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Février 2025,
Je traîne depuis longtemps un problème avec l’œuvre littéraire de John Irving. Il y a quarante ans, j’avais interrompu ma lecture de Le monde selon Garp pour des raisons très personnelles, dont j’ai un peu honte, qui me font toutefois sourire aujourd’hui et que je suis prêt à révéler à quiconque me le demandera. J’avais tenté plus tard de lire un ou deux de ses romans des années quatre-vingt. Etais-je allé jusqu’au bout ? Je ne peux le dire, je n’en ai aucun souvenir.
Il est temps désormais que John Irving m’accorde une nouvelle chance. Alors j’atteste avoir lu intégralement Les fantômes de l’hôtel Jerome… En fait non ! Pas tout à fait intégralement. Tout au long de ses presque mille pages, le texte est émaillé de digressions bavardes, parfois redondantes, que j’ai préféré survoler en partie, chaque fois que je craignais de piquer du nez. Même punition pour les chapitres traités sous forme de scénarios, qui, à mon sens, n’apportent rien et cassent le rythme de la lecture. Je me sens quand même tout à fait apte à parler du roman.
En le lisant, il m’est apparu qu’écrire l’histoire de sa propre vie de sept à soixante-dix-sept ans est une tâche himalayenne, lorsqu’on est écrivain et scénariste. Ce n’est pas John Irving qui est en cause, mais Adam Brewster, le personnage principal et narrateur de Les fantômes de l’hôtel Jerome. Il se perd un peu — et nous avec, lectrice, lecteur — entre les aventures qu’il vit, celles de ses souvenirs réels, rêvés ou fantasmés, celles qu’il imagine pour ses livres, publiés ou non, et celles de ses scénarios de films, tournés ou pas tournés…
Pour clarifier son pedigree, il a fallu de surcroît qu’Adam se penche sur le parcours de sa mère, une femme menue, jolie et fantasque, qui l’avait conçu en 1941 à l’Hôtel Jerome, dans la fameuse station de sports d’hiver d’Aspen, au Colorado, en marge d’une compétition de ski. Mordue de ski alpin, Little Ray — c’est ainsi que ses proches l’avaient surnommée — n’avait jamais caché son homosexualité et elle aura vécu avec la même compagne pendant plusieurs décennies. Qui était donc le géniteur d’Adam ? Son identité restera longtemps un mystère, tant pour Adam que pour toi, lectrice, lecteur. L’on sait juste que Little Ray avait un faible pour les hommes de petite taille, ce qui l’a amenée à épouser Elliot Barlow, un amateur de ski nordique mesurant un mètre quarante-cinq. Au fil des années, ce Mr Barlow prendra l’habitude de se travestir en femme, avant de carrément changer de genre…
Cet aperçu truculent des principaux personnages laisse augurer des péripéties inattendues, tragiques et/ou comiques. Mais leurs effets sont affadis par une narration verbeuse, parfois alambiquée, probablement prisonnière de l’égo de l’auteur et de son ambition de produire un ouvrage sortant de l’ordinaire, inspiré de son parcours et de ses convictions propres.
Ainsi, l’auteur et son personnage sont tous deux nés en 1942 à Exeter (New Hampshire), et dans leurs vieux jours, ils se sont installés à Toronto ; ils n’ont connu que tardivement l’identité de leur père ; dans le roman comme dans la vie de l’auteur, il est couramment question de pratique de la lutte et du ski. Mais Irving se défend de toute intention autobiographique, arguant qu’il a choisi d’écrire sur des sujets et des lieux qu’il connaît, plutôt que de gaspiller son temps à se documenter. Soit !
Irving a toujours défendu la liberté du corps, la liberté sexuelle, toutes les libertés sexuelles. « On peut s’aimer de bien des façons », écrit-il. Avec les années, il ajoute la liberté de choisir son genre. Le livre parait au moment où les opinions sur ces thèmes se radicalisent aux Etats-Unis. Cela ne le gêne aucunement de s’afficher en provocateur. Il assume ses choix politiques et éthiques. Le déroulé de la vie d’Adam dans les dernières décennies du XXe siècle, lui permet notamment de s’en prendre aux positions de la droite américaine pendant la guerre du Vietnam et lors de l’apparition du sida.
Reste l’humour de l’écrivain, son talent pour imaginer des situations burlesques et pour trouver les expressions justes, parfois très crues, qui les font vivre de façon réaliste. Les fantômes de l’hôtel Jerome est une sorte de longue — trop longue — fresque ne souffrant d’aucune incohérence, où j’ai fini par m’attacher aux personnages (et à leurs fantômes), sans pour autant m’enthousiasmer.
TRES DIFFICILE ooo J’AI AIME