Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Jour de ressac, de Maylis de Kerangal

Publié le 15 Décembre 2024 par Alain Schmoll in Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Décembre 2024, 

Lire un roman de Maylis de Kerangal revient à s’immerger totalement dans le microcosme qu’elle a choisi pour l’intrigue. Dans Réparer les vivants, j’avais eu l’impression stressante de vivre en direct la course contre la montre d’une transplantation cardiaque. Pour Un monde à portée de main, il avait fallu rejoindre l’écrivaine au plus près des artisans du décor, du trompe-l’œil. Dans Jour de ressac, Maylis de Kerangal va plus loin. Elle nous invite, lectrice, lecteur, à « écouter » avec attention une femme dérouler in extenso ses pérégrinations et ses observations mentales au cours d’une journée très particulière.

Cette femme, qui approche de la cinquantaine et exerce le métier de doubleuse de films, vit à Paris avec son conjoint et leur fille de vingt ans. Elle a reçu de la police une convocation qui la perturbe et qui la contraint à venir passer une journée au Havre ; le corps d’un inconnu a été découvert sur la voie publique et il se pourrait qu’elle détienne des informations…

Ne t’y trompe pas, lectrice, lecteur ! Cette femme — dont on ne connaîtra ni le nom ni le prénom — n’a rien à voir avec la mort mystérieuse de cet homme. Mais l’événement et les heures passées sur place déclenchent en elle une série de secousses psychologiques, qu’on pourrait qualifier de « ressac » de souvenirs, d’émotions et de rêves enfouis. Car Le Havre avait été le cadre de son enfance et de son adolescence — ainsi, soit dit en passant, que celui de l’autrice —.

Du Havre les habitants, actuels et anciens, parlent avec une certaine fierté. Notre narratrice n’y déroge pas et elle se met à jouer un rôle de guide, juste pour elle-même. Le Havre se distingue, explique-t-elle, par son histoire, par son architecture, par sa situation géographique. Avant de renaître de ses cendres, l’histoire de la ville s’était achevée le 7 septembre 1944 sous les bombes des Alliés, qui l’avaient détruite en totalité au prix de 2 000 victimes civiles, afin de venir à bout d’une garnison de l’Armée allemande refusant de se rendre. Sa reconstruction selon les plans d’Auguste Perret en a fait une illustration exemplaire des idées urbanistiques et architecturales de son temps. Localisée sur un estuaire, « porte océane » à défaut de port océanique, la ville se trouve naturellement en connexion ouverte sur le monde et exposée à des trafics… où l’on risque sa peau.

En déambulant au centre-ville, dans le quartier du port, sur la digue, la narratrice recherche les lieux d’antan, certains ayant changé ou disparu. La mer est toujours là, grise comme le béton, celui des quais, des immeubles, des monuments. Des souvenirs lui viennent, des visages réapparaissent. Et elle repense follement à ce jeune homme avec lequel elle eut, à seize ans, une relation fugace ; il était parti et n’avait plus donné de nouvelles… Cet homme d’âge mûr, dont on a trouvé le corps, qui peut-il bien être ?

Une question qu’elle se pose sans se la poser et qui la conduit à s’immiscer étrangement dans l’enquête du jeune policier chargé de l’affaire. La narration menace de virer au monologue obsessionnel… Heureusement, la famille reste un amarrage…

L’écriture de Maylis de Kerangal est à la fois sensorielle et précise. Cette femme de lettres, gratifiée de plusieurs prix, est en mesure de décrire tout détail, tout sentiment et toute sensation visuelle, auditive ou olfactive. Elle trouve toujours le mot qui convient et elle le pose à sa juste place, dans de très longues phrases, où peuvent s’agglomérer sans dissonance une description, un souvenir, un commentaire sur l’actualité, un dialogue en direct et un autre en différé… sur le modèle de nos digressions personnelles et secrètes, menées par associations d’idées ou par de simples coq-à-l’âne, dans des monologues silencieux alimentés par notre psyché. Une démarche mentale largement partagée, lectrice, lecteur, qui t’attachera à la narratrice et personnage principale, aux prises avec ses doutes et ses fantômes.

Sous ses fausses allures de roman noir, sans véritable intrigue, Jour de ressac est une lecture agréable, bien rythmée et plutôt captivante, abstraction faite de quelques chapitres inspirés par des souvenirs anecdotiques de moindre intérêt romanesque.

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

Commenter cet article