Juin 2021,
Une ou deux fois par an, j’ai un coup de foudre pour un roman. Comprenez-moi bien, cela va au-delà des livres que je déclare sur mon blog avoir « aimés passionnément ». Dans ma quête de littérature, j’ai alors l’impression d’avoir atteint le sommet des sommets, que je ne trouverai plus jamais mieux et donc que mon avenir de lecteur est derrière moi… Et puis miracle, quelques mois plus tard, sans prévenir, sans indice prémonitoire, voilà qu’un nouveau roman prend le contrôle de mon esprit, de mon souffle, de mes battements de cœur.
On a l’habitude de dire : je n’ai pas pu lâcher ce livre. En l’occurrence, c’est plutôt le livre, Des diables et des saints, qui ne m’a pas lâché, éveillant en moi toutes sortes d’émotions négatives et positives, compassion, consternation, indignation et aussi espoir, soulagement, éblouissement. Sans oublier de fréquents sourires et même quelques rires francs, ce dont je suis ordinairement avare.
Premier chapitre, un homme âgé raconte. Il dit s’appeler Joseph ou Joe. Ses propos, de tonalité claire, logique, transparente, suscitent pourtant plus de questions qu’ils n’ouvrent de perspectives. Des propos placides, qu’il faut relire après la fin du livre pour en ressentir toute la détresse. Pourquoi cet homme, pianiste virtuose, ne joue-t-il que sur des pianos publics, comme on en trouve aujourd’hui dans les halls des grandes gares et des aéroports ? Pourquoi son répertoire est-il limité aux sonates de Beethoven ? Et pour qui, alors qu’il refuse de se produire sur scène, met-il toute son âme dans leur interprétation ?
Plongée dans les ténèbres, un demi-siècle plus tôt. Des diables et des saints est l’histoire d’un adolescent brutalement abandonné par le destin, dans les années soixante. Une décennie où l’on a coutume de situer l’émergence de notre modernité, en oubliant que des mœurs du XIXe siècle perduraient encore dans certaines contrées reculées. Au fin fond des Pyrénées, Les Confins est un pensionnat religieux dédié aux orphelins et aux enfants laissés pour compte. Un enfer ! Mais à quinze ans, on y noue des amitiés qui subliment l’envie de survivre sans se soumettre, en dépit d’une maltraitance infligée au nom d’une « saine éducation catholique ». Et à quinze ans, il suffit d’une jeune fille au visage anormalement pâle et habillée par Dior, pour forger un sens à ses rêves et à sa vie. De quoi tenter une course éperdue dans un tunnel ferroviaire, où les trains frôlent de si près les parois, qu’en s’y engouffrant à pleine vitesse, ils déclenchent ce qui ressemble à un boum supersonique.
Le texte se présente en courts chapitres ni titrés ni numérotés, consacrés pour la plupart au séjour de Joseph aux Confins. S’intercalent des digressions d’adolescent des sixties et des réminiscences de jours heureux. Dans les plus savoureuses, Joseph se remémore les cours de piano que lui prodiguait un très vieux professeur de musique, né en Pologne, d’une exigence extrême et prétendant connaître le tréfonds de l’âme de Beethoven – Ludwig ! –, comme s’il en avait été le confident. Dans un langage colérique fleuri de yiddish, il délivre des commentaires exceptionnels sur les œuvres de Ludwig et leur interprétation.
Des diables et des saints est le troisième roman de Jean-Baptiste Andrea. Cet écrivain, qui est aussi réalisateur et scénariste, a l’habitude de mettre en scène des personnages atypiques vivant des destinées irréelles ou absurdes, dans des romans qui ressemblent à des contes. Il travaille l’expression poétique de ses textes avec talent et minutie (on sait depuis Baudelaire que ce n’est pas incompatible). Le rythme de son écriture varie, tantôt nerveux, en phrases courtes, tantôt lyrique, en développements mélodiques. Puisé dans un vocabulaire d’une richesse époustouflante, chaque mot, chaque expression est à sa place. Je me suis souvent arrêté pour en admirer la créativité, la justesse et la beauté.
Un livre où je me suis surpris à retrouver mes émois d’adolescent, entre bêtises de gamins, blagues de potaches et rêves d’idylles. J’aurais aimé jouer au piano et imaginé qu'une jeune fille me dise : « Si tu rejouais comme ça, et que je t’entendais du bout du monde, je te reconnaîtrais ».
GLOBALEMENT SIMPLE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT