Novembre 2022,
Tour à tour roman noir, feuilleton d’espionnage, polar, chronique géopolitique, manifeste militant, Paysages trompeurs induit une lecture dynamique, plutôt captivante, à condition d’aimer les imbroglios. L’ouvrage se compose d’intrigues successives accrocheuses, qu’il vous reviendra de remettre dans l’ordre chronologique, car l’auteur joue facilement du retour en arrière. Les personnages, dont vous ne saurez pas s’ils sont loyaux ou fourbes, sincères ou manipulateurs, ne cessent de dévoiler des activités obscures inattendues. Chacun des courts chapitres incite à s’engager dans le suivant et pour ma part, je ne me suis jamais ennuyé.
Pourtant, sitôt la dernière page tournée, je me suis trouvé dans l’incapacité d’exprimer une perception globale de l’ouvrage, de le qualifier, comme si la matière qui le constitue s’avérait évanescente. Curieux comme ressenti ! Il faut dire qu’il est largement question d’agents plus ou moins secrets. Et après tout, agir vite, puis disparaître et se faire oublier, c’est le quotidien des soldats de l’ombre.
Le narrateur est un producteur de films documentaires, ou plus précisément de reportages d’investigations sur des sujets sulfureux. Sa sécurité personnelle ayant été mise à mal, il a évolué au fil du temps et à son corps défendant, pour se retrouver dans un rôle d’agent clandestin de renseignement. Il est une proie naïve pour ses partenaires, plus expérimentés, ce qui ne l’empêche pas de rester droit dans ses bottes et engagé dans les croisades écologiques d’aujourd’hui. Ses convictions et ses valeurs l’entraînent ensuite vers le braquage audacieux et sanglant d’un transport d’argent sale à blanchir. Une bifurcation curieuse ! Enfin, si c’est pour la bonne cause…
L’auteur, Marc Dugain, est un romancier et réalisateur à succès. Il a toujours été fasciné par les mondes parallèles. Plusieurs de ses ouvrages font suite à des enquêtes sur les services secrets américains et russes. Il est un observateur critique de la sphère politique nationale et de la géopolitique à l’échelle mondiale. Il semble aujourd’hui très sensibilisé par les sujets d’urgence écologique.
Dans Paysages trompeurs, les personnages principaux, femmes et hommes, bourlinguent entre Paris et la Bretagne, atterrissent un peu partout en Afrique, pour finir au Groenland. L’auteur évoque des terres largement abîmées par l’agriculture intensive, le développement industriel et le consumérisme de masse. Même lorsqu’ils paraissent préservés, les paysages dissimuleraient une nature pervertie par les pollutions et les traitements inappropriés. Une apparence trompeuse, donc.
Les apparences sont toujours trompeuses. Par la plume du narrateur, Marc Dugain emmène son lecteur dans une réalité forcément trompeuse, car ce que le bon peuple — vous et moi ! — prendrait pour la réalité ne serait justement pas la réalité. Marc Twain, Philip Roth et d’autres avaient bien prévenu que la réalité dépassait la fiction. Marc Dugain va plus loin en plaçant en exergue de son roman une phrase de Goethe : « les gens n’ont pas assez d’imagination pour imaginer le réel ».
En dépit des aventures dans lesquelles il est embarqué, ou peut-être grâce à elles, le narrateur voudrait lutter contre l’absurdité de la condition humaine, à commencer par la sienne propre, en cherchant à être utile. Mais peut-on devenir utile à l’humanité, tout en se précipitant pour rendre des services illicites à ses proches ? Et l’intimité est-elle une option jouable, alors que la méfiance s’impose, que la trahison est monnaie courante ?
Le narrateur rêve de circonstances qui permettraient de s’opposer avec détermination aux processus de destruction planétaire, de spoliation collective et de manipulation des esprits, menés par des milliardaires prédateurs, des oligarques et des profiteurs, présents au sein de la démocratie financière américaine, de la kleptocratie russe, sans oublier les dictatures militaires, celles des mollahs et celles des cartels. Une lutte qui impliquerait de démystifier les fictions servies aux peuples, tenues pour vérité, afin de préserver les inepties commises par intérêt personnel ou par lâcheté.
Reste que la démocratie libérale est l’œuvre historique de la nature humaine. Elle montre ses limites, mais on ne lui connaît pas d’alternative.
DIFFICILE ooo J’AI AIME