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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

lecture

Vie de Gérard Fulmard, de Jean Echenoz

Publié le 29 Janvier 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2020,

Ne me dites pas que vous n’en avez pas entendu parler ! La plupart des magazines consacrent au moins une page à Jean Echenoz et à son dernier roman, Vie de Gérard Fulmard. On crie au génie… Alors, véritable chef-d’œuvre ou coup de communication ?

Ecrivain atypique, ne recherchant pas spécialement l’exposition médiatique, Jean Echenoz est très apprécié dans une certaine élite littéraire. Au cours des vingt dernières années, ses œuvres ont été saluées par des prix éminents, mais relativement confidentiels. Le prix Goncourt lui avait été attribué en 1999 pour son roman Je m’en vais. En remontant plus loin dans le temps, on trouve aussi un prix Médicis (1983).

Son écriture est volontairement minimaliste. Les ellipses aménagées dans ses narrations confèrent à ses fictions une ambiance étrange, une absence apparente de sens, un je-ne-sais-quoi de surréel. Une particularité qui pourrait évoquer Patrick Modiano, chez qui l’essentiel d’un récit se situe aussi au-delà de l’histoire racontée. Mais chez Echenoz, et notamment dans Vie de Gérard Fulmard, pas d’introspection, pas de quête personnelle, pas d’interrogation spirituelle, juste le constat désinvolte de l’absurdité du monde, la démonstration ironique de la vacuité des choses humaines.

Une absurdité qui se retrouve dans l’incongruité des situations décrites tout au long du livre. Une vacuité partagée par tous les personnages : que des tocards, des losers, dont les projets ne peuvent qu’échouer, à commencer par Gérard Fulmard, le personnage principal ! Et les autres personnages, des politicards minables, membres d’un parti populiste, ne valent guère mieux. La médiocrité des personnages est un point commun avec Michel Houellebecq, mais alors que celui-ci prend un plaisir provocateur à en disséquer tous les aspects, Jean Echenoz reste au niveau de la suggestion floue. Avec le risque de se répéter et d’en affaiblir l’effet de dérision.

Peut-on parler d’intrigue dans
Vie de Gérard Fulmard ? Au vu des nombreuses digressions qui se succèdent et qui m’ont à chaque fois embarqué, je me suis posé la question, même si l’auteur a l’habitude de déclarer que l’intrigue est un mal nécessaire du roman. Oui, il y a le fil d’une intrigue, un fil bien mince, une vague intrigue de roman policier dans la tradition des anciennes séries noires. Un polar, donc, à moins qu’il ne s’agisse d’un pastiche de polar. Mais peu importe.

L’écriture est exceptionnelle. Comme Houellebecq, Echenoz a une telle maîtrise de la langue, de la syntaxe et du vocabulaire qu’il est capable de s’abstraire des règles littéraires courantes et d’oser toutes les fantaisies, comme mêler dialogues et narration, ou changer de narrateur au beau milieu d’une phrase, ou encore insérer des mots rares dans une assertion d’une banalité affligeante.

Pourquoi Jean Echenoz écrit-il ? Pour le plaisir d’écrire, tout simplement. Et si on le lisait pour le plaisir de lire, tout simplement ? Car les deux cents et quelques pages du livre se lisent avec jubilation. C’est déjà ça. Pourquoi se priver du plaisir instantané d’une lecture sans arrière-pensées ? De là à parler de chef-d’œuvre…

Que me restera-t-il de
Vie de Gérard Fulmard un mois après tourné la dernière page ? Juste que j’aurais pris beaucoup de plaisir à lire un roman dont je ne me souviendrai plus très bien de quoi il y était question.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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J'irai tuer pour vous, d'Henri Loevenbruck

Publié le 12 Janvier 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2020,

Quel genre d’homme sont-ils, ces agents « alpha » rattachés aux services secrets français ? De quelles qualités faut-il disposer pour accepter, sans état d’âme, des missions officieuses de « neutralisation » discrète d’ennemis de la République, en général des assassins : des terroristes ou leurs commanditaires ?

 

Le romancier Henri Lœvenbruck a croisé la route d’un tel homme et il est devenu son ami. Dans son dernier livre, J’irai tuer pour vous, l’écrivain, qui se plait à explorer avec succès diverses voies offertes par la littérature, a romancé l’histoire authentique de cet homme qui vécut pendant deux années une expérience de tueur au service de la France. Un homme au profil étonnant, marqué à jamais par l’épreuve, ancré dans des principes moraux auxquels il n’aura jamais dérogé, parce que sa seule motivation était la défense de la France, de ses valeurs et de son peuple. Prêt à aller tuer pour nous.

 

La bonne idée de l’auteur est d’avoir situé le parcours de son héros dans l’histoire de notre pays entre décembre 1985 et mai 1988. Une période marquée par des tensions conflictuelles très vives entre la France et la République islamique d’Iran, cette dernière se livrant à des chantages diplomatiques sans limites, soutenus par des actions terroristes menées par le Hezbollah et le Djihad islamique : attentats à la bombe à Paris, enlèvements et séquestration de diplomates, de journalistes et de chercheurs français au Liban. Celles et ceux de ma génération n’ont pas oublié leur calvaire.

 

Le livre montre les atermoiements de la diplomatie et des services secrets français, dans une période de forte concurrence politique entre la droite de Jacques Chirac et les soutiens du Président Mitterrand. Les hommes politiques et les principaux hauts fonctionnaires sont cités sous leur vrai nom, à l’exception d’un intermédiaire atypique, proche du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, d’origine corse comme lui, et que ceux qui se souviennent de l’affaire identifieront aisément. Les chausse-trappes volent bas, la liberté des otages et la sécurité de la population française semblant parfois moins compter que les enjeux électoraux.

 

La publication du livre revêt un éclairage tout particulier dans le contexte actuel d’escalade entre les États-Unis et l’Iran. Les méthodes de la République islamique n’ont pas changé en trente-cinq ans. Pourquoi faudrait-il que la tolérance et la patience soient toujours dans le même camp, face à la haine, à la surenchère et aux appels au meurtre des fous d’Allah ?

 

Je reste impressionné par le travail considérable que ce livre a exigé de son auteur : trois ans et demi pour écrire les 640 pages de l’ouvrage, composé de 200 chapitres très courts, qui sont autant de chroniques au jour le jour. Des petits chapitres qui donnent du rythme à la lecture. On passe de Paris à Beyrouth, ou, dans Paris, d’un lieu de pouvoir à l’autre. Une très intéressante reconstitution.

 

L’écriture est inégale. De très beaux passages, notamment des descriptions de paysages. Des chapitres romanesques émouvants, les agents secrets n’en étant pas moins des hommes.  Des pages moins brillantes, dans le style de thrillers de bas étage, mais peut-être était-ce intentionnel de la part de l’auteur. Et puis quelques passages très détaillés, étirés en longueur, pour raconter les interventions-chocs de l’agent sur le terrain, une sorte de narration au ralenti ; en fait, un procédé littéraire un peu téléphoné, dont l’objet est d’intensifier l’intérêt du lecteur et de le mettre en suspens en le faisant attendre un prochain chapitre pour connaître l’issue de l’action en cours. Pas sûr que ça marche à tous les coups.

 

La vocation historique de l’ouvrage m’a passionné, mais sa partie romanesque a peiné à me séduire.

 

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Surface, d'Olivier Norek

Publié le 12 Janvier 2020 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2020,

A quarante-quatre ans, Olivier Norek peut se targuer d’un parcours étonnant et détonnant. Après quelques missions humanitaires aux quatre coins du monde, il entre dans la police judiciaire par la petite porte et accède rapidement au grade de lieutenant dans une section d’enquêtes et de recherches en Seine Saint Denis. Se découvrant le goût de l’écriture, il publie plusieurs romans policiers inspirés de son vécu personnel de flic. En quelques années, il est devenu l’un des poids lourds de la littérature policière française… Surface est son cinquième roman.

 

La capitaine Noémie Chastain est à la tête d’un groupe de flics des Stups à la police judiciaire, la fameuse PJ, appelée aussi le 36, en mémoire au siège historique du 36 quai des Orfèvres, élevé au rang de mythe par des milliers de romans policiers. Son siège est désormais le Bastion, le bâtiment qui sert de base inférieure au nouveau palais de justice de Paris, Porte de Clichy.

 

Grièvement blessée au visage lors d’une intervention, Noémie veut reprendre son travail un mois plus tard, guérie, mais lourdement défigurée ; pas regardable ! Elle est écartée de son poste sous divers prétextes plus ou moins justifiés et envoyée dans une petite ville de l’Aveyron, pour une mission d’inspection dans le commissariat local, afin d’envisager sa fermeture pour insuffisance d’activité. Un coin de France où l’absence continue de criminalité ne justifie pas un tel équipement.

 

Que croyez-vous qu’il se passe lorsque Noémie arrive sur place ? Apparition d’un cadavre en décomposition. Résurgence d’une vieille affaire, un cold case, qui secoue des souvenirs ruminés en silence par les habitants d’un village du coin. Noémie laisse tomber sa mission d’inspection et prend l’enquête en main.

 

Pas vraiment nouveau, la fiction qui part d’un acte criminel ancien non élucidé, et même non identifié, perpétré dans un petit village où les habitants savent tout ou presque tout sur les uns et les autres, sans en rien dévoiler aux gens de l’extérieur – et surtout pas à une personne de Paris ! –. Une solidarité du silence qui n’exclut pas l’existence de rumeurs plus ou moins étayées et des haines intenses, recuites par le temps. De quoi déclencher la violence dès qu’on commence à fouiller.

 

L’intérêt de Surface tient beaucoup au personnage principal de Noémie, la femme flic, qu’on imagine avoir été plutôt jolie, et qui doit reconstruire sa vie avec un visage déconstruit. En face d’elle, les personnes auxquelles elle s’adresse ne savent pas très bien où porter leurs yeux. Les hommes réagissent chacun à leur façon. Et Noémie voit clair en eux. Saura-t-elle choisir le bon ? On a beau être femme flic défigurée, on n’en reste pas moins femme.

 

L’autre originalité du livre est l’histoire du village central de l’intrigue, un village auquel l’auteur a donné le nom mythique d’Avalone et qui présente la particularité d’avoir été déplacé vingt-cinq ans plus tôt. Englouti dans les profondeurs d’un lac artificiel à l’occasion de l’édification d’un barrage, le village avait été intégralement reconstitué à l’identique à proximité immédiate. Se pourrait-il que des indices se trouvent dans les profondeurs du lac ?

 

Surface m’a fait penser à ces nombreuses séries télévisuelles de fiction policière rurale tournées dans les régions françaises, dont le succès se mesure à l’aune du nombre de leurs rediffusions. Il s’agit là en revanche d’un livre bien écrit, dont les intrigues sont bien ficelées, et dont les personnages ont des profils bien plus subtils qu’un téléfilm.

 

Sans être un inconditionnel du polar, je reconnais que Surface se lit agréablement, sans qu’il soit cependant question de révolution dans la littérature policière.

 

FACILE     ooo   J’AI AIME

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Opus 77, d’Alexis Ragougneau

Publié le 25 Décembre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2019,

Je ne connaissais pas Alexis Ragougneau. Lorsque son roman Opus 77 est apparu récemment dans une liste pour un prix littéraire, j’ai découvert son passé de dramaturge et d’auteur de romans policiers. Pas étonnant donc de trouver dans Opus 77, des personnages au profil bien ciselé et une fiction dont l’intensité dramatique croît de manière parfaitement maîtrisée.

 

Quatre personnages d’une famille de musiciens, les Claessens. Le père, chef d’orchestre renommé, est une célébrité. La mère, une soprano israélienne, s’étiole tout au long du livre, en même temps que sa voix. Le fils, David, avait tout – en fait, presque tout ! – pour devenir une star du violon. La fille, Ariane, narratrice du roman, pianiste prodige, n’a pas manqué pour sa part de devenir une star dans sa spécialité… Mais à quel prix ?

 

En fond de plan, le concerto pour violon de Chostakovitch, son opus 77. Une œuvre difficile et dissonante qui, comme tous les concertos, symbolise la lutte d’un musicien soliste contre un orchestre. Ou celle d’un artiste contre une société oppressante, comme celle, pour être plus précis, d’un compositeur russe tourmenté en butte aux persécutions du régime de Staline... Ou encore la rébellion d’un jeune violoniste fragile contre un père écrasant, chef d’orchestre renommé.

 

Car Claessens est un mâle dominant et un père tyrannique. Le chef d’orchestre a voué la première partie de sa carrière à la musique et la seconde à son image personnelle. Vrai talent et mémoire prodigieuse, mais aussi orgueil, égoïsme et narcissisme, qui l’amènent à chercher à se prolonger au travers de ses enfants et à vouloir façonner leur parcours musical. Son exigence touche au harcèlement. « Recommence ! » leur assénait-il indéfiniment en les faisant répéter quand ils étaient enfants. Un ordre qui résonne encore dans les cauchemars d’Ariane et de David. 

 

Qu’a-t-il manqué à David pour devenir un grand violoniste ? L’envie, la confiance en lui, la résistance à la pression ? Un peu de tout cela, sans doute. La possibilité de faire son chemin tout seul, peut-être, comme l’aurait souhaitée cet être attaché à son indépendance. A la différence du piano, les œuvres pour soliste sont rares dans le répertoire du violon. Pour répéter, le jeune violoniste a besoin d’être accompagné d’un pianiste. David ne peut pas progresser sans Ariane, sa sœur, avec qui il forme un duo idéal. Mais la relation entre le frère et la sœur devient à ce point fusionnelle, que l’un et l’autre en pressentent les pièges. Fuite. Un autre piège guette David lorsqu’il lui faut jouer avec un orchestre : sceller l’alliance avec son père. Pas question ! Après deux rendez-vous manqués, nouvelle fuite, scandale, puis refuge dans la solitude et le silence.

 

Ariane, dont je rappelle qu’elle est la narratrice du roman, est une jeune femme à la chevelure flamboyante, très belle, mais glaciale. Pour être applaudie en star dans les salles de concert du monde entier, elle a tout sacrifié : naturel, vie privée, sentiments. « Son hallucinante virtuosité la rend inaccessible », dit un critique. Elle avoue ne s’être jamais débarrassée de sa peur, le fameux trac qui paralyse les artistes avant d’entrer en scène. Alors elle fonce, dans la vie comme au volant de sa Porsche, et joue sur son piano presque mécaniquement.

 

Le livre commence par la fin, lors des obsèques de Claessens père, qu’Ariane a veillé dans ses derniers jours. Ni sa mère ni son frère ne sont là. Pendant qu’en l’honneur du grand chef d’orchestre, Ariane joue la retranscription pour piano seul de l’opus 77, les souvenirs lui viennent, en désordre, par associations d’idées, et elle nous les régurgite comme ils se présentent, d’une plume nerveuse. On l’imaginerait volontiers tapant son texte sur le clavier de son ordinateur, dans le même automatisme débridé que sur le clavier de son piano. Fortissimo, con dolore !

 

Lecteur, pour comprendre l’histoire des Claessens, il va te falloir, comme moi, mettre de l’ordre dans la narration sans fil d’Ariane et reclasser dans le temps les bribes de récit qu’elle dévoile. Une lecture que je te promets passionnante, haletante, fascinante, …difficile. Mais le livre reste accessible parce qu’il est relativement court. 
 

DIFFICILE  ooooo  J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Âme brisée, d’Akira Mizubayaschi

Publié le 25 Décembre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2019

Ce roman raconte des histoires qui s’entrelacent en harmonie, comme les partitions séparées d’une œuvre musicale.

 

Il raconte l’histoire d’un violon, dont l’âme et les autres pièces furent brisées un jour de novembre 1938 à Tokyo, écrasées à coups de talon par une brute, un caporal de l’armée impériale japonaise de sinistre mémoire. Un violon qui, après restauration, aura retrouvé toutes ses qualités musicales – et peut-être plus ! – lors d’un grand concert donné à Paris au printemps 2005, soixante-sept ans plus tard.

 

Il raconte l’histoire de deux œuvres musicales, le merveilleux quatuor à cordes Rosamunde de Schubert et la vivifiante Gavotte en rondeau pour violon seul de Bach, jouées dans des circonstances confidentielles et dramatiques en ce funeste jour de 1938, puis rejouées, en guise de commémoration, au printemps 2005 à Paris devant un public enthousiaste.  

 

Il raconte l’histoire d’un homme, né à Tokyo sous le nom de Rei Mizusawa, dont l’âme fut brisée à l’âge de 11 ans en ce jour terrible de 1938 où son père disparut. Un homme dont l’âme se sera régénérée en France sous une autre identité, et qui aura consacré sa vie à la fabrication et à la réparation de violons. Un homme présent et célébré au concert du printemps 2005 à Paris. 

 

En arrière-plan, il raconte aussi l’histoire d’un autre militaire japonais, un lieutenant mélomane, qui n’aura pas pu sauver le père de Rei, mais qui aura préservé l’enfant et ce qui restait du violon brisé. Et il raconte encore l’histoire de la petite fille de ce lieutenant, une violoniste prodige, vedette du fameux concert de 2005.

 

Il raconte enfin l’histoire d’un métier, celui des luthiers : des artisans à la patience infinie, capables de prendre le temps qu’il faut pour fabriquer et assembler à la main, au dixième de millimètre près, les pièces constituant les violons, ces instruments magiques sur lesquels des virtuoses interprètent les chefs-d’œuvre des grands compositeurs. 

 

L’auteur de cette fiction à la fois plurielle et unitaire est un Japonais né en 1951, du nom d’Akira Mizubayashi. Tombé amoureux de notre langue à l’adolescence, il a effectué deux séjours de trois ans en France, une première fois dans les années soixante-dix pour se perfectionner en français et épouser une Française, une seconde fois dans les années quatre-vingt pour suivre des études à Normale Sup. Depuis, il enseigne le français au Japon.

 

Akira Mizubayashi écrit directement en français, dans un style qui présente un je-ne-sais-quoi d’étrange. Lui-même avoue d’ailleurs que, « quoi que vous fassiez, une langue greffée vous reste toujours un peu étrangère ». Le français est, selon son expression, sa « langue paternelle ». Son écriture est élégante, très soignée, très léchée, presque un peu trop, ce qui lui donne une tonalité un peu enfantine, presque naïve. 

 

Même impression fugace de naïveté pour les événements imaginés par l’auteur. A l’exception de l’affreux militaire du début, les personnages sont tous gentils et bienveillants, comme dans les contes pour enfants. Le livre est habilement construit en quatre parties nommées selon les mouvements de Rosamunde. De courts chapitres facilitent les sauts dans le temps et dans l’espace, ce qui entretient l’intérêt du lecteur, même si tout ce qui arrive est quelque peu prévisible. 

 

Sans être une œuvre incontournable, Âme brisée est un roman très facile et agréable à lire. Des passages m’ont sincèrement ému. Ceux qui sont consacrés à l’univers de la lutherie sont très intéressants.

 

Et j’ai écouté et réécouté les mélodies douces et mélancoliques des cordes de Rosamunde, qui touchent au sublime.

 

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Par-delà la pluie, de Victor del Arbol

Publié le 12 Décembre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2019, 

J’avais été très séduit, il y a quatre ans, par Toutes les vagues de l’océan, œuvre de l’écrivain espagnol Victor del Arbol. Dans son dernier roman, Par-delà la pluie, je retrouve la même brutalité sordide dans les faits racontés et dans la façon de les raconter. Je retrouve le même ancrage du récit dans la mémoire tragique de l’Histoire, en l’occurrence celle de la dictature franquiste en Espagne dans les années quarante et cinquante.

 

Je retrouve aussi la même pluralité de personnages, de lieux et d’intrigues, dans laquelle je me suis senti un peu perdu au début, ne voyant pas ce qui les reliait. Mais l’incontestable cohérence de l’ensemble apparaît peu à peu, comme un puzzle à construire à l’aveugle, qui ne révèlerait son image finale qu’à la pose des dernières pièces.

 

On dit que Par-delà la pluie est un roman noir. Est-ce le cas ? L’auteur a conçu la partie de l’ouvrage située en Suède comme un polar, au demeurant très captivant, dont les chapitres s’intercalent avec ceux de la fiction principale en Espagne. Mais ces deux parties sont tellement différentes et indépendantes – au-delà de quelques liens – que je me demande si Victor del Arbol n’est pas prisonnier de l’image qu’on a de lui et qu’il a contribué à façonner, celle d’un auteur de roman noir.

 

N’est-ce pas en fait la problématique à laquelle sont soumis les personnages principaux du roman ?

 

A soixante-quinze ans, Miguel vit seul. Depuis sa jeunesse, il porte des lunettes d’écaille et une moustache à laquelle il apporte un soin maniaque : un masque à l’image de l’homme qu’il voudrait que l’on voie en lui. Il a mené une vie professionnelle et familiale on ne peut plus classique, régie par une vision très stricte de ce qu’il devait faire. Un parcours limpide dont il a longtemps pensé qu’il était réussi. Mais Miguel est désormais confronté à des difficultés qu’il ne sait pas résoudre et il ressent de surcroît les tous premiers effets d’un Alzheimer.

 

Encore belle à soixante-dix ans, Helena vit seule, elle aussi. Quand elle avait onze ans, sa mère s’est suicidée devant elle, après avoir cherché à l’entraîner dans la mort. Elle a mené depuis une vie compliquée et éprouvante, dont on ne connaîtra les tenants et aboutissants que vers la fin du livre, car elle les camoufle, en même temps que sa peur de l’avenir, derrière du persiflage et de l’extravagance : son masque à elle.

 

Les contraires s’attirent souvent, Helena et Miguel pourraient en attester. Pour sortir de leur faux-semblant, ils vont entreprendre ensemble ce que l’auteur nomme « un road movie symbolique ». (Ce n’est pas un hasard si les deux femmes qui ont le plus compté pour Helena s’appellent Thelma et Louise). Un voyage censé les amener d’Andalousie jusqu’en Suède. Un voyage semé d’écueils : préparez-vous à des rebondissements. Un voyage qui pourrait les aider à regarder en face leur passé, celui de leur père, celui de leur mère, et celui de leur pays.

 

Au travers des péripéties surprenantes imaginées par l’auteur, la narration aborde plusieurs questions de société actuelles, parmi lesquelles le problème des femmes battues par leur conjoint. Mais le sujet central du livre est la peur de vieillir, notre peur de vieillir. Elle ne serait pas notre peur de la mort, mais au contraire notre peur de la vie, faute de lui avoir donné un sens adapté à ce que nous sommes réellement, et non pas à ce que nous croyons vouloir être, empêtré dans une mémoire que nous n’assumons pas. Et il n’est jamais trop tard pour conjurer notre peur et vivre la vie comme elle vient.

 

Un livre qu’on ne lâche pas. De très belles pages, des passages émouvants. Mais aussi, parfois, des approximations dans l’expression. Peut-être un problème de traduction.

 

Par-delà la pluie !... « Par-delà les confins des sphères étoilées… », écrivait Baudelaire. Dans le dernier chapitre, libéré de sa peur de l’avion, Miguel sillonne pour la première fois l’immensité profonde, au-delà des souvenirs mouillés qui chargeaient de leur poids son existence brumeuse.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Berta Isla, de Javier Marías

Publié le 12 Décembre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2019, 

Aucun couple ne ressemble à un autre. Certains ne durent pas, pour des motifs personnels ou en raison de circonstances externes contre lesquelles on ne peut rien. D’autres durent malgré les difficultés – on pourrait presque dire malgré les impossibilités –, parce que dans le couple, chacun y tient. Dans quelle catégorie faut-il ranger le couple que forment Berta Isla et Tomás Nevinson ?

 

Tout s’annonçait bien pour eux. Ils sont encore adolescents lorsqu’ils se rencontrent au collège, à Madrid, à la fin des années soixante. Berta est une Madrilène pure souche, Tomás est le fils d’une Madrilène et d’un diplomate anglais. Ils sont beaux, brillants et se destinent très vite l’un à l’autre, même si, pendant des études supérieures qui exilent Tom à Oxford, ils mènent chacun de leur côté les expériences qui en font des adultes équilibrés. Ils se marient un peu plus tard. Il y aura des enfants.

 

Tom dispose d’une incroyable facilité à apprendre les langues, et un talent exceptionnel d’imitateur lui permet d’adopter n’importe quel accent. Des dispositions qui n’échappent pas aux services secrets britanniques, qui le voient déjà en agent spécial capable de s’infiltrer dans n’importe quel univers étranger. Et malheureusement, Tom se retrouve contraint par à un incident qui s’impose à lui, du moins le croit-il, et de ce fait, il ne pourra plus jamais échapper à des soumissions externes qui guideront sa vie et auxquelles son couple devra s’adapter… Ou pas !

 

Nous avons tous en tête le brio étincelant de James Bond ou de ses émules. Mais le livre de Javier Marías n’est pas un roman d’aventure ou d’espionnage. Il est l’histoire, racontée par elle-même, d’une femme qui a épousé un agent secret. Elle ne peut rien savoir des missions d’infiltration confiées à Tom, mais elle imagine les ruses, les duperies, les infamies, les meurtres commis au service secret de sa Majesté. Sans oublier les infidélités conjugales sur ordre, assumées plus ou moins plaisamment. Sans oublier non plus les menaces et les pièges mortels auxquels il faut échapper. Des menaces qui pourraient aussi s’exercer sur elle et ses enfants, dans le but de faire pression sur son mari.

 

Ce mari, cet homme qui dort dans son lit – quand il est là – qui est-il ? Elle a beau insister, Tom ne peut rien dévoiler, ni où il se rend, ni quand il reviendra. Donnera-t-il des nouvelles ? – « Tu le sais bien, si je ne te donne pas de nouvelles pendant un certain temps, et ce peut être long, très long, c’est parce que je ne pourrai pas le faire ». – Jusqu’où peut-on interpréter la notion de ne pas pouvoir ? Et celle de temps très long ? Combien de semaines, combien de mois faudra-t-il pour que Berta arrête d’attendre. Ou d’espérer, ce qui n’est pas la même chose. Berta, qui enseigne la littérature, relit Le colonel Chabert, Le retour de Martin Guerre.

 

Le lecteur en sait un tout petit peu plus que Berta. Quelques chapitres sont consacrés aux tribulations de Tomás. Comme un symbole : alors que Berta est la narratrice d’un parcours qu’elle trace elle-même, Tom est soumis au bon vouloir d’un narrateur extérieur.

 

Les années passent et les armées britanniques de l’ombre n’en finissent jamais : guerre froide avec l’Est, guerre civile en Irlande du Nord, guerre des Malouines ; un bref répit après la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS, puis viendra le temps du terrorisme international…

 

Dans les six cents pages du livre, on peut s’irriter de répétitions, de digressions, de détails inutiles, mais l’ensemble est très agréable à lire, car on se laisse captiver par la destinée de Berta et de Tom. L’écriture est superbe, avec un excellent travail de traduction. Les phrases sont longues et complexes, mais onctueuses, harmonieuses. Et après tout, ces répétitions, ces digressions, ces détails inutiles correspondent aux tourments ressassés par la narratrice, une femme qui ne cesse de s’interroger et qui souffre de ne rien connaître de la vie – si vie il y a toujours ! – d’un mari qu’elle aime.

 

Berta et Tomás sont des littéraires. Ils trouvent dans des vers de T.S. Eliot, un sens qui éclaire leur relation, et c’est chez Dickens que Berta déniche la conclusion qui s’impose : « Chaque créature humaine est constituée pour être un secret et un mystère profonds pour chaque autre ».

 

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Un livre de martyrs américains, de Joyce Carol Oates

Publié le 17 Novembre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2019, 

Je n’avais jamais lu Joyce Carol Oates, une femme de lettres américaine née en 1938, auteure de plusieurs dizaines de romans, auxquels il convient d’ajouter essais, pièces de théâtre, recueils de nouvelles et de poésies. Un livre des martyrs américains est son dernier opus. C’est un roman qui pourrait être le récit d’une histoire vraie, un récit enrichi de témoignages semblant pris sur le vif.

 

Le livre commence comme un thriller sanglant. En novembre 1999, un individu qui se dit « Soldat de Dieu » raconte en direct son meurtre prémédité d’un homme qu’il qualifie de « médecin avorteur ». Un meurtre qu’il revendique au nom de sa foi religieuse. Il tue en même temps le garde du corps du médecin.

 

Luther Dunphy est un homme fruste, à l’esprit malade et pervers. Incapable de s'assumer, enfermé dans le déni, il s’est réfugié dans une bigoterie absurde au sein d’une église évangélique radicalisée, comme il en existe de nombreuses aux États-Unis. Des chapelles où l’on fait allégeance à la « Parole de Jésus » et non à la Loi des hommes. Où l’on considère que l’avortement est un assassinat et qu’un médecin avorteur est un tueur en série qu’il convient d’éliminer.

 

La famille Dunphy est à l’image du père. La mère et les enfants sont arriérés, à la limite de la débilité. Vivant dans la crasse et le désordre, ils sont manipulés par un environnement de bigots qui élèveront leur père au rang de héros, et plus tard, de martyr.

 

La cible du tueur, le docteur Augustus (ou Gus) Vorhees, était un médecin obstétricien laïque aux idées progressistes, convaincu du droit des femmes à disposer librement de leur corps. A l’écoute de celles qui, pour une raison ou pour une autre, se refusaient à mettre au monde un enfant non désiré, il pratiquait des avortements depuis des années. Lors de sa mort, il exerçait dans le centre spécialisé d’une petite ville du Midwest américain, dans un contexte ayant légalisé l’interruption de grossesse.

 

La disparition du mari et du père provoque un cataclysme dans la famille Vorhees. Les enfants découvrent que l’engagement de Gus l’exposait à des menaces qu’il connaissait, qu’il assumait en toute conscience et qui faisaient vivre sa femme dans l’angoisse. Leur reste le sentiment d’avoir été abandonnés par leur père au profit de ses convictions. Ou de ses ambitions.

 

Les deux familles vont suivre, chacune de son côté, la longue procédure judiciaire qui conduira Luther Dunphy dans le couloir de la mort. Deux personnages principaux émergent peu à peu : les filles cadettes des deux familles, Dawn Dunphy et Naomi Vorhees. Leurs profils s’opposent, mais elles sont toutes les deux anéanties par l’acte du début et par ses prolongements. A mon étonnement, j’ai été captivé par l’évolution et le parcours de ces deux jeunes filles, puis jeunes femmes, jusqu’à l’inattendue et émouvante fin concoctée par l’auteure, douze ans après le meurtre... Le talent d'une romancière !

 

Pour attester d’une complexité difficile à assumer par les uns et par les autres, l’auteure n’hésite pas à prendre du recul et à peindre dans toute sa largeur une société américaine en butte à de nombreux problèmes sociaux et sociétaux, parmi lesquels le racisme et l’intolérance dans le pays profond, périphérique et rural. Les paradoxes ne manquent pas, notamment le constat que les conservateurs « pro-vie », hostiles à l’avortement, sont de fervents partisans de la peine de mort, à laquelle les progressistes « pro-choix », sont opposés par conviction.

 

Finalement qui sont les martyrs ? A l’approche de son exécution, Luther Dunphy se voit en martyr au service de Jésus. C’est aussi en martyr que l’érigent ceux qui le soutiennent. On est dans la même logique monstrueuse que celle des islamistes radicalisés qui tuent au nom d’Allah. Le docteur Vorhees pourrait être considéré comme un martyr de la lutte pour la libération de la femme. Et que dire des enfants dont les pères ont sacrifié l’équilibre, au profit d’une cause qui leur paraissait essentielle et qui ne comptait peut-être que pour leur propre ego ?

 

Le martyr n’est qu’un « idiot suicidaire », selon un personnage apparaissant dans la seconde partie du livre. A chacun d’en penser ce qu’il croit bon.

 

L’écriture de Joyce Carol Oates est ample, déliée, le ton est vivant, varié, adapté aux narrateurs auxquels elle prête sa plume. Des passages en italique lui permettent de mettre en perspective plusieurs narrations, plusieurs moments, plusieurs points de vue. On sent que les mots lui viennent facilement, trop facilement peut-être, inspirant quelques redondances, quelques détails en trop, quelques longueurs. Fallait-il huit cent cinquante pages ?

 

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Mécanique de la chute, de Seth Greenland

Publié le 17 Novembre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2019, 

Écrit par un romancier, dramaturge et scénariste américain du nom de Seth Greenland, ce gros pavé de plus de six cents pages offre un moment de lecture trépidante et captivante, à la hauteur de son alléchante quatrième de couverture. Ancré dans l’air du temps et ses dérives, Mécanique de la chute s’appuie sur de fines considérations psychosociologiques et n’est pas sans rappeler des œuvres romanesques bien connues que j’évoquerai le moment venu.

 

Comme il se doit, les personnages sont stéréotypés, mais l’auteur a la subtilité de faire transparaître leur nature humaine faillible. Leurs moments de doute et de mauvaise conscience ne les empêchent toutefois pas de suivre la ligne stratégique qu’ils jugent correspondre à leurs projets.

 

Jay Gladstone, petit-fils d’un immigré juif venu d’Europe de l’Est, est un magnat de l’immobilier, multi-milliardaire. Il vit dans une somptueuse propriété au nord de New York. Il est propriétaire d’une équipe professionnelle de basketball, membre de la NBA, la très puissante et populaire ligue américaine. Membre du parti démocrate, philanthrope, il fait distribuer d’importantes allocations au profit des familles noires désargentées et verse de larges contributions à l’Etat d’Israël. Ce quinquagénaire soigne sa silhouette et fait de son mieux – du moins le croit-il ! – pour se montrer disponible, ouvert et humaniste. Ses valeurs morales et son attitude en société lui valent l’estime de la plupart de ceux qui l’entourent. Mais sa jeune et jolie femme – un second mariage – risque de lui valoir des soucis...

 

Les traits de profil qui se dégagent de Jay Gladstone en font un modèle dans le microcosme d’une certaine élite new-yorkaise. Dans d’autres sphères, au contraire, il est le symbole de tout ce qui est haïssable : un mâle hétérosexuel blanc, riche, puissant et juif sioniste. Dans l’une de ces sphères hostiles, sa propre fille, Aviva. Son attitude rebelle renvoie à Pastorale américaine, de Philip Roth.

 

Jay doit compter avec les exigences folles de Dag Maxwell, une star de la NBA, un joueur d’exception dont dépendent les résultats de son équipe. Les revenus de cet Afro-américain se comptent en dizaines de millions de dollars et ruissellent avec abondance sur sa famille et sur son clan, leur assurant un mode de vie d’un luxe extravagant auquel ils n’ont pas été préparés et qui ne sera pas éternel.

 

Autre personnage clé, Christine Lupo. Cette femme ambitieuse est procureure dans l’Etat de New York et ambitionne de se présenter aux élections au poste de Gouverneur. Selon la position qu’elle prendra sur un fait divers au cours duquel un Noir a été tué par un policier blanc, elle se mettra à dos la police, son bras séculier au quotidien, ou une communauté noire très remontée après une précédente bavure ayant défrayé la chronique. Il s’avère de surcroît que la victime était de confession musulmane et qu’un étrange imam autoproclamé se met à jouer un rôle trouble. Pour se mettre en valeur, Christine aura la chance de profiter d’une affaire bien plus dramatique et bien plus médiatique, dans un scénario montrant quelques similitudes avec Le bûcher des vanités, de Tom Wolfe.

 

Mais c’est aussi à La Tache, de Philip Roth, et à l’insouciance, de Karine Tuil, que je pense en observant les accusations de racisme portées inconsidérément pour un mot ou un geste anodin sorti de son contexte, amplifiées par des agitateurs bien intentionnés et relayées par des médias complaisants.

 

La première partie, qui occupe près de la moitié de l’ouvrage, est consacrée à la mise en place de tous les rouages d’une mécanique de précision complexe, dont les engrenages s’enclencheront imperceptiblement avant de s’emballer de façon inexorable, dès lors que des faits soudains, gravissimes et irréparables se seront produits. Après ces déflagrations, je n’ai pas pu lâcher le livre.

 

Voilà qu’un homme intelligent s’avère être prisonnier de schémas de pensée égocentrés, datés, inadaptés à un monde qui change et qu’il observe de bien trop haut pour en saisir les évolutions. Après un acte impardonnable auquel certains auraient pu accorder des circonstances atténuantes, une série de décisions et de prises de paroles inappropriées risquent de précipiter sa chute.

 

Au travers de ce roman, l’auteur livre une critique lucide de la société américaine, et par extension, occidentale : culte de l’argent, ambitions obsessionnelles, rancœurs jalouses, lâchetés bien-pensantes, attitudes communautaires victimaires, accusations de racisme, recherche de boucs émissaires, diffusion de fake news et de vidéos piratées, avec la garantie d’un effet démultiplié sur Internet.

 

Un livre choc ! Un mot quand même sur l’écriture, dont le style m’a contrarié dans les premiers chapitres. Probablement un problème de traduction : des phrases plates, des mots approximatifs, l’impression de lire l’adaptation française d’un polar de bas étage. Mais par la suite, totalement pris par les péripéties, je n’y ai plus fait attention.

 

GLOBALEMENT SIMPLE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Solénoïde, de Mircea Cartarescu

Publié le 29 Octobre 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Octobre 2019,

« Chef d’œuvre de Mircea Cartarescu », peut-on lire en quatrième de couverture. C’est ce que proclame l’éditeur ; c’est son droit, il est dans son rôle. D’ailleurs, c’est bien cette proclamation qui m’a amené à lire Solénoïde, un livre de huit cents pages, écrit par un poète et romancier roumain contemporain que je ne connaissais pas. Mais voilà, le livre ne m’a pas plu et je ne suis parvenu à le lire jusqu’au bout, qu’en balayant du regard des dizaines de pages qui me procuraient l’impression de toujours rabâcher les mêmes délires morbides, cauchemardesques, parfois peu compréhensibles.

 

Le personnage principal et narrateur de Solénoïde est un double de l’auteur. Un double raté : humilié à l’âge de dix-sept ans par des quolibets lors de la lecture de ses poèmes, il a renoncé à l’ambition d’être écrivain. Modeste professeur de roumain dans une école de la banlieue de Bucarest, cet homme solitaire, étriqué et tourmenté prend à parti le lecteur : à quoi bon écrire un roman, bâtir une histoire dont chaque ouverture est un trompe-l’œil ne débouchant sur rien ? Selon lui, il faut viser plus haut : écrire pour résoudre l’énigme de l’existence, la sienne et celle du monde. Et profiter de l’implantation souterraine secrète de solénoïdes – des dispositifs générant des champs magnétiques –, pour s’ouvrir l’accès, par la lévitation, à la quatrième dimension.

 

Difficile de définir cet ouvrage ! Le narrateur – qui n’a pas de nom – amalgame présent et passé, espace et temps, réalité et rêves, mémoire et fantasmes, dans un récit hallucinatoire difficile à suivre. Il évolue dans un univers glauque, imprégné d’une luminescence jaune, un jaune sale, évoqué tout au long du texte. Les personnages sont dépeints sous leurs aspects les plus grotesques, exprimés par des corps où tout n’est que plaies, croûtes, filaments, matières desquamées, sécrétions liquides, acariens, asticots et autres parasites micro-organiques. Bon appétit !

 

Le visage de Bucarest présente la laideur triste et impersonnelle des villes communistes. Le quotidien se caractérise par un ciel crépusculaire et par le bruit de ferraille des tramways déglingués qui slaloment sur leurs rails, de quartier en quartier. Dans les rues, les alignements de façades décrépies sont entrecoupés par des terrains vagues encombrés d’ordures, ou par des hangars délabrés aux charpentes rouillées, aux tuyauteries éclatées, aux câbles arrachés. Dans les bâtiments où le narrateur entraîne le lecteur, des locaux inattendus s’ouvrent indéfiniment sur d’autres locaux encore plus inattendus. Une ancienne fabrique recèle des labyrinthes souterrains aussi mystérieux que les méandres d’un cerveau tourmenté. Un cabinet dentaire fantôme évoque de douloureux souvenirs d’enfance, ressentis comme une trahison maternelle refoulée.

 

Un moment, le narrateur se joint à des militants portant un nouveau type de revendications révolutionnaires : le refus de la maladie, de la vieillesse et de la mort, ce qui ne peut mener qu’à l’objectif de détruire le monde, qualifié d’enfer injuste et corrompu. En même temps, il tombe sur un manuscrit ancien oublié, écrit dans une langue indéchiffrable et illustré d’images incompréhensibles, symbole de l’impossibilité définitive de connaître le monde. Ne reste alors comme solution que la recherche d’un plan d’évasion, qui pourrait être la mise au monde d’un enfant. Une perspective finalement préférable à la création d’une œuvre d’art.

 

L’auteur multiplie les références littéraires. Pour ma part, le parcours laborieux du narrateur m’a fait penser à La Métamorphose, de Franz Kafka, mais la première référence de Solénoïde – assumée explicitement à plusieurs reprises – est à mon sens un ouvrage dont des extraits nous fascinaient quand nous avions dix-huit ans, Les Chants de Maldoror, écrit sous le pseudonyme de Comte de Lautréamont, par un poète franco-uruguayen du dix-neuvième siècle, mort à vingt-quatre ans, nommé Isidore Ducasse.

 

Un point positif : l’écriture de Mircea Cartarescu, parfaite et harmonieuse. Prises indépendamment, les phrases sont longues, onctueuses, agréables à lire, comme je les aime. Mais globalement, la lecture est interminable, ennuyeuse et déprimante.

 

TRES DIFFICILE     oo    J’AI AIME… UN PEU

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