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Janvier 2025,
Peut-on critiquer un livre en laissant l’auteur de côté ? En principe, oui, mais pas s’il s’agit de Bernard-Henri Lévy. Quand il écrit, apparaît ou parle, il ne suscite jamais l’indifférence. Il séduit ou il horripile, c’est ainsi depuis longtemps, c’est à la fois son privilège et sa malédiction. Alors, qu’espérait-il en écrivant Nuit blanche, un ouvrage qui ne se compare à aucun de ceux qu’il publie habituellement en tant qu’écrivain-philosophe : essais, manifestes, romans, enquêtes… ?
Dans Nuit blanche, il parle surtout de lui-même. Que dis-je, surtout ? Il ne parle que de lui, la tête haute, mais sans s’épargner, avec sincérité et autodérision. En marge d’une narration relatant des combats personnels pour et contre le sommeil, il livre, en mode digressif bien contrôlé, un ensemble de confidences hybrides, sérieuses et légères, largement inédites. Certaines, intimes, associent la belle dont il est depuis trente ans le seigneur, la sublime et admirable A.. Il évoque des souvenirs qui remontent loin, loin dans le passé, et qui m’ont ému lorsque sont entrés en scène ses parents, aujourd’hui disparus. Il renouvelle aussi des prises de position bien senties, que je partage.
Les confidences de BHL m’intéressent, ses souvenirs m’interpellent. Il faut que tu saches, lectrice, lecteur, que Bernard et moi nous sommes connus il y a plus de soixante-cinq ans. Nous avons usé nos fonds de culotte sur des bancs de l’école primaire ; plus tard, au lycée, au fond de la classe d’histoire-géo de monsieur Fournier et en d’autres occasions, nous avons rigolé en échangeant des secrets d’adolescents. Un court tronc commun, avant son envol au-delà des confins des sphères étoilées, loin des brumes de la multitude vile dans laquelle j’ai cheminé.
A mon tour de digresser ! Camus découvre à vingt-huit ans sur la tombe de son père que c’est l’âge de sa mort. Drôle de sensation, confie-t-il. L’âge que nous avons tous deux aujourd’hui, BHL et moi, est aussi celui de nos pères respectifs lors de leur décès. Devenir plus vieux que son géniteur est un tournant dans la vie d’un homme, le père de Bernard est d’ailleurs venu, une nuit, le lui chuchoter à l’oreille. Je note que l’âge en question n’est pas explicitement indiqué dans le livre. Vieillir ou ne pas vieillir ? Un bref instant de mélancolie, lors d’une réunion avec Macron et Zelensky, quand BHL prend conscience qu’ils ont l’âge de son fils. Mais le reste du temps, une envie d’avoir envie qui ne faiblit pas. D’autant que les ressources de la pensée juive sont loin d’être épuisées.
J’en arrive aux nuits blanches. Il y en eut beaucoup, parfois délibérées, des studieuses pour s’atteler au travail et des festives pour se libérer de la pression. D’autres furent subies, rongées par les images rapportées de zones de guerre, impactées par les risques encourus, ou juste inexpliquées, si ce n’est que le sommeil ne vient jamais dès qu’on craint qu’il ne vienne pas. BHL a dû trancher un dilemme. Dormir est une perte de temps, quand on a tant à lire, à dire, à écrire, à faire ; mais ne pas dormir nuit gravement à la santé et aux performances. Alors pour maîtriser le sommeil, pour le border, l’écrivain-philosophe s’en est remis à la chimie. Avec humour et un sens aigu de l’expérimentation, il en dresse un panorama documenté, pastiche d’un « Que choisir » consacré aux somnifères.
J’émets des réserves ! Je vois déjà les grognons, les antivax, les complotistes, les gilets et les bonnets de je ne sais quelles couleurs l’accuser d’être inféodé à Big Pharma. Car à l’égard de BHL, les malintentionnés sont légion. Trop beau, trop intelligent, trop riche. Un triple bienfait des dieux qui déclenche l’ire des fous furieux de l’égalité, lesquels sont surtout jaloux des mieux pourvus qu’eux. Ceux-là ne liront certainement pas Nuit blanche, mais ça ne les empêchera pas d’en dire du mal.
Malgré quelques alinéas à enjamber, quand le niveau littéraire ou philosophique devient trop élevé, le livre est accessible, captivant, instructif, souvent drôle — assoupissements au théâtre, tribulations du félin Little Siam… —. La plume de BHL est précise, légère, élégante, parfois lyrique, jamais prétentieuse. Le texte semble couler de source. S’y glissent discrètement des mots prélevés chez Baudelaire, chez Nerval (deux fois les mêmes pour Nerval !) et des références à un étonnant écrivain du siècle dernier que je ne connaissais pas, Raymond Roussel, qui me rappelle un peu Barnabooth (prénom Archibald) … Voilà que je recommence à digresser. Il est temps que je m’arrête.
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP