Mai 2019
Ce livre réunit tous les ingrédients qui font un best-seller. Et il fut effectivement un best-seller mondial ! Publié il y a une quinzaine d’années, La Cathédrale de la Mer est une longue fresque historique, romanesque et humaniste, dont l’action se situe en Catalogne, au Moyen-Age. Œuvre d’Ildefonso Falcones, un avocat médiéviste barcelonais qui mit plusieurs années à l’écrire, le livre comporte sept à huit cents pages selon les éditions.
Ancré autour de la construction d’une cathédrale, le roman s’apparente plus aux Piliers de la Terre qu’à Notre-Dame de Paris. Mais à la différence de la cathédrale fictive de Ken Follett, la Cathédrale de la Mer existe réellement. Elle se dresse à Barcelone, dans le vieux quartier aujourd’hui branché de la Ribera. C’est un vaste édifice de conception gothique, mais d’aspect massif, sobre, sans ornementation flamboyante. Ainsi la voulait la population locale, qui avait activement contribué à sa construction, en la finançant et en y travaillant. Le roman évoque notamment le rôle clé de centaines de « bataixos » – on dirait aujourd’hui en français des débardeurs – qui, à dos d’homme, avaient apporté un à un sur le site les blocs de pierre extraits dans les carrières avoisinantes.
Alors qu’il avait fallu deux siècles pour construire Notre-Dame de Paris, une soixantaine d’années avaient suffi pour Santa-Maria del Mar. Le roman place ces soixante années sur l’échelle du temps d’un homme, né avec la pose de la première pierre, et dont la plénitude personnelle coïncidera avec la mise en place de la dernière clé de voute.
Cet homme se nomme Arnau Estanyol. Fils d’un serf, il est dès l’adolescence coopté dans la confrérie des « bataixos ». Un rude métier ! Ses qualités et les circonstances lui valent de gravir rapidement les échelons de la société catalane. Devenu un notable riche et puissant, estimé par ses pairs, adulé par le peuple, il n’oublie pas d’où il vient et se pose en défenseur des esclaves et des pauvres. Il est aussi l’ami fidèle des Juifs qui, confinés dans leur « barrio », financent le roi de Catalogne… sans jamais être à l’abri de représailles soudaines et brutales ; il suffira d’une épidémie de peste ou d’une période de famine pour alimenter des rumeurs de sorcellerie et réveiller les bas instincts du peuple, transformé en meute sanguinaire.
Arnau est l’archétype du héros de best-seller : beau, fort, courageux, intelligent, juste, honnête, bienveillant, humble … quoi d’autre, encore ?... J’aurais pu être agacé ! Mais non, je me suis attaché à son parcours, j’ai souffert des tourments et des humiliations qu’il n’a pas manqué de subir. Sa vie n’aura pas été un long fleuve tranquille. Dans la Catalogne médiévale, les seigneurs et les nobles bénéficient de privilèges hallucinants, révoltants, intimes, dont ils abusent sans vergogne dans leurs rapports avec les familles de leurs serfs. Mais il arrive qu’ils trouvent Arnau en travers de leur chemin ; ils lui en gardent alors une rancune et une haine tenaces. Notre héros devra faire face à de lâches machinations ourdies par ceux qui se sont sentis outragés. Il lui faudra aussi échapper aux griffes de l’implacable Inquisition et de ses affreux moines encapuchonnés dans leur robe noire.
Dans ce genre de roman, les personnages sont généralement brossés de façon manichéenne. Face à Arnau, les méchants ; à ses côtés, les bons. Une exception toutefois avec Joanet, un être tourmenté, déchiré entre une affection fraternelle pour Arnau et une rigidité qui le conduira à une intolérance inquisitrice. Et l’amour, alors ? Les femmes séduisantes ne manquent pas, mais le sujet restera longtemps compliqué pour le bel Arnau, trop respectueux des coutumes restrictives du temps. Des coutumes dont les effets pervers font des victimes parmi les femmes du peuple, qui ne peuvent pas toujours échapper au viol, puis à la prostitution.
Peu sympathique, cette Europe médiévale, morcelée en petites monarchies régionales qui se combattent, puis s’allient du jour au lendemain pour guerroyer contre une autre. Lois, monnaies et pratiques commerciales diffèrent d’un royaume à l’autre, parfois d’une seigneurie à l’autre. Elles se télescopent de surcroît avec les exigences de l’Eglise catholique, où le Pape et les Grands Inquisiteurs ont eux-mêmes des conflits d’intérêt. Tout cela dans un enchevêtrement peu clair de trahisons et d’arrangements financiers entre souverains, institutions, corporations professionnelles et communautés. On a beau dire, notre Europe d’aujourd’hui parait paradisiaque à côté.
Quelques longueurs dans ce roman bien documenté, écrit d’une plume efficace sans ambition de style, qui se lit agréablement. L’auteur a habilement orchestré des péripéties variées dans le souci de captiver le lecteur. Un peu artificiel, diront certains. Du moment que cela fonctionne, qui s’en plaindra ?
FACILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP