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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

La maison vide, de Laurent Mauvignier

Publié le 7 Octobre 2025 par Alain Schmoll in Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Octobre 2025, 

Ce livre, La maison vide, relate une authentique saga ; c’est l’extraordinaire histoire d’une famille — en fait, une descente aux enfers ! —, reconstituée et racontée avec lucidité et objectivité par l’un des descendants, enfant devenu homme ; l’écrivain Laurent Mauvignier est cet homme et a été cet enfant. En surplomb des intrigues, se dresse la grande maison, majestueuse, construite à la fin du XIXe siècle à l’initiative d’un propriétaire de terres agricoles prospère, l’arrière-arrière-grand-père du narrateur ; une maison restée inhabitée depuis plusieurs décennies, mais jonchée d’empreintes indélébiles de femmes et d’hommes y ayant autrefois vécu.

Pour comprendre le désastre, il n’est pas sûr qu’il suffise, comme le narrateur l’avait entendu de sa mère et par les rumeurs du village, d’incriminer sa grand-mère, morte en 1953 à l’âge de quarante ans : Marguerite, la maudite, la mère de son père — lequel s’est tué dans les années quatre-vingt, quand l’auteur n’était encore qu’un adolescent ! De quoi l’amener à s’interroger, à mener l’enquête et à déduire ou à imaginer ce qui a pu se passer entre les bribes d’anecdotes qui lui sont parvenues.

Peut-être faut-il y voir une série de causes et d’effets. Quel rôle a tenu — ou n’a pas tenu ! — l’arrière-grand-mère, Marie-Ernestine, longtemps cloîtrée dans la nostalgie nébuleuse d’un talent supposé de pianiste et n’ayant jamais manifesté le moindre intérêt pour sa fille ? Quelle part (involontaire) revient à Jules, l’arrière-grand-père mort en 1916 au front — héroïquement, dit-on —, privant ainsi Marguerite de père ? Et quel jeu a joué Lucien, le notaire bien comme il faut, second époux de Marie-Ernestine ?

Je ne peux préjuger, lectrice, lecteur, des sentiments que t’inspirera le personnage de Marguerite. J’ai pour ma part éprouvé une sorte d’affection, d’empathie pour cette petite fille, devenant au fil des chapitres une jeune fille, puis une jeune femme, livrée à elle-même, tenue à l’écart des réalités, en proie à des pulsions affectives lui faisant perdre la notion du bien et du mal, la conduisant à faire confiance à des personnes non recommandables et à prendre des décisions dont tu auras anticipé sur le champ les conséquences catastrophiques. La destinée de Marguerite et celle de la famille s’accomplissent dans des péripéties haletantes, inéluctables, désespérantes.

Certes, les circonstances ont pesé, notamment en temps de guerre. En août 1914, période de moisson active, tout est chamboulé par l’ordre de mobilisation — mot créé pour l’occasion — du jour au lendemain de tous les hommes en âge de travailler, dont beaucoup ne reviendront pas, ou en quel état ! Pendant l’Occupation, se construit mine de rien le quotidien soumis des petites villes régionales, où des officiers allemands bien nourris, bien costumés, bien organisés prennent un ascendant mental sur une population paupérisée et apeurée d’enfants, de vieillards et de femmes seules.

Aucune longueur dans La maison vide, ses sept cent cinquante pages et ses courts chapitres dépourvus de titre, déployés sur cinq parties encadrées par un prologue et un épilogue tous deux circonstanciés. Difficile toutefois de lire l’ouvrage d’une traite, tant il vaut la peine de prendre son temps, d’admirer la prose de Laurent Mauvignier, ses expressions éblouissantes, son humour en demi-teinte, ses envolées lyriques et surtout ses phrases longues, interminables, écrites non pas pour être « à la manière de Marcel Proust » et démontrer quelque virtuosité syntaxique, mais parce qu’il approfondit les moindres détails de l’enquête qu’il mène, parce qu’il pèse avec conscience la plausibilité des faits ou des états d’âme qu’il imagine et parce qu’il les relate avec précision, justesse, clarté et fluidité. A la différence de la plupart des ouvrages romanesques, le texte ne laisse aucune place rituelle à des dialogues ; de courts propos, des commentaires apparaissent sous forme d’alinéas d’une ou deux lignes rompant le récit sans en interrompre le sens.

A l’origine était le suicide du père, mais Laurent Mauvignier ne se met pas en scène dans La maison vide. Il ne se révolte pas contre la fatalité d’un déterminisme social et psychologique défavorable. Il a écrit l’histoire d’une famille qui aurait pu ne pas être la sienne, il a surtout émis « des suppositions, des spéculations… du roman », explique-t-il. Car « c’est par l’invention que l’histoire peut survivre à l’oubli », dit-il encore… Je place La maison vide au-dessus de tout ce que j’ai lu ces derniers temps.

GLOBALEMENT SIMPLE  ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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