Septembre 2024
Enrôlé à dix-huit ans dans l’aviation française lors de la Grande Guerre, Joseph Kessel a ensuite construit sa notoriété comme romancier, journaliste, globe-trotter et baroudeur. En 1940, après l’armistice, il rejoint la Résistance, puis gagne Londres et s’engage dans les forces militaires de la France libre réunies autour du Général de Gaulle. Celui-ci souhaitant glorifier l’héroïsme de la Résistance française, Kessel publie en 1943, en pleine guerre, L’Armée des ombres, un livre inspiré de témoignages de combattants clandestins sur le territoire. Des témoignages que l’auteur a transformés en aventures fictives, afin que les intervenants réels ne puissent être identifiés par les polices allemandes et collaborationnistes.
L’auteur dépeint également le quotidien des Français qui vivent sous le joug de l’occupant allemand : les pénuries, la faim, le froid ; la crainte d’une arrestation, la peur des rafles, des mauvais traitements, des exécutions ; mais aussi, dans la tourmente — et il suffisait parfois d’un échange de regards pour la percevoir —, l’approbation muette d’une duperie, une reconnaissance mutuelle de solidarité, l’envie de participer à la lutte ou la joie partagée d’une petite victoire locale.
Le personnage central du roman, François Gerbier, anime un petit groupe de résistants — Félix, Jean-François, Mathilde, Le Bison… —. Ils combattent de façon diffuse l’occupant allemand, en procédant à des sabotages, en attaquant des lieux de détention, en assurant des liaisons clandestines, en réceptionnant et en distribuant sur le territoire du matériel militaire ou civil expédié depuis Londres.
Leur rôle étant aussi d’élargir la lutte, Gerbier évalue et recrute des profils de toutes sortes. Tous ne seront pas forcément des combattants, mais chacun pourra au besoin renseigner, héberger, rendre un service. Tous prennent des risques, car la police allemande est vigilante et impitoyable. Une faute d’inattention, une indiscrétion d’un proche, une mauvaise appréciation, une recrue mal intentionnée peuvent être fatales.
Le danger vient aussi des aveux que la Gestapo peut obtenir dans ses geôles sous la torture. Dès qu’il est probable qu’un compagnon a été arrêté, Gerbier et son entourage anticipent ce qu’il risque de révéler et l’organisation est modifiée en conséquence. Car nul ne peut affirmer pouvoir résister indéfiniment à ses tortionnaires. La seule solution est parfois de s’échapper sans espoir de retour à l’aide d’une pilule de cyanure. Il arrive pourtant qu’un prisonnier ne puisse se suicider ; à lui de faire comprendre à ses camarades en liberté qu’ils doivent eux-mêmes procéder à son élimination.
Car la lutte contre l’occupant ennemi prime toute considération personnelle, familiale, amicale ou humaniste. La priorité de chacun est de protéger le réseau et les combattants en position favorable. Il faut savoir tuer de sang-froid, non seulement l’ennemi et le traître, mais aussi l’ami qui pourrait parler. Les dommages collatéraux sont inévitables. Une fatalité de l’horreur dont l’occupant ennemi est le seul et l’éternel coupable.
Dans le roman, les grands principes de la Résistance, essentiels dans la guerre sans merci qu’elle mène avec les Alliés contre le Troisième Reich, sont transmis sans états d’âme par un homme au-dessus de tout soupçon, un grand bourgeois aux manières raffinées et ayant pignon sur rue, qui agit dans l’ombre comme patron du réseau. Symbole de l’unité et de la détermination des combattants clandestins, il lui arrive de les inciter à relativiser les échecs, les pertes, les humiliations, et de ne pas se laisser envahir par une haine débridée. La Résistance a besoin d’espérance et de lucidité pour être efficace.
Ces expériences vécues, cet état d’esprit qui guide les résistants, Kessel les met en évidence au travers des aventures traversées avec courage et abnégation par Gerbier et ses compagnons, certaines anecdotes étant rapportées par Gerbier lui-même, sous forme de mémos qu’on imagine griffonnés le soir, dans une planque. Réalistes parce que factuelles, elles sont héroïques, ou émouvantes, ou tragiques, ou encore cocasses, tels des récits pour la jeunesse, qui, espérons-le, les lira demain.
L’ensemble du texte est écrit dans une langue aiguisée, précise, sobre. Un parti littéraire à la hauteur de l’humilité qui s’imposait. A Londres, Kessel et ses proches mesuraient l’espoir qu’ils représentaient pour les résistants du terrain ; en retour, ils les admiraient comme d’authentiques héros.
FACILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT