Février 2019,
Nous avons tous des racines. Il arrive qu’elles soient ancrées très loin, sur une autre terre, sous un autre ciel, à des milliers de kilomètres de là où la vie nous a installés. Il arrive aussi qu’on porte sur soi l’image de ses racines. C’est le cas d’Estelle-Sarah Bulle, une jeune mère de famille, née en Île-de-France, où elle est vit et travaille comme consultante. Son père est guadeloupéen.
Il avait quitté son île natale à la fin de l’adolescence et retrouvé en région parisienne ses deux grandes sœurs, nommées curieusement Antoine et Lucinde, pour qui, depuis toujours, il n’a jamais été que « Petit-Frère ». Antoine, Lucinde et Petit-Frère n’ont jamais mené parcours commun, mais la vie les a tous trois conduits de Morne-Galant à Paris, avec entre-temps, une étape de plusieurs années à Pointe-à-Pitre.
Morne-Galant, voilà les racines d’Estelle ! Un lieu isolé en Guadeloupe, un lieu où perdurent les légendes créoles, un lieu où l’on dit que les chiens aboient par la queue, sans que cette expression ait une signification concrète. C’est là qu’Hilaire, le grand-père d’Estelle, une force de la nature fantasque et solitaire, choisira de rester jusqu’à sa mort à l’âge de cent cinq ans, subsistant grâce aux maigres ressources d’une petite plantation de canne à sucre et de l’élevage de quelques bovins.
Au cours des années, la nièce – c’est ainsi que la narratrice se présente – a fait parler ses tantes et son père. Elle a recueilli leurs souvenirs, leurs confidences, leurs versions personnelles des disputes qui les ont opposés. Une matière suffisante pour écrire un livre, histoire d’affirmer sa part d’identité antillaise et de graver dans le marbre la mémoire de la famille.
Les chapitres sont consacrés tour à tour à chacun. Mais seule la tante Antoine peut se prévaloir d’aventures véritablement romanesques. Cette grande et belle femme, peu soucieuse de son accoutrement vestimentaire, aura jalousement préservé son indépendance de célibataire. Particulièrement audacieuse et débrouillarde, elle saura toujours retomber sur ses pattes, n’ayant jamais hésité à « franchir la ligne jaune » si nécessaire, à chaque fois sans conséquence… heureusement pour elle ! Une absence de scrupules qui contraste étonnamment avec une piété profondément mystique.
Il n’y a pas d’intrigue romanesque globale dans Là où les chiens aboient par la queue. Au-delà de quelques anecdotes amusantes, on y trouve un digest de l’histoire moderne de la Guadeloupe.
Dans les années cinquante et soixante, tout a changé aux Antilles. Le développement du transport aérien les a rapprochées de la Métropole. L’économie, traditionnellement fondée sur la canne à sucre, l’agriculture fruitière et les industries de leur transformation, a basculé vers le tourisme. Les bidonvilles ont disparu au profit d’hôtels et de HLM, l’administration française ayant importé ses méthodes d’urbanisation. Elle s’est aussi efforcée d’imposer ses écoles, sa pensée et ses valeurs.
Mais la société locale est restée structurée en castes assises sur les origines et la couleur de la peau. Les inégalités sont flagrantes. Des manifestations sont durement réprimées. De nombreux jeunes Noirs, comme Antoine, Lucinde et Petit-Frère, préfèrent rejoindre la Métropole, où le pays qu’ils vénèrent, leur pays, la France, leur laisse entendre qu’ils trouveront de meilleures opportunités pour construire une vie heureuse. En fait, au plus fort des trente glorieuses, elle avait surtout besoin de main-d’œuvre.
L’écriture est fluide, plaisante, agrémentée d’expressions créoles qui confèrent au livre un ton chantant pittoresque, poétique, chaleureux. On y apprend des choses intéressantes sur la Guadeloupe et les Guadeloupéens, mais on ne peut pas parler de récit captivant.
Considérons que ce premier opus est un exercice de style réussi et qu’il faudra confirmer.
FACILE ooo J’AI AIME