Novembre 2018,
Porté par un franc succès outre Atlantique, Un gentleman à Moscou se présente aux lecteurs francophones, derrière une très belle couverture noir et or, illustrée symboliquement par quelques thèmes du roman. Un bien beau volume de presque six cents pages, auquel on reprochera juste son poids. L’auteur, un Américain du nom d’Amor Towles, est devenu romancier sur le tard, après une carrière d’analyste financier.
J’ai toujours aimé les histoires d’aventuriers gentlemen. Leur élégance, leur sang-froid, leur humour, dissimulant des qualités intellectuelles et physiques exceptionnelles, ont nourri mes rêves d’enfant et d’adolescent : Phileas Fogg, le so british héros de Jules Verne, m’a fasciné ; j’aurais voulu être Arsène Lupin, le génial gentleman-cambrioleur ; j’ai été ébloui par James Bond, l’agent très spécial et très séducteur au service secret de Sa Majesté. Un gentleman à Moscou m’a donc ramené à ma jeunesse et m’a fait penser à un best-seller des années soixante, que je me souviens d’avoir lu et relu avec enthousiasme à l’époque : On n’a pas toujours du caviar, de Johannes Mario Simmel.
Le propre du gentleman est de s’en tenir scrupuleusement à une éthique et à des règles de comportement qui lui sont propres, sans se préoccuper de l’air du temps, sans se soucier de l’opinion du commun, sans chercher non plus à en imposer. Tel est bien le personnage imaginé par l’auteur, le comte Alexandre Ilitch Rostov, membre de l’ordre de Saint-André, membre du Jockey Club, et j’en passe. Ce comte Rostov, Sasha pour les intimes, n’est ni français, ni british, mais russe, profondément russe, russe jusqu’au bout des ongles, russe de la première à la dernière ligne du roman.
Mais en 1922, du seul fait de sa naissance, cet homme se trouve hors des normes bolcheviques, un crime qui dans le régime soviétique, mérite la peine de mort, ou à minima, la déportation au fin fond de la Sibérie. Heureusement, grâce à un poème dont on lui attribue – à tort (*) – la paternité, le comte Rostov n’est condamné qu’à une assignation à perpétuité à son domicile, le luxueux hôtel Metropol, en plein centre de Moscou, où il réside depuis la Révolution et la perte de la propriété familiale.
Pendant plus de trente ans, le comte ne franchira pas les portes de l’hôtel, où l’on lui attribue une minuscule mansarde sous les toits, un lieu qu’il saura agrémenter à sa façon, à l’insu de ses geôliers. Pendant toutes ces années, son ingéniosité, son entregent et son humour lui permettront de tirer les ficelles d’intrigues et de manipulations en tout genre, pour la plupart avec bienveillance. Il influera sur le fonctionnement de l’établissement, notamment celui des restaurants, qui conserveront grâce à lui un niveau de qualité apprécié par les nouveaux maîtres du Kremlin et leurs visiteurs étrangers.
Un gentleman à Moscou, c’est trente ans d’anecdotes romanesques plaisantes, drôles, parfois émouvantes, mêlées de commentaires philosophiques de bon aloi, émaillées de références culturelles brillantes et d’évocations de l’âme russe, le tout sur fond d’histoire de l’Union Soviétique, depuis la rédaction de sa Constitution, jusqu’à l’habile prise de pouvoir par Khrouchtchev en 1954.
Les déviations absurdes du régime sont illustrées dans leurs applications les plus ridicules. L’exemple le plus cocasse est l’arrachage systématique des étiquettes sur les bouteilles de la somptueuse cave à vins de l’hôtel, afin de mettre un terme à une inégalité contraire aux idéaux de la Révolution. Désormais, au Boyarsky, le meilleur restaurant de Moscou, ce sera rouge ou blanc, à prix unique.
Le livre est très agréable à lire, même si le texte français aurait peut-être mérité un peu plus de fignolage. Il faut saluer la cohérence globale des nombreuses péripéties. Je m’interroge juste sur une paire de chaussures disparue dans la dernière partie du livre, sans que j’aie vraiment compris l’intérêt de cette disparition. Ce n’est qu’un détail sans importance.
(*) L’histoire du poème en prologue est dévoilée dans les dernières parties du livre. Si tu veux la connaître, chère lectrice, cher lecteur, tu devras lire le roman jusqu’au bout.
FACILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP