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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Jacaranda, de Gaël Faye

Publié le 11 Novembre 2024 par Alain Schmoll in Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Novembre 2024,

Son très beau premier roman, Petit pays, avait rencontré le succès. Après avoir partagé la nostalgie de son paradis perdu, Gaël Faye n’en avait toutefois pas fini avec le génocide des Tutsi de 1994. Jacaranda, publié huit ans plus tard, élargit le panorama sur l’enfer, ce massacre collectif de masse — huit cent mille à un million de morts en cent jours ! —, terrifiant d’inhumanité, bien que commis par des hommes comme les autres. Le roman s’appuie sur les événements survenus au Rwanda dans les années ayant suivi les jours funestes, jusqu’en 2020. Il raconte l’histoire mi-fictive, mi-autobiographique d’un homme dans un parcours initiatique de construction de son identité.

Pour Jacaranda comme pour Petit pays, l’auteur a imaginé un personnage qui lui ressemble. Nés la même année, Gaël Faye et ses doubles de fiction ont un père français et une mère rwandaise d’origine tutsi, qui se séparent à leur adolescence. A la différence des deux autres, Milan est né et a été élevé en France. Il sait peu de choses sur sa mère, une femme dure, fermée, secrète sur son passé. A l’âge de douze ans, le drame du Rwanda entre dans la vie de Milan par la télévision, puis plus concrètement, par la présence inattendue d’un petit garçon rwandais blessé et traumatisé.

Milan met pour la première fois le pied au Rwanda en 1998. Il y découvre des proches de sa mère, dont il ignorait l’existence. Dans le climat anarchique qui s’est installé à la suite du génocide, il sympathise avec des adolescents orphelins ou abandonnés, qui squattent un îlot urbain délabré, où ils font les quatre cents coups. Bien que choqué par des exécutions sommaires publiques, Milan se prend d’intérêt et de curiosité pour un pays, où l’on ne voit encore en lui qu’un touriste européen.

Mais le Rwanda le fascine. Il y retournera à plusieurs reprises, pour des séjours de plus en plus longs, et peut-être même… Milan observe les institutions se reconstituer lentement, très lentement. L’auteur fait le point tous les cinq ans. En 2005, Milan assiste à une séance des nouveaux tribunaux populaires, qui, sur la base de témoignages, d’aveux, d’enquêtes et de découverte de charniers, viennent d’être mis en place pour juger des responsables de crimes commis onze ans plus tôt. En 2010, une jeune lycéenne lui révèle l’histoire de l’Afrique de l’Est et la généalogie des antagonismes entre Hutu et Tutsi, qui avaient déjà, à plusieurs reprises, dégénéré en tueries. En 2015, il participe à des cérémonies officielles de commémoration ; des survivantes racontent le quotidien du génocide, tel qu’elles l’avaient vécu, vu et subi, d’horribles scènes de massacre de leurs proches à la machette, ce qui déclenche dans le public plusieurs crises d’hystérie. En 2020, après un aller-retour à Paris, Milan constate que l’économie et l’urbanisation du Rwanda se sont fortement développées sur un modèle occidental.

Ce ne sont pas les cercles de l’enfer, mais les difficiles étapes de reconstruction d’un pays convalescent auxquelles assiste Milan. Il fréquente des survivants et d’anciens tueurs — ainsi que leur progéniture — sans connaître a priori l’implication des uns et des autres lors des massacres. Car la particularité du génocide du Rwanda est d’avoir été mis en œuvre par des citoyens à l’encontre directe d’autres citoyens, ayant tous accepté de « faire société » au quotidien, indépendamment de leurs ressentiments communautaires. La veille de meurtres épouvantables à la machette, victimes et tueurs se voyaient, se saluaient, se parlaient, contractaient comme à l’habitude pour les besoins de la vie courante… Imagine alors, lectrice, lecteur, vingt ans plus tard, une fois leur peine purgée, les tueurs reprenant pour la plupart leur place ; la nécessité pour les victimes survivantes et leurs descendants de « refaire société » avec ces anciens tueurs et leurs familles… Un processus incontournable, qui embarque peu à peu Milan, depuis son adolescence jusqu’à l’approche de la quarantaine.

Où ce Franco-Rwandais qui peine à devenir adulte choisira-t-il d’assumer son existence ? Chronique empoignante d’un épisode monstrueux de l’histoire des hommes, Jacaranda est aussi l’histoire d’un fils unique, aux parents silencieux, à la recherche de frères et de sœurs l’extrayant de sa solitude.

Comme dans son roman précédent, Gaël Faye ne se départit jamais de sa plume très fine, légère, naturelle, presque intime. Elle est apaisante, presque incongrue, dans la narration de l’indicible. Elle t’enchantera, lectrice, lecteur, dans la perception des tribulations de Milan, dans l’évocation de paysages décrits comme sublimes ou encore dans le portrait de la jeune fille réfugiée sur le faîte d’un arbre fleuri de mauve, dissimulant lui aussi un terrible secret.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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