Mars 2019,
Les livres de Delphine de Vigan rencontrent autant de succès en librairie que dans le monde littéraire. Il faut donc bien qu’un jour, je me décide à en lire un. J’opte pour son dernier roman, Les gratitudes, qui vient de sortir.
Le livre est court, cent soixante pages, très aérées. Les dialogues prennent une grande place par rapport à la partie narrative. La lecture est donc fluide, très rapide. Tellement rapide qu’au début, je tourne les pages avec la sensation d’une absence de matière... Un doute me prend : suis-je dans un ouvrage, dont je devrai à nouveau conclure ma critique par une formule du type : « une lecture sympathique, par instant émouvante, mais pas inoubliable » ?
Après quelques chapitres, toutefois, les personnages prennent de la consistance. Ils sont trois. Michka est une femme très âgée, sans famille. En perte d’autonomie, elle est contrainte de s’installer dans une résidence pour personnes âgées dépendantes. Face à elle, deux narrateurs, qui interviennent tour à tour : Marie, une jeune femme qui habite l’immeuble où Michka a vécu et qui s’efforce de lui rendre visite régulièrement ; Jérôme, un orthophoniste exerçant dans la maison de retraite, passionné par son métier, aux petits soins pour Michka.
La gratitude est le sentiment de reconnaissance que nous éprouvons envers les personnes qui nous ont apporté un bienfait ou rendu un grand service. En exergue, Delphine de Vigan a placé un extrait d’un poème de François Cheng, qui nous rappelle que « tout instant de vie est rayon d’or sur une mer de ténèbres » et qu’il faut savoir dire merci, exprimer notre reconnaissance à celles et ceux qui ont souffert ou qui se sont donné du mal pour que nous soyons vivants et heureux de l’être.
Habilement, graduellement, le livre dévoile pourquoi Marie est redevable envers Michka. On découvre aussi ce que Michka doit à une femme et à un homme perdus de vue depuis son enfance. On comprend alors la souffrance muette et inconsciente qu’elle éprouverait à l’idée de quitter ce monde sans avoir pu leur témoigner, d’une façon ou une autre, sa gratitude... Émotion !
Avec Jérôme, les choses sont un peu plus floues. Sans doute faut-il comprendre qu’apporter un bienfait est l’occasion d’un accomplissement personnel, ce qui justifie de ressentir de la gratitude pour celle ou celui à qui l’on apporte le bienfait. Jérôme est une personne de grande qualité. Comme Michka et Marie, d’ailleurs, car avec Les gratitudes, Delphine de Vigan nous immerge dans un monde où « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » – à l’exception d’une déplaisante directrice d’établissement qui, grâce à Dieu, n’existe que dans les cauchemars de Michka.
Le livre affiche un second exergue, quelques paroles d’une chanson de La Grande Sophie : « Où vont les mots, ceux qui résistent, qui se désistent… ». Michka a des difficultés à s’exprimer. Elle sent que les mots lui échappent et elle leur substitue inconsciemment des mots à consonance voisine. Dans sa résidence, Michka pourrait parler d’« une résignante qui préambule, vêtue d’une robe des champs du dernier choc »… Nous ne pourrions nous empêcher de sourire. Ce ne serait pas méchant, juste nerveux. Et aussi parce ça nous rappellerait quelques gags littéraires des oulipiens, des pataphysiciens, ou, plus récemment, de Frédéric Dard et de Gary/Ajar.
D’ailleurs, lors de leur unique rencontre, dans les toutes dernières pages, Marie et Jérôme ne se privent pas de partager un sourire en évoquant les drôles de mots de Michka. Un partage qui les rapproche. L’auteure nous laisse libre d’en imaginer les suites possibles… Tout en nous laissant dans l’ambiguïté sur la personnalité de Jérôme, renié par son père…
Ce qui arrive à Michka n’est pourtant pas drôle. C’est le grand âge, la vieillesse, … un naufrage, disait Chateaubriand, bien avant de Gaulle. Certains y échappent. J’en connais, ils me lisent. J’espère que je leur ressemblerai. Car le futur n’est plus si lointain.
Finalement, je confirme. Une lecture gentillette, incontestablement émouvante, pas inoubliable.
FACILE ooo J’AI AIME