Septembre 2017,
Il m’a fallu attendre de l’avoir presque terminé pour apprécier pleinement Le sympathisant, un roman gratifié du prix Pulitzer l’année dernière. Tout au long des dix-huit premiers chapitres de ce livre qui en compte vingt trois (et cinq cents pages), j’ai savouré les belles qualités littéraires d’une narration présentée sous forme de confession, tout en me demandant, avec un peu d’agacement, quel pouvait bien être le sens que son auteur avait voulu donner à cette œuvre.
L’auteur, justement, Viet Thanh Nguyen. Dans sa vie comme dans son livre, tout commence en 1975. Il a quatre ans. Avec la chute de Saïgon, c’est la fin de la guerre du Vietnam. Ses parents fuient et, comme des centaines de milliers de Vietnamiens, se réfugient aux Etats-Unis, où ils réussiront à reconstruire leur vie. Sous le regard fuyant ou condescendant de l’Américain blanc moyen, l’Américain Viet Thanh Nguyen prend conscience de l’ambiguïté de son identité. Il constate aussi que sa nationalité d’origine ravive la mémoire d’une défaite américaine cuisante et d’une guerre jugée aujourd’hui infamante.
C’est pour exorciser ce sentiment perçu comme une injustice, qu’il écrit Le sympathisant, l’histoire fictive d’un homme qui aurait pu connaître le même exode que ses parents. Cet homme, dont la double identité est poussée jusqu’à l’absurde, se voit comme un bâtard. Les autres aussi le voient comme tel. Né de la séduction scandaleuse d’une très jeune fille vietnamienne par un prêtre français installé en Indochine, sa peau n’est ni jaune ni blanche… à moins qu’elle soit à la fois jaune et blanche. Sa culture est à la fois orientale et occidentale… à moins qu’elle ne soit ni l’une ni l’autre.
En fait, l’esprit de cet homme est double, ce qui lui permet de voir les problèmes des deux côtés. Dans sa longue confession, dont on ne connaîtra le contexte qu’à la fin, c’est en toute logique qu’officier américain au Sud-Vietnam, puis membre d’une diaspora revancharde exilée en Californie, il assume ses agissements d’agent double au profit de l’ennemi affiché. Voilà un sympathisant communiste qui consomme avec opportunisme et délectation l’american way of life. Appelons les choses par leur nom : un traitre qui ne recule devant rien, pas même le meurtre, sans que sa conscience en soit profondément perturbée… Mais on peut changer, tant qu’on reste vivant !
Le livre est une critique féroce d’une société américaine, dont les archétypes amènent les minorités ethniques à se sentir inférieures, tout intégrées qu’elles soient sur les plans intellectuel et économique. Sous la forme d’un épisode aux Philippines, il lance un violent coup de gueule à l’encontre d’Apocalypse Now, ce film halluciné des années soixante-dix, proclamant avec tambours, trompettes et napalm, que le destin des combattants américains est la gloire, les Vietnamiens n’étant voués qu’au silence et à la mort.
Mais malgré toutes ses carences, l’Amérique n’est pas pour autant l’enfer. L’enfer, selon l’auteur et, finalement, son personnage du roman, ce serait plutôt le monde communiste et ses pratiques de « rééducation » normalisatrice. Tout sympathisants qu’ils soient, leur esprit double comprend qu’une révolution menée au nom du principe que rien n’est plus important que l’indépendance et la liberté, conduit à une société policière où indépendance et liberté valent moins que rien. Car les révolutionnaires d’aujourd’hui sont les impérialistes de demain.
L’écriture, complexe et envoûtante, mêle narrations et dialogues sans ponctuation spécifique, tout en enchevêtrant les faits vécus par le narrateur avec ses souvenirs, ses réflexions et ses rêveries. Un ton très libre d’humour et d’autodérision. Très peu de noms. On ne connaît pas celui du narrateur, pas plus que ceux de la plupart des personnages, notamment des militaires : on a ainsi l’adjudant glouton, le lieutenant insensible, l’opérateur radio maigrichon, l’infirmier philosophe et d’autres. Sans oublier les Marines mat, plus mat et très mat, trois GI qui sont restés au Vietnam, et dont le soleil a tanné la peau à des degrés différents.
Un roman puissant et profond, associant recherches historiques, méditations politiques, études ethnologiques et profilages psychologiques, pour une lecture qui laisse leur part à l’émotion et au burlesque.
TRES DIFFICILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP
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