Janvier 2018,
Abandonnez toute espérance, vous qui entrez ici, dans la dystopie de La Servante écarlate ! Vous pénétrez dans un univers à l’opposé d’une utopie. Comme dans la plupart des fictions de ce genre, l’auteure, Margaret Atwood, imagine une société fondée sur un système idéologique d’où ne peuvent émerger que des réalités insupportables, telles qu’un pouvoir dictatorial s’appuyant sur la terreur, la privation des libertés individuelles et un dogmatisme mortifère. Dans une société dystopique, il est impossible, je dirais même plus, il est interdit de construire son bonheur personnel.
Dans La Servante écarlate, il apparait que les citoyens des États-Unis d’Amérique s’étaient perdus dans des excès de consommation futile et de perversion de leurs mœurs. Le régime libéral avait finalement été balayé par une révolution d’inspiration fondamentaliste chrétienne puritaine, donnant naissance à la République de Gilead, une société théocratique, régie par des institutions totalitaires et contrôlée par une administration de fanatiques.
La vie sociale est rythmée par des rites collectifs protocolaires, comme les « Rédemptions » ou les « Festivoraisons ». La société est structurée en castes, dans lesquelles les rôles, les devoirs et l’apparence vestimentaire de chacun sont codifiés. Quelles que soient leurs castes, les femmes sont subordonnées aux hommes. La parole officielle est relayée par les femmes de la caste des Tantes, tandis que les Yeux guettent subrepticement les comportements déviants. Les sanctions sont épouvantables. Malheur à celle ou à celui que vient chercher un fourgon noir au flanc décoré d’un œil ailé !
Gilead doit faire face à un phénomène d’infertilité générale et à un effondrement de la natalité qui menace la pérennité du pays. On a donc recensé les femmes présumées avoir la capacité d’enfanter. Elles sont exploitées comme des mines, des filons, dont on espère extraire une matière précieuse. Supposées n’avoir ni cerveau, ni cœur, ni âme, dépourvues d’identité propre, ces femmes, les Servantes, sont vouées exclusivement à la mission d’enfanter. Pour qu’on les reconnaisse, elles portent toutes la même ample robe rouge, cachant des formes que l’on ne saurait voir. Elles sont placées dans les familles des Commandants, pour y jouer un rôle exclusif de mère porteuse. Un rôle stratégique, mais un statut d’intouchable.
La narratrice est l’une de ces Servantes de rouge vêtues. Sur un ton naïf et monocorde qui suggère le lavage de cerveau, elle raconte ce qu’elle voit, ce qu’elle entend, ce qu’elle ressent, tout au long d’une série d’anecdotes qui permettent de comprendre la réalité de la vie quotidienne en Gilead.
La lecture est plaisante car l’écriture est limpide et les anecdotes aussi variées qu’insolites, ce qui ne les empêche pas d’être sinistres dans le fond. Le personnage de la narratrice est touchant dans ses propos empreints de soumission amère, de réminiscences éparses de sa vie de femme d’« avant », et d’enthousiasme désespéré pour la couleur des fleurs ou la chaleur du soleil.
Mais la nuit, seule dans sa chambre, la Servante se laisse partir à la recherche d’elle-même. Elle médite, cherche à comprendre, à boucler ses souvenirs. Germe alors l’envie irrépressible d’un rejet, d’une rébellion. Où cela peut-t-il bien la mener ? Au salut, ou à la chute ?...
Publié en 1985, le livre est inspiré par le fanatisme pudibond de la révolution islamique iranienne, ainsi que par des ouvrages dystopiques mythiques comme Le meilleur des mondes ou 1984. Aujourd’hui, il a perdu son originalité, les fictions dystopiques étant devenues courantes, tant dans l’édition qu’à l’écran.
La Servante écarlate est toutefois d’une modernité saisissante dans notre actualité d’affirmations féministes et de débat récurrent sur la gestation pour autrui, la fameuse GPA. Il prend bien sûr sa pleine place dans l’indispensable critique des idéologies religieuses, aussi bien islamistes qu‘évangélistes, qui font prévaloir une parole présumée divine sur la vérité scientifique.
Le livre met mal à l’aise lorsqu’est évoqué le glissement progressif vers la mise sous tutelle des femmes qui avait préfiguré la révolution, et aussi, bien entendu, au fur et à mesure que se révèle l’absurdité dystopique.
Soyons conscients que des dystopies peuvent aussi être la conséquence d’utopies qui tournent mal. Vigilance !
DIFFICILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP