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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Connemara, de Nicolas Mathieu

Publié le 30 Mars 2022 par Alain Schmoll in Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mars 2022, 

Quatre ans après Leurs enfants après eux, qui obtint le Goncourt, Nicolas Mathieu n’a pas changé et tant mieux. Dans Connemara, il nous emmène à nouveau chez lui, dans cette Lorraine perturbée par la disparition des industries, en passe d’oublier son patrimoine historique, et qui peine à se reconnaître comme simple composante d’une Région baptisée Grand Est. Les destinées des jeunes sont tracées d’avance : ils restent sur leur terre natale et se contentent d’un quotidien médiocre, comme leurs parents avant eux. Seuls, quelques rares privilégiés parviennent à s’en extirper. Pour réussir l’échappée, il faut de l’énergie, des moyens intellectuels et un minimum de soutien familial.

2017, année d’élection présidentielle. Hélène et Christophe sont tous deux nés quarante ans plus tôt, à Cornecourt, une petite ville des Vosges. Ils partagent un autre point commun : Michel Sardou et ses lacs du Connemara ont rythmé leurs fêtes du samedi soir ; pour l’un, dans les bals populaires du coin ; pour l’autre, dans les galas des Grandes Écoles, à Paris.

Christophe s’est laissé vivre, il n’a pas tenté sa chance ailleurs. Représentant en croquettes pour chats et chiens, il sillonne son secteur à bord de son break. Il est divorcé, père d’un petit garçon. Adolescent, il était assez beau gosse et ses performances dans l’équipe locale de hockey lui avaient valu une gloire éphémère, ainsi que quelques succès féminins. Hélène est grande, belle et brillante. Elle était partie à Paris, pour terminer ses études. Elle y avait dégotté un diplôme supérieur, un job de consultante très bien payé, et un mec plutôt pas mal, encore mieux payé qu’elle, avec qui elle a eu deux filles. Mais le rythme était tel, qu’elle a fait un burn-out et que la famille s’est repliée sur la Lorraine. Pas à Cornecourt, quand même ! A Nancy, un quartier résidentiel, une maison d’architecte, une belle situation pour chacun.

De Nancy à Cornecourt, il n’y a pas une heure de route et il suffit de donner un coup de pouce au hasard. Hélène et Christophe ont chacun leur crise de la quarantaine. Où suis-je, où cours-je, dans quel état j’erre ? Et qu’est-il permis d’espérer, quand on se revoit vingt-cinq ans plus tard et qu’il reste si peu de points communs ? Nicolas Mathieu nous raconte tout : quatre cents pages d’allers-retours captivants entre le présent et le passé.

La prose de Nicolas Mathieu est très simple, fluide, accessible, elle emprunte au langage parlé et il lui suffit des mots les plus courants pour exprimer parfaitement la moindre sensation. Cet écrivain observateur crée ainsi des personnages authentiques, hommes et femmes, jeunes et vieux, à la manière d’un Balzac. Il installe le lecteur à leur contact, pas seulement pour les détails de leur aspect, de leur cadre de vie ou de leurs gestes, mais aussi pour l’instantané de ce qu’ils voient, de ce qu’ils entendent, de ce qu’ils sentent et de ce qu’ils ressentent, jusque dans les espaces les plus intimes, quand ils baisent. Parce que baiser est la parenthèse du salut, le seul moment où l’on s’éclate, sans penser à rien, surtout pas au temps qui fuit et que l’on perd sans s’en rendre compte.

Connemara est un roman politique, mais ce n’est pas une profession de foi. Comme dans son précédent roman, Nicolas Mathieu fonde sa fiction sur des déterminismes sociaux incontestables. J’ai en revanche senti s’effacer sa neutralité de romancier lorsqu’il évoque les tendances actuelles dites « néo-libérales » à optimiser l’efficience des services publics. Cela n’a pourtant rien à voir avec le libéralisme économique. Dans toute forme de société, le citoyen consommateur a droit à des services efficients, qu’ils soient publics ou marchands. Cette exigence appelle des remises en question, qu’il est difficile de mener sans aide extérieure, d’où l’intervention de consultants « privés » (désolé pour ce gros mot !), d’éventuels abus n’en justifiant pas le rejet en bloc. Reste l’emploi de la « novlangue » impulsée par les théoriciens de l’efficience. Les mots sont des symboles, ils unissent celles et ceux qui partagent des idées. Une pratique qui existe dans tous les domaines, politiques, philosophiques, artistiques ou autres, et dont on peut se sentir agacé, snobé, vexé et/ou exclu, dès lors qu’on la subit.

Cette réserve personnelle ne m’a pas empêché de trouver le roman pertinent et passionnant, de la première à la dernière page.

FACILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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