![](https://image.over-blog.com/3XPJDKeTQwaSQiBvkKptF9DMMQE=/filters:no_upscale()/image%2F1426270%2F20230613%2Fob_006b90_cvt-la-doublure-9708.jpg)
Juin 2023,
Mélissa Da Costa est l’un des nouveaux phénomènes de l’édition française. Cette trentenaire récente a déjà cinq ou six best-sellers à son actif et les critiques sont dithyrambiques. Ma curiosité est éveillée, mais l’écrivaine est étiquetée feed-good et je n’aime pas trop ce genre de littérature. J’apprends finalement que son roman La Doublure, publié en 2022, tranche radicalement avec ses autres ouvrages. Voilà donc une bonne occasion de découvrir la jeune autrice.
La Doublure est un roman noir. C’est même un roman qui, page après page, s’enfonce dans le noir, sans possibilité de retour en arrière. Les âmes sensibles pourraient le qualifier de feel-bad.
A Saint-Paul-de-Vence, le pittoresque village en surplomb de la Côte d’Azur très prisé par les artistes et les célébrités, Evie, une jeune femme sans trop d’ancrage ni de repères, est engagée par un couple qui semble mener grand train et qui l’éblouit. Pierre est un businessman très séduisant, Clara est une artiste-peintre, inspirée par le romantisme noir.
Pierre recherche une assistante pour gérer les tâches d’intendance de son épouse : répondre aux invitations, remercier ses admirateurs, préparer ses expositions… Clara veut se consacrer totalement à sa peinture et déteste les obligations publiques ou mondaines auxquelles elle devrait se soumettre. Il se trouve qu’Evie lui ressemble physiquement. On se comprend vite, tout se met en place : mieux qu’une assistante, c’est une doublure qu’il faut à Clara.
Une doublure ! Avec les risques de confusion des sentiments que cela représente pour l’une et pour l’autre. L’ascendant et le mépris implicites de l’original à l’endroit de la copie. La fascination de l’émule pour celle qui domine, la tendance à ressentir frustration ou humiliation… ou les deux. Comment Clara et Evie, chacune de son côté, vont-elles gérer les limites du rôle concédé par la première, accepté par la seconde ? D’autant plus que Clara et Pierre vivent sur un mode déjanté et pervers : fric, sexe and drogue. Cela pourrait-il être contagieux ?
Les principales péripéties de l’intrigue prennent place dans la maison de Saint-Paul-de-Vence, où se trouve l’atelier de Clara. Evie, Pierre et Clara vont et viennent, mais ils sont tous trois enfermés dans une sorte de huis clos mental, un jeu en triangle angoissant, toxique, délétère.
Le thème n’est pas nouveau, mais Mélissa Da Costa l’exploite à merveille. La maîtrise du jeu donne l’impression de basculer d’un chapitre à l’autre. Impossible de deviner ce que l’autrice a prévu pour la page suivante. De rebondissement en rebondissement, de manipulation en manipulation, la tension monte jusqu’à la dernière ligne. C’est Evie qui raconte, six cents pages, sur un rythme trépidant qui ne faiblit jamais. Une narration semblant sortir de ses tripes, au présent de l’indicatif de bout en bout. Evie rapporte ce qu’elle voit, ce qu’elle entend, ce qu’elle ressent à l’instant même : étonnement, émerveillement, amour, angoisse, dégoût, fureur, désespoir… Pour en rendre compte, l’autrice dispose d’un vocabulaire et d’un répertoire syntaxique riches, où elle puise sans effort apparent des mots justes, enveloppés dans des phrases joliment tournées.
Pour structurer son intrigue, l’autrice s’est appuyée sur les modes d’expression du romantisme noir. Elle cite dans le texte ses poètes : Baudelaire, ses hymnes à la beauté du mal, son goût pour les scènes macabres, sa glorification de Satan. Elle revisite ses peintres, inspirateurs de Clara, à commencer par Goya et ses sorcières. Elle se réfère à ses mythes bibliques, notamment à Lilith, la première femme d’Adam, d’essence démoniaque, qui aurait demandé au serpent de corrompre Eve, pour l’entraîner avec Adam dans le péché originel. Un mythe qui la conduit à construire La doublure en trois parties : Le jardin d’Eden, la tentation, la chute.
Un mythe qui influence la peinture de Clara et qui perturbe les rapports entre les deux femmes. Laquelle est Lilith, la lubrique, la maléfique ? Laquelle est Eve, la pure, l’innocente ? Lectrice, lecteur, ne répond pas trop vite, rien n’est certain, tout peut arriver, son contraire aussi.
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP