Janvier 2025,
Sandrine Collette est l’autrice d’une dizaine de romans ayant bonne presse et pourtant, je ne m’étais jamais résolu à en lire un. A tort ou à raison, je redoutais d’être confronté à d’innombrables pages de désolation, de violence et de noirceur extrêmes, enrobées dans une nature primaire agressive. Les multiples éloges décernés à Madelaine avant l’aube ont fini par me convaincre de tenter l’aventure.
Pas de surprise, il s’agit bien d’un roman naturaliste et social, un hommage à la terre ; une terre que des paysans cultivent dans une contrée déshéritée, exposée à un climat rude, quelque part au milieu des forêts, dans le centre de la France. L’histoire conçue par Sandrine Collette prend place en un siècle reculé, aux temps révolus de la féodalité. Les redevances dues au seigneur et possesseur des lieux laissent à peine de quoi vivre aux familles qui travaillent les sols.
Ces années-là sont de surcroît désastreuses pour les récoltes, la région étant soumise à des gelées persistantes et balayée par des tempêtes violentes. La misère des familles paysannes atteint alors des seuils critiques. L’espoir se limite à survivre au jour le jour, à faire en sorte de ne pas mourir de froid ou de faim. Pour les femmes, il consiste aussi à ne pas croiser le chemin du fils du seigneur, qui a établi son droit personnel de cuissage… Mais, bon ! Il faut se soumettre sans se révolter : c’est ainsi, ça a toujours été ainsi ! On le sait bien, car de génération en génération, on s’est transmis la peur des représailles, des famines, des guerres, sans oublier la grande peste. Il faut survivre ainsi !
Loin d’être un simple traité sur l’histoire de la paysannerie, Madelaine avant l’aube est un roman qui ménage des surprises, des imbroglios, des rebondissements. Ecrivaine imaginative et audacieuse, Sandrine Collette n’en est pas à son premier thriller psychologique, elle sait y faire en matière de suspens. Le narrateur qu’elle installe camoufle un extraordinaire trompe-l’œil. Un événement brutal le dissipera et tu en auras, lectrice, lecteur, le souffle coupé. Je ne te dirai pas où dans le livre, car tu irais directement jeter un coup d’œil et cela en gâcherait l’effet…
L’intrigue se déroule à l’écart du village, dans un hameau de trois fermettes. Dans l’une habite la vieille Rose, dans les autres vivent deux sœurs jumelles (très belles) et leurs époux. Aelis a eu trois fils avec Eugène, Ambre et Léon n’ont pas eu d’enfant. La vie est dure pour tout le monde, petits et grands… Et voilà qu’apparaît une petite fille abandonnée, farouche, affamée ; une orpheline, à coup sûr. Un cadeau du ciel, pour Ambre, qui l’adopte aussitôt sans autre forme de procès ; ils la nommeront Madelaine.
Les années passent, les enfants grandissent, formatés dans le moule local… mais pas Madelaine ! Elle a conservé une part d’indépendance, de libre-arbitre spontané et même de sauvagerie. A la différence des autres, elle ne connaît ni la soumission ni la peur. Elle ne craint pas les rapports de force, elle est prête à en découdre, au risque — inconscient — de faire exploser les équilibres sociaux.
Le réalisme expressif du texte est accentué par le ton de l’écriture. La lecture du livre est une plongée dans un univers virtuel complet aux dimensions multiples, parmi lesquelles l’espace, le temps, et aussi les sons, les odeurs et d’autres sensations encore, aucun détail n’étant oublié. La langue est brute, véhémente, adaptée à l’intention critique à la fois sociale et paysanne. La narration peut par instant paraître bavarde et présenter de l’uniformité. Mais cette uniformité persistante n’exprime-t-elle pas le quotidien répétitif de ces paysans pauvres, qu’on imagine courbés sur leur besogne par le poids du destin, tel qu’ils sont représentés dans les tableaux de Millet, décrits dans les contes populaires, ainsi que dans des romans classiques, à commencer par Balzac et Zola ?
Héritière de cette tradition littéraire, Sandrine Colette a choisi de quitter la région parisienne et de vivre à la campagne pour se consacrer à l’écriture, une vocation qu’elle avait ressentie dès l’enfance. Un mode de vie qui ne l’empêche pas de pénétrer les états d’âme des êtres humains — et des chevaux ! — pour les reformuler avec talent. Madelaine avant l’aube est une œuvre parfaitement maîtrisée dans tous les aspects littéraires. Mais cela garantit-il le plaisir de lecture pour tous ?
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP