Overblog Tous les blogs Top blogs Littérature, BD & Poésie
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Entre toutes, de Franck Bouysse

Publié le 7 Octobre 2025 par Alain Schmoll in Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Octobre 2025

Je suis par principe réticent aux livres s’inspirant d’histoires de famille, je n'apprécie pas les complaintes d’écrivains tentant d’y justifier pourquoi ils ressassent tel ou tel tourment personnel. Sachant que Franck Bouysse y racontait la vie de sa grand-mère, j’ai dans un premier temps hésité à lire Entre toutes. Mais mes précédentes incursions dans l’œuvre de l’auteur m’ayant vraiment beaucoup plu, j’ai surmonté mes préjugés et je me suis lancé.

Bien m’en a pris, car Entre toutes n’est pas une chronique familiale ni même une fiction familiale ; c’est une fiction tout court, un roman. Née en 1912, Marie est morte dans les tout premiers jours du vingt-et-unième siècle. Hors l’évocation des derniers instants paisibles de la vieille dame en présence de son petit-fils, l’essentiel du récit s'achève à la fin des années cinquante, bien avant la naissance de l’auteur, lorsque Marie comprend que désormais, « sa vie devient une annexe de son existence ».

Même s’il garde le souvenir de sa grand-mère, même s’il s’interroge finalement sur « ce qui se perd et se conserve dans le grand délayage héréditaire », Franck Bouysse a juste fait le choix d’écrire sur une femme parmi d’autres, une femme ayant traversé l’ensemble du XXe siècle au fond d’un terroir reculé, une femme « entre toutes » celles qui vécurent comme elle, simplement, humblement, patiemment, dignement ; une femme dont il ne connaissait que quelques bribes d’épisodes ayant jalonné le parcours, car Marie ne parlait pas d’elle.

A partir de ces jalons — qui auraient aussi bien pu être fictifs —, l’auteur a imaginé avec sensibilité les détails d’aventures, de péripéties, d’anecdotes advenues à non pas une, mais à deux femmes dont le livre fait partager les moments de bonheur et de souffrance. Car Marie et sa mère Anna ont, à vingt ans d’écart, vécu les mêmes aléas d’une vie de labeur à la tête d’une petite ferme familiale, isolée, sans confort, n’ayant accédé à l’électricité qu’à la fin des années quarante.

Dans la France profonde au travail, les deux Guerres mondiales ont fait évoluer le rôle effectif des femmes, du fait de la diminution drastique du nombre d’hommes — d’hommes valides ! —, un phénomène encore accentué dans le contexte de la Première, en prenant en compte l’indisponibilité de ceux revenus indemnes, mais restés irrémédiablement perturbés par les horreurs du front. Vingt-cinq ans plus tard, lors de l’Occupation allemande, les femmes se sont efforcées de maintenir à niveau les activités de production, en dépit des réquisitions et des exigences menaçantes des uns ou des autres, et malgré les crimes commis par des divisions SS circulant à proximité.  

Après la perte prématurée de son époux, Marie, comme Anna avant elle, est longtemps restée seule à faire tourner la petite exploitation agricole, sans négliger d’élever ses enfants. Une responsabilité qu’aucune des deux n’avait choisie et qu’elles ont assumée avec dignité. Elles ont travaillé sans faillir, ce qui ne les a pas empêchées d’aimer leurs proches. Elles n’ont aimé d’amour qu’un seul homme, celui qu’elles avaient épousé. La rencontre de Marie et de Clément « à la voix d’ange » est d’ailleurs l’un des moments forts de la narration.

Avec Entre toutes, lectrice, lecteur, tu pourrais t’attendre à un roman du terroir comme il y en eut tant, glorifiant la nature, le travail, la tradition. Mais l’auteur est particulièrement talentueux, son livre dresse deux portraits de femmes confrontées à des situations graves, inattendues, captivantes, les élevant ainsi au niveau d’héroïnes d’une épopée de la France rurale au vingtième siècle. Et si, en son temps, tu avais lu son fabuleux roman titré Née d’aucune femme, tu auras reconnu dans Entre toutes quelques traces des lieux où Rose fut mise à mal, plusieurs décennies auparavant.

Le livre se lit très rapidement. Franck Bouysse écrit toujours aussi bien. Des phrases onctueuses et claires, avec, par instant, des fulgurances lyriques qui sont sa marque, des descriptions éblouissantes, des métaphores magiques, des scènes déchirantes. Lectrice, lecteur, prépare un mouchoir.

(*) Romans de Franck Bouysse déjà critiqués : Né d’aucune femme, Buveurs de vent, L’homme peuplé.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

Commenter cet article