Décembre 2017,
Le fils du héros est un roman bien construit et captivant, dont l’auteure, Karla Suarez, est née à La Havane en 1969, tout comme Ernesto, son personnage principal et narrateur.
Tout est dit dans le premier chapitre. Enfin, presque ! Il faudra quand même avoir lu le livre en entier pour en comprendre les tenants et aboutissants. Pourquoi Ernesto, que sa femme Renata a récemment quitté, prend-il l’avion pour l’Angola ?
Tout avait commencé pour lui, trente ans plus tôt, à l’âge de douze ans, le jour de l’annonce de la mort de son père, tué en Angola, où il avait été mobilisé dans les forces armées cubaines venues soutenir un mouvement indépendantiste « ami ». Dans son quartier, au lycée, puis à l’université, Ernesto était ainsi devenu le fils du héros.
En dépit de l’absence d’un père qui avait compté dans son enfance, Ernesto aura vécu une adolescence pleine et heureuse, entouré d’une famille unie et d’amis fidèles. Révolution castriste oblige, il aura fallu supporter quelques « volontariats organisés » : travaux agricoles, préparation militaire, agitation de petits drapeaux sur le passage de chefs d’états en visite. Mais Cuba, ce n’est pas la Corée du Nord – où en tout cas ce qu’on en imagine. Cuba, ce sont les Caraïbes, le soleil, la mer, la plage, la musique, la fête. Ce sont aussi des universités et des bibliothèques de qualité. Dans les années quatre-vingt, les jeunes ont en tête des modèles occidentaux dont ils n’ignorent rien. Grâce aux amis dont les familles sont bien placées, on récupère en douce de la musique américaine, des vêtements à la mode. C’est l’âge d’or de la révolution castriste, généreusement sponsorisé par l’Union Soviétique.
Tout change dès le début des années quatre-vingt-dix. Effondrement de l’URSS et de sa sphère d’influence. Paix en Angola, où la guérilla entre des factions soutenues par les grandes puissances n’était qu’une déclinaison locale de la guerre froide, désormais reléguée sur les rayons de l’Histoire.
Devenu adulte, Ernesto s’interroge sur la mort de son père. Un noble sacrifice, dit-on officiellement à La Havane. Qu’allait-il faire dans cette galère, a plutôt envie de dire Ernesto. Pourquoi le régime avait-il sacrifié la vie de milliers de compatriotes tombés en Angola ? Oh certes, on avait célébré le culte des héros. Ils avaient eu droit à des funérailles nationales en grande pompe. Les familles avaient été soutenues financièrement… tant que l’Etat en avait eu les moyens. Car à Cuba, isolée politiquement et commercialement, c’est désormais la crise économique et l’austérité.
Le destin de son père va miner la vie d’Ernesto, malgré l’amour de Renata, une étudiante bénéficiant d’une double nationalité péruvienne et allemande, qui a jeté son dévolu sur lui. Une fois mariés, elle l’emmène vivre à Berlin, puis à Lisbonne, où Ernesto rencontre des compatriotes exilés, dont certains ont combattu en Angola. L’un d’eux, Berto, un petit homme au comportement étrange, a l’âge qu’aurait eu son père. La question de la mort du père devient une obsession dans laquelle Ernesto s’enferme. Il monte un blog pour rechercher d’autres anciens combattants et réunir des informations sur la présence des Cubains en Afrique, fouille dans les archives de presse, rassemble des ouvrages sur l’Histoire. Il se replie sur lui-même, au point de gâcher sa vie, sa vie professionnelle et surtout sa vie conjugale, menant son épouse Renata au-delà de ce que peut supporter son empathie et sa patience, incapable qu’il est de partager sa douleur avec elle.
Dans chaque chapitre de son récit, Ernesto entrecroise son quotidien obsessionnel à Lisbonne, avec ses premières enquêtes à Berlin et les souvenirs attendris de sa jeunesse à La Havane. Cela brouille un peu la compréhension du lecteur, qui a par moment l’impression que l’intrigue tourne en rond. Une construction littéraire probablement intentionnelle, qui permet à l’auteure de faire monter la tension progressivement jusqu’au dénouement final très inattendu.
Une narration continue, quasiment sans dialogue. L’écriture de Karla Suarez, précise et fluide, a quelque chose d’enveloppant. L’auteure s’est aussi attachée à illustrer chaque chapitre par le nom d’un ouvrage de la littérature universelle. Une table de vingt-cinq titres qui va de Dante à Kundera, en passant par Goethe et Hemingway. Un geste littéraire élégant, mais plus symbolique que profond.
Le fils du héros est un roman psychologique placé dans un contexte historique et politique réel. Une fiction romanesque attachante et émouvante, aux confins d’un système où Fidel Castro sera parvenu pendant trente ans à faire croire qu’il était plus qu’un simple pion sur l’échiquier mondial. La disparition du système soviétique l’aura ramené à sa juste importance, limitée aux frontières de Cuba, où la politique de « rectification des tendances négatives », annoncée à coup de discours-fleuves et accompagnée de simulacres de procès suivis d’exécutions, aura rencontré scepticisme et ironie dans les foyers havanais, sous une apparence factice d’approbation collective.
DIFFICILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP