Décembre 2017,
Le Dit de Tianyi, roman gratifié du prix Femina en 1998, est l’œuvre de François Cheng, poète, écrivain et calligraphe né en Chine en 1929, arrivé en France en 1949, naturalisé français en 1971, aujourd’hui membre de l’Académie Française. C’est par un ami, fidèle lecteur de mes chroniques, que j’ai été amené à m’intéresser à ses écrits.
Le personnage principal du roman, Tianyi, est un double de l’auteur. Comme lui, il est né en Chine, à proximité du mont Lu, un site renommé pour ses extraordinaires paysages escarpés où les brumes restent suspendues (Allez voir des photos sur Internet !). Comme lui, son enfance a souffert de la guerre civile entre nationalistes et communistes, puis d’une guerre d’expansion effroyable menée par le Japon Impérial jusqu’à son anéantissement en 1945.
Comme François Cheng, Tianyi se découvre une âme d’artiste. C’est dans la peinture qu’il exprime son talent, en premier lieu dans la calligraphie, un art pictural majeur dans un pays comme la Chine, dépositaire d’une civilisation millénaire fondée sur les signes.
Comme son créateur encore, Tianyi s’installe à Paris après la guerre. Mais alors que c’est pour fuir une guerre civile meurtrière que François Cheng et sa famille s’expatrient, c’est pour guérir un chagrin d’amour – sur lequel je reviendrai – et grâce à l’octroi d’une bourse, que Tianyi vient étudier la peinture européenne et la confronter à celle de son pays d’origine. Des motivations différentes entre l’auteur et son personnage, mais probablement le même regard désenchanté sur la grisaille du ciel et des immeubles de Paris, la même prise de conscience brutale de leur singularité physique d’asiatique, et le même ahurissement lors de la rencontre de beaux esprits parisiens prétendant connaître mieux qu’eux les traditions chinoises.
Tianyi ira jusqu’à Amsterdam et Florence pour approfondir sa connaissance de la peinture européenne et en découvrir les grands maîtres classiques. A Paris, il nouera une relation intime avec une musicienne française, Véronique, qui l’inspirera et facilitera son intégration.
A la différence de Cheng qui reste en France où il mènera le parcours que l’on sait, Tianyi repartira en Chine à la recherche de son grand amour perdu. Un Amour avec un grand A, un idéal spirituel qui avait autrefois uni « Trois êtres faisant Un » : Tianyi, l’Ami et l’Amante. Un idéal qui s’était fracassé sur les contingences concrètes, charnelles, d’une relation amoureuse classique, et qui ne retrouvera du sens que plus tard, lorsque l’un(e) des Trois aura disparu. Une disparition physique, et non spirituelle, car « Deux » ne peut être une fin en soi. Entre le Yin et le Yang, il y a un vide qui n’est ni l’un ni l’autre, à moins qu’il ne s’agisse d’un tout qui serait à la fois l’un et l’autre…
Retour en Chine, donc, mais dans des conditions difficiles. Tianyi découvre les turpitudes absurdes et criminelles du régime mis en place par Mao Zedong, dont le narrateur ne cite jamais le nom, et qu’il dépeint comme un tyran insensible à l’humain, ignorant de l’économie, préoccupé par son seul pouvoir personnel, ce qui, quelques années plus tard, le conduira à tenter de le renforcer par l’inepte politique de Révolution Culturelle.
Considéré comme suspect par le régime, Tianyi passera plusieurs décennies en rééducation dans un camp dit de travail, copie conforme des camps de concentration nazis et soviétiques (je ne parle pas des camps d’extermination nazis que je mets sur un autre plan). Une vie de souffrances et d’avilissement dans le Grand Nord chinois, où une nature sauvage et des intempéries impitoyables ramènent l’homme qui veut survivre à son état primitif.
A l’insu de ses gardes, Tianyi réussira à peindre l’œuvre de sa vie, une fresque clandestine qui consacrera l’accomplissement de son talent.
Il terminera ses jours dans une sorte d’asile, libre de relier à sa façon les pages éparses d’une existence tourmentée, alimentée d’espoirs et de nostalgies. Une vie semblable au cours d’un fleuve, symbole chinois du temps qui n’en finit jamais de s’écouler. Car pour finir, il ne reste que cela : écrire, pour que tout soit Dit.
Le Dit de Tianyi, roman imprégné de culture et de philosophie chinoise, est écrit dans une langue française très harmonieuse et poétique. C’est aussi un documentaire passionnant sur les événements de vingtième siècle en Chine. Quelques pages sont difficiles d’accès. Je devine en François Cheng, un amoureux de la beauté et de l’humanité, même si l’on ne peut empêcher le Mal de s’y dissimuler.
TRES DIFFICILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP