Août 2024,
De Jacky Schwartzmann, j’avais bien aimé Demain c’est loin, un polar dynamique et atypique, dans lequel il avait conçu un personnage à son image, jonglant avec ironie sur la bien-pensance, au cœur d’une banlieue populaire de province. Une sorte de roman noir, social et humoristique, dont il reprend et approfondit le genre littéraire dans Shit !.
Son personnage principal et narrateur est à nouveau un double de l’auteur. Thibault est installé dans un vaste quartier moderne en périphérie d’une grande ville, un quartier dit « sensible », parce que sa vocation, depuis sa création dans les années soixante, a été d’héberger une population à bas revenus, majoritairement originaire du Maghreb et d’Afrique subsaharienne.
Thibault travaille dans un collège comme CPE. C’est un trentenaire pétri de bons sentiments, attaché à son métier, fidèle aux gens qu’il côtoie, habitué à son quartier. Il craint les brutalités et s’efforce de les éviter… sans toujours y parvenir. Sa rémunération est modeste, il s’en contente, elle lui assure un train de vie qui lui convient.
Mais il arrive que des circonstances fortuites fassent basculer la destinée d’un individu et Thibault va en faire l’expérience. Sur son palier, dans l’immeuble HLM où il demeure, le logement d’en face abrite un point de deal, une officine structurée, quoiqu’illégale, où s’échangent et s’entreposent du shit et du pognon. Un jour, à la suite d’événements inattendus très violents, Thibault et une voisine se retrouvent incidemment devant des liasses de billets épaisses comme ils n’ont jamais vu et face à un stock de cannabis impressionnant ; tout cela à leur disposition, à leur corps défendant !
Que faire ? En parler aux flics ? C’est probablement ce qu’aurait fait Thibault, s’il s’était trouvé seul… Quand on est deux, on réagit différemment…
L’argent n’intéresse pas Thibault, à titre personnel du moins. Mais autour de lui, dans le quartier, les revenus de la moitié des familles dépassent à peine le seuil de pauvreté et il y a urgence à procéder à quelques subventions. Avec le temps, d’autres soutiens sociaux s’imposeront. Et puis, après épuisement des premières distributions, il faudra bien les renouveler…
Voilà comment on devient un dealer, un dealer bien établi ! Thibault ne change pas ; modeste, effacé, il se soucie des autres, sans pour autant se prendre pour Robin des Bois. Il déjouera cependant toutes les embûches, trompant son monde — toutes catégories confondues ! — presque innocemment. Son ascension se prolongera… jusqu’à quand ?
Dans ce polar social, l’auteur reproduit avec lucidité les différents modes de vie et leurs dérives dans ce qu’on appelle les cités. Il ne concède rien à la bien-pensance ni à la morale civique, témoignant d’un humour à la fois mordant et tendre. En même temps, les péripéties qu’il te sert, lectrice, lecteur, sont captivantes, surprenantes, drôles. Peut-être en trouveras-tu certaines choquantes ! Elles s’enchaînent en tout cas avec intelligence.
L’écriture, au diapason, est inspirée de la langue des quartiers, mais pas de celle des racailles. Thibault, narrateur de bout en bout, s’exprime comme un bobo évolué, capable d’observer et de reproduire avec objectivité et dérision les pratiques de ses semblables. Le travail sur les titres de chapitres mérite d’être salué, même s’il n’apporte pas grand-chose.
Une question m’est venue en lisant Shit !. Je respecte les lois et je m’inquiète des risques que le narcotrafic représente pour notre société ; je me demande toutefois comment certaines familles des quartiers sensibles subsisteraient sans le ruissellement du trafic local.
De quoi conforter une de mes allégations préférées : la lecture d’un roman est parfois plus instructive et plus percutante que celle d’un rapport administratif, d’une enquête documentaire ou d’une thèse idéologique.
FACILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP