Novembre 2020,
Nickel Boys est un roman, mais ce n’est pas une simple fiction imaginée dans le but de distraire des lecteurs. Le livre a aussi vocation à servir de témoignage historique. Un témoignage à charge contre un phénomène dont on voudrait croire qu’il a aujourd’hui disparu ou presque, le racisme systémique de l’Amérique des Etats du Sud, celle des anciens Etats confédérés, dont une partie de la population blanche n’avait jamais accepté d’avoir perdu la guerre de Sécession et d’avoir aboli l’esclavage.
Dans chacun de ces États, des lois dites « Jim Crow » avaient été promulguées, dès la fin du dix-neuvième siècle, pour maintenir les populations noires et indiennes sous un joug institutionnel les empêchant de bénéficier de leurs droits civiques. Jusqu’au milieu des années soixante, ces Etats ont pratiqué une ségrégation ignoble, fondée sur une pseudo-supériorité raciale, alors que les revendications afro-américaines ne cherchaient qu’à obtenir des droits légitimes, sans aucune velléité à dominer ou à éliminer la population blanche.
Le roman est inspiré de faits réels, notamment de la découverte de corps ensevelis dans des terrains ayant appartenu à une ancienne école disciplinaire pour jeunes délinquants, en Floride.
Années soixante. Nickel est un établissement pour mineurs, qui tient à la fois du centre éducatif fermé et du camp de redressement. Les Blancs et les Noirs sont logés dans des bâtiments différents. Ils n’utilisent pas les installations sportives aux mêmes horaires. Les jeunes Blancs disposent d’équipements et de vêtements neufs, qui sont transférés aux jeunes Noirs lorsqu’ils sont usés.
Elwood est un adolescent noir à l’état d’esprit constructif. Il croit au travail, à la morale et à la justice. Il adhère aux discours du révérend Martin Luther King qui prêche une attitude positive et l’amour du prochain. Il a confiance en son avenir personnel et il est heureux d’être admis à l’Université. Mais parce qu’il s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, Elwood se retrouve enfermé à Nickel.
A Nickel, toute déviance, toute incartade, toute protestation est punie. Toute plainte aussi. Pour punition, les jeunes détenus noirs peuvent subir des sévices ou des tortures d’une extrême barbarie. Les flagellations par un personnel pénitentiaire qui s’en donne à cœur joie et qui n’a rien à envier à des gardiens de camps nazis peuvent aller jusqu’à la mort. On enterrera le cadavre clandestinement. On dira à la famille que le détenu s’est évadé et qu’il a disparu dans la nature. La souffrance, la terreur et l’humiliation briseront définitivement ceux qui auront survécu sans avoir la résilience appropriée. Alcool, drogue, dépression, misère seront leur destinée.
Pendant sa détention, Elwood fait la connaissance de Turner, un autre jeune Noir. Ils sympathisent, mais ils sont tellement différents dans leur manière de se comporter, que leur amitié sera entravée par une sorte de réserve réciproque, jusqu’au jour où...
Certaines scènes sont insoutenables. La lecture est parfois difficile, car les péripéties ne sont pas narrées de façon linéaire, mais en boucles qui se ferment sur une réalité centrale, toujours la même, la punition. Et quelle punition !... Des spirales infernales où s’enfoncent les jeunes résidents. On ne peut s’empêcher d’éprouver de la répulsion pour les tortionnaires, de la sympathie et de la compassion pour Elwood, un peu de méfiance pour Turner. Ces deux-là sont prisonniers d’un système où leur couleur de peau les rend forcément coupables. Quel sort l’auteur leur réserve-t-il ?
L’épilogue prend à contrepied. Il aurait pu être une boucle négative de plus, et surprise, il apporte un oxygène qui commençait à manquer.
Colson Whitehead est un journaliste et romancier afro-américain de cinquante ans, né à New York dans une famille bourgeoise, diplômé de Harvard. Nickel Boys lui vaut un deuxième prix Pulitzer, trois ans après Underground Railroad. Une double récompense qui le met au niveau de très grands romanciers américains comme William Faulkner et John Updike.
DIFFICILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP