Avril 2023,
Laurent Seksik a commencé sa vie professionnelle comme médecin. Il s’est ensuite lancé en littérature, écrivant un roman à succès, l’adaptant au théâtre, puis animant une émission littéraire. Un jour, il a fallu choisir, médecine ou littérature. Ce fut médecine et littérature : la radiologie dans le Midi de la France et, en même temps, l’écriture d’une dizaine de livres. Parmi ceux-ci, plusieurs biographies romancées de grands artistes ou scientifiques du vingtième siècle, nés en Europe de l’Est et de confession juive : Stefan Zweig, Albert Einstein, Romain Gary, et désormais Franz Kafka.
Il ne faut pas prendre au pied de la lettre le titre, Franz Kafka ne veut pas mourir. Dans une première partie, le livre relate les dernières semaines de l’écrivain en 1924. Né à Prague quarante ans plus tôt, il est en phase finale d’une tuberculose généralisée. Il en est atteint depuis sept ans et elle le fait souffrir à un point tel, qu’il implore son médecin traitant : « tuez-moi sinon vous êtes un assassin ! » Morphine et débat sur la fin de vie, il y a quasiment cent ans !
Une fois Kafka mort, l’auteur s’attache aux destinées de trois proches : sa sœur Ottla, avec qui il avait entretenu une relation très affective ; une jeune comédienne polonaise, Dora Diamant, qui fut sa compagne des derniers mois ; un étudiant en médecine hongrois, Robert Klopstock, qui à défaut de pouvoir le guérir, s’efforça de soulager ses douleurs pendant son agonie. Tous trois avaient été très attachés à Franz Kafka, s’avouant fascinés par son brio intellectuel, séduits par sa sensibilité et éblouis par ce qu’ils avaient lu de lui.
Leur identité juive les confrontera à la montée du nazisme, qui infectera peu à peu la Mitteleuropa et ses quatre métropoles, Berlin, Vienne, Prague et Budapest. Viendront ensuite la Seconde Guerre mondiale et les massacres génocidaires que l’on sait. Il fallait survivre ! Ottla Kafka n’y parviendra pas. Vingt ans après la mort de son frère, elle sera gazée à Auschwitz, s’étant sacrifiée auprès d’enfants déportés. Dora Diamant, restée fidèle au souvenir de Kafka, échappera par miracle aux traques nazies, puis, après s’être réfugiée à Moscou et s’y croyant en sécurité, aux purges staliniennes. Robert Klopstock parviendra à embarquer pour l’Amérique, où il deviendra un brillant chirurgien spécialiste de la tuberculose.
Au plus profond d’eux-mêmes, Ottla, Dora et Robert garderont l’impression d’une présence de l’écrivain décédé. Ils voudront faire vivre sa pensée, en diffusant, traduisant, commentant ses textes au fur et à mesure de leur disponibilité. Car Kafka, qui se voulait écrivain, n’avait presque rien publié de son vivant. C’est à un autre proche, Max Brod, qu’il devra sa notoriété posthume. Bien que Kafka lui eût demandé de brûler l’ensemble de ses manuscrits après sa mort, cet homme de lettres, ancien condisciple, considéra que son devoir était de faire connaître l’œuvre et la vision prospective de son ami. Il publiera notamment Le Procès, son roman le plus célèbre et le plus emblématique.
Dans Le Procès, comme dans la plupart des romans et des nouvelles de Kafka, le personnage principal est un homme solitaire immergé dans un univers mystérieux et oppressant, où il se sent coupable, sans avoir la moindre idée de la faute qu’il aurait commise. Il se débat en vain, sachant qu’il ne peut rien espérer, car rien n’a de sens dans un monde absurde au point d’être par instant grotesque. Une vision prémonitoire des atmosphères hitlériennes et staliniennes !
La lecture de Franz Kafka ne veut pas mourir est très intéressante. Elle apprend et clarifie beaucoup de choses. Mais malgré sa tournure narrative romanesque, c’est du sérieux, on rigole pas ! Un livre pas vraiment distrayant !
Une exception, que j’ai trouvée jubilatoire : l’interrogatoire de Dora à Moscou par un enquêteur obtus et vicieux du NKVD, la redoutable police secrète soviétique. Prompt à reconnaître coupable et à condamner l’ancienne compagne d’un écrivain prétendu « petit-bourgeois », le médiocre inquisiteur découvre stupéfait que Kafka avait décrit avec douze ans d’avance le régime judiciaire pervers dans lequel il officie. Une façon de démontrer par l’humour le pouvoir d’un talent visionnaire !
GLOBALEMENT SIMPLE ooo J’AI AIME