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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Pastorale américaine, de Philip Roth

Publié le 29 Août 2018 par Alain Schmoll in Littérature, romans, critique littéraire, lecture

Août 2018, 

Philip Roth, récemment décédé, est reconnu comme l’un des grands romanciers américains de notre temps. Publié en 1997 et salué par de nombreux prix littéraires, Pastorale américaine est considéré comme l’un de ses chefs d’œuvre. Dans ce livre de quatre cent cinquante pages, l’auteur se penche sur le mythe de la famille américaine idéale, pour en montrer la vanité, la superficialité et la fragilité.

 

En le voyant, qui pourrait penser que Seymour Levov est le petit-fils d’un modeste immigrant juif installé à Newark, banlieue de New York ? Dès l’adolescence, sa belle gueule de grand athlète blond aux yeux bleus lui vaut le surnom de « Suédois ». Sportif de haut niveau au comportement exemplaire, le Suédois est l’idole de ses camarades universitaires. Plus tard, il dirige la prospère entreprise familiale de fabrication de gants, conscient de ce qu’on appellerait aujourd’hui sa responsabilité sociétale. Avec son épouse Dawn, une reine de beauté, il forme un couple parfait, aux valeurs morales irréprochables. Ils habitent une grande maison traditionnelle en pierre, entourée de cinquante hectares de terrain, où Dawn élève des bovins. Bref, une famille modèle, des riches bobos, ou plutôt, puisque nous sommes en Amérique, l’image de ce que le narrateur préfère appeler des pionniers d’opérette.

 

Leur fille unique, Merry, est la prunelle de leurs yeux. Ses grands-parents en sont gâteux. Mais voilà qu’à l’adolescence, Merry se rebelle contre ses parents, la société capitaliste américaine et sa sale guerre du Vietnam, dans un crescendo qui l’amène à poser une bombe dans un endroit public... Boum ! La poste et le magasin général sautent, un homme est tué. Merry disparaît... C’était l’année 68.

 

Le paradis du Suédois vole en éclat. Sa confiance en lui aussi. Purgatoire de l’incompréhension, du déni et de l’absence. Lorsqu’il faut bien se rendre à l’évidence, enfer de l’auto-culpabilisation. Quelle faute a-t-il commise ? Quand a-t-il péché pour mériter cela ? Qu’a-t-il fait pour que sa fille ait ainsi « le diable en tête » ? Tout part en vrille…

 

Comment Philip Roth construit-il son roman ? Il confie la narration à Nathan Zuckerman, son avatar. Comme lui, Zuckerman est un romancier sexagénaire. Comme lui, il a vécu dans les quartiers juifs de Newark. Mais ce n’est qu’un personnage de fiction. Il raconte que dans son enfance, cinquante ans plus tôt, il avait admiré les exploits de Seymour le Suédois, personnage de fiction lui aussi. Revoyant le Suédois en 1995, Zuckerman retrouve chez lui la même superbe que dans sa mémoire, mais marquée d’une superficialité lisse qui pourrait dissimuler une blessure profonde. Lors d’une soirée d’anciens étudiants, il découvre la nature du drame familial vécu par le Suédois près de trente ans auparavant. A partir de ces quelques données, le narrateur va construire la biographie complète de Seymour Levov dit le Suédois, et imaginer le détail des événements de l’époque. Imperceptiblement, on passe dans un second récit, celui de la pastorale américaine proprement dite.

 

Pour donner tous les éléments de compréhension au lecteur, l’auteur multiplie les retours en arrière et les longues digressions, au risque parfois de l’égarer. Lorsque j’avais lu Pastorale américaine, il y a une vingtaine d’années, j’en avais trouvé la lecture difficile, parfois pesante, notamment dans la première partie. Cette fois-ci, j’ai pris beaucoup de plaisir à redécouvrir le livre et à me laisser promener avec patience dans ses méandres : ils ne sont que littérature. Et à partir de la deuxième partie, on reste suspendu aux événements dramatiques vécus par Seymour et sa famille.

 

L’écriture est directe, empreinte d’une ironie et d’une autodérision lucides. Mais quand le narrateur, Zuckerman, se place dans la subjectivité des personnages, il parle avec leurs mots pour exprimer leurs pensées, leurs souvenirs, leurs troubles, leurs angoisses, leurs désespoirs. Les phrases viennent par flots, personnelles, spontanées, parfois rabâchées, comme nous nous y laissons aller lorsqu’un sujet nous obsède, ou quand nous nous imaginons en train de nous justifier auprès d’une personne dont nous pensons qu’elle pourrait nous juger. Ainsi l’extraordinaire dialogue fantasmé que Seymour le Suédois rêve avoir avec Angela Davis, la redoutable et médiatique militante des Black Panthers !

 

Vingt ans après sa publication, Pastorale américaine est d’une actualité étonnante. 1968 avait été l’année de la révolte de la jeunesse un peu partout dans le monde. Les réquisitoires prémâchés, vomis par Merry et ses camarades contre le capitalisme et la société blanche occidentale, sont identiques, au mot près, à ceux que l’on entend de nos jours. Même sentiment lorsque le paradis construit par le Suédois achève de s’effondrer en 1973 : la famille Levov suit à la télé les retransmissions des auditions du Watergate devant le Sénat. Des millions d’Américains prennent conscience qu’ils ont reconduit à la Maison-Blanche un homme douteux qui leur fait honte.

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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