Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

lecture

Le garçon qui courait, de François-Guillaume Lorrain

Publié le 22 Décembre 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2018, 

Tout le monde connaît mon mauvais esprit. Je n’ai pas pu m’empêcher d’ironiser en évoquant Le garçon qui courait, roman qui m’avait été vivement conseillé, et dont la plupart des critiques sont élogieuses.

« Il était une fois, loin d’ici, très loin du côté du soleil levant, un gentil peuple dont le pays avait été envahi puis annexé par un méchant peuple voisin. Les Gentils (aucune connotation religieuse dans le nom de « Gentil », que j’utilise juste par opposition à « Méchant ».), les Gentils, donc, vivaient dans la misère et dans la crainte, car les Méchants, non contents de les asservir économiquement, faisaient régner un climat de terreur, réprimant impitoyablement toute velléité de rébellion : emprisonnement, déportation, torture, exécution sommaire…

Dans ce contexte terrifiant, des circonstances amenèrent un jeune Gentil nommé Kee-chung à prendre conscience de ses qualités exceptionnelles de coureur à pied. Coaché dans un premier temps par un Gentil professeur de sport, il fut ensuite remarqué par les autorités sportives occupantes, qui encouragèrent son perfectionnement d’athlète de haut niveau, dans l’idée d’en faire un champion à la gloire de leur nation de Méchants. Ils lui imposèrent d’abandonner son nom de Kee-chong, au profit d’un patronyme à consonance Méchante... »

Vous trouvez ma raillerie déplacée ? Je précise qu’elle ne porte que sur la tonalité du récit – et j’y reviendrai ! –, car le fond de l’histoire est authentique et ne prête pas à sourire.

En 1910, la Corée avait été envahie par l’Empire du Japon, qui s’était efforcé de l’effacer complètement en tant que nation. En ces temps-là, les Japonais avaient pris l’habitude de considérer leurs voisins comme des peuples de sous-hommes, juste bons à leur servir d’esclaves. Ils se comportèrent de façon infecte avec les Coréens, puis avec les Chinois, auxquelles ils déclarèrent la guerre dans les années trente. C’est en toute logique qu’ils se trouvèrent des affinités avec les Nazis, lorsque la seconde guerre mondiale se profila.

Kee-chong, le garçon qui courait, a réellement existé. Affublé d’un patronyme japonisant, il fut, en 1936, vainqueur du marathon des Jeux Olympiques de Berlin, sous les couleurs du Japon. Autant les quatre médailles d’or de Jesse Owens constituèrent un camouflet pour Hitler, l’amenant même à quitter son siège dans la tribune, autant celle de Kee-chong en fit malgré lui un héros national japonais. Aujourd'hui, son vrai nom a été rétabli sur les tablettes du palmarès olympique, mais le Japon reste officiellement détenteur du titre, en dépit des efforts répétés de l’actuelle Corée du Sud pour obtenir le rétablissement de la vérité.

Après sa victoire, bien qu’étroitement surveillé par la police secrète japonaise, Kee-chong avait réussi à entrer en contact avec la résistance clandestine coréenne. Après la guerre et l’anéantissement de l’Empire du Japon, il est devenu le symbole de la résistance, du courage et de la persévérance des Coréens.

Revenons à la forme du récit. Peut-être l’auteur s’est-il heurté à la difficulté d’écrire un ouvrage de deux cents pages sur cette histoire. Sinon, pourquoi lui avoir donner la tonalité d’un conte pour enfants ? En lisant Le garçon qui courait, j’ai eu l’impression de voir défiler les images d’un manga, ou plutôt d’un manhwa, car c’est ainsi qu’en Corée, l’on nomme les dessins animés de la tradition extrême-orientale.

Quelques passages émouvants dans ce livre sympathique, où la syntaxe est parfaite et le vocabulaire accessible à tous. La poésie ?... Ce n’est pas parce que le style est enfantin qu’il est poétique. N’est-pas Saint-Exupéry qui veut. Et lui-même n’a d’ailleurs pas écrit que Le petit Prince.

FACILE     oo    J’AI AIME… UN PEU

commentaires

Cette chose étrange en moi, d'Orhan Pamuk

Publié le 9 Décembre 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2018, 

Long, très long, Cette chose étrange en moi, dernier roman d’Orhan Pamuk, le brillant écrivain natif d’Istanbul, l’intellectuel turc aux prises de position courageuses, titulaire de nombreuses distinctions, dont le Prix Nobel, qui salua en lui « l’écrivain de l’âme mélancolique de sa ville natale ».

Long, très long, le sous-titre de l’œuvre, dont le mérite est d’en indiquer l’objet mieux que je n’aurais pu le faire : La vie, les aventures, les rêves du marchand de boza Mevlut Karataş et l'histoire de ses amis, et Tableau de la vie à Istanbul entre 1969 et 2012, vue par les yeux de nombreux personnages.

L’œuvre se compose d’une narration classique entrecoupée d’interventions des personnages, qui racontent et commentent les événements à leur manière. Un parti littéraire original qui m’a surpris et finalement plu, même s’il m’a fait penser, dans les premières pages, aux fictions-réalités que l’on voit aujourd’hui sur des chaînes de télévision à petit budget.

Où se trouve-t-elle, l’âme mélancolique d’Istanbul, cette gigantesque métropole, dont la population passe entre le début et la fin du roman, de trois à treize millions d’habitants ? Au fil des années, les collines avoisinant le centre-ville se couvrent de bidonvilles, puis d’habitations individuelles non autorisées, sur des parcelles dont certains habitants parviennent, pots-de-vin aidant, à s’attribuer la propriété. Ils obtiendront en échange, quelques années plus tard, des appartements modernes dans des immeubles en béton, produits d’une urbanisation galopante et anarchique qui repoussera de plus en plus loin ceux qui auront été moins chanceux, ou moins malins.

La vie quotidienne n’est pas un long fleuve tranquille. La méfiance et l’intolérance imprègnent les nombreuses communautés ethniques et confessionnelles vivant côte à côte. Des confrontations violentes opposent les factions nationalistes, islamistes, libérales et extrémistes de gauche, toutes avides de prise du pouvoir. Le paysage urbain des collines n’a rien à voir avec les merveilles patrimoniales des quartiers touristiques, ni avec les buildings ultramodernes des quartiers d’affaires.

En revanche, coutumes orientales et tentations occidentales s’efforcent de coexister, et c’est peut-être là, entre modernité et tradition, ou mieux, dans la modernité et la tradition réunies, qu’Ohran Pamuk situe l’âme d’Istanbul. 

Pour paraphraser le titre du roman, quelle est donc cette chose étrange que porte en lui Mevlut, le personnage principal du roman, cet homme dont le beau visage resté enfantin est le reflet de sa gentillesse, de sa naïveté, de la pureté de son âme ?

Mevlut est vendeur ambulant dans les rues d’Istanbul. Portant sa perche sur l’épaule ou poussant une carriole, il a ainsi vendu du yaourt, du pilaf, des glaces, mais sa vraie vocation est de vendre de la boza, une boisson lactée fermentée appréciée autrefois. Il n’en a jamais tiré que des revenus insignifiants, mais il aime la liberté de déambuler à sa guise la nuit dans les rues d’Istanbul, avec l’impression, selon l’auteur, « de se promener dans sa propre tête ». Car s’il a du mal à comprendre la marche de la modernité, Mevlut s’interroge sans fin sur lui-même, sur ses intentions réelles et ses intentions rêvées. Tant pis, ou tant mieux. Dépourvu d’imagination et d’ambition, Mevlut dispose d’une aptitude inépuisable au bonheur. Là où la corruption et la magouille semblent être une issue, où l’incommunicabilité règne entre l’homme et la femme, Mevlut, pauvre, honnête, empathique, semble être seul à pouvoir rendre les femmes heureuses.

« Boo-zaa… Bonne boza !» Tel est l’appel du bozaci, la nuit à Istanbul... Tant que, dans les étages des immeubles modernes, il trouve encore un écho dans la mémoire stambouliote !...

Cette chose étrange en moi : une fresque impressionnante qu’apprécieront celles et ceux qui connaissent bien Istanbul ; des aventures humaines qui plairont à celles et ceux qui sauront faire preuve de la même sérénité placide que Mevlut.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

commentaires

La maison Golden, de Salman Rushdie

Publié le 9 Décembre 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans, lecture

Décembre 2018, 

Salman Rushdie est un grand écrivain. En lisant Les enfants de Minuit et Le dernier soupir du Maure, j’avais été enthousiasmé par son talent de conteur, à même de donner vie à des personnages insolites, d’imaginer des aventures fantasmagoriques, et de les dérouler sur un ton flamboyant et symbolique où l’humour ne manque jamais. Rushdie est aussi un intellectuel courageux, qui n’a pas sa plume dans sa poche quand il s’agit de prendre position, et on se souvient de l’infâme fatwa qui lui avait été assignée pour son roman Les versets sataniques. Né en Inde, élevé en Grande-Bretagne, anobli par la Reine, Rushdie est aujourd'hui citoyen américain et vit à New-York.

 

Il m’a semblé que son dernier roman, La Maison Golden, avait reçu un accueil mi-figue mi-raisin. Cela m’a étonné. La meilleure façon de me faire une opinion était de le lire.

 

Il est vrai que les soixante premières pages (sur un total de quatre cents) sont un peu indigestes. Elles sont consacrées à la présentation des lieux et des principaux personnages. Pour te simplifier la tâche, lectrice, lecteur, je vais essayer de te donner les clés, car la suite vaut vraiment la peine.

 

Tout se passe aux Macdougal Sullivan Gardens, qu’on nomme tout simplement les Jardins. C’est un îlot de verdure dans Greenwich Village, au sud de Manhattan, entouré d’une vingtaine de maisons, accessible aux seuls résidents de ces maisons, parmi lesquelles celle où la famille Golden s’est établie. Un petit univers clos privilégié, où René, le narrateur, vit depuis qu’il est né.

 

Les Golden sont originaires de Bombay, qu’ils ont quittée pour New-York après les attentats islamistes ayant endeuillé la grande ville indienne en 2008. Néron, le chef de famille, est un homme âgé à l’abord inquiétant. Il est accompagné de ses trois fils, affublés de prénoms étranges, emblématiques de leur personnalité et prémonitoires de leur destinée. Pas de femme !... Pour l’instant !

 

René est un jeune assistant réalisateur vidéo. Il se met en tête de faire un film sur ces Golden, qui viennent de s’installer en face de ses fenêtres et qui l’intriguent. Il subodore que le père, Néron, cache de lourds et noirs secrets.

 

Au fil du roman qui s’étend sur huit ans, les Golden seront rattrapés par le passé de Néron, dans des péripéties foisonnantes, dramatiques et burlesques imaginées par René. Des péripéties inspirées par quatre femmes d’exception, dont une bimbo russe férocement manipulatrice. Des péripéties dans lesquelles René lui-même se laissera entraîner à jouer un rôle décisif.

 

Voilà une structure de roman très originale, où René est à la fois témoin, scénariste et acteur. Sans oublier qu’il est aussi le narrateur. Pour reprendre ses mots, il écrit une fiction qui a parfois la forme d’un documentaire, une fiction sur des hommes qui sont une fiction d’eux-mêmes. Finalement, René ne s’y retrouve plus trop entre ce qui est réel et ce qui est inventé. Mais toi, lectrice, lecteur, tu planeras au-dessus de tout cela avec jubilation, comprenant bien que tout est fiction.

 

Il n’empêche que La maison Golden délivre une intense critique de la société américaine actuelle, et au-delà, des sociétés occidentales en général – particulièrement de la nôtre, si j’en juge par l’actualité : prolifération de fake-news sur Internet, dénonciation des élites par le « peuple » inquiet de perdre ses repères, élucubrations sur l’identité et le genre, contorsions imposées par la bien-pensance pour ne pas stigmatiser les minorités,… ni ensuite les minorités internes aux minorités...

 

Dans ce roman à la fois tragique et divertissant, émaillé un peu lourdement de citations érudites littéraires, philosophiques et cinématographiques, Salman Rushdie ne dissimule rien de ses opinions. Le roman commence en janvier 2009 lors de l’investiture de Barack Obama, pour exploser huit ans plus tard, dans un monde ayant pris l’apparence d’une BD. A Gotham, Batwoman a été battue. Le clownesque Joker à la chevelure verte prend le pouvoir.

 

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

commentaires

Hotel Waldheim, de François Vallejo

Publié le 22 Novembre 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2018, 

Le romancier François Vallejo n’a jamais obtenu de grand prix littéraire, bien que plusieurs de ses romans aient été retenus dans des compétitions, ce qui est déjà un vrai gage de qualité. Hôtel Waldheim, premier livre que je lis de lui, a figuré cette année dans les premières listes du Goncourt, mais n’a pas échappé à la malédiction de son auteur.

 

Le roman développe tour à tour deux intrigues corrélées, toutes deux subtilement liées aussi à l’histoire de la Stasi, la redoutable police secrète de l’ex République Démocratique Allemande, dissoute en 1990 après la chute du mur de Berlin.

 

La première intrigue se joue de nos jours entre Jeff Valdera, le narrateur, un quinquagénaire installé sur le littoral normand, et Frieda Steigl, une Zurichoise. Pourquoi donc cette femme a-t-elle tout fait pour entrer en relation avec lui ? Elle s’interroge sur le sort de son père, Friedrich Steigl, un homme né en RDA, disparu mystérieusement depuis plusieurs décennies. Elle a pu retrouver des éléments de son parcours, à partir d’archives de la Stasi, d’innombrables liasses de papier déchirées lors de son démantèlement, puis reconstituées grâce à un logiciel informatique. En épluchant ces documents, Frieda a acquis la certitude qu’en l’année 1976, à l’hôtel Waldheim de Davos, un dénommé Jeff Valdera avait joué un rôle – négatif ! – dans le destin de son père.

 

C’est justement en 1976 que la seconde intrigue prend place, à Davos, l’élégante station de montagne de la Suisse orientale, sur laquelle, tout au long du roman, plane l’ombre de La montagne magique, le chef d’œuvre de Thomas Mann. Pour la quatrième année consécutive, Jeff, alors âgé de seize ans, séjourne en août à l’hôtel Waldheim. Adolescent mal dans sa peau, il observe avec une condescendance narquoise les clients allemands, autrichiens et suisses, de bons bourgeois plutôt âgés et conventionnels. Pour tromper son ennui, il va de l’un à l’autre en baragouinant un allemand scolaire, épiant les comportements, écoutant les discussions, colportant des ragots, ironisant sur chacun, tout en jouant régulièrement aux échecs avec certains pensionnaires et au jeu de go… avec un certain Friedrich Steigl.

 

Lorsqu’il rencontre Frieda, Jeff n’a plus aucun souvenir de ces événements qui datent de quarante ans. Ils réintègrent peu à peu sa mémoire sous la pression de Frieda et l’impact des noms qui figurent sur les documents d’archives en sa possession. Un travail de maïeutique de la mémoire qui fait balancer entre attirance et répulsion les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.

 

Pour ne rien arranger, Frieda démontrera à Jeff que les faits dont il se souvient ne sont qu’un trompe-l’œil. Contrairement à ce qu’il présumait alors, il n’avait été qu’un pion manipulé sur un échiquier géopolitique ordinaire, par des adultes bien plus malins que lui. L’hôtel Waldheim était en fait le terrain d’un jeu du chat et de la souris entre des agents de la Stasi et un réseau s’efforçant d’aider des intellectuels est-allemands à passer à l’Ouest.

 

Tout est à la fois surprenant et cohérent – à défaut d’être crédible – dans la vérité qui se dévoile avec de plus en plus de précision au fil d’un texte curieux, au rythme lent, mais plutôt captivant, où se mêlent la narration de Jeff, ses conversations, ses souvenirs, ainsi que ses états d’âme tortueux, dont certains semblent exprimés à voix haute devant Frieda.

 

Un mot sur l’écriture, sur laquelle je me suis plusieurs fois arrêté pendant ma lecture. Je n’ai rien contre le français bancal que l’auteur prête à la zurichoise Frieda, bien que je ne sois pas certain que les germanophones s’expriment ainsi dans notre langue. Pour le reste, l’auteur semble avoir une prédilection pour les phrases longues, parfois alambiquées, un peu désuètes. Elles renforcent l’atmosphère étrange du roman en freinant la lecture. Pourquoi pas ! Mais c’est un parti littéraire qui risque de ne pas plaire à tout le monde.

 GLOBALEMENT SIMPLE     ooo   J’AI AIME

commentaires

Un gentleman à Moscou, d'Amor Towles

Publié le 22 Novembre 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2018, 

Porté par un franc succès outre Atlantique, Un gentleman à Moscou se présente aux lecteurs francophones, derrière une très belle couverture noir et or, illustrée symboliquement par quelques thèmes du roman. Un bien beau volume de presque six cents pages, auquel on reprochera juste son poids. L’auteur, un Américain du nom d’Amor Towles, est devenu romancier sur le tard, après une carrière d’analyste financier.

 

J’ai toujours aimé les histoires d’aventuriers gentlemen. Leur élégance, leur sang-froid, leur humour, dissimulant des qualités intellectuelles et physiques exceptionnelles, ont nourri mes rêves d’enfant et d’adolescent : Phileas Fogg, le so british héros de Jules Verne, m’a fasciné ; j’aurais voulu être Arsène Lupin, le génial gentleman-cambrioleur ; j’ai été ébloui par James Bond, l’agent très spécial et très séducteur au service secret de Sa Majesté. Un gentleman à Moscou m’a donc ramené à ma jeunesse et m’a fait penser à un best-seller des années soixante, que je me souviens d’avoir lu et relu avec enthousiasme à l’époque : On n’a pas toujours du caviar, de Johannes Mario Simmel.

 

Le propre du gentleman est de s’en tenir scrupuleusement à une éthique et à des règles de comportement qui lui sont propres, sans se préoccuper de l’air du temps, sans se soucier de l’opinion du commun, sans chercher non plus à en imposer. Tel est bien le personnage imaginé par l’auteur, le comte Alexandre Ilitch Rostov, membre de l’ordre de Saint-André, membre du Jockey Club, et j’en passe. Ce comte Rostov, Sasha pour les intimes, n’est ni français, ni british, mais russe, profondément russe, russe jusqu’au bout des ongles, russe de la première à la dernière ligne du roman.  

 

Mais en 1922, du seul fait de sa naissance, cet homme se trouve hors des normes bolcheviques, un crime qui dans le régime soviétique, mérite la peine de mort, ou à minima, la déportation au fin fond de la Sibérie. Heureusement, grâce à un poème dont on lui attribue – à tort (*) – la paternité, le comte Rostov n’est condamné qu’à une assignation à perpétuité à son domicile, le luxueux hôtel Metropol, en plein centre de Moscou, où il réside depuis la Révolution et la perte de la propriété familiale.

 

Pendant plus de trente ans, le comte ne franchira pas les portes de l’hôtel, où l’on lui attribue une minuscule mansarde sous les toits, un lieu qu’il saura agrémenter à sa façon, à l’insu de ses geôliers. Pendant toutes ces années, son ingéniosité, son entregent et son humour lui permettront de tirer les ficelles d’intrigues et de manipulations en tout genre, pour la plupart avec bienveillance. Il influera sur le fonctionnement de l’établissement, notamment celui des restaurants, qui conserveront grâce à lui un niveau de qualité apprécié par les nouveaux maîtres du Kremlin et leurs visiteurs étrangers.

 

Un gentleman à Moscou, c’est trente ans d’anecdotes romanesques plaisantes, drôles, parfois émouvantes, mêlées de commentaires philosophiques de bon aloi, émaillées de références culturelles brillantes et d’évocations de l’âme russe, le tout sur fond d’histoire de l’Union Soviétique, depuis la rédaction de sa Constitution, jusqu’à l’habile prise de pouvoir par Khrouchtchev en 1954.

 

Les déviations absurdes du régime sont illustrées dans leurs applications les plus ridicules. L’exemple le plus cocasse est l’arrachage systématique des étiquettes sur les bouteilles de la somptueuse cave à vins de l’hôtel, afin de mettre un terme à une inégalité contraire aux idéaux de la Révolution. Désormais, au Boyarsky, le meilleur restaurant de Moscou, ce sera rouge ou blanc, à prix unique.

 

Le livre est très agréable à lire, même si le texte français aurait peut-être mérité un peu plus de fignolage. Il faut saluer la cohérence globale des nombreuses péripéties. Je m’interroge juste sur une paire de chaussures disparue dans la dernière partie du livre, sans que j’aie vraiment compris l’intérêt de cette disparition. Ce n’est qu’un détail sans importance.

 

(*) L’histoire du poème en prologue est dévoilée dans les dernières parties du livre. Si tu veux la connaître, chère lectrice, cher lecteur, tu devras lire le roman jusqu’au bout.

 

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

commentaires

Une vie comme les autres, de Hanya Yanagihara

Publié le 14 Novembre 2018 par Nicole dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2018 

Face à face !

En janvier 2018, Nicole publiait sur son blog et sur babelio, la chronique suivante: 

Comment parler d'un livre qui vous a pris aux tripes pendant plus de 800 pages, vous a fait sangloter à de nombreux moments et vous a laissée finalement sans voix une fois la dernière page tournée ? Comment parler d'un roman dont la lecture fut parfois plus une épreuve qu'un plaisir, mais une épreuve dans le bon sens du terme, je ne parle pas d'un pensum mais d'une pente très ardue à gravir, d'un effort qui fait du bien parce qu'il nous invite à puiser dans ce que nous avons de meilleur en nous ? Oui cette lecture fut parfois physique tant j'ai eu l'impression que tout mon corps y prenait sa part. Et oui, elle laissera des traces.

Surtout ne pas se laisser impressionner par l'épaisseur et la densité de l'objet. Certes, au poids le lecteur en a pour son argent, au nombre de mots aussi. Mais surtout, il n'est pas près d'oublier la figure de Jude, héros central de cette saga qui suit sur près de quarante ans le destin de quatre amis new-yorkais qui se sont rencontrés au lycée ; Jude dont les mystères et les silences cachent des souffrances, des failles et une histoire terrible. Il y a Malcolm, l'architecte toujours en quête de reconnaissance, J.B. l'artiste-peintre talentueux mais n'hésitant pas à se nourrir de son entourage pour faire avancer son œuvre, le beau Willem devenu acteur à la notoriété certaine, et Jude que le handicap physique (il souffre le martyr et marche difficilement suite à un accident de la circulation survenu lorsqu'il avait quinze ans) n'empêche pas de devenir un redoutable avocat dans l'un des meilleurs cabinets d'affaires de Manhattan. Jude, persuadé qu'il ne mérite pas le bonheur.

S'il est question d'amitié entre ces quatre protagonistes, c'est autour de Jude que s'articule l'intrigue, Jude et ce passé qu'il s'applique à taire mais qui le hante, le contraint, le ronge. Un passé que le lecteur découvre peu à peu, au fur et à mesure que grandit sa relation avec Willem, l'ami indéfectible, et celle qu'il noue avec Harold, véritable père de substitution. Autour de Jude se tissent des liens d'amour fantastiques alors même que certains perçoivent sa détresse et sa fragilité sans avoir réellement idée de l'horreur dans laquelle elle puise ses racines. Cet amour, pur et désintéressé est l'une des choses les plus magnifiques qui m'aient été données de lire ces dernières années ; c'est lui qui fait jaillir les larmes, éclater les sanglots, penser qu'on aimerait tous tellement être aimés ainsi.

L'avantage de faire long, de s'attacher aux détails et aux moindres ressorts psychologiques des personnages c'est qu'on entraîne le lecteur au cœur même de l'intrigue. Il n'est plus lecteur, il est Jude. Il ressent, il souffre, il espère et il désespère. Il se demande comment il tiendrait, lui, s'il avait traversé les mêmes épreuves. A travers Jude s'affrontent la noirceur du monde dans ce qu'il a de pire et la beauté de l'amour dans ce qu'il a de plus merveilleux et de plus consolateur. Un combat de tous les instants, dont les répits sont désespérément trop courts.

Ce livre est d'une intensité dramatique rare, un pur "mélo" dans ce que le genre a de meilleur à offrir. Car il interroge notre façon d'appréhender la vie et ses souffrances inhérentes. Bouleversant et magnifique.

http://www.motspourmots.fr/2018/01/une-vie-comme-les-autres-hanya-yanagihara.html

 

ooooo   NICOLE A AIME PASSIONNEMENT

commentaires

Une vie comme les autres, de Hanya Yanagihara

Publié le 14 Novembre 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2018 

Face à Face !

En janvier 2018, je publiais la chronique suivante : 

Tel que son éditeur le présente – la chronique sur trente ans de quatre amis de fac venus conquérir New York, un grand roman américain au souffle puissant !... – je m’étais dit qu’Une vie comme les autres avait tout me plaire. Peut-être l’occasion de me racheter auprès de Babelio après avoir égratigné le précédent ouvrage qui m’avait été proposé à la critique.

 

Un grand avocat, un grand acteur, un grand peintre, un grand architecte. De vraies réussites pour les quatre amis de fac, chacun dans sa spécialité, avec argent et célébrité à la clé. Mais n’allez pas imaginer une grande fresque romanesque, conforme aux canons du rêve américain, empreinte d’optimisme, d’aventures et de victoires, juste écornées comme il se doit par les contrariétés et les peines qui ne manquent pas de frapper ceux qui sacrifient leur vie privée à leurs objectifs professionnels. Dans ce roman, les brillantes success stories des quatre personnages ne sont qu’une toile de fond.

 

Une vie comme les autres est un roman intimiste sombre, très sombre. Tellement sombre dans certaines pages, qu’il m’a inspiré par instant – à l’opposé d’un genre littéraire qui fait fureur aujourd’hui – un fort sentiment de feel bad.

 

Le livre est essentiellement consacré au parcours de l’un des quatre amis. Cet homme, Jude, mène une vie qui donne l’apparence d’être comme les autres. Il s’emploie activement à donner cette apparence, avec, en façade, une brillante et profitable carrière d’avocat.  

 

Mais en réalité, sa vie n’est pas une vie comme les autres. Jude traîne un handicap, une difformité ou un blocage – ou peut-être les trois à la fois ! – qu’il s’efforce en permanence de dissimuler, mais dont les stigmates échappent certains jours à son contrôle. Il porte aussi la mémoire d’une vulnérabilité qui ne s’efface jamais, et le pressentiment d’une culpabilité dont il ne parvient pas à se libérer. Un pressentiment secret qui ronge son estime de soi et le conduit à s’infliger des scarifications, des automutilations à la lame de rasoir, qui au final ne font qu’aggraver ses disgrâces physiques et psychologiques.

 

Peut-on mener une vie comme les autres quand on a eu une enfance pas comme les autres ? Une enfance dont les monstrueuses circonstances ne sont dévoilées que tardivement au lecteur. Pas besoin cependant d’être grand clerc pour lire entre les lignes et vite comprendre que l’enfance de Jude l’aura mené d’avilissements en avilissements, dans une véritable corruption du corps et de l’âme qui lui a été imposée à son corps défendant – une expression qui prend vraiment tout son sens –, jusqu’à l’« accident » final qui lui vaudra son handicap physique.

 

Beaucoup de longueurs, de détails et de répétitions dans le récit, qui semble pourtant enfermé dans une sorte de rythme circulaire en trois mouvements schématiques. Dans un premier temps, ses amis implorent Jude de leur expliquer l’origine de ses accidents de santé récurrents. Deux, Jude se dérobe, sous des prétextes qui sont toujours à peu près les mêmes. Trois, se sentant coupable de son manque de transparence, il se punit par de nouvelles scarifications, aggravant encore ainsi son état de santé. Ses amis, intervenus pour lui prêter assistance, demandent à comprendre... bouclant ainsi la boucle.

 

Difficile d’être captivé pendant les huit cents pages de ce roman, si l’on n’éprouve pas une empathie sincère pour ses personnages, d’autant plus que la lecture n’en est pas toujours fluide. Peut-être influencé par les ouvrages que j’avais lus précédemment, j’ai été contrarié par la rugosité du texte, par la banalité et le manque de finesse de son écriture en français, sans que je puisse dire s’il reflète le style de Hanya Yanagihara, ou si la traduction manque de polissage.

 

Une vie comme les autres plaira surtout à ceux qui portent un intérêt particulier, voire personnel, aux grands thèmes qui y sont développés, les séquelles de l’enfance abusée, l’addiction à l’automutilation, l’homosexualité masculine.

TRES DIFFICILE     oo    J’AI AIME… UN PEU

 

commentaires

Le joueur d'échecs, de Stefan Zweig

Publié le 2 Novembre 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2018

Le joueur d’échecs, court roman d’environ cent vingt pages, a été écrit par Stefan Zweig quelques semaines avant son suicide au Brésil en 1942. Dans l’exil désespéré où il s’était relégué pour s’éloigner de la guerre déchirant l’Europe, le sujet lui avait été inspiré par un manuel d’échecs. Il s’efforçait d’y tromper son ennui en étudiant des parties jouées par des grands maîtres.

 

A l’opposé du joueur de hasard, tel celui qui se détruit dans Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme, le joueur d’échecs ne compte que sur son intelligence. « Une certaine forme d’intelligence », précise Zweig, pour qui le jeu d’échecs est « une pensée qui ne mène à rien, une mathématique qui n’établit rien, un art qui ne laisse pas d’œuvre, une architecture sans matière ».

 

Selon l’auteur, fasciné par les monomanies, les échecs n’en présentent pas moins autant de danger que les jeux de hasard, car celui qui s’y adonne de façon addictive peut se couper du monde réel, et sombrer dans le vide ou la folie. Mais les échecs peuvent aussi être un moyen d’expression pour des individus incapables de s’adapter au monde réel. L’idée m’a rappelé les performances de calcul ou de mémorisation dont sont capables des personnes atteintes d’une certaine forme d’autisme.

 

Justement, Zweig imagine une traversée sur un paquebot, où deux joueurs de nature différente se retrouvent face à face.

 

L’un, champion du monde d’échecs en titre, est un personnage ignare, totalement déshérité, dépourvu de culture, inaccessible à toute émotion, incapable de penser en l’absence d’un échiquier. Il m’a fait penser au personnage de Jean-Baptiste Grenouille, dans Le parfum. Rappelez-vous : cet être imaginé par Patrice Suskind, quarante ans après Stefan Zweig, ne s’exprime que dans un univers d’odeurs à un niveau suprahumain. Comme lui, alors que ses carences mentales et comportementales devraient le condamner à une vie misérable et asservie, le champion d’échecs de Zweig se montre infiniment performant dans un domaine infiniment étroit.

 

L’autre joueur n’a aucune expérience pratique des échecs. C’est un homme raffiné, cultivé, délicat, qu’une période dramatique de sa vie a conduit à des exercices mentaux répétés. Il a ainsi intellectualisé et mémorisé, en solitaire, un nombre considérable – je dirais même infini ! – de phases de jeu, sans visualiser d’échiquier, par la seule compilation cérébrale de coordonnées à deux dimensions. Comme le ferait un ordinateur ! Un scénario abstrait et futuriste pas facile à imaginer du temps de Zweig !

 

Ce second personnage avait subi des tortures mentales dans les geôles nazies. Peut-être, en décrivant le premier, Zweig avait-il en tête le profil des exécuteurs de basses œuvres affectionnés par les gangsters et les dictateurs, auxquels il assimile les meneurs nazis. Des exécutants soumis, sans état d’âme, généralement des bons à rien, juste capables d’être des tortionnaires cruels et efficaces. Une observation des comportements des Nazis, par un homme disparu avant que l’holocauste de la Shoah n’ait été mené à son terme et révélé au monde.

 

Dans Le joueur d’échecs, comme à son habitude, Stefan Zweig fait vivre au lecteur une succession de rebondissements tellement surprenants, que totalement captivé par la découverte de chaque nouveau contexte inattendu, on en arrive presque à ne plus se souvenir des péripéties précédentes. L’auteur accentue le caractère anxiogène de sa narration, en reproduisant habilement la lenteur structurelle du jeu d’échecs, lenteur sur laquelle il arrive aussi qu’un joueur table pour déstabiliser son adversaire.

 

Je me vante d’être épargné par les démons du jeu, mais je suis incontestablement addict à la démarche narrative de Stefan Zweig.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

commentaires

Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, de Stefan Zweig

Publié le 2 Novembre 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2018, 

Quand en 1927 il publie ce court roman de cent trente pages, Stefan Zweig vit une période de grande plénitude. Installé à Salzbourg avec femme et enfants, il est alors un écrivain prolifique, un auteur à succès, un conférencier très recherché, en pleine maîtrise de son talent. L’Autriche et le monde ne sont pas encore menacés par la montée du nazisme,.

 

Comme la plupart des romans et nouvelles de Zweig, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme est une fiction qui surprend par la finesse de ses analyses psychologiques et par la progressivité de son intensité dramatique.

 

Comment l’auteur amène-t-il son sujet ?

 

Les vacances semblaient se passer tranquillement dans ce petit hôtel de la Côte d’Azur, où séjourne le narrateur. Mais soudain, c’est le scandale. Une jeune mère de famille a plaqué son mari et ses deux petites filles pour s’enfuir avec un jeune homme rencontré la veille ! Une attitude incompréhensible pour les pensionnaires. Tous condamnent vertement la jeune femme, la taxant de légèreté, d’immoralité, de perfidie...

 

Agacé et choqué par les propos qu’il entend et qu’on qualifierait aujourd’hui de proprement machistes, le narrateur prend le contre-pied de l’opinion générale, et se met à défendre avec fougue la liberté pour une femme d’assumer un coup de foudre. Une position provocatrice pour l’époque !

 

Seule, une vieille dame anglaise (*), aux manières discrètes et distinguées, semble être à même de comprendre la réaction du narrateur. En fait, l’affaire lui rappelle une aventure qu’elle avait elle-même vécue une vingtaine d’années plus tôt, sans bien comprendre sur le moment les ressorts qui l’animaient, et qui l’avait conduite à un engrenage de comportements imprévisibles – shocking ! – ne lui ressemblant pas. Une rencontre un soir au Casino de Monte-Carlo et vingt-quatre heures qui auront marqué sa vie ! Le récit qu’elle en livre au narrateur constitue le cœur de l’ouvrage et a pour effet de la libérer d’un trouble qui pesait sur sa conscience.  

 

De façon presque insensible, je me suis senti embarqué dans une intrigue captivante, aux   rebondissements inattendus, emmenés par un texte français fluide et harmonieux, très agréable à lire, même s’il laisse transparaître un soupçon de structure grammaticale allemande.

 

Sigmund Freud avait souligné, dans cet ouvrage, la pertinence des observations psychologiques de son ami Stefan Zweig. Pour l’essentiel, ces observations ont trait aux joueurs addictifs et à leurs pathologies mentales et comportementales. Des compulsions infernales, qui peuvent s’avérer hélas irréversibles et fatales. Effroyable !

 

Touchants, par contraste, les sentiments confus éprouvés par une femme d’âge mûr, qui transgresse presque malgré elle les convenances de son monde. Risibles, les indignations bruyantes affichées par les bons bourgeois de l’hôtel, au début du roman lors de la disparition de la jeune femme, pour se persuader qu’une telle mésaventure ne pourrait en aucun cas leur arriver…

 

Voilà une histoire qui se lit d’une traite !

 

(*) : Cette dame n’est pas si vieille que cela, 67 ans ! L’auteur situe sa fiction au tout début du vingtième siècle. Les temps ont changé, gardez le moral !

 

FACILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

commentaires

La Religion, de Tim Willocks

Publié le 25 Octobre 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Octobre 2018, 

Les romans historiques sont très prisés. Nombreux sont celles et ceux qui apprécient d’en savoir plus sur un épisode de l’Histoire, dès lors que la narration en est agrémentée d’aventures sentimentales et dramatiques. Le genre exige un travail considérable qui mérite qu’on en prenne conscience : l’auteur doit rassembler toute la documentation disponible sur les événements, recréer à sa façon les péripéties dont les détails manquent, puis ajuster l’intrigue romanesque qu’il a imaginée.

 

Dans La Religion, Tim Willockx nous ramène en 1565, pour ce qu’on a appelé le grand siège de Malte, une opération menée par l’armée ottomane, une armada colossale commanditée par le Grand Turc Soliman le Magnifique. Malte est alors administrée par l’Ordre des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, couramment nommé « La Religion », une communauté militaire, monastique et caritative pratiquant un catholicisme idéalisé en opposition avec la papauté et l’Inquisition. Son Grand Maître, Jean de Valette, donnera son nom à la future capitale de l’île.

 

L’Islam et la Chrétienté se disputent alors la domination de la Méditerranée, centre du monde médiéval. Le petit archipel est un enjeu stratégique essentiel. Malgré une supériorité écrasante en hommes et en moyens, l’armée ottomane finira par battre en retraite après avoir perdu les trois-quarts de ses hommes, usée par la résistance héroïque de quelques centaines de Chevaliers, auxquels se sont ralliés des groupes de mercenaires et la population maltaise. Les combats auront été acharnés, féroces, menés sans merci au nom de deux fanatismes religieux revendiquant chacun de régner sur les âmes.

 

L’intrigue romanesque est archi-classique. Elle est centrée sur le personnage fictif de Mathias Tannhauser. Depuis son enfance, le destin de cet homme l’aura conduit, lors des événements, à un rôle qu’on qualifierait aujourd’hui d’agent double. Son action dans le roman sera déterminante pour la défense de Malte et la victoire finale des Chevaliers.

 

Tannhauser réunit les attributs du héros universel. Lutteur implacable tel un héros antique, guerrier chevaleresque tel un héros médiéval, c’est aussi un amoureux tourmenté comme un héros romantique, et un aventurier séducteur comme un héros de best-seller. Il est de surcroît aussi musclé et ingénieux qu’un héros de BD. Secondé comme il se doit par un géant rabelaisien aimant la castagne, il a affaire à une belle et noble comtesse, à un orphelin recherché par ses parents, à un salaud détraqué – mais pas défroqué ! –, et à une lolita légèrement faible d’esprit mais d’une sensualité irrésistible.

 

Par souci de réalisme, l’auteur a structuré son roman en une suite de chroniques, relatant quasiment chaque journée des quatre mois de siège. Son écriture se veut cinématographique. Caméra à l’épaule ou tout comme, il décrit les parcours des protagonistes dans les ruelles des bourgs, dans les coursives des places-fortes, dans les collines des îles et sur les eaux du Grand Port. Mais faute de connaître la configuration réelle des lieux, je me suis vite perdu, puis lassé, car malgré les nombreux détails, je n’ai pas ressenti l’impression d’y être.

 

Même remarque pour les scènes de batailles. Les descriptions de massacres, de corps-à-corps, de blessures, de tortures et autres spectacles réjouissants occupent une large part du millier de pages du livre. Décrites interminablement dans une profusion de détails et une précision… disons chirurgicale, ces pages répétitives me sont devenues insupportables. J’ai rapidement choisi de les lire en diagonale, sans donc pouvoir en apprécier les qualités littéraires, à supposer qu’elles en aient. Je ne comprends pas le plaisir que l’on trouve à la lecture d’horreurs, ni à leur écriture.

 

Tim Willocks a réinventé le roman historique, a-t-on pu lire. Cet auteur de thrillers est aussi psychiatre – ça peut servir pour imaginer des personnages à l’esprit tortueux – et chirurgien – ça peut servir pour décrire par le menu les blessures et les souffrances des combattants –.

 

Ce livre plaira à de nombreux publics : férus d’histoire, amateurs de romances, accros au suspense, friands de sang et de gore. Certains trouveront même une forme de poésie dans l’écriture.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     ooo   J’AI AIME

commentaires
<< < 10 20 21 22 23 24 25 26 27 > >>