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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Le Magicien, de Colm Toibin

Publié le 23 Décembre 2022 par Alain Schmoll in Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2022, 

Le Magicien. C’est ainsi que ses six enfants appelaient Thomas Mann, tout simplement parce qu’il leur faisait des tours de prestidigitation quand ils étaient petits. Colm Toibin, un romancier et essayiste irlandais renommé dans le monde littéraire anglophone, reprend ce surnom dans sa biographie du grand écrivain allemand, prix Nobel de littérature. Sur plus de six cents pages, l’ouvrage retrace le parcours de Thomas Mann, depuis l’année 1891 — il a alors seize ans — jusqu’à sa mort en 1955.

Je n’avais pas lu de biographie depuis longtemps et celle-ci tranche avec l’image de rigueur factuelle, d’authenticité des témoignages et d’analyses approfondies que j’en avais gardée. Le Magicien se lit comme un roman, un récit fictif fluide, calqué sur la vie de son personnage principal. Cela ne l’empêche pas d’être très documenté, prenant notamment ses sources dans le journal intime de Thomas Mann.

Le Magicien n’est pas pour autant une lecture légère. D’un point de vue littéraire, il m’a permis de recontextualiser les romans de Thomas Mann lus il y a une trentaine d’années, me donnant l’envie de les rouvrir : Les Buddenbrook, publié en 1901, évoque les affaires de sa famille, à Lübeck ; La Montagne magique s’inspire d’un épisode vécu, quand son épouse soignait sans fin un début de tuberculose à Davos ; Le docteur Faustus est aussi difficile à lire que la musique dodécaphonique l’est à écouter. A l’époque, j’avais été hermétique à La mort à Venise, écrite en 1911 sous l’emprise de fantasmes homosexuels ; c’est pourtant son œuvre la plus connue, une notoriété due peut-être aussi au film qu’en a tiré Visconti et à sa musique de Mahler.

Immense écrivain, Thomas Mann n’eut rien d’un marginal ni d’un artiste maudit. Né dans une famille de négociants fortunés, il fut publié très jeune. A vingt-six ans, le succès des Buddenbrook lui valut aisance financière et notoriété. Son épouse était issue d’une famille juive de Munich à la fois estimée, cultivée et richissime, avant d’être pourchassée et dépossédée de ses biens par les nazis. Katia Mann gérera les finances du couple pendant toute leur vie, y compris lors de leur exil américain à partir de 1933. Auréolé du prix Nobel en 1929, Thomas Mann aura été traduit en de multiples langues et ses livres se sont abondamment vendus. Il a aussi donné des conférences très bien rémunérées.

Le livre donne un éclairage historique passionnant. Thomas Mann aura assisté, de près ou de loin, aux événements marquants de son pays d’origine pendant toute la première moitié du XXe siècle. L’Empire de Guillaume II, la Première Guerre mondiale, l’Allemagne erratique puis hitlérienne des années vingt et trente, la Seconde Guerre mondiale, pour finir par la création de deux Etats, l’un lié aux pays occidentaux, l’autre au bloc de l’Est sous domination soviétique. Nationaliste dans sa jeunesse, Thomas Mann aura su évoluer dans ses convictions. Il s’est très tôt déclaré opposé au nazisme et à Hitler, au point de devoir s’exiler et d’être déchu de sa nationalité. Aux Etats-Unis, pendant la guerre, il était fréquemment consulté par l’administration Roosevelt.

Fascinant de constater l’aura de respectabilité dont jouissait cet homme, reconnu comme une conscience morale élevée ! Dans ses dernières années, il avait même été pressenti pour être président de la République fédérale d’Allemagne. Il se gardait bien toutefois de se mettre en danger, de trop s’exposer à la critique, n’affichant haut et fort ses positions que lorsqu’il était certain qu’elles seraient comprises. Il aura soigneusement occulté une homosexualité plus ou moins latente, révélée par son journal intime et sur laquelle Colm Toibin s’étend complaisamment.

Au fond, Thomas Mann est toujours resté un grand bourgeois conservateur, soucieux de son confort matériel, attaché à ses prérogatives d’homme illustre et respectable, y compris en famille. Thomas et Katia ont entretenu des relations ambiguës avec leurs six enfants, dont trois ont assumé leur homosexualité, mené des vies d’artiste et affiché des engagements politiques progressistes, qui vaudront à leur père les premières tracasseries de ce qu’on appellera le maccarthysme. Bien que naturalisé américain, Thomas Mann choisira de quitter les Etats-Unis et de finir ses jours à Zurich.

Un destin personnel magique ! Mais faut-il pour autant qualifier cet homme de magicien ?…

GLOBALEMENT SIMPLE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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