’y expriment pêle-mêle des dissidences régionales, des aspirations européennes, des revendications ethniques, nationalistes, régionalistes, linguistiques, économiques, ainsi que des règlements de comptes mêlant rivalités politiques, privatisations sauvages, trafics mafieux et guerre de gangs. Une dizaine de milliers de morts, plus d’un million de personnes déplacées…

 

L’ouvrage démontre que les romans peuvent être une source d’enrichissement personnel aussi efficace et beaucoup plus agréable à lire qu’un essai ou un documentaire. Et pourtant, l’auteur, Morgan Audic, un prof d’histoire breton, déclare n’être jamais allé sur place et ne s’être documenté que sur pièces. Son travail mérite une bonne note.

 

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Le cas Fitzgerald, de John Grisham

Publié le 10 Juin 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juin 2020,

On ne présente plus John Grisham, ancien avocat, auteur prolifique de romans policiers dont presque tous ont été des best-sellers et dont certains ont été adaptés avec succès au cinéma. Camino Island, paru en 2017 aux États-Unis, est son trentième roman. Le titre sous lequel l’éditeur français l’a publié, Le cas Fitzgerald, témoigne de sa volonté d’afficher clairement qu’il s’agit d’un roman policier à caractère littéraire.

La prestigieuse Université de Princeton, dans le New Jersey, compte dix bibliothèques, la plus importante étant la bibliothèque Firestone. Au cours d’un casse spectaculaire raconté avec brio, des malfrats y dérobent les manuscrits de cinq ouvrages de Francis Scott Fitzgerald, dont le fameux Gatsby le Magnifique. Il faut savoir que les originaux d’un écrivain américain aussi mythique valent chacun plusieurs millions de dollars.

 

L’action se poursuit plusieurs mois plus tard dans une station touristique populaire, sur l’île fictive de Camino, en Floride. A l’enseigne de Bay Books, s’y trouve une grande librairie, où sont présentés les livres de l’année, ainsi que les gadgets traditionnellement associés à l’édition. Existe également un département d’éditions rares, couru par des collectionneurs. Très fréquentée, la librairie est un véritable carrefour mondain et littéraire de l’île.

 

Selon la rumeur, le propriétaire de la librairie, un homme séduisant et prospère du nom de Bruce Cable, s’adonnerait à des trafics illicites et au recel de manuscrits volés. Il se murmure qu’il pourrait détenir la collection Fitzgerald dérobée à Princeton.

 

Le FBI, qui avait réagi efficacement après le cambriolage, ne sait plus vraiment comment orienter ses recherches, mais ne croit pas trop que Bruce Cable ait l’envergure d’une telle opération. Ce dernier est en revanche soupçonné par une femme mystérieuse, qui prétend travailler pour le compte de la compagnie ayant assuré les manuscrits volés et qui mène l’enquête à sa façon. Elle engage une jeune et jolie écrivaine en panne d’inspiration et en manque de revenus, Mercer Mann, qu’elle charge d’entrer en relation avec le libraire, mine de rien, dans le but de découvrir des indices permettant de le démasquer. Mercer prend contact avec Bruce…

 

Des individus louches tournent autour de la librairie. Ce sont les voleurs de Princeton, qui sous la pression du FBI, avaient été contraints de se débarrasser des manuscrits dans des conditions peu favorables et qui sont prêts à tout pour remettre la main dessus afin d’en obtenir un meilleur retour.

 

L’auteur raconte agréablement des épisodes de la vie locale réunissant dans la librairie des plumitifs de tous poils (je ne suis pas très fier de cette expression, mais tant pis !). Des femmes, des hommes, qui écrivent des romans plus ou moins populaires, des essais parfois complexes, de la poésie. On dîne, on boit, on discute, on convient qu’il faut choisir entre deux littératures, celle qui séduit les critiques et celle qui permet d’engranger des droits d’auteur…

 

On y parle aussi de grande littérature en évoquant des anecdotes sur des écrivains américains célèbres : Fitzgerald bien sûr, mais aussi Hemingway, Faulkner, Salinger, Virginia Wolf, et d’autres, parmi lesquels des auteurs que je ne connais pas.

 

Tout cela se lit avec plaisir, en tout cas pour le lecteur qui aime la littérature. Bien entendu, celui-ci n’oublie pas qu’il est dans un polar et il attend frénétiquement le dénouement. Bruce mérite-t-il réellement les soupçons qui pèsent sur lui ? Dans l’affirmative, qui arrivera en premier à récupérer les manuscrits : les enquêteurs ou les malfrats ? Et que se passerait-il si policiers et gangsters se télescopaient dans les lieux ? Grisham sait faire monter la tension en intensité.

 

Il peut arriver qu’on s’inquiète pour rien, mais qu’on soit quand même surpris par le dénouement. Sans défaut majeur, le livre se laisse lire tranquillement. L’œuvre d’un professionnel.

 

FACILE     ooo   J’AI AIME

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Le Grand Art, de Léa Simone Allegria

Publié le 10 Juin 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Juin 2020,

Le Grand Art. J’avais repéré ce titre sur les sites littéraires lors de sa parution, courant mars. Sa couverture et le résumé m’avaient séduit. Après l’avoir lu, quelques semaines plus tard, je me suis étonné de n’en voir, sur les mêmes sites, qu’un tout petit nombre de critiques. Sans aucun doute, la conséquence directe de la fermeture des librairies et de la mise en sommeil des maisons d’édition pendant la période de confinement, car le livre m’a tout simplement enthousiasmé.

C’est le deuxième roman d’une jeune femme, Léa Simone Allegria, que des études de lettres et d’histoire de l’art n’ont pas empêchée d’être bien branchée dans son époque. Elle a défilé pour des marques de mode prestigieuses et a aussi créé une galerie d’art en ligne.

 

Le livre est bardé de références historiques et culturelles de haut niveau, mais qu’on ne s’y méprenne pas, Le Grand Art est en fait un polar. Et quel polar !... Grandiose. Il plonge le lecteur dans l’univers de l’Art, des Antiquités, de leur négoce... et de leurs mauvaises pratiques. Cherchez le(s) coupable(s) ! Pas évident, quand tous les personnages ont leur face sombre.

 

Le personnage principal, Paul Vivienne, est un commissaire-priseur sur le retour, nostalgique de sa splendeur passée, mis à l’écart dans une société de ventes qui s’efforce d’évoluer avec les technologies d’aujourd’hui. La culture de ce professionnel mondain est à la hauteur de son cynisme, immense. A l’occasion d’une succession à liquider dans un château en Toscane, survient l’envie d’un dernier coup d’éclat, la perspective d’un ultime show, marteau en main.

 

Pièce maîtresse de la collection à vendre : un retable, très ancien, trouvé dans la chapelle du château. Une Vierge à l’Enfant et au rouge-gorge. Pas enthousiasmant, mais on ne sait jamais. Pour identifier l’artiste et dater l’œuvre – qui pourrait valoir une fortune… ou pas –, on devra compter sur la conclusion scientifique, établie en laboratoire, et sur le jugement de l’expert(e), fondé sur son œil, son savoir et son intime conviction. Et justement, quelque chose ne colle pas. On ne peut pas être en même temps à la fin du Moyen Age et au début de la Renaissance, comprenez-vous ?... Je ne suis pas clair ? C’est exprès. Si vous voulez connaître « la vérité » et savoir comment l’énigme se résout, lisez le livre. Certains personnages ne manquent pas d’imagination. Léa Simone Allegria non plus.

 

La révélation se poursuit par une remise à plat complète de ce que l’on savait du Quattrocento… Au Louvre, c’est la folie. Les likes explosent sur Instagram. La frénésie gagne New York, le MET, où Madonna et Jean-Paul Gaultier sont de la partie. C’est du délire !

 

La lecture offre des moments saisissants : la vente aux enchères, le procès final, avec des rebondissements dignes d’un thriller. Mais aussi des moments plus intimistes : Paul découvrant le retable, l’examinant et se laissant porter par son imagination et ses souvenirs. Ou une décoiffante fête de funérailles, où Franz Liszt cède la place à un « I Will Survive en version lounge »

 

Les personnages sont admirablement brossés, criants d'authenticité, surtout les femmes, Gabrielle et Marianne (… Et Paul qui croyait tout maîtriser !). Le rôle et l’attitude des experts sont analysés avec finesse. Leur parole revêt un caractère de vérité absolue, mais les notions de rigueur, d’impartialité et de neutralité ne pèsent pas lourd devant les égos ou les intérêts.

 

Le parti d’écriture, original, donne du rythme, mais il n’est pas toujours facile à suivre. On passe sans crier gare de la narration classique au monologue et à l’empilage de monologues. L’auteure donne la parole à tout le monde, y compris à des personnages insignifiants, pour des commérages. On a aussi droit aux digressions et aux fantasmes des personnages importants, qui n’en sont pas moins humains. Une tendance à l’ellipse dans la narration contraint le lecteur à quelques efforts pour tout boucler. Normal ! Ce sont les personnages qui racontent et un personnage ne raconte que ce qu’il veut.

 

La fiction, audacieuse, s’appuie sur une documentation abondante et passionnante. C’est du grand art. L’humour ne manque pas, au premier et au deuxième degré. Un sacré talent. J’ai été embarqué. Elle embarquerait n’importe qui.

 

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Le Désert des Tartares, de Dino Buzzati

Publié le 26 Mai 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mai 2020, 

Le Désert des Tartares, roman du journaliste et écrivain italien Dino Buzzati, est considéré comme un chef-d’œuvre universel. Publié en 1940, l’ouvrage est un conte philosophique, structuré autour du parcours d’un personnage, dénommé Giovanni Drogo, dans un pays et en un temps indéfinis. De facture classique, la narration est entrecoupée de commentaires et même d’exhortations adressées au personnage principal, lorsque celui-ci se retrouve à la croisée de chemins.

 

Sorti frais émoulu de l’Académie militaire avec le grade de lieutenant, Giovanni Drogo rêve d’une carrière rythmée par des actes de bravoure et des faits d’armes glorieux. Pour son premier poste, il est affecté à la garnison du fort Bastiani, une vieille place forte éloignée dans les montagnes, à la frontière d’un mystérieux royaume du Nord, au bord d’une immense plaine aride et empierrée s’étendant à perte de vue. Un désert d’où l’on dit qu’un jour surgiront des envahisseurs : des Tartares, si l’on en croit d'anciennes légendes mythiques ; on aurait pu dire des Martiens ou des Extraterrestres.

 

Le fort est une vieille bâtisse, peu accueillante, peu confortable, peu fonctionnelle, totalement isolée dans des paysages minéraux, sauvages, ravinés, dont les confins disparaissent sous les brumes. Le formalisme militaire est empesé, les rapports hiérarchiques convenus. Déçu, Drogo envisage de demander sa mutation en ville, mais il se laisse convaincre d’effectuer une période de quatre mois, à l’issue de laquelle il sera libre de partir.

 

Des rumeurs font miroiter l’imminence de circonstances exceptionnelles – l’offensive de l’ennemi ne saurait tarder ! – susceptibles d’apporter grandeur et noblesse aux destinées des soldats présents. Alors Drogo décidera de rester au fort au-delà des quatre mois, au-delà de quatre années et bien plus encore. Comme la plupart des militaires en poste, il persistera à se nourrir de l’espoir, de l’attente chimérique d’un événement annoncé qui ne survient pas, qui pourrait survenir ou ne jamais survenir, et qui surviendra peut-être juste quand on ne l’attendra plus…

 

Mais l’attente de l’événement pourrait n’être qu’un prétexte, la justification d’un choix inconscient et moins noble, auquel nous risquons tous d’être confrontés : l’accommodement à la médiocrité. Le confort du fort est précaire, mais les petits désagréments quotidiens finissent par tisser une intimité monotone et rassurante dans laquelle chacun aime à se blottir. Il en est de même pour les rituels militaires, contraignants, mais auxquels leur tonalité et leur échelonnement prévisibles confèrent un ronronnement familier. Le caractère protocolaire des rituels conforte aussi le sentiment d’être intégré à un système initiatique flatteur. L’estime montrée par les inférieurs et qu’on voue à ses supérieurs compense celle que l’on n’est pas certain d’avoir pour soi-même.

 

Autour du fort, malgré leurs reliefs lunaires, leurs horizons insondables et leur immobilité embrumée, les paysages finissent par revêtir un aspect onirique surréel et fantastique, que les hommes de la garnison tiennent pour un privilège dont ils ont le sentiment d’être les bénéficiaires exclusifs.

 

Drogo parviendra-t-il à se libérer du sortilège du fort Bastiani et de son désert des Tartares ? Il pourrait chercher une affectation en ville, où il fonderait une famille. Mais englué au fort par les routines et les vanités, il est persuadé d’être toujours le maître de son destin. Il croit avoir le temps, mais il perd la notion de ce temps qui fuit dans la ronde inexorable du soleil, des heures, des saisons, des générations. Un jour, il pourrait soudain se rendre compte avec angoisse qu’il est trop tard.

 

L’attente de la guerre contre l’ennemi invisible est un thème commun avec Le Rivage des Syrtes. Mais la comparaison s’arrête là. A l’opposé de l’écriture de Julien Gracq, Le Désert des Tartares fait l’objet d’une prose sobre, épurée, conforme au précepte de Dino Buzzati : « l'efficacité d'une histoire fantastique est liée à l'emploi de mots et de paroles les plus simples et les plus concrets possible ».

 

Pour ma part, c’est à La Montagne magique de Thomas Mann et au parcours d’Hans Castorp que m’a fait penser l’espèce de paralysie à laquelle se condamne Drogo.

 

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Le Rivage des Syrtes, de Julien Gracq

Publié le 26 Mai 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mai 2020, 

L’effacement de la vie privée de Julien Gracq (1910-2007) contraste avec la consécration que ses œuvres lui valurent, une particularité marquée par son refus d’un prix Goncourt qui lui fut attribué en 1951 pour le Rivage des Syrtes. Je suis aujourd’hui convaincu que la lecture de cet écrivain – et de ce livre en particulier – est réservée aux littéraires les plus éclairés. Je m’en doutais un peu avant de m’y lancer, mais je n’avais pu résister à ma curiosité sans limites. Peut-être m’étais-je aussi laissé aller à une forme de challenge personnel irréfléchi, assez proche, finalement, de l’état d’esprit d’Aldo, le personnage principal du roman, lors de son geste crucial.

Celui-ci, un jeune homme issu d’une grande famille de la Seigneurie d’Orsenna – une cité-Etat à l’ancienne – est envoyé comme observateur dans une forteresse éloignée de la capitale, au bord de la mer des Syrtes. Sur la rive opposée, invisible, l’Etat ennemi héréditaire, le Farghestan. Officiellement, Orsenna et Farghestan sont en guerre, même si cela fait trois siècles qu’aucun acte de belligérance n’a plus été signalé entre eux. Mais la paix n’a jamais été signée, les relations diplomatiques sont au point mort et les populations sont dans l’expectative. Comme sous une chape de léthargie collective.

Cette torpeur nationale prendra fin après l’initiative inattendue d’Aldo, un acte qu’il commet aux commandes d’un petit navire armé, sous le coup de la curiosité, de l’imprudence et d’une envie immature de transgression. Aldo subit aussi l’influence indirecte et maligne de Vanessa, une belle jeune femme issue d’une caste noble, fameuse à Orsenna depuis plusieurs générations pour ses frasques et ses provocations. A la suite de cet acte qui ne reste pas sans réponse, insensiblement, inexorablement, de mauvais instincts se réveillent, de mauvais esprits s’activent, les bonnes consciences se révélant fatalistes. On imagine qu’il en est de même sur l’autre rive, au Farghestan. Personne ne prêche pour un retour en arrière, personne n’appelle au calme. Des provocateurs en rajoutent. Les rumeurs fondées et non fondées circulent et sapent la confiance. La guerre aura lieu.

Le sens profond de l’ouvrage est amené subtilement. A la lecture, la tension augmente insensiblement, enveloppée dans une écriture d’une richesse d’expression incroyable, comportant toutefois une petite tendance à l’emphase. Une sorte d’hermétisme littéraire qui traduit sans doute un certain dédain du lecteur lambda. L’exceptionnel talent de plume de l’auteur révèle un manque de simplicité, peut-être même un manque d’humanité. Le lecteur moyen que je suis a eu beaucoup de mal avec le lyrisme froid et statique des cent cinquante premières pages, très difficiles d’accès.

Je ne peux que reprendre textuellement une phrase que l’auteur met dans la bouche d’Aldo, lorsqu’il reçoit une lettre d’instruction en provenance de sa hiérarchie : « Pris dans leur isolement, tous les mots de ce texte m’étaient clairement compréhensibles, et pourtant la signification de l’ensemble me demeurait brouillée ». C’est ce que j’ai souvent ressenti à la lecture de certaines phrases incroyablement longues et complexes, que je m’efforçais de reprendre à leur début dès que j’en perdais le fil, m’y remettant même à plusieurs reprises avant de finir par… m’assoupir.

J’ai cherché de l’aide dans les ouvrages de commentaires patentés. Ce fut encore pire, je suis tombé sur des charabias qui ne sont pas à ma portée.

La fiction prend place en un temps et en un lieu imaginaires, dont les structures sont puisées dans l’Histoire et la Mythologie. Elle est aussi inspirée par l’inertie pusillanime et suicidaire montrée par les démocraties lors de la montée des nationalismes guerriers dans les années trente, puis après la guerre, lors des premiers signes de la guerre froide. On pourrait voir les mêmes mécanismes insidieux face aux propos actuels de chefs d’Etat autoritaires forts en gueule.

Dans nos antagonismes franco-français, on retrouve le travail de sape des rumeurs, de ce qu’on n’appelait pas fake news du temps de Julien Gracq, et les stratégies sournoises de certains politiques en mal de pouvoir, soufflant sur les braises dans le but de tirer leur épingle du jeu.

TRES DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Et Nietzsche a pleuré, d'Irvin Yalom

Publié le 7 Mai 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, lecture, romans, critique littéraire

Mai 2020, 

Irvin Yalom, un écrivain américain professeur de psychiatrie, est coutumier des fictions mettant en scène un géant de la philosophie. Bien avant Le problème Spinoza, que j’ai lu et apprécié il y a quelques années, il avait publié ce livre au drôle de titre : Et Nietzsche a pleuré. De quoi s’agit-il : d’un roman historique ou d’une chronique sur un épisode particulier de la vie de Friedrich Nietzsche ?

 

Ce n’est ni l’un ni l’autre. Dans sa postface, l’auteur cite André Gide, pour qui un roman est « de l’histoire qui aurait pu être ». Et Nietzsche a pleuré est le récit d’une rencontre, en 1882, entre le philosophe et un éminent médecin viennois nommé Joseph Breuer. Une rencontre qui aurait pu avoir lieu, mais une rencontre fictive, imaginée par l’auteur.

 

Avant tout, je voudrais dissiper les inquiétudes que pourraient susciter le nom de Nietzsche et la réputation d’hermétisme que traîne son œuvre. La lecture du livre est facile et captivante. J’y reviendrai, mais pour l’instant, transposons-nous dans le contexte. Vienne, capitale de l’Empire austro-hongrois, est alors une grande ville moderne. Ses intellectuels et ses scientifiques, parmi lesquels de nombreux Juifs, rayonnent sur l’Europe en dépit d’un antisémitisme très ancré.

 

Joseph Breuer est un médecin réputé, à Vienne et au-delà, pour la pertinence de ses diagnostics. C’est un grand bourgeois quadragénaire, marié et père de famille, qui, bien qu’athée, observe quelques traditions juives. Il a aussi mené des expériences d’hypnose sur l’hystérie – le cas d’Anna O. –, sur lesquelles se fondera plus tard un jeune médecin ami de la famille, un certain Sigmund Freud, qui bâtira sa légende de père de la psychanalyse.

 

Friedrich Nietzsche est encore quasiment inconnu. Il est malade, souffre de migraines foudroyantes, de nausées épouvantables, de crises de cécité. C’est un homme desséché, solitaire, sauvage, pathologiquement misogyne. Son désespoir, abyssal, est à l’origine de ses malaises. Il travaille jusqu’à l’épuisement à une théorie philosophique qui, selon lui, ne pourra être comprise avant un siècle. Elle est fondée sur une quête absolue de la vérité, une élévation de la pensée, supposant de renoncer à toute emprise sentimentale, synonyme de faiblesse coupable.

 

La rencontre entre Nietzsche et Brauer est organisée par Lou Salomé, une jeune femme russe d’une grande beauté, dont l’aura plane sur le livre. Elle est fascinée par l’esprit de Nietzsche et voudrait qu’il soit soigné par Brauer, dont elle connaît la réputation. Lou Salomé s'illustrera plus tard par ses talents de poétesse et de psychanalyste. Elle sera aussi la muse du célèbre poète allemand Rainer Maria Rilke. Pour l’heure, elle a vingt-et-un ans et un aplomb étonnant. Elle aura chamboulé la tête des deux principaux personnages.

 

Breuer se laisse convaincre de soigner les tourments de Nietzsche, à l’insu du plein gré du philosophe, pourrait-on dire. Après une première rencontre au cabinet du médecin, les deux hommes ont plusieurs entretiens, se découvrent progressivement. Mais malgré les tentatives discrètes et rusées de Breuer, Nietzsche ne livre pas les secrets qui le rongent. C’est Breuer qui en arrive à s’interroger sur lui-même ; des obsessions personnelles remontent à la surface et le plongent dans l’angoisse.

 

S’engage alors entre les deux hommes une relation de la dernière chance, pour l’un comme pour l’autre…

 

Les échanges prennent une tournure dramaturgique, une sorte de joute verbale, un jeu d’échiquier virtuel entre les deux protagonistes. L’un pourrait-il mettre l’autre échec et mat ? Avec quelles conséquences concrètes ? Les discussions sont passionnantes, l’incertitude est suffocante.

 

Il ne faut toutefois pas se leurrer et prendre l’ouvrage pour une initiation à la philosophie nietzschéenne ou à la future psychanalyse freudienne. Les dialogues sont prodigieux, les personnages sont tous exceptionnels, mais les conclusions de la double « cure par la parole » suscitent le doute ; les obsessions amoureuses des deux hommes semblent ridicules. Ce serait si facile !

 

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Lake Success, de Gary Shteyngart

Publié le 6 Mai 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mai 2020, 

Est-ce anormal quand on est quadragénaire et que tout va mal, d’avoir soudain la nostalgie d’un amour d’adolescence ? Et justement, pour Barry, ça va mal, ça va même tellement mal, qu’il s’est mis dans la tête de refaire, depuis New York, le trajet effectué vingt-quatre ans plus tôt pour rejoindre dans le Sud, où elle réside chez ses parents, Layla, sa camarade de fac et petite amie d'alors. Un périple de plusieurs jours en cars Greyhound, le mode de voyage le moins cher aux États-Unis. Un véritable raid en terre inconnue, quand on a l’habitude de se déplacer en jet privé.

 

Car Barry Cohen pourrait symboliser le rêve américain dans sa déclinaison actuelle de royaume de la Finance. Grand, athlétique, d’origine modeste, il est à la tête d’un fonds spéculatif très important et gagne des sommes inouïes. Immersion dans l’univers des très très riches : Barry déguste un whisky japonais rare à trente mille dollars la bouteille, bichonne sa collection de montres valant chacune plusieurs dizaines de milliers de dollars et son appartement occupe un étage entier dans une tour de Manhattan. Un endroit réservé non pas aux gagnants, mais « aux gagnants parmi les gagnants ».

 

Barry a même des lettres. Le nom de son fonds spéculatif, « L’envers du capital », est inspiré du titre d’un roman de Fitzgerald. A l’opposé des financiers casse-pieds obsédés par les chiffres et les graphiques, il séduit ses clients en leur racontant des histoires plaisantes qui leur font croire qu’ils sont intelligents. Barry est un type sympa, tellement sympa que les clients ne le quittent pas, bien que le fonds perde de l’argent depuis trois ans. Mais cela pourrait se gâter, parce que Barry est suspecté de délit d’initié et parce qu’un investissement malheureux dans un laboratoire pharmaceutique douteux pourrait faire de lui la risée de Wall Street.

 

Sur son nuage de candeur bienveillante, tout semblait simple et évident pour Barry. Tout a basculé quand on a diagnostiqué un autisme sévère à son fils de trois ans. Barry s’avère incapable de s’adapter pour entrer dans la sphère du petit garçon handicapé, ce qui choque et éloigne irrémédiablement de lui son épouse, Seema, la fille d’immigrés indiens, « la femme la plus belle et la plus intelligente du monde », dont il aurait voulu qu’elle soit aussi « sa meilleure amie ».

 

Lors de son périple en car Greyhound, pendant lequel, dans son fantasme de repartir de zéro, il a renoncé à son smartphone et à ses cartes de crédit, Barry est plongé dans l’Amérique d’en bas, ses quartiers déshérités, ses cités HLM. Il croise des femmes et des hommes de toutes diversités d’origine, de couleur de peau et de moyen de subsistance, partageant pauvreté, apathie ou colère, subissant l’inconfort de la promiscuité, des odeurs, des bruits. Quelques télescopages sont cocasses. Au milieu des Deschiens à l’américaine, Barry reste le gars sympa, incurablement positif. Il voudrait offrir à chacun le meilleur : sa passion obsessionnelle pour les montres, la possibilité d’une belle carrière dans un fonds spéculatif, la perspective d’une amitié ou d’un amour pour toujours…

 

Plus lucide, consciente des impairs et des insuffisances de son futur ex-mari, Seema cherche à rebâtir sa vie de son côté. Mais comment se passer du grand luxe auquel elle s’était habituée sans même s’en rendre compte ? Peut-être en renouant avec l’univers des intellectuels démocrates…

 

Car tout se passe en 2016. L’actualité, c’est « Trump vs Hillary ». Les petits Blancs du Sud croisés par Barry aspirent à la victoire de Trump. Les autres s’en moquent. A Manhattan, on en parle « en mode automatique » : on l’abomine, on n’y croit pas, mais on se consolera à l’idée de payer moins d’impôts.

 

Gary Shteyngart, un écrivain américain juif né en Union soviétique, est coutumier de l’analyse critique de la société américaine et de ses dérives actuelles. Dans les chapitres de Lake Success, alternativement consacrés à Barry et à Seema, la narration emmêle le passé au présent, ce qui en rend parfois la lecture confuse et pesante. Et sa tonalité sarcastique n’implique pas que le livre soit amusant.

 

La bar-mitsva atypique du dernier chapitre est plutôt touchante. Finalement, malgré sa collection de montres et ses millions de dollars, Barry ne voulait qu’une chose : être aimé par son fils.

 

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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