Décembre 2024,
Cézembre ! Très belle découverte signée Hélène Gestern, une universitaire et écrivaine tenue en haute estime dans les milieux littéraires ! Dans ses ouvrages de fiction, cette autrice semble affectionner les personnages en rupture de parcours, en quête de solitude, s’attachant à la force des lieux et fascinés par les secrets de famille. Ce sont précisément les thèmes qui lui ont inspiré l’écriture de ce roman magistral entrecroisant plusieurs intrigues captivantes.
Le personnage principal et narrateur de Cézembre, Yann de Kérambrun, est issu d’une vieille famille d’industriels et armateurs bretons. Il avait toujours voulu s’en tenir à l’écart et, au grand dam de son père avec lequel il ne s’entendait pas, il avait choisi d’enseigner l’histoire à La Sorbonne. Les années ont passé. A l’approche de la cinquantaine, Yann accuse le coup d’une série de déceptions et de tristes événements. Son frère jumeau s’est tué en moto, sa mère s’est éteinte d’une longue maladie, son père meurt soudainement. Il a aussi surpris sa femme avec un amant, tandis que leur fils annonce qu’il s’expatrie. Il a de surcroît le sentiment d’être enlisé dans son parcours universitaire.
Yann décide de quitter Paris et de s’installer seul dans la vaste et belle maison familiale de Saint-Malo, avec l’intention d’écrire. Il advient toutefois sur place que la découverte d’archives ranime l’instinct de l’historien et Yann va consacrer l’essentiel de son temps à reconstituer la vie personnelle et professionnelle de son arrière-grand-père Octave, un polytechnicien créatif et entreprenant, fondateur de la lignée des Kérambrun au début du XXe siècle. Une recherche qui prend peu à peu l’allure d’une saga passionnante, avant de tourner carrément à l’enquête policière sur un cold case, dès lors qu’il apparaît que certains documents sont manquants et que des proches d’Octave avaient à l’époque mystérieusement disparu…
Cette tâche, engagée en des lieux imprégnés de souvenirs d’enfance, amène Yann à revoir des parents dont il s’était éloigné, à comprendre tardivement certains comportements de son père et à assumer enfin son identité personnelle dans le lignage Kérambrun. Et ce n’est pas tout ! Lors de ses promenades le long de la mer, cet intellectuel sensible et affectif croise une femme aux yeux fascinants ; une rencontre qui lui procure du rêve et de l’espoir, comme à un adolescent timide.
L’histoire de la famille, l’histoire de Yann… n’oublions pas celle de la mer. Liée aux éléments et à la Bretagne, elle est un personnage intrigant à part entière. A Saint-Malo, et notamment aux Kérambrun, elle a apporté et continue à apporter bien-être et prospérité. Mais la mer n’est pas un partenaire toujours complaisant, elle sait contrarier de façon tragique les défis hasardeux des hommes. Il est arrivé aux Kérambrun et à leurs proches de subir ses colères imprévisibles, sa violence destructrice et le rappel récurrent de ses menaces de submersion. Depuis sa maison, au surplomb de la plage des Sillons, Yann la contemple à loisir, en toutes saisons, à toute heure, par tous les temps. Au large, il aperçoit Cézembre, une île mystérieuse, un lieu martyrisé puis proscrit, où sont enfouis moult secrets.
Le roman a beau être long — cinq cent cinquante pages —, il est si prenant qu’on le referme à regret. Il est construit en très courts chapitres dont on peut penser qu’ils facilitent la lecture, mais leur nombre a cependant l’inconvénient de hacher la continuité narrative et peut faire perdre le fil des péripéties.
L’écriture est absolument sublime. Il m’est arrivé de relire plusieurs fois certains passages, tant ils m’éblouissaient. La richesse incroyable du vocabulaire, la virtuosité lyrique du phrasé te feront percevoir, lectrice, lecteur, les mouvements infinis et les couleurs changeantes de la mer, du ciel, de la terre, tu humeras les odeurs qui en émanent chaque saison, tu ressentiras les vents, les embruns, les froidures et les chaleurs, tu entendras le rythme du ressac et le souffle des tempêtes. L’autrice met aussi sa plume au service des portraits qu’elle dresse, faisant preuve d’un sens affiné de la psychologie. Il faut d’ailleurs une conscience empathique prononcée à un écrivain, pour qu’il représente l’intimité d’un narrateur du genre opposé, comme Hélène le fait pour Yann.
Un très grand roman, dont je ne comprends pas l’absence dans les listes pour les prix littéraires.
GLOBALEMENT SIMPLE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT