Octobre 2020,
D’Erri de Luca, j’avais beaucoup aimé Le Tort du Soldat, un livre dont j’ai publié la critique début 2017 et dans lequel, après avoir explicité sa passion pour le yiddish, l’auteur imaginait les élucubrations d’un ancien criminel de guerre nazi et de sa fille, rencontrés par hasard dans une auberge de montagne.
La montagne ! Un lieu où tout prend sens pour cet alpiniste chevronné qu’est Erri de Luca, un écrivain autodidacte napolitain humaniste et altermondialiste, dont la biographie est tellement extraordinaire (au sens propre du terme !), que je ne peux pas la rapporter ici en trois lignes.
Dans Impossible, tout part d’une chute mortelle dans les Dolomites. Au cours d’une randonnée, le narrateur a bien vu, au loin, un homme le précédant sur son chemin et parvenant à ce qu’on appelle une vire, un passage très étroit et dangereux, entre paroi escarpée et précipice. Arrivé à son tour au même endroit, il a aperçu, en contrebas, au fond sur des rochers, les traces d’une chute. Il a appelé les secours…
C’est ce qu’il explique, en réponse à des questions qui lui sont posées. Nous sommes dans le bureau d’un juge d’instruction qui l’accuse de meurtre. Ce magistrat n’a aucune preuve, mais il a la conviction que son vis-à-vis a poussé la victime en toute conscience dans le précipice.
L’enquête montre que l’homme tombé et le narrateur avaient été membres du même groupement activiste d’extrême gauche dans les années soixante-dix, une période qu’en Italie on a appelé « les années de plomb ». Les deux hommes auraient même été très liés, ce que reconnaît l'accusé.
Mais l’autre homme avait un jour rejoint le camp des « repentis », dénoncé ses camarades, leur valant une lourde condamnation, obtenant pour lui-même une libération anticipée, accompagnée d’un programme de protection avec une nouvelle identité. Le narrateur déclare avoir ignoré que cet homme, qu’il n’avait aperçu qu’au loin, était celui qui l’avait trahi quarante ans plus tôt. Il s’agit pour lui d’une coïncidence. Le magistrat estime qu’une telle coïncidence est impossible.
Les chapitres sont alternativement des comptes-rendus d’audience et des lettres du narrateur à la femme qu’il aime, où il commente ses face-à-face avec le magistrat, un interrogatoire qui tourne au débat sur des thèmes philosophiques : l’amitié, la solidarité, la renonciation, le reniement, la trahison ; sans oublier l’oubli et la vengeance. Le magistrat devrait avoir la partie belle face à un homme accusé et placé en détention provisoire. Mais c’est sans compter sur l’écart de pratique et de maîtrise entre deux hommes habitués aux joutes verbales, mais dont l’un a le double de l’âge de l’autre.
Le livre, que l’on ne peut pas lâcher tout au long de ses cent soixante-dix pages, se lit comme un « récit à suspense », expression équivalente à « thriller », selon un blogueur ayant commenté l’un de mes propres romans. Le style, épuré à l’extrême, est d’une fluidité parfaite. Les lettres à la femme aimée, qu’il appelle Ammoremio, sont touchantes.
Le narrateur est à l’évidence un double de l’auteur : même âge, même goût pour la montagne, même engagement à l’extrême gauche… et même réticence à condamner les crimes perpétrés dans les années soixante-dix au nom d'une lutte armée révolutionnaire, qu’il se borne à archiver comme appartenant à une époque révolue.
J’en profite pour préciser que contrairement à ce qu’ont pu penser quelques lectrices et lecteurs de mon roman La Tentation de la vague, je n’ai jamais été un militant ni même un sympathisant de l’extrême gauche.
FACILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP