Mars 2022,
Ce qui frappe avant tout à la lecture des ouvrages de Pierre Lemaitre, c’est la prolificité de son imagination créatrice, sa capacité apparemment inépuisable à toujours piocher de nouveaux rebondissements dans son chapeau de magicien de la fiction romanesque ; des péripéties graves ou burlesques, réjouissantes ou tragiques, auxquelles vous n’auriez pas pensé, et qui surviennent toujours à un moment où vous ne vous y attendez pas.
Pierre Lemaitre n’est pas un styliste, c’est surtout un conteur. Son écriture est sobre, efficace, sans coquetterie inutile ; elle est accessible à tous. Le Grand Monde est un livre qui convient à celles et ceux qui recherchent dans la lecture un moment d’évasion. Plusieurs intrigues s’y développent tout au long de ses six cents pages, les chapitres étant consacrés tour à tour à chacune. Une construction littéraire d’un classicisme achevé, où s’expriment toutefois le savoir-faire de l’auteur de romans policiers et son talent pour maintenir à un niveau élevé l’envie de tourner les pages pour découvrir rapidement la suite des événements.
Le Grand Monde s’attelle aux pérégrinations d’une famille, les Pelletier : le père, la mère, leurs trois fils, Jean, François, Étienne, et la petite dernière, Hélène, âgée de dix-sept ans au début du livre. Ils vivent un festival d’aventures aussi savoureuses que surprenantes, très bien insérées dans le contexte historique de la fin des années quarante, dans l’immédiat après-guerre. Le centre de gravité du roman est à Paris, mais une partie de l’action prend place à Beyrouth – on n’en comprend la raison que sur le tard – et à Saigon, alors sous le joug d’une administration coloniale française à bout de souffle et en butte aux premières escarmouches de la guerre d’indépendance d’Indochine.
Chacun des Pelletier affiche une face attachante et une face sombre – ce qui est probablement notre lot à tous. Ces personnages d’une banalité un peu caricaturale sont confrontés à des péripéties insolites, parfois saugrenues et pourtant authentiques, comme l’incroyable et scandaleuse affaire des piastres. L’auteur ne ménage pas la société française de l’époque, sa presse, ses mœurs, ses institutions politiques et judiciaires. A la lumière de ses opinions personnelles, nul doute qu’il ne tente d’instiller l’idée que rien n’a vraiment changé. On voit très bien à quelle actualité il fait référence en décrivant une manifestation très violente sur l’avenue des Champs-Elysées en faveur de mineurs en grève. Il est vrai que la critique sociale est l’une des marques du roman picaresque, genre auquel il convient de rattacher Le Grand Monde.
Le récit appelle tellement d’images, qu’en lisant, je voyais les personnages évoluer comme dans une fiction en bandes dessinées. J’ai retrouvé, dans Le Grand Monde, l’esprit des aventures de Tintin, le reporter qu’Hergé faisait trotter çà et là sur le globe, dans un monde conforme à la vision géopolitique qu’il en avait. Débarquent de surcroît des personnages en provenance d’Au revoir là-haut, un peu comme Rastapopoulos et le général Alcazar réapparaissaient à l’occasion dans Tintin.
Une façon d’afficher une filiation entre une nouvelle trilogie nommée Les années glorieuses, dont Le Grand Monde serait le premier tome, et la précédente, baptisée sur le tard Les enfants du désastre, où les liens de parenté entre les trois romans (*) étaient ténus et de pure forme. Du coup, s’étend sur soixante ans la promesse d’une véritable saga picaresque.
A la fin du livre, il est clair qu’on n’en a pas fini avec les enfants de Louis et d’Angèle Pelletier. Un nouvel horizon professionnel et privé se dégage pour François ; Hélène est trop belle et trop caractérielle pour ne pas avoir un avenir romanesque ; sans oublier Jean, dont il faudra bien traiter les pulsions et ses implications.
La nouvelle trilogie pourrait bien mériter l’appellation de série.
(*) : Au revoir là-haut, Couleurs de l’incendie, Miroir de nos peines.
FACILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT