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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

litterature

La tresse, de Laetitia Colombani

Publié le 23 Juin 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire

La tresseJuin 2017,

Un gentil petit livre, à lire en quelques heures, pour découvrir un épisode de la vie de trois femmes d’aujourd'hui. Ce sont en fait trois histoires qui s’entrelacent comme une tresse. Ces femmes vivent à des milliers de kilomètres l’une de l’autre, chacune dans son monde. Elles n’ont absolument rien en commun. Sauf que finalement… Non, vous découvrirez en temps utile ce qui les relie, ce n’est pas moi qui vendrai la mèche !...

Laetitia Colombani déploie une écriture simple et directe, qui donne à son roman une tournure de conte. Une tonalité mélodieuse, parfois enfantine, mais sans niaiserie. Les récits sont découpés en courts chapitres consacrés tour à tour à l’une des trois femmes. Une discontinuité de bon aloi, que l’auteure croit pourtant devoir atténuer par des effets de suspens à la fin de certains chapitres ; un peu artificiel, mais somme toute en ligne avec l’allure un peu ingénue de l'ouvrage.

Le corps des récits exhibe les modes de vie de Smita, Giulia et Sarah, dans leur univers très spécifique. Il révèle leur comportement à un moment charnière de leur existence.

Le quotidien de Smita, c’est la condition épouvantable des Intouchables en Inde. Hallucinant et révoltant pour nous, occidentaux du vingt-et-unième siècle. Parviendra-t-elle à extraire sa fille de cette destinée avilissante ?

En Sicile, Giulia est soumise au ronron tranquille d’une famille d’artisans traditionnels. Ils sont brutalement rattrapés par la modernité. La disparition de son petit monde est-elle une fatalité inexorable ?

À Montréal, les journées trépidantes de Sarah, avocate brillante et ambitieuse élevant seule ses trois enfants, sont soudain percutées par un problème de santé. Quelles remises en question faut-il consentir pour retrouver l’équilibre ?

Les trois femmes doivent ainsi faire face à des difficultés devant lesquelles elles ne sont pas loin de rendre les armes. Elles relèvent la tête et décident de se battre. Elles ont raison ; lutter pour gagner, c’est déjà gagner.

La plus déterminée, celle qui ne renonce jamais, c’est la plus déshéritée. Smita saisit la moindre chance et s’y accroche avec l'énergie du désespoir. Peu importe que sa foi en des croyances d’un autre âge nous fasse sourire. A l’inverse, la plus fragile est celle dont les auspices avaient été les plus favorables. Pas étonnant. Sarah avait toujours franchi les obstacles en conquérante. Elle menace de s’effondrer dès lors que son invincibilité est contestée.

Et Giulia ? Elle est la plus réaliste des trois. Envers et contre toutes les réticences de ses proches, elle saura imposer les idées providentielles de l’homme qu’elle a choisi pour accompagner sa vie.

Car dans ces histoires de femmes, écrites par une femme et qui seront lues par une majorité de femmes, je me permets d’observer que la clé qui boucle le sens de La tresse est apportée par un homme.

Et puisque c’est mon instant de rébellion masculine, je conteste la discrimination avancée par Sarah pour qualifier l'attitude des dirigeants de son cabinet d’avocats. Ils sont pragmatiques et je trouve qu’ils font preuve de délicatesse dans l’exercice très difficile qui consiste à préserver contre son gré une collaboratrice en difficulté. Quand elle aura cessé de voir tout en noir, Sarah reconnaîtra elle-même que l’on ne peut pas mener de front tous les combats, surtout quand l’un est prioritaire.

Au final, une lecture agréable, parfois émouvante, mais pas inoubliable.

FACILE ooo J’AI AIME

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Anna Karénine, de Léon Tolstoï

Publié le 11 Juin 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Anna KarénineJuin 2017,

Greta Garbo, Vivian Leigh, Jacqueline Bisset, Sophie Marceau, Keira Knightley… quelques actrices parmi les plus belles et les plus « bankables » de l’histoire du cinéma ! Elles ont interprété Anna Karénine dans l’une des nombreuses adaptations du roman à l’écran. C’est dire la puissance mythique du personnage de femme imaginé par Léon Tolstoï dans son ouvrage éponyme, même pour celles et ceux qui ne l’ont pas lu, ce qui était mon cas jusqu'à ces derniers jours.

Pour tout un chacun, Anna Arcadievna Karénine incarne, jusqu'à se perdre, la femme qui choisit délibérément l’amour d’un séducteur patenté, le comte Vronski, envers et contre tous usages, préjugés et obstacles...

Un coup de foudre réciproque. Une femme et un homme, disposant tous deux d’une force de séduction hors du commun, se regardent, se sourient et cèdent à l’attirance qu’ils exercent l’un sur l'autre. S’installe une relation passionnelle échappant à toute maîtrise par la raison. Vronski, célibataire, met sa carrière de côté ; pas grave pour un homme né riche, à la conscience légère. Anna, mère d‘un petit garçon, trompe ouvertement son mari Karénine, puis quitte le foyer familial pour s’installer avec son amant. Dans la société aristocratique russe de l’époque, c’est une faute dont le poids est insupportable. L’histoire d’amour devient histoire d’amour coupable, puis, dans la logique de la littérature classique, tourne à l’histoire d’amour tragique.

On connaît Phèdre et la malédiction de l’amour interdit… Dans Anna Karénine, l’aspect transgressif de sa relation pousse le couple à se replier sur soi, à s’isoler, à ne plus se nourrir à chaque instant que de l’exaltation de sa passion… Mais cela ne marche pas éternellement. Même si les sentiments restent vifs, les rituels de l’amour s’affadissent avec les années. L’ennui guette. Quand l’un cherche alors à s’en extraire, c’est la jalousie qui infiltre l’autre, un poison insidieux qui ronge l’âme jusqu'à la folie…

La jalousie ! Tolstoï en dissèque minutieusement – comme Proust quelques années plus tard – les mécanismes et les effets sur ses différents personnages. Car le roman dépasse la seule histoire du couple formé par Anna et Vronski. Structuré en épisodes comme un feuilleton ou une série se déployant sur plusieurs années, le livre, qui compte un millier de pages, trace aussi l’évolution des Oblonski et des Lévine, deux couples légitimes, sans que pour autant leur parcours soit un long fleuve tranquille. Trois femmes et trois hommes, parents pour certains, se croisent et se recroisent ainsi dans les milieux aristocratiques dont ils sont issus.

L'occasion de s'immerger dans la Russie de l’empereur Alexandre II des années 1870. La philosophie des Lumières infuse lentement dans les esprits. Les premières théories socio-économiques aussi. Tolstoï pose les débats de son temps. Faut-il s’ouvrir à la modernité occidentale ou préserver la tradition russe ? Doit-on donner la priorité au peuple ou à l’individu ?... L’agriculture, l’industrie et le commerce sont confrontés aux mutations déclenchées par le progrès technique, une problématique qui dure de nos jours. Le servage vient d’être aboli, mais les paysans n’en vivent pas moins misérablement. A Saint-Pétersbourg, la haute société vit dans un faste et un luxe inouïs, à quelques centaines de mètres des immeubles lugubres où survivent avec peine les personnages de Crime et châtiment, publié une dizaine d’années plus tôt par Dostoïevski, l’autre géant du roman russe. Pas étonnant que ces contrastes détonnants mènent, quelques décennies plus tard, à la révolution d'octobre.

A l’instar d’un Zola, Tolstoï observe attentivement les détails de la vie quotidienne, en ville, dans les campagnes, dans les différents milieux sociaux. Mais ce qui est essentiel et passionnant dans Les Rougon-Macquart n’est qu’accessoire et parfois fastidieux dans Anna Karénine. La cérémonie religieuse du mariage de Lévine, par exemple, est très longuement développée ; la lecture donne l’impression d’y assister en temps réel : les mariés sont en retard, les invités bavardent… Aussi ennuyeux qu’en vrai !... Même chose pour l’agonie interminable du frère de Lévine, dont la narration est oppressante.

Lévine par ci, Lévine par là ! Et si c’était lui le personnage principal du roman ? Un idéaliste en amour, un visionnaire social utopiste, un homme qui croit au progrès et aussi en Dieu ; un homme qui s’exprime sur tous les sujets abordés dans ce roman aux multiples facettes. Un personnage créé par Tolstoï à son image : un aristocrate qui se voudrait un homme du peuple, mais qui reste désespérément un aristocrate.

GLOBALEMENT SIMPLE ooo  J’AI AIME

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Crime et châtiment, de Fedor Dostoïevski

Publié le 30 Mai 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire

Résultat de recherche d'images pour "crime et chatiment actes sud"Mai 2017,

Un long et intense moment de lecture, qui m’aura frappé tour à tour au cerveau, au cœur, aux tripes. Crime et châtiment est un ouvrage exigeant, roboratif, éprouvant, dont j’ai terminé la lecture à bout de souffle, mais tellement fasciné que je m’y replongerais volontiers à l'instant.

Rien à voir avec les vagues souvenirs que je gardais d’une première lecture trop rapide, il y a trente ou quarante ans, probablement agacé par la lenteur des développements, perdu dans les patronymes et la psychologie des personnages, perturbé de surcroît par le style inapproprié d’une ancienne traduction. Car encore faut-il choisir la bonne traduction. (Voir mon article à ce sujet, sur le blog, rubrique « Et moi, et moi... émoi ! »).

Ecrit il y a un siècle et demi, Crime et châtiment est en fait de la littérature policière tout ce qu’il y a de plus moderne, un roman noir à suspense, du genre de ceux où l’on connaît l’assassin dès le début, mais où l’on ne sait pas quand et comment sa culpabilité sera finalement établie. En l'occurrence, l'attitude de Raskolnikov, l'assassin, est exaspérante, mais l’on est submergé par son angoisse d'être confondu, par sa détresse devant les doutes de ses proches – et ce n’est que le début de son châtiment ! –. L’affaire traine en longueur, la police tâtonne sur de fausses pistes, mais progresse lentement, inexorablement. Je ne serai pas le premier à évoquer l’analogie avec une série télévisée policière archi-célèbre. Laquelle ? Observez le juge d’instruction tournicoter mine de rien, en ami, autour de Raskolnikov en l’enserrant insensiblement dans son filet. On croirait presque entendre certain lieutenant : « Veuillez m'excuser, M’sieur, encore une p’tite question et je vous laisse… »

Dostoïevski n’a jamais vu Columbo à la télé, mais il admirait Shakespeare et Schiller. Crime et châtiment est conçu comme le scénario détaillé d’une immense pièce de théâtre, d’une tragédie géante dont un narrateur décrirait les décors, façonnerait l'âme des personnages pour modeler leurs pensées, et assisterait clandestinement à leurs rencontres pour en rapporter les dialogues, comme en voix off.

L’ouvrage se présente aussi comme une vaste fresque sociale dans le Saint-Petersbourg de l'époque. L’action se situe en plein été, dans un quartier miséreux. Chaleur, saleté, puanteur, poussière, l’air est irrespirable. On titube et l’on s'invective dans les rues, au sortir de cabarets où l’on s’est enivré jusqu'au dernier kopeck. Des cages d’escalier sinistres desservent des taudis crasseux à peine meublés, loués par ce qu’on appellerait aujourd'hui des marchands de sommeil. Là s’entassent des familles loqueteuses : des hommes ayant éclusé dans l’alcool toute la honte de leurs échecs, des femmes au bout du rouleau criant après leur marmaille, des jeunes filles qui se prostituent, des gamins qui mendient… enfin, ceux qui ne sont pas malades !... Une petite élite émerge : ils sont ou ont été étudiants, fonctionnaires, commerçants, militaires. Ils tentent de tisser un semblant de solidarité, même s’il faut se méfier des profiteurs et des débauchés.

Dans les grandes tragédies, les intrigues secondaires sont souvent captivantes. Dans Crime et châtiment, elles percutent notre sensibilité. Compassion pour les malheurs sans fin de la famille Marmeladov. Émotion pendant les échanges empreints de non-dits entre Raskolnikov et ses proches, sa mère, sa sœur Dounia, son ami Razoumikhine. Indignation et dégoût lors des offensives tentées sur la très belle Dounia, par des types pas nets comme Loujine et Svidrigaïlov.

Venons-en à l’événement majeur du roman, le crime, et à son auteur, Raskolnikov. Le personnage inspire des sentiments contrastés. C’est un jeune homme en perdition, qui peut susciter de l’indulgence, de la bienveillance, mais les motifs qu’il confesse pour son geste sont insupportables.

Parce qu’il s’imagine d’une essence supérieure, parce qu’il lui faut trois mille roubles pour sortir du dénuement et terminer ses études, Raskolnikov, vingt-deux ans, ne trouve ni anormal ni immoral de trucider à la hache une vieille usurière – un être ignoble et inférieur, un « pou », prétend-il – pour la dévaliser. Un avis dont il ne se départira pas, même quand il se sentira contraint d’aller se livrer, même encore lorsque il purgera sa peine au bagne. Finalement, dans les toutes dernières pages du récit, Sonia, la petite prostituée qui, pour ne pas l'abandonner, l’aura suivi jusque là-bas, en Sibérie, obtiendra la reconnaissance de sa faute et son repentir. Une double rédemption, par la foi et par l'amour, afin de pouvoir ouvrir les yeux sur un avenir d’espérance.

Mais ne faut-il pas chercher plus en profondeur la motivation réelle du crime ? Alors que sa mère et sa sœur le portent aux nues et se sacrifient pour ses études, Raskolnikov a tout lâché. Il passe ses journées allongé sur son lit à ne rien faire, si ce n’est à ressasser des frustrations délirantes. Ne pouvant assumer cette forme de trahison à l’égard des personnes qui lui sont le plus cher, il se laisse dériver dans une spirale de déchéance devenue irréversible. Lui apparaît sa médiocrité, aux antipodes de l'être supérieur qu’il aurait voulu être. C’est intolérable et cela le conduit à commettre l'irréparable, à franchir le point de non-retour vers une damnation totale et définitive, que ses proches pourront toujours expliquer par un coup de folie.

L'élimination d’un être vil et malfaisant aurait été ainsi le seul et unique acte d'homme supérieur de Raskolnikov. L’acte et la pensée qui le sous-tend restent ignobles, mais en nous plaçant dans le contexte d'aujourd'hui, notons que son crime le distingue du terroriste qui, dans le même état d’esprit, aura cherché à commettre un attentat massif et aveugle.

TRES DIFFICILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Les dieux du tango, de Carolina de Robertis

Publié le 18 Mai 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Les dieux du tangoMai 2017,

Les dieux du tango ne sont pas avec moi !

Je ne les ai pas rencontrés tout au long – très long ! – de ce livre, que je n’aurais pas lu jusqu'au bout si l'éditeur ne l’avait soumis à ma critique, par l'intermédiaire du réseau Babelio.

Je risque désormais leur courroux, en écrivant cette chronique comme je m’y étais engagé, alors qu’il eût peut-être été préférable de me taire.

Quelle est la trame du roman ? Leda est une toute jeune Italienne, débarquée seule et sans ressources à Buenos Aires. Son unique patrimoine est un violon dont elle sait à peine jouer. Munie de ce violon, Leda parviendra à survivre, puis à vivre, en inscrivant son parcours dans celui du tango pendant les premières décennies du vingtième siècle. Un tango au début confiné dans les bastringues et les bordels des bas-fonds, où prostituées et travailleurs misérables s’enivrent de sa chorégraphie lascive ; un tango qui finira par acquérir ses titres de respectabilité et trouver sa place dans les cabarets fréquentés par la meilleure société de Buenos Aires… Lascivité pour tous !

Un parcours semé d'embûches pour Leda, les femmes musiciennes n’étant pas à l'époque tolérées en Amérique Latine, où les esprits étaient resté désespérément machistes. Leda devra se faire passer pour un homme et ne jamais se dévoiler à quiconque…

Cadré comme cela, tout aurait pu aller bien… Mais voilà ! Des longueurs, des redondances, des digressions sans intérêt ! Carolina de Robertis sait incontestablement manier la plume. Sur un détail de rien du tout, elle vous noircit facilement cinq feuillets. Au total, un récit de cinq cent quarante pages et une forme de verbiage qui ralentit la lecture, la rendant ennuyeuse… Pour moi, en tout cas !

Des invraisemblances, aussi. Peut on croire, par exemple, que Leda apprenne à jouer du violon toute seule, dans le silence, en mimant les gestes ?... Après tout, pourquoi pas ! Enfant, j’avais bien appris à nager le crawl en répétant les mouvements sur mon lit…

Je n’ai pas été sensible aux velléités lyriques de l’auteure, à ses manières d’envolées emphatiques parfois proches du ridicule, comme ce titre de chapitre intitulé « une gorgée de la rivière de l’oubli » ou ce propos sur la chaleur de l’été, quand « l’air devint aussi épais qu’un grog brûlant dont une simple bouffée suffisait à rendre saoul ».

Toute à ses recherches de style, Carolina de Robertis ne m’a pas donné le sentiment d’une véritable passion pour la musique en général et le tango en particulier. Tiens ! Tango et blues ont des racines communes, apprend-on ! « Les mots ne sont jamais les mêmes, pour exprimer ce qu’est le blues », chante Johnny, exsudant sa passion. Ne pas le prendre au pied de la lettre. Peu de mots, en fait. Des mots simples. C’est suffisant.

A l'évidence, l'auteure n’a pas écrit ce roman pour un lecteur de mon genre. Comment aurais-je pu me sentir concerné par les acrobaties intimes accomplies chaque jour par Leda pour dissimuler sa féminité ?... Prisonnière à perpétuité de son apparence masculine, Leda se découvre une attirance sexuelle pour les femmes. Elle s’avérera une amante experte, emportant ses partenaires dans des tourbillons de jouissances semble-t-il inouïes (!), sans que ces femmes ne doutent de sa masculinité. L’une d’elles l’accusera même d’être le père de son enfant !... Si ! c’est dans le livre !... Si vous voulez en savoir plus, lisez-le. Mais je vous préviens, ce ne sont que des scènes de cul très soft, aussi érotiques qu’un documentaire sur la reproduction des huîtres. Des récits où le plaisir est idéalisé et sublimé, juste crédibles pour celles et ceux qui préfèrent que l’amour physique reste un rêve…

Je terminerai par un compliment pour un très bel effet littéraire. Je suis revenu à plusieurs reprises sur la première page, incompréhensible à la lecture des événements racontés par la suite. La lumière ne surgit qu’après les toutes dernières pages. Magnifique !... Combien s’en rendront compte ?

GLOBALEMENT SIMPLE o J’AI AIME… PAS DU TOUT

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Price (Rencontre d'été), de Steve Tesich

Publié le 13 Mai 2017 par Alain Schmoll dans Littérature

Price (ou) Rencontre d'été Mai 2017

Quel étrange roman !... La lecture de Price est captivante, je dirais même ensorcelante, malgré le sentiment de malaise qui s’en dégage… Ou peut-être est-ce en raison de ce sentiment de malaise...

East Chicago est une petite ville industrielle à une heure du centre de Chicago. Des aciéries et des raffineries font vivre une population modeste et laborieuse. Daniel Price, dix-huit ans, termine ses études secondaires. Il ne sait pas encore que faire de sa vie. Pas d’inquiétude. En 1961, année où Steve Tesich situe les événements de son roman, l’activité économique est en plein développement. Les jeunes ne sont pas angoissés par la recherche de leur premier emploi. L’époque ne les exempte toutefois pas de tous tracas ; la libération sexuelle est encore à venir. Ce qui agite les pensées des garçons comme Daniel, ce sont les filles. Et la possibilité ou pas de coucher avec...

Une fille, justement, Daniel en rencontre une. Elle s’appelle Rachel. Belle, sûre de son charme, elle va tournebouler la tête de Daniel. Leurs dialogues sont pétillants, délicieux, surprenants. Lui s’accroche, parfois drôle, souvent pathétique. Elle papillonne, taquine, imprévisible. Séduite, certes ; mais dans quelle mesure ? Le hasard peut-il prendre la forme d’un destin ? Daniel veut s’en persuader.

Rachel est une jeune fille étrange. Elle habite avec son père, explique-t-elle, David, un homme entre deux âges, photographe ; un personnage étrange lui aussi…

J’ai dit étrange ? Comme c’est étrange !

Daniel vit chez ses parents. Il entretient une relation compliquée avec son père, un homme médiocre, meurtri, que des frustrations ont rendu agressif, méchant. Père et fils s’aiment-ils, se haïssent-ils ? Et pourquoi cette tension pesante entre père et mère ? Une atmosphère confinée dont Daniel voudrait s’échapper… Mais voilà qu’on découvre à son père un cancer inexorable. Il réclame présence, assistance, compassion ; jusqu’à la fin. Pénibles pour Daniel, tous ces moments à rêver à Rachel, à la désirer, loin d’elle ! Conscience filiale et conquête féminine ne font pas bon ménage.

Daniel en vient à s’embrouiller dans ses rapports avec Rachel. Narrateur du récit et de ses péripéties, il en perçoit les zones d’ombre et les malentendus, mais il ne les comprend pas. Il les interprète à sa façon, imaginant des explications sous forme de scénarios à son avantage ; il adopte alors des attitudes maladroites, qui tombent à plat et ne font qu’accentuer le malaise. Un malaise qui nous envahit à notre tour, nous lecteurs. Car peu à peu, nous subodorons la réalité cruelle des choses, laquelle continue à échapper au jeune homme, naïf et novice.

Plus la vérité prend forme, plus Daniel se réfugie dans l’écriture mentale de ses scénarios, très détaillés et néanmoins erratiques. Il les rabâche dans des soliloques tourmentés et obsessionnels, excluant toute possibilité de lucidité.

Un procédé littéraire que l'auteur a aussi utilisé dans son autre roman, Karoo, un chef d'œuvre, où l’on voit le héros se lancer dans une logorrhée enfiévrée et interminable pour tenter de conjurer la révélation d’une catastrophe annoncée. Prématurément disparu, Steve Tesich maîtrisait avec talent la gradation dramatique de ses fictions. Dans Price, il s’était inspiré de son adolescence dans cette même ville d’East Chicago.

Le parcours de Daniel trouve un écho dans la mémoire intime d’hommes de ma génération. Pour paraphraser Swann, n’avons-nous jamais eu l’impression d’avoir gâché nos dix-huit ans pour des filles qui, finalement, n’étaient pas notre genre ? Des rencontres d’été. Des amourettes enfouies dans le tréfonds de lointains souvenirs.

Attention ! Certaines aventures peuvent détruire un adolescent. « L’amour peut être un poison. Et ça peut être aussi un antidote », dit-on à Daniel. Ce qui importe, c’est de toujours faire la différence entre les deux. Quand ce n’est pas le cas, cela peut conduire un jeune garçon au pire : désespoir, suicide, meurtre. A l’inverse, cela peut le construire et l'aider à entrer de plain-pied dans sa vie d’adulte.

Dix-huit ans, c’est l'âge du questionnement, de la rébellion, du choix d’un chemin. Au lycée, Daniel avait deux amis proches. L’un reproduira un médiocre modèle familial, allant jusqu'à porter les vêtements de son père décédé. L’autre partira en vrille... gravement, très gravement… Et Daniel ? Peut-être choisira-t-il de tout mettre par écrit et de s’en aller par le monde.

DIFFICILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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L'île des chasseurs d'oiseaux, de Peter May

Publié le 1 Mai 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

L'Ile des chasseurs d'oiseauxMai 2017

L’île des chasseurs d’oiseaux s’ouvre sur la découverte d’un meurtre. C’est un roman policier, un très bon roman policier qu’à première apparence on imagine de facture classique.

Mais cet ouvrage de Peter May, écrivain né en Ecosse et naturalisé français, est bien plus que cela.

En mettant un instant entre parenthèses le meurtre et ses caractéristiques glauques, ce qui captive l’attention, c’est le territoire insolite sur lequel il a été commis et sa population de personnages singuliers. C’est un régal de les découvrir et de les observer tout au long du roman.

L'île de Lewis présente un panorama de bout du monde. Au large de l’Ecosse, dans l’Atlantique Nord, elle est effectivement au bout du monde. Au bout d’un monde.

Une nature austère, un climat ingrat. Un vent froid et humide balayant sans trêve des paysages maussades de landes et de tourbières détrempées. Pas d’arbre. Des plages de sable doré, désertes, bordées de falaises rocheuses sombres. Plus loin, des lignes d’écume blanche agitent une mer couleur d’étain. En face, les silhouettes vertes et bleues de montagnes ondoient dans la brume. Le long de routes étroites et sinueuses, des ruines d’anciennes maisons de pierres sèches, noircies par le chauffage au feu de tourbe, offrent à l'œil des perspectives pittoresques. La beauté étrange des paysages est soulignée par des rubans de nuages gris et mauves s’effilochant dans un ciel en mouvement, où perce par instant un soleil pâle, éphémère. Pas un jour sans pluie.

Les personnages principaux sont des natifs de l'île. La plupart n’en ont jamais bougé. A l’image de leur terre, il sont hors du temps. De bons vivants, attachés à leur histoire, à leurs traditions, à leur langue gaélique, à leurs secrets. Une fois par an, ils se régalent de la chair du guga… Le guga !? C’est ainsi, en gaélique, que l’on nomme le poussin du Fou de Bassan. Ce grand oiseau de mer rejoint tous les ans ses congénères pour la ponte, sur le rocher d’An Sgeir, en surplomb de l’océan, très loin dans l’Atlantique au nord de Lewis. Un endroit escarpé et glissant où l’on chasse à main nue… Une expédition dangereuse, d’où certains jeunes initiés risquent de ne pas revenir indemnes. Que peut-il bien s’y passer, parfois ?... Le silence des hommes est aussi assourdissant que le cri des oiseaux. On entend à peine les militants écolos protester contre une pratique qu’ils jugent barbare.

Revenons au crime… à supposer qu’on s’en fût éloigné ! Sa mise en scène vaguement rituelle évoque un crime similaire survenu quelques semaines plus tôt à Edimbourg. Peut-être donc le geste d’un serial killer. On envoie sur place l’inspecteur Fin McLeod, habituellement en poste à Edimbourg. Il est particulièrement bien placé pour enquêter, car il est né sur l'île et y a passé sa jeunesse.

Ils sont tous là, ceux de l'époque, amis et moins amis. Même le mort est l’un d’eux. Après dix-huit ans d'absence, Fin est plongé dans un environnement dont il s’était échappé à la suite d’événements troubles et tragiques qui l’avaient mis mal à l’aise, sans pour autant qu’il en eût alors saisi toute la gravité, ni les implications psychologiques qui allaient cheminer dans l’esprit des uns et des autres.

Sous nos yeux de lecteur, Fin va revivre son enfance, morceaux choisis de bonheur et de malheur. Il va aussi redécouvrir ses émois d'adolescent, se mettre au clair avec les fantômes de son passé, prendre conscience des sentiments de certain(e)s à son égard et découvrir sa part de culpabilité... Le temps perdu peut-il se rattraper ?

Le roman alterne les chapitres consacrés à l’enquête, en narration classique, et ceux dans lesquels c’est Fin lui-même qui raconte son passé, laissant sourdre une émotion qu’il nous fait partager.

J’ai souvent dit qu’un bon livre est un livre qu’on a pas envie de terminer. Dans L’île des chasseurs d’oiseau, on n’est pas pressé de connaître l'assassin, on parcourt agréablement l’île de bout en bout, on écoute – si je puis dire ! – les uns et les autres ; sur le chemin qui mène à la vérité, on prend le temps qu’il faut pour découvrir pièce par pièce les secrets de jeunesse de Fin, Artair et Marsaili.

Finalement, où que l’on soit sur notre terre, ce sont les mêmes choses qui font le malheur ou le bonheur des enfants et les façonnent pour le reste de leur vie.

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L'archipel d'une autre vie, d'Andreï Makine

Publié le 29 Avril 2017 par Alain Schmoll dans Littérature

L'Archipel d'une autre vieAvril 2017,

La terre est ronde. Mais les cartes géographiques sont plates. Et le bout du monde, ça existe...

Membre de l’Académie Française, né en Sibérie, Andreï Makine a situé l’action de L'archipel d’une autre vie à l’extrémité nord-orientale du continent européen, dans la taïga sibérienne, aux confins de l’Océan Pacifique… Le bout du monde.

Une nature inhospitalière, je dirais même une nature hors de l’échelle humaine. Une forêt interminable, dense, opaque, traversée de cours d’eau empierrés tortueux et tumultueux ; difficile de se repérer et périlleux de se déplacer. Au-delà, l’océan, une immensité d’eaux indomptables, irritables, redoutables. Au dessus, des vents en bourrasques, hurlants, glacials dix mois sur douze.

Un homme, Pavel, a survécu dans cet environnement hostile. Il raconte. Une aventure humaine fascinante. Son enrôlement dans un groupe de pieds-nickelés pour une traque aux péripéties haletantes, aux rebondissements surprenants, parfois cocasses, souvent savoureux. Une issue imprévisible. Ne serait-ce que parce qu'un individu au crâne tondu peut en cacher un autre.

En fond de plan, une comédie psychologique grinçante. En 1952, le régime stalinien est encore debout. La guerre froide le conforte dans sa paranoïa et dans sa dialectique complotiste. Tout commence par une vaste campagne militaire d’absurdes exercices de survie lors d’une simulation d’attaque nucléaire. Les hommes sont médiocres, veules, serviles ; un simple grade de sous-officier suffit à les transformer en tortionnaires cruels. C’est le système qui veut cela. Chacun agit selon les recommandations d’un « petit pantin intérieur », une sorte d’ange gardien qui le maintient dans un état de crainte, de résignation et de soumission. Car attention à ne pas basculer du côté des « ennemis du peuple ». Le système se doit de toujours renouveler sa liste de boucs émissaires, afin de leur infliger des peines exemplaires. Ne pas les laisser s’enfuir. C’est ainsi que commencent les traques.

Pavel aura l’occasion de secouer son joug, de dominer son « pantin intérieur ». Son aventure se transformera en parcours initiatique. Se repérer par un triangle de trois feux, apprendre à trouver seul son chemin, traverser la taïga jusqu’au rivage, naviguer sur la mer des Chantars, découvrir ses îles, en apprivoiser une pour s’y installer… Vivre une autre vie, vivre de peu, vivre d’amour et d'eau fraîche – très très fraîche ! – en renonçant définitivement aux jeux que la tribu des hommes voudrait imposer… Sympathique ! Mais rien de nouveau sous le soleil… je veux dire sous la neige.

La lecture est facile et agréable. Des phrases à la syntaxe parfaite. Un vocabulaire riche et toujours juste. J’ai été frappé toutefois par une absence de relief dans le phrasé, une tonalité uniforme qui pourrait exprimer un humour désenchanté et un fond de tristesse.

Le récit de Pavel s’inscrit dans un ensemble plus vaste, comme si l’auteur avait voulu construire son livre sur le modèle des poupées russes. Au final, L'archipel d’une autre vie est un conte philosophique dont le narrateur dégage une morale déployée sur plusieurs décennies. Une morale pas forcément optimiste : tu crois respirer en échappant à l’enfer soviétique ; tu finis par étouffer dans un autre enfer, celui du business et du chacun pour soi, dès lors que tu es confronté à plus puissant que toi.

Pas vraiment original comme conclusion. Juste nécessaire pour comprendre le désenchantement et le fond de tristesse.

Reste une conviction qui s’affiche avec force à la lecture de l’ouvrage : la femme est bien l’avenir de l’homme.

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Beauté, de Philippe Sollers

Publié le 15 Avril 2017 par Alain Schmoll dans Littérature

BeautéAvril 2017,

C’est la première fois que je lis un ouvrage de Philippe Sollers, cet écrivain prolifique, intellectuel polyvalent, à la personnalité contestée. J’engage ma lecture avec une curiosité mêlée de perplexité.

Beauté n’est pas vraiment un roman. C’est un ensemble de courtes chroniques reliées par un fil conducteur : l’amour du narrateur pour Lisa, une jeune et talentueuse pianiste grecque donnant des récitals de par le monde.

Un amour qui sonne creux… En fait, un prétexte à la consécration de la beauté de la Grèce antique, de ses poètes, de ses philosophes. Revisitant les temples et leur statuaire, l’auteur en admire la beauté faite de simplicité et de justesse des proportions. Évidemment, il célèbre les dieux et les déesses. Comment lui, Philippe Sollers, pourrait-il passer sous silence ces virtuoses de l’art de la séduction et de la conquête amoureuse !

Ah, les désirs et les passions des dieux !... Tout cela est bien loin de l’amour du narrateur pour Lisa, cet engouement conceptuel, artificiel, désincarné, qui reflète la fascination de l’auteur pour la musique. Beauté des œuvres pour piano de Bach, Mozart et Webern, dans l’interprétation sublime – forcément ! – de la jeune femme. En dépit du goût plutôt classique de l’auteur, c’est Webern et ses Variations pour piano qu’il choisit pour symboliser la perfection musicale… Je ne connaissais pas cette œuvre, je l’ai écoutée. Son atonalité froide et sèche m’a pétrifié, à l'image de la relation de Lisa et du narrateur. Celui-ci n'éprouve pas tant de l’amour, qu’une sorte d'émerveillement à l’idée d’aimer une artiste prodige, portée aux nues par son public. Un archétype d’idéal féminin parmi d’autres…

Au fil des chapitres, l’auteur rend hommage aux poètes ayant puisé leur inspiration chez les Grecs classiques. Il s’émerveille de mille choses de la vie : les mots et les jeux qu’ils permettent ; Bordeaux, sa ville, et son histoire ; les papillons et les mathématiques ; les noms des constellations d’étoiles. Que sais-je encore ?... Tiens ! une brève évocation de la beauté explosive des derniers Picasso ; là, je soupçonne une solidarité provocatrice entre vieillards lubriques et heureux de l’être.

Sollers rend joliment hommage aux Impressionnistes. Je le cite : « Un jour, alors que personne ne s’y attend, une marée de beauté envahit l’espace. Des types bizarres, qu’on nomme vite impressionnistes, se mettent à célébrer la nature, l'existence, les pins, les peupliers, les roses, les coquelicots, les pivoines, les nymphéas, les déjeuners sur l'herbe, les femmes respirables et sans voiles, les enfants. On les couvre d'injures, ils persistent. Et puis ils disparaissent dans l’atmosphère, après avoir prouvé que les ombres ne sont pas noires mais bleues. La nature à rapidement révélé sa beauté. » Qu’en termes simples mais élégants, ces choses-là sont dites !

A quatre-vingts ans, Philippe Sollers porte sur le monde un regard critique narquois et pertinent, à peine désabusé par les dérives postmodernes stimulées par les smartphones ou les réseaux sociaux. C’est en revanche avec inquiétude qu’il trace le parcours de jeunes paumés sans foi ni conscience, qui se radicalisent tous seuls en quelques jours sur Internet et basculent dans le terrorisme, la négation de la beauté et sa destruction ; au nom du Coran, ce « disque de punition indéfiniment ressassé ».

L’écriture de Philippe Sollers est riche, raffinée, mélodieuse. Les textes sont émaillés de nombreuses citations. Certaines analyses interprétatives sont intéressantes, d’autres sont incompréhensibles – en tout cas pour moi !

Un ouvrage quelque peu narcissique, dans lequel l’auteur s'observe complaisamment exhiber sa vaste culture. Un narcissisme qui ne s'arrête pas là ; si vous cherchez sur Internet des commentaires sur Beauté, la plupart de ce que vous trouverez est de … Philippe Sollers soi-même.

La première fois, avais-je dit… Renouvellerai- je l'expérience ?... Hum !...

DIFFICILE oo J’AI AIME... UN PEU

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L'histoire de l'amour, de Nicole Krauss

Publié le 8 Avril 2017 par Alain Schmoll dans Littérature

L'histoire de l'amourAvril 2017,

Un livre éblouissant !

L’histoire de l’amour devrait plutôt s’appeler L'histoire de L'histoire de l’amour. Un livre dans le livre, une fiction dans la fiction ; un premier livre qui aurait été ignoré de (presque) tous, et dont le second raconte les avatars mystérieux sur plusieurs décennies, de la Pologne aux États-Unis, en passant par le Chili.

New York, début des années deux mille. L'histoire de l'amour, Leo Gursky, un vieux juif américain né en Pologne, affirme en avoir écrit le manuscrit il y a soixante ans, au lendemain de la chute de l’Allemagne nazie. Un recueil de contes philosophiques et poétiques, dont les héroïnes se nomment toutes Alma. Une œuvre inspirée par son amour fou pour Alma, une jeune fille du village, avant qu’elle ne réussisse à fuir, enceinte, vers New York, au début de la guerre. Une évocation de l’amour unique de la vie solitaire de Leo, un amour inaccessible depuis soixante ans. Peut-être même Alma n’a-t-elle jamais reçu les chapitres que Leo lui avait envoyés par courrier et qu’il n’a jamais adressés à un éditeur.

Comment se fait-il alors, que dans les années cinquante, L’histoire de l’amour ait été publié au Chili – un tirage confidentiel ! – par un certain Zvi Litvinoff ? Un ouvrage en langue espagnole ne gardant du contexte original yiddish que le nom d’Alma.

Bien des années plus tard, un jeune ingénieur en voyage en Amérique du Sud tombera par hasard sur l’un des rares exemplaires encore en état. Il l'achètera et l’offrira à la femme de sa vie avec ces mots : « Voici le livre que je t’aurais écrit, si j’avais été capable d’écrire ». Quand ils auront une fille, conviennent-ils, elle s’appellera Alma.

Autre question, quel est donc ce Jacob Marcus disposé à payer une fortune pour faire traduire en anglais, à son seul usage personnel, cette version espagnole de L'histoire de l’amour ?

Enfin pourquoi le second livre de Leo Gursky, écrit sur le tard, est-il sur le point d’être publié sous le nom d’Isaac Moritz, un écrivain célèbre dont la mère porte le nom d’Alma ?

Voilà l’énigme que réussira à élucider Alma, une jeune fille new-yorkaise de 15 ans bercée depuis son plus jeune âge par les mots de L'histoire de l'amour lus à haute voix par ses parents. Une enquête aboutie grâce à un coup de pouce du petit frère d’Alma, un enfant curieusement inspiré et ... différent.

J’ai admiré la très grande cohérence des péripéties et de leur enchaînement, telles qu’elles apparaissent progressivement, comme dans un puzzle où les pièces viennent s'emboîter les unes après les autres. Les faits se dévoilent au fil des deux narrations qui s'entrecroisent : d’un côté, les soliloques empreints d'autodérision amère d’un homme très âgé passé à côté de sa vie, et de l’autre, le journal d’une jeune adolescente en construction dans le monde d'aujourd'hui, en quête de la mémoire d’un père décédé quelques années plus tôt.

Je me suis agréablement promené dans les nombreuses digressions des deux narrateurs, transcrites dans une écriture transparente à leur personnalité : une expression hachée pour le vieux Leo au souffle court ; un style appliqué, entrecoupé de quelques facéties, pour la jeune Alma.

Une histoire très émouvante. Quelques passages un peu obscurs pourraient rebuter certains lecteurs. Ils auraient tort. Passer les pages difficiles n’aura pas d’incidence sur la compréhension ni sur le plaisir de lire.

La manière littéraire de l’auteure, Nicole Krauss, m’a rappelé Vladimir Nabokov et Albert Cohen, deux magiciens de la littérature du vingtième siècle. Je ne peux manquer de penser aussi à Jonathan Safran Foer, dont le premier roman, Tout est illuminé, m’avait enthousiasmé il y a une douzaine d’années. Un livre écrit dans une poésie burlesque et absurde pour évoquer des événements tragiques et tristes. Émotion et éclats de rire. L’histoire de l’amour, qui date des mêmes années, est de la même veine. Est-ce lié au fait que Nicole Krauss était alors l’épouse de Jonathan Safran Foer ?

Deux romancier jeunes. Cela laisse espérer d’autres histoires illuminées…

DIFFICILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Le fils, de Philipp Meyer

Publié le 2 Avril 2017 par Alain Schmoll dans Littérature

Le FilsAvril 2017,

Oui, c’est une grande saga familiale ; oui, c’est une vaste fresque historique ; c’est ce que tout le monde dit et c’est exact !... Mais pourquoi ce livre a-t-il pour titre Le fils ?

Le fils, c’est Peter McCullough. Il est le fils d’Eli, le Colonel, patriarche d’une richissime famille texane. Un fils considéré comme indigne. Nous y reviendrons.

Les événements du roman de Philipp Meyer se déroulent au Texas, entre le milieu du dix-neuvième siècle et aujourd'hui. Un territoire autrefois peuplé de tribus indiennes, chassées de leurs terres par les Mexicains, ceux-ci en ayant à leur tour abandonné la possession aux Américains d'ascendance européenne. Entre les trois peuples, les haines et les conflits d'intérêts sont source de violences inouïes : autour des McCullough, on a torturé, mutilé, violé, tué sans hésitation, sans état d’âme... Et pendant la Guerre de Sécession, Texans et Yankees se sont juste inspirés de l’air du temps...

Pour suivre l’aventure des McCullough, il faut comprendre l’histoire économique du Texas moderne. Au début, l'activité reine est l’élevage : chevaux, bisons et autre bétail. Les grandes familles possèdent des dizaines de milliers d’hectares sur lesquels déambulent des troupeaux de milliers de têtes. L’avantage du métier pour les plus audacieux ? La possibilité de développer facilement son cheptel ; en s’entourant d’une équipe de cowboys dégainant plus vite que leur ombre, rien de plus simple que de s'approprier des bêtes sur les terres d’éleveurs moins armés.

Au début du vingtième siècle, fin de la prospérité des éleveurs. Propriétaires et spéculateurs se tournent vers la prospection pétrolière. Les derricks prolifèrent, sans aucune considération pour les paysages et la qualité de vie. Des fortunes considérables vont ainsi se constituer dans l’entre-deux-guerres. Puis les investisseurs découvriront que les réserves pétrolières du Moyen-Orient présentent des opportunités bien plus considérables. Leur activité deviendra multinationale. Devenus richissimes, les McCullough sauront s'adapter à ces évolutions économiques.

Le livre est structuré en une série de courts chapitres, donnant successivement la parole à trois membres de la famille. Comme si ces trois personnes, qui ne s’expriment pas à la même époque, dialoguaient indirectement au travers du temps.

Quand Eli – le futur patriarche – prend la parole, il a treize ans. Après avoir massacré sa famille, des Comanches l'emmènent en captivité, l’adoptent et l'élèvent comme un des leurs. Apprentissage de la vie rude, sauvage et précaire des Indiens. Revenu quelques années plus tard à « la civilisation », Eli fonde une famille. Son opportunisme et son absence de scrupules lui valent de faire vite fortune... C’est parti pour le Colonel ! Il mourra centenaire et sa personnalité s’imposera à tous ses descendants.

En 2012, Jeannie-Anne, arrière-petite-fille du Colonel, est une très vieille dame qui voit sa vie défiler, tout en en percevant la fin imminente. Un personnage à deux facettes. D’un côté, Jeannie, une jeune fille plutôt jolie, devenue une belle femme, puis une mère de famille sensible. De l’autre côté, celle que l’on appelle J.A. (clin d'œil pour un univers impitoya-a-ble !), une businesswoman déterminée à la tête de la gigantesque entreprise familiale… Quel est le bilan de sa vie ?

De Peter, le fils du Colonel, l’auteur dévoile un journal tenu de 1915 à 1917. Peter y marque son opposition de toujours à son père, cet homme endurci par les souffrances de sa jeunesse. Il ne supporte pas son manque d’humanité, son racisme implacable, sa cupidité frénétique, l’amenant à abattre ou à faire abattre concurrents et autres gêneurs. Il ne supporte pas non plus le joug que le Colonel impose à toute la famille. Peter est un homme intelligent, cultivé, mais son naturel non-violent accompagne un réel manque d’énergie et de détermination. Tous le méprisent. A quarante-cinq ans, trouvera-t-il le courage de choisir le destin qui s’offre à lui et qui le contraindrait à rompre irrémédiablement avec les McCullough ?

Les courts chapitres facilitent la lecture de ce roman de sept cents pages. J’avoue toutefois m’être un peu ennuyé dans les longs passages consacrés à la vie d’Eli chez les Indiens, peu intéressé personnellement par les détails de leur vie quotidienne, de leur alimentation, de leur artisanat et de leurs pratiques sexuelles. J’ai juste été un instant interloqué par leurs dialogues ; des jeunes Indiens qui s’envoient des vannes de collégiens, des adultes qui tiennent des propos de Café du Commerce... Rien à voir avec les habituelles paroles du type : « Ugh ! Moi vouloir échanger scalp Visage-Pâle contre tomahawk !... »

Plus sérieusement, je me suis demandé par moment où l’auteur m’emmenait… Juste un minimum de patience !... C’est le propre des grands romans de nous astreindre à les lire jusqu’au bout pour en saisir la cohérence et le sens profond. Finalement, le rêve américain est-il d’amasser toujours plus d’argent sans en avoir besoin ou est-ce de permettre à chacun de faire ses choix en toute liberté ?

GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP

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