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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Le dernier étage du monde, de Bruno Markov

Publié le 22 Septembre 2024 par Alain Schmoll in Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Septembre 2024, 

Loin des bas-fonds de la pègre, des braquages à main armée et des crimes sanglants, Le dernier étage du monde n’en est pas moins un authentique et passionnant thriller. Il se développe dans un univers bien particulier, celui des consultants en innovation, des multinationales du numérique et de l’intelligence artificielle. Son personnage principal, un jeune homme prénommé Victor, en est à la fois le narrateur et l’instigateur, animé par une implacable détermination de vengeance.

Au terme d’une longue carrière de technicien chez France Telecom, le père de Victor avait été manipulé, harcelé, humilié et poussé au suicide par un jeune consultant très brillant, intervenant dans le cadre de la mutation de l’ancien service public des télécommunications en entreprise privée du numérique (évocation d’une tristement célèbre affaire judiciaire toujours en cours).

Victor a choisi son mode opératoire. Pour avoir la peau du bourreau de son père, devenu le dirigeant influent et admiré d’un cabinet de conseil stratégique en plein essor, il s’y fera recruter, s’efforcera d’attirer l’attention de sa cible, de gagner son estime, sa confiance, peut-être même son amitié. Une fois installé dans son environnement proche, il saura le pousser à la faute, puis précipiter sa chute, en le discréditant à son tour aux yeux de celles et de ceux qui l’auront admiré jusqu’alors.

Pour parvenir à ses fins, Victor doit acquérir certaines compétences. Il devient un as des algorithmes et des technologies de réalité augmentée. Au fil d’un parcours professionnel qui le mène de La Défense à Manhattan, puis à Palo Alto, cœur battant de la Silicon Valley, il comprend que son expertise technique et son savoir-faire ne suffisent pas. Pour gravir, dans la foulée de son ennemi, les marches qui mènent au dernier étage du monde, Victor doit travailler son savoir-être pour le maîtriser à tout instant, s’afficher en séducteur irrésistible, en conquérant sûr de soi, au détriment d’une sensibilité et d’une sentimentalité qui le rendent attachant, mais vulnérable.

Jusqu’à quand Victor pourra-t-il tenir ce jeu dangereux, dans lequel il substitue un personnage artificiel, un réel avatar, à sa vraie personnalité ? N’est-il pas à tout moment menacé d’être démasqué par son ennemi ? Et ne prend-il pas le risque, pour accomplir son objectif de vengeance, de passer à côté d’un authentique bonheur ?

Le contexte technologique de l’intrigue est parfois difficile à saisir, mais peu importe. Son développement te procurera, lectrice, lecteur, une sorte d’angoisse sourde tout au long des quatre cents pages du roman, comme un mal-être addictif qui t’incitera à ne pas relâcher ton attention, en dépit de quelques passages qui te sembleront redondants. Tu apprécieras la rigueur de la syntaxe, la précision du vocabulaire, et tu t’amuseras des anglicismes qui émaillent le texte. Ils sont puisés avec humour dans la novlangue des consultants en stratégie, des financiers du numérique et des apôtres d’une disruption de l’intelligence.

Le livre reprend en fait un thème romanesque courant depuis Balzac et Les Illusions perdues. Abordé, parmi d’autres, par Zola, Scott Fitzgerald, Wolfe, il dresse le parcours flamboyant du jeune surdoué ambitieux, brûlant les étapes de la réussite, avant de se fracasser sur une impasse. A chaque fois, les auteurs installent leur intrigue dans un contexte inspiré des figures héroïques du moment. Au mythe du virtuose de la finance a succédé aujourd’hui celui du visionnaire de l’IA. Qui après lui ?

Consultant en intelligence artificielle et en stratégies de l’innovation, Bruno Markov est longtemps intervenu dans des sociétés du CAC40. Fort de son expérience, son roman attire l’attention sur les dangers de nos modèles de réussite. Nos grandes ambitions sont-elles pertinentes ? Jusqu’au dernier étage du monde, selon des mots prononcés par l’auteur, le tréfonds des âmes recèle « tout un océan primitif de désirs, d’émotions mal digérées, de rêves de gosse et de mythes à propos du bonheur ». Que nous est-il donc permis d’espérer ?

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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