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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Couleurs de l'incendie, de Pierre Lemaître

Publié le 18 Février 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Février 2018

Ses talents de conteur et la justesse de sa plume font de Pierre Lemaître un incontestable virtuose du roman. Couleurs de l’incendie, son dernier ouvrage, offre un moment de lecture réjouissant, absolument captivant, tant par le rythme et la diversité des péripéties imaginées, que par une tonalité de narration jubilatoire qui colle à ces péripéties.

 

Comment expliquer alors que je sois resté un peu – un tout petit peu ! – sur ma faim ? 

 

Le livre est présenté comme le deuxième volet d’un triptyque initié par l’exceptionnel Au revoir là haut, prix Goncourt 2013. Est-ce la mode des séries qui incite les romanciers à loger certaines œuvres dans une unité plus vaste ? Couleurs de l’incendie s’inscrit dans la suite chronologique d’Au revoir là haut, même si les deux fictions sont indépendantes et qu’à l’exception de la brave Madeleine – pas si brave que cela, finalement ! –, aucun personnage principal de l’un n’apparaît significativement dans l’autre.

 

L’auteur échappe ainsi à la nécessité de définir un cadre, un contexte, des généalogies. Il repart sur des bases connues, en l’occurrence le Paris de l’entre-deux-guerres, terrain de jeu de zigotos peu scrupuleux, hommes d’affaires, politiciens, journalistes, les uns membres de l’establishment, les autres aspirant à le devenir. Scandales financiers, escroqueries, fraudes fiscales, petits arrangements entre presse et politique, corruption à tous les étages, Pierre Lemaître n’est pas tendre avec les mœurs de l’époque. On ne s’étonnera pas d’y voir une peinture satirique de notre monde actuel. Les similitudes sont nombreuses, d’une banque suisse laissant échapper les identités et numéros de comptes de ses clients, aux ennemis de la démocratie cherchant à la détruire par la montée en épingle de scandales.

 

L’ouvrage comporte deux parties. La première dépeint la descente aux enfers d’une riche héritière, victime d’une série de malheurs familiaux, et de son impréparation aux responsabilités qui s’ensuivent pour elle. L’occasion pour l’auteur de présenter, sur un ton badin, les personnages-clés de l’intrigue, en une comédie humaine cruellement balzacienne.

 

La seconde partie est consacrée à la mise en œuvre minutieuse d’une vengeance implacable. Des lecteurs font référence à la plus célèbre des histoires de vengeance, celle du Comte de Monte-Cristo. Pourquoi pas ! Le registre sentimental est toutefois nettement moins romantique et glamour que chez Dumas. L’auteur adopte un ton ironique, presque désinvolte. Les méchants seront justement punis, mais les manigances et stratagèmes des vengeurs m’ont paru un peu artificiels, amusants à défaut d’être crédibles. Ils m’ont plutôt fait penser aux facéties de Bibi Fricotin, le redresseur de torts des bandes dessinées de la même époque.

 

On est en tout cas bien loin de l’originalité, morbide mais géniale, des magouilles aux cercueils et aux monuments aux morts, naguère imaginées par l’auteur. Dommage notamment d’avoir recours à la confection de « faux documents indécelables » pour incriminer un personnage ; un auteur de romans policiers de la carrure de Pierre Lemaître aurait dû trouver mieux.

 

Intéressantes, en revanche, sont les destinées imaginées en marge de l’intrigue principale. Celle du petit Paul, génie précoce de la réclame, pique ma curiosité ; se pourrait-il que le troisième volet du triptyque lui soit consacré ? J’ai bien aimé, aussi, une improbable Castafiore et son concert à l’Opéra de Berlin, devant Hitler et les principaux dignitaires nazis, dans une uchronie savoureuse, quoique moins explosive qu’Inglourious Basterds.

 

Autre personnage pittoresque, la sensuelle infirmière polonaise Vladi, fâchée avec la langue française, à qui l’auteur fait prononcer des propos comme : « Wszystko w porzadku ». Vous pensez à un sabir fabriqué pour l’occasion ? Pas du tout, c’est du polonais, Pierre Lemaître ne badine pas avec l’authenticité. Ça veut dire : « Tout va bien ». Ils pourraient être champions de Scrabble, les Polonais !

 

En dépit du talent et du professionnalisme de l’auteur, Couleurs de l’incendie ne m’a pas fait oublier Albert et Édouard, les flamboyants héros d’Au revoir là haut, merveilleusement mis en image, depuis, par Albert Dupontel. Mais il s’agit quand même d’un très bon roman.

 

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

 

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Nos richesses, de Kaouther Adimi

Publié le 7 Février 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Février 2018,

Qui avait entendu parler d’Edmond Charlot (1915-2004), un éditeur visionnaire et un peu fou, qui, il y a plus d’un demi-siècle, connut d’éphémères heures de gloire entre Alger et Paris ?

Il aura fallu qu’une jeune romancière imagine que cet homme ait tenu un carnet intime et qu’elle ait le culot de l’écrire pour lui, pour que sa notoriété franchisse les frontières d’un cénacle de quelques connaisseurs.

 

Ce carnet imaginaire est le cœur de Nos richesses, une fiction imaginée à partir d’une histoire vraie par Kaouther Adimi, une jeune femme algérienne, qui a choisi de vivre à Paris, où elle est responsable de ressources humaines dans une société de produits de luxe. Nos richesses, son troisième roman, longtemps en lice pour les grands prix littéraires de l’automne, a obtenu le Renaudot des Lycéens. Le jugement des lycéens est souvent excellent. Ils sont les lecteurs de demain.

 

Le carnet retrace le parcours d’un homme qui, en 1935, à l’âge de vingt ans, ouvrit à Alger une minuscule librairie, qu’en hommage à Jean Giono, il nomma « Les Vraies Richesses », avec l’ambition d’en faire aussi une bibliothèque, une galerie d’art, un lieu de lecture et de rencontres. Et comme cela ne lui suffisait pas, Edmond Charlot y entreprit une activité d’éditeur, la voulant orientée vers les écrivains méditerranéens, sans distinction de langue ou de religion. Il publia les premières œuvres d’Albert Camus, ainsi que nombre d’écrivains dont les noms se sont depuis lentement effacés dans les brumes de l’oubli.

 

Après la guerre, pendant laquelle il avait clandestinement fait imprimer et diffuser Le silence de la mer dans l’Algérie vichyste, il déploya son activité d’éditeur à Paris, arrachant des prix littéraires à la barbe des grandes maisons d’édition, mais sans réussite financière. Revenu à Alger, son aventure avec la librairie « Les Vraies Richesses » a pris fin peu de temps avant l’indépendance.

 

Ce lieu irréel, devenu depuis une bibliothèque, où figure toujours en vitrine l’inscription « Un homme qui lit en vaut deux », avait piqué l’intérêt de Kaouther Adimi, qui résume ainsi son long travail de recherche : « Un an à écumer les fonds d’archives. A rencontrer les copains de Charlot. A dévorer bouquins, interviews et documentaires ». D’après sa veuve, un jour qu’on lui demandait ce qu’était devenue sa librairie quarante ans plus tard, Raymond Charlot avait répondu que peut-être on y vendait des beignets...

 

Il n’en fallait pas plus à Kaouther Adimi pour imaginer une seconde fiction en contrepoint de l’ouverture de la librairie, l’aventure d’un jeune Algérien étudiant en France, chargé quatre-vingt ans plus tard de venir liquider ce qu’il en reste, pour pouvoir y installer un commerce de beignets. Une tâche pour laquelle le voisinage, nostalgique du passé, fera tout pour lui mettre des bâtons dans les roues.

 

Entre les deux fictions, un passé pesant se rappelle au lecteur. La jeune écrivaine, héritière de ceux qu’on appelait les indigènes, leur donne la parole pour évoquer des événements historiques : le centenaire de la colonisation, l’engagement dans la seconde guerre mondiale, les représailles des émeutes de Sétif, les attentats de la Toussaint, la répression de la manifestation de 1961 à Paris.

 

Morose est le présent. Si l’histoire était filmée, ce serait en noir et blanc ; et sans paroles, ou presque. On parle peu à Alger, semble-t-il. On fait attention. C’est l’hiver, il pleut, il fait froid, le ciel est sombre, la ville est grise, bien loin de l’image d’Alger la Blanche, d’Alger la Radieuse.

 

Je note toutefois une fascination pour le bleu. L’auteure reconnaît d’ailleurs que « le problème avec la couleur bleue, c’est qu’elle vous accroche. On s’y noie. On s’y perd. » Peut-être une façon d’évacuer le cliché d’une mer et d’un ciel bleus, trop souvent indissociables d’un mythe, d’un fantasme exotique d’une Alger inondée de soleil. Là ne seraient pas les seules richesses du pays.

 

Un livre qui parle de livres, une écriture maîtrisée, une lecture inattendue et plaisante : un moment d’enrichissement.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Dans l'épaisseur de la chair, de Jean-Marie Blas de Roblès

Publié le 3 Février 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Février 2018 

Pas facile d’extraire la substantifique moelle de Dans l’épaisseur de la chair, un ouvrage dense, parfois confus et déroutant, dont la lecture exige un minimum de persévérance. Il ne m’a pas été inutile, après coup, de refeuilleter quelques pages et de prendre du recul pour étayer mon opinion d’ensemble.

 

S’agit-il d’un livre d’histoire, d’une saga familiale, de la biographie romancée d’un « pied-noir » nommé Manuel Cortès, ou de l’hommage tardif d’un homme à un père très âgé ?

 

Dans l’épaisseur de la chair est un peu tout cela à la fois. Jean-Marie Blas de Roblès, l’auteur, est lui-même une personnalité riche, au parcours complexe. Il est philosophe, archéologue, historien, avant d’être poète et romancier. Dans une interview récente, il déclare : « mon but est de faire de la littérature, pas de raconter l’histoire de ma famille »…  

 

Ma foi, l’on peut très bien faire de la littérature tout en racontant l’histoire de sa famille, et cet ouvrage en témoigne. Il dresse un large panorama historique de l’Algérie coloniale, depuis la conquête par les Français jusqu’à l’indépendance. Sur ce fond très documenté, se superpose le parcours d’une famille modeste de pieds-noirs d’origine espagnole, venue s’installer à Bel Abbès, une ville créée à partir d’une ancienne antenne des troupes du général Bugeaud. Emerge ensuite la personnalité du dénommé Manuel Cortès. Il est le père du narrateur, ce dernier étant le double de l’auteur.

 

A dater de l’indépendance et de l’exode des pieds-noirs, le récit prend une tournure résolument autobiographique, même si le personnage central reste Manuel Cortès. Aux documents et aux témoignages sur lesquels il s’appuyait, l’auteur substitue ses propres souvenirs, son vécu personnel d’enfant, de jeune homme, puis d’homme mûr. Ce qui ressort finalement, c’est la prise de conscience par un fils, des blessures endurées par un père tout au long des vicissitudes de sa vie. Encore a-t-il fallu que ce fils se retrouve empêtré dans une situation suffisamment périlleuse pour remonter le fil de sa généalogie, comme dans les fictions où celui qui va mourir repasse en un clin d’œil le film de sa vie.

 

A l’instar de nombreux Français d’Algérie de sa génération, Manuel Cortès avait cru en l’avenir radieux promis par la France coloniale. Ses espérances avaient été contrariées par la seconde guerre mondiale, puis balayées par ce qu’on appela les événements d’Algérie, conclus par l’exode des pieds-noirs. J’aime à croire qu’en célébrant les heurts et malheurs de son père, Blas de Roblès a voulu rendre hommage à tous les Français d’Algérie modestes, devenus « les rapatriés », dont nul ne peut dire qu’ils aient été des profiteurs de la colonisation, mais dont il est incontestable qu’ils ont compté parmi les perdants de l’indépendance.

 

Chez nombre d’entre eux, l’auteur avait déploré l’absence de sensibilité politique, l’aveuglement devant l’absurdité du concept de colonie, un antisémitisme enkysté, et l’incompréhension devant des actes de rébellion qui n’avaient cessé de prendre de l’ampleur dès la fin de la seconde guerre mondiale.

 

Il leur reconnaît une vraie générosité, une propension spontanée à aider son prochain et une tendance méridionale sympathique à l’excès dans la démonstration. Une tendance que l’on retrouve chez lui-même, lorsqu’il ne résiste pas, à côté de références érudites de bon aloi, à l’envie de sortir des mots en pataouète, des anecdotes de café de commerce, des petites blagues éculées et des démonstrations d’enthousiasme « comme là-bas » pour des passions personnelles qu’on a le droit de ne pas partager, comme la pêche, par exemple.

 

L’écriture, très travaillée, est brillante, flamboyante. Superbe ! Mais Blas de Roblès prend aussi un malin plaisir à égarer son lecteur dans des digressions liées à ses autres ouvrages, ou dans le recours à des cartes de tarot à la symbolique mystérieuse pour titrer les quatre parties de son ouvrage.

 

J’ai apprécié son respect pour les souffrances des deux communautés qui se sont déchirées sur un sujet qui mit la France au bord de la guerre civile, et qui a laissé des cicatrices douloureuses dans l’épaisseur de la chair de beaucoup de monde. Si j’ai aimé le travail de reconstitution historique et la couleur picaresque du récit, j’ai été moins sensible à la quête de rédemption filiale. Après tout, c’est son père, pas le mien.

 

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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A l'ouest rien de nouveau, d'Erich Maria Remarque

Publié le 24 Janvier 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Janvier 2018, 

Quoi de plus banal qu’un livre sur la guerre, me direz-vous ? Celui-ci est exceptionnel. Aucune glorification de fait d’armes, une exhortation implacable au pacifisme. A l’Ouest rien de nouveau est un livre sur la vie quotidienne d’un soldat de dix-huit ans, au front, pendant la première guerre mondiale. Côté allemand ! L’Ouest, pour les Allemands, c’est la frontière avec la France.

 

Succès mondial de librairie dès sa publication en 1928, le livre, inspiré par la propre expérience de son auteur, Erich Maria Remarque, lui valut d’être proposé deux fois pour le prix Nobel, une fois en littérature, une fois pour la paix, sans succès. L’ouvrage fut interdit par l’Allemagne nazie, E.M.Remarque déchu de sa nationalité. Plutôt une chance pour lui. Il vécut entre les États-Unis et la Suisse, où il mourut en 1970. Entretemps, il avait beaucoup écrit pour le cinéma et épousé Paulette Goddard, l’ex-égérie de Charlie Chaplin, la gamine des Temps modernes.

 

Paul, le narrateur, est allemand. Il aurait pu être français, anglais, américain, canadien... C’est un jeune homme attachant. Il est ouvert, sociable, serviable. Manipulés par un professeur, ses camarades et lui se sont engagés avec enthousiasme en 1916. Un enthousiasme vite douché par l’instruction militaire, qui gomme leurs personnalités, puis par la vie au front, qui les prive de leur humanité pour ne leur laisser qu’un instinct de survie animal. « Nous avions dix-huit ans et nous commencions à aimer le monde et l’existence ; il nous a fallu tirer un trait là-dessus. Le premier obus qui est tombé nous a frappés au cœur ».

 

Paul raconte son quotidien dans la tranchée, la boue, la pluie, le froid, les rats, la faim, la peur. Sans fausse pudeur, il évoque la camaraderie, la solidarité, les blagues, les combines, tout ce qui permet de supporter l’insupportable. Car il faut survivre aux horreurs provoquées par les bombes, les obus et les rafales de mitrailleuses. A la vision des corps déchiquetés, des membres arrachés, d’une tête en partie emportée, d’entrailles qui jaillissent d’un ventre ouvert à la baïonnette. Au sifflement et à l’explosion des projectiles, au hurlement de douleur du camarade touché, juste à côté, qui plus tard, bourré d’antalgiques, pleure en silence parce qu’il comprend qu’on ne peut rien pour lui, et qu’il va mourir là, dans quelques minutes, ou dans quelques heures, peut-être dans quelques jours, à dix-huit ans.

 

Pourquoi lui, pourquoi pas moi, se demande Paul ? Le hasard. C’est par hasard que l’on vit ou que l’on meurt. Il n’a aucun pouvoir sur la trajectoire des obus. Pas plus qu’il n’en a sur les événements. A titre personnel, il n’a aucun grief contre celui d’en face, tout près, à quelques mètres, français ou anglais, du même âge, dans une tranchée identique à la sienne, avec la même boue, les mêmes rats, la même peur, la même hantise de la blessure grave, de la mutilation. Et le même but : survivre. Quitte à « devenir soi-même meurtrier par angoisse, fureur et soif de vivre ».

 

Le livre fait penser à la première partie de Voyage au bout de la nuit, de Céline. Mais le ton n’est pas le même. Le personnage de Bardamu est révolté, hargneux, haineux, en rupture de ban. Il s’exprime avec insolence, brutalité, privilégiant l’apostrophe et l’invective. Rien de tel chez E.M. Remarque. Son narrateur est un jeune homme simple, attaché à sa ville natale, à sa famille, à ses amis. Son expression est faite de phrases courtes, précises, lumineuses. Il fait preuve d’une vraie empathie, cette disposition qui permet d’accompagner les autres dans leurs souffrances physiques ou morales. Touchant !

 

Une sorte de ressentiment, mais pas de haine, contre les va-t-en-guerre de l’arrière, et contre les sous-off’s médiocres et tyranniques. Paul constate avec amertume que l’expérience du front est indicible, car les civils sont enfermés dans des clichés de devoir patriotique et de faits d’armes héroïques. N’y a-t-il que la littérature pour transmettre ?

 

La dernière page du livre ne compte que quelques lignes. Elles sont en italique parce qu’elles n’entrent pas dans le récit de Paul. Octobre 2018. Quelques phrases tranquilles au contenu infiniment triste, rompant avec la brutalité du récit, le font glisser doucement vers le néant, comme certaines œuvres musicales qui s’éteignent paisiblement dans leur dernier mouvement. Mahler, Le Chant de la terre, la Neuvième Symphonie. Tchaikovsky, La Symphonie Pathétique...

 

Me vient à l’esprit, comme en surimpression, Le Dormeur du val, qu’écrivit Rimbaud lors de la guerre précédente, côté français. Je ne peux m’empêcher d’en extraire quelques vers :

          Un soldat, jeune, bouche ouverte, tête nue,…

          Dort ; il est allongé dans l’herbe sous la nue,

          Pâle dans son lit vert où la lumière pleut….

          Nature, berce-le chaudement : il a froid.

          Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

          Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine,

          Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

 

Quand un soldat de vingt ans tombe au combat pour une cause qu’on lui a imposée, c’est un peu notre enfant qui meurt.

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La Servante écarlate, de Margaret Atwood

Publié le 17 Janvier 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Janvier 2018, 

Abandonnez toute espérance, vous qui entrez ici, dans la dystopie de La Servante écarlate ! Vous pénétrez dans un univers à l’opposé d’une utopie. Comme dans la plupart des fictions de ce genre, l’auteure, Margaret Atwood, imagine une société fondée sur un système idéologique d’où ne peuvent émerger que des réalités insupportables, telles qu’un pouvoir dictatorial s’appuyant sur la terreur, la privation des libertés individuelles et un dogmatisme mortifère. Dans une société dystopique, il est impossible, je dirais même plus, il est interdit de construire son bonheur personnel.

 

Dans La Servante écarlate, il apparait que les citoyens des États-Unis d’Amérique s’étaient perdus dans des excès de consommation futile et de perversion de leurs mœurs. Le régime libéral avait finalement été balayé par une révolution d’inspiration fondamentaliste chrétienne puritaine, donnant naissance à la République de Gilead, une société théocratique, régie par des institutions totalitaires et contrôlée par une administration de fanatiques.

 

La vie sociale est rythmée par des rites collectifs protocolaires, comme les « Rédemptions » ou les « Festivoraisons ». La société est structurée en castes, dans lesquelles les rôles, les devoirs et l’apparence vestimentaire de chacun sont codifiés. Quelles que soient leurs castes, les femmes sont subordonnées aux hommes. La parole officielle est relayée par les femmes de la caste des Tantes, tandis que les Yeux guettent subrepticement les comportements déviants. Les sanctions sont épouvantables. Malheur à celle ou à celui que vient chercher un fourgon noir au flanc décoré d’un œil ailé !

 

Gilead doit faire face à un phénomène d’infertilité générale et à un effondrement de la natalité qui menace la pérennité du pays. On a donc recensé les femmes présumées avoir la capacité d’enfanter. Elles sont exploitées comme des mines, des filons, dont on espère extraire une matière précieuse. Supposées n’avoir ni cerveau, ni cœur, ni âme, dépourvues d’identité propre, ces femmes, les Servantes, sont vouées exclusivement à la mission d’enfanter. Pour qu’on les reconnaisse, elles portent toutes la même ample robe rouge, cachant des formes que l’on ne saurait voir. Elles sont placées dans les familles des Commandants, pour y jouer un rôle exclusif de mère porteuse. Un rôle stratégique, mais un statut d’intouchable.

 

La narratrice est l’une de ces Servantes de rouge vêtues. Sur un ton naïf et monocorde qui suggère le lavage de cerveau, elle raconte ce qu’elle voit, ce qu’elle entend, ce qu’elle ressent, tout au long d’une série d’anecdotes qui permettent de comprendre la réalité de la vie quotidienne en Gilead. 

 

La lecture est plaisante car l’écriture est limpide et les anecdotes aussi variées qu’insolites, ce qui ne les empêche pas d’être sinistres dans le fond. Le personnage de la narratrice est touchant dans ses propos empreints de soumission amère, de réminiscences éparses de sa vie de femme d’« avant », et d’enthousiasme désespéré pour la couleur des fleurs ou la chaleur du soleil.

 

Mais la nuit, seule dans sa chambre, la Servante se laisse partir à la recherche d’elle-même. Elle médite, cherche à comprendre, à boucler ses souvenirs. Germe alors l’envie irrépressible d’un rejet, d’une rébellion. Où cela peut-t-il bien la mener ? Au salut, ou à la chute ?...

 

Publié en 1985, le livre est inspiré par le fanatisme pudibond de la révolution islamique iranienne, ainsi que par des ouvrages dystopiques mythiques comme Le meilleur des mondes ou 1984. Aujourd’hui, il a perdu son originalité, les fictions dystopiques étant devenues courantes, tant dans l’édition qu’à l’écran.

 

La Servante écarlate est toutefois d’une modernité saisissante dans notre actualité d’affirmations féministes et de débat récurrent sur la gestation pour autrui, la fameuse GPA. Il prend bien sûr sa pleine place dans l’indispensable critique des idéologies religieuses, aussi bien islamistes qu‘évangélistes, qui font prévaloir une parole présumée divine sur la vérité scientifique.

 

Le livre met mal à l’aise lorsqu’est évoqué le glissement progressif vers la mise sous tutelle des femmes qui avait préfiguré la révolution, et aussi, bien entendu, au fur et à mesure que se révèle l’absurdité dystopique.

 

Soyons conscients que des dystopies peuvent aussi être la conséquence d’utopies qui tournent mal. Vigilance !

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Me voici, de Jonathan Safran Foer

Publié le 5 Janvier 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Janvier 2018,

Jonathan Safran Foer est un phénomène. Tout est illuminé, son premier roman écrit à l’âge de vingt-cinq ans, m’avait enthousiasmé. J’avais apprécié son imagination, quelques années plus tard, dans Extrêmement fort et incroyablement près. Après dix ans de silence « romanesque », voici donc, sinon JSF lui-même, du moins son double, Jacob, personnage central de Me voici, un ouvrage qui entremêle un feuilleton familial, une fiction géopolitique et des réflexions spirituelles et morales.

 

Le centre de gravité de l’ouvrage est le couple formé par Jacob et Julia, des bobos aisés de Washington, juifs, quadragénaires, mariés depuis seize ans. Malgré leur complicité attentive dans la tenue quotidienne de leur foyer et dans l’éducation de leurs trois garçons, ou à cause de cette complicité attentive, ils ont laissé leur intimité de couple se désagréger. Un constat d’ensemble qui justifie de se séparer, dit l’un ; qui justifie de rester ensemble, aurait pu dire l’autre, ...mais qui ne le dit pas !

 

L’auteur, qui parle d’expérience, s’étend sur le risque qui guette le couple, lorsque l’un ferme une part de soi au regard de l’autre, tout en oubliant ce qui compte pour l’autre. Les enfants, fins observateurs, ne font pas de cadeaux. En bon Juif ashkénaze américain à la Woody Allen, Jacob, dans sa manie de tout intellectualiser, a du mal à ne pas perdre pied dans ce tourbillon de casse-tête familiaux.

 

Comme si ses problèmes familiaux ne suffisaient pas, Jacob apprend qu’un séisme de grande ampleur a frappé le Moyen Orient, provoquant des dégâts considérables en Israël et dans sa périphérie. Une catastrophe qui va rallumer les hostilités entre Israël et toute la région. Dans un discours glaçant, l’Ayatollah appelle à la destruction de l’entité sioniste et à la mort de tous les Juifs sur la planète. Comment doit réagir un Juif américain non-croyant dont la pratique religieuse se limite à des traditions minimales ? Jacob s’interroge sur ce qui constitue l’âme juive et l’âme d’Israël. Les controverses ne manquent pas en famille, d’autant plus que des cousins israéliens sont de passage.

 

La dramaturgie des événements maintient le lecteur en haleine jusqu’à la fin. Jacob et Julia divorceront ils vraiment ? Israël sera-t-il vraiment rayé de la carte ?

 

Pages hilarantes et pages émouvantes se succèdent, quand elles ne sont pas à la fois hilarantes et émouvantes, comme celles des obsèques où un jeune rabbin débutant, chaussé de baskets aux lacets dénoués, réunit croyants et non-croyants – et le lecteur ! – par le rire et par les larmes. D’autres pages sont en revanche anxiogènes, voire carrément angoissantes.

 

La lecture est par moment ardue, tant l’inspiration de l’auteur est foisonnante. C’est le cas des premières pages, préfiguration énigmatique de l’ensemble, à relire absolument après la fin du livre. Les sept cent cinquante pages sont ventilées en une centaine de séquences, toutes titrées, dont la taille va de trois lignes à quarante pages ! Une structure originale qui aère la lecture. On peut déplorer quelques longueurs, quelques passages inutiles, quelques invraisemblances, aussi. La maturité et la sagacité des enfants, notamment, ne me paraissent pas correspondre à leur âge. Mais dans leurs échanges avec leurs parents, la pertinence et la drôlerie de leurs propos sont proprement irrésistibles.

 

L’ouvrage alterne narrations et dialogues, dont certains, réduits à des répliques très brèves à l’emporte-pièce, s’étendent sur plusieurs pages. Cela donne une lecture vive, dynamique, mais plus complexe lorsque les enfants dialoguent dans des univers virtuels... L’écriture est pleinement maîtrisée, en tout cas dans sa traduction française, à la syntaxe parfaite. Le texte est fluide, empreint d’un ton plutôt badin, grâce à l’emploi de quelques mots et expressions du langage de tous les jours.

 

L’analyse et l’écriture sont suffisamment précises, pour qu’on découvre dans Jacob ce que l’on trouve aussi dans les personnages joués à l’écran par Woody Allen ; la petite faille qui pourrait nous déchirer, quand nous voudrions n’être ni totalement d’un côté, ni totalement de l’autre, et que nous craignons qu’il n’existe rien entre les deux.

 

« Me voici » ou « me voici pas » ? On trouve la seconde formule en titre de plusieurs séquences. Elle reflète le caractère de Jacob, un homme protégé par sa pusillanimité, doutant de tout, y compris de lui-même, et donc dans l’incapacité de lâcher : « me voici ! », tel Abraham choisissant de marquer ainsi sa confiance absolue en son Créateur.

 

Me revoici, pour ma part, enthousiasmé à nouveau par Jonathan Safran Foer. Un enthousiasme qui est peut-être juste celui d’un homme, juif ashkénaze, non-croyant, marié depuis suffisamment longtemps pour croire avoir déjoué les risques qui auraient pu menacer son couple. Qu’inspirera ce livre à un lecteur différent de moi ? Qu’inspirera à une lectrice le personnage de Julia et son face-à-face avec le personnage de Jacob ? Ce n’est pas moi qui donnerai la réponse.

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Une vie comme les autres, de Hanya Yanagihara

Publié le 5 Janvier 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Janvier 2018,

Tel que son éditeur le présente – la chronique sur trente ans de quatre amis de fac venus conquérir New York, un grand roman américain au souffle puissant !... – je m’étais dit qu’Une vie comme les autres avait tout me plaire. Peut-être l’occasion de me racheter auprès du réseau de lecture Babelio, après avoir égratigné le précédent ouvrage qui m’avait été proposé à la critique.

 

Un grand avocat, un grand acteur, un grand peintre, un grand architecte. De vraies réussites pour les quatre amis de fac, chacun dans sa spécialité, avec argent et célébrité à la clé. Mais n’allez pas imaginer une grande fresque romanesque, conforme aux canons du rêve américain, empreinte d’optimisme, d’aventures et de victoires, juste écornées comme il se doit par les contrariétés et les peines qui ne manquent pas de frapper ceux qui sacrifient leur vie privée à leurs objectifs professionnels. Dans ce roman, les brillantes success stories des quatre personnages ne sont qu’une toile de fond.

 

Une vie comme les autres est un roman intimiste sombre, très sombre. Tellement sombre dans certaines pages, qu’il m’a inspiré par instant – à l’opposé d’un genre littéraire qui fait fureur aujourd’hui – un fort sentiment de feel bad.

 

Le livre est essentiellement consacré au parcours de l’un des quatre amis. Cet homme, Jude, mène une vie qui donne l’apparence d’être comme les autres. Il s’emploie activement à donner cette apparence, avec, en façade, une brillante et profitable carrière d’avocat.  

 

Mais en réalité, sa vie n’est pas une vie comme les autres. Jude traîne un handicap, une difformité ou un blocage – ou peut-être les trois à la fois ! – qu’il s’efforce en permanence de dissimuler, mais dont les stigmates échappent certains jours à son contrôle. Il porte aussi la mémoire d’une vulnérabilité qui ne s’efface jamais, et le pressentiment d’une culpabilité dont il ne parvient pas à se libérer. Un pressentiment secret qui ronge son estime de soi et le conduit à s’infliger des scarifications, des automutilations à la lame de rasoir, qui au final ne font qu’aggraver ses disgrâces physiques et psychologiques.

 

Peut-on mener une vie comme les autres quand on a eu une enfance pas comme les autres ? Une enfance dont les monstrueuses circonstances ne sont dévoilées que tardivement au lecteur. Pas besoin cependant d’être grand clerc pour lire entre les lignes et vite comprendre que l’enfance de Jude l’aura mené d’avilissements en avilissements, dans une véritable corruption du corps et de l’âme qui lui a été imposée à son corps défendant – une expression qui prend vraiment tout son sens –, jusqu’à l’« accident » final qui lui vaudra son handicap physique.

 

Beaucoup de longueurs, de détails et de répétitions dans le récit, qui semble pourtant enfermé dans une sorte de rythme circulaire en trois mouvements schématiques. Dans un premier temps, ses amis implorent Jude de leur expliquer l’origine de ses accidents de santé récurrents. Deux, Jude se dérobe, sous des prétextes qui sont toujours à peu près les mêmes. Trois, se sentant coupable de son manque de transparence, il se punit par de nouvelles scarifications, aggravant encore ainsi son état de santé. Ses amis, intervenus pour lui prêter assistance, demandent à comprendre... bouclant ainsi la boucle.

 

Difficile d’être captivé pendant les huit cents pages de ce roman, si l’on n’éprouve pas une empathie sincère pour ses personnages, d’autant plus que la lecture n’en est pas toujours fluide. Peut-être influencé par les ouvrages que j’avais lus précédemment, j’ai été contrarié par la rugosité du texte, par la banalité et le manque de finesse de son écriture en français, sans que je puisse dire s’il reflète le style de Hanya Yanagihara, ou si la traduction manque de polissage.

 

Une vie comme les autres plaira surtout à ceux qui portent un intérêt particulier, voire personnel, aux grands thèmes qui y sont développés, les séquelles de l’enfance abusée, l’addiction à l’automutilation, l’homosexualité masculine.

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Le fils du héros, de Karla Suarez

Publié le 19 Décembre 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire

Décembre 2017,

Le fils du héros est un roman bien construit et captivant, dont l’auteure, Karla Suarez, est née à La Havane en 1969, tout comme Ernesto, son personnage principal et narrateur.

Tout est dit dans le premier chapitre. Enfin, presque ! Il faudra quand même avoir lu le livre en entier pour en comprendre les tenants et aboutissants. Pourquoi Ernesto, que sa femme Renata a récemment quitté, prend-il l’avion pour l’Angola ?

 

Tout avait commencé pour lui, trente ans plus tôt, à l’âge de douze ans, le jour de l’annonce de la mort de son père, tué en Angola, où il avait été mobilisé dans les forces armées cubaines venues soutenir un mouvement indépendantiste « ami ». Dans son quartier, au lycée, puis à l’université, Ernesto était ainsi devenu le fils du héros.

 

En dépit de l’absence d’un père qui avait compté dans son enfance, Ernesto aura vécu une adolescence pleine et heureuse, entouré d’une famille unie et d’amis fidèles. Révolution castriste oblige, il aura fallu supporter quelques « volontariats organisés » : travaux agricoles, préparation militaire, agitation de petits drapeaux sur le passage de chefs d’états en visite. Mais Cuba, ce n’est pas la Corée du Nord – où en tout cas ce qu’on en imagine. Cuba, ce sont les Caraïbes, le soleil, la mer, la plage, la musique, la fête. Ce sont aussi des universités et des bibliothèques de qualité. Dans les années quatre-vingt, les jeunes ont en tête des modèles occidentaux dont ils n’ignorent rien. Grâce aux amis dont les familles sont bien placées, on récupère en douce de la musique américaine, des vêtements à la mode. C’est l’âge d’or de la révolution castriste, généreusement sponsorisé par l’Union Soviétique.

 

Tout change dès le début des années quatre-vingt-dix. Effondrement de l’URSS et de sa sphère d’influence. Paix en Angola, où la guérilla entre des factions soutenues par les grandes puissances n’était qu’une déclinaison locale de la guerre froide, désormais reléguée sur les rayons de l’Histoire.

 

Devenu adulte, Ernesto s’interroge sur la mort de son père. Un noble sacrifice, dit-on officiellement à La Havane. Qu’allait-il faire dans cette galère, a plutôt envie de dire Ernesto. Pourquoi le régime avait-il sacrifié la vie de milliers de compatriotes tombés en Angola ? Oh certes, on avait célébré le culte des héros. Ils avaient eu droit à des funérailles nationales en grande pompe. Les familles avaient été soutenues financièrement… tant que l’Etat en avait eu les moyens. Car à Cuba, isolée politiquement et commercialement, c’est désormais la crise économique et l’austérité.

 

Le destin de son père va miner la vie d’Ernesto, malgré l’amour de Renata, une étudiante bénéficiant d’une double nationalité péruvienne et allemande, qui a jeté son dévolu sur lui. Une fois mariés, elle l’emmène vivre à Berlin, puis à Lisbonne, où Ernesto rencontre des compatriotes exilés, dont certains ont combattu en Angola. L’un d’eux, Berto, un petit homme au comportement étrange, a l’âge qu’aurait eu son père. La question de la mort du père devient une obsession dans laquelle Ernesto s’enferme. Il monte un blog pour rechercher d’autres anciens combattants et réunir des informations sur la présence des Cubains en Afrique, fouille dans les archives de presse, rassemble des ouvrages sur l’Histoire. Il se replie sur lui-même, au point de gâcher sa vie, sa vie professionnelle et surtout sa vie conjugale, menant son épouse Renata au-delà de ce que peut supporter son empathie et sa patience, incapable qu’il est de partager sa douleur avec elle.

 

Dans chaque chapitre de son récit, Ernesto entrecroise son quotidien obsessionnel à Lisbonne, avec ses premières enquêtes à Berlin et les souvenirs attendris de sa jeunesse à La Havane. Cela brouille un peu la compréhension du lecteur, qui a par moment l’impression que l’intrigue tourne en rond. Une construction littéraire probablement intentionnelle, qui permet à l’auteure de faire monter la tension progressivement jusqu’au dénouement final très inattendu.

 

Une narration continue, quasiment sans dialogue. L’écriture de Karla Suarez, précise et fluide, a quelque chose d’enveloppant. L’auteure s’est aussi attachée à illustrer chaque chapitre par le nom d’un ouvrage de la littérature universelle. Une table de vingt-cinq titres qui va de Dante à Kundera, en passant par Goethe et Hemingway. Un geste littéraire élégant, mais plus symbolique que profond.

 

Le fils du héros est un roman psychologique placé dans un contexte historique et politique réel. Une fiction romanesque attachante et émouvante, aux confins d’un système où Fidel Castro sera parvenu pendant trente ans à faire croire qu’il était plus qu’un simple pion sur l’échiquier mondial. La disparition du système soviétique l’aura ramené à sa juste importance, limitée aux frontières de Cuba, où la politique de « rectification des tendances négatives », annoncée à coup de discours-fleuves et accompagnée de simulacres de procès suivis d’exécutions, aura rencontré scepticisme et ironie dans les foyers havanais, sous une apparence factice d’approbation collective.

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Le Dit de Tianyi, de François Cheng

Publié le 17 Décembre 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire

Décembre 2017,

Le Dit de Tianyi, roman gratifié du prix Femina en 1998, est l’œuvre de François Cheng, poète, écrivain et calligraphe né en Chine en 1929, arrivé en France en 1949, naturalisé français en 1971, aujourd’hui membre de l’Académie Française. C’est par un ami, fidèle lecteur de mes chroniques, que j’ai été amené à m’intéresser à ses écrits.

 

Le personnage principal du roman, Tianyi, est un double de l’auteur. Comme lui, il est né en Chine, à proximité du mont Lu, un site renommé pour ses extraordinaires paysages escarpés où les brumes restent suspendues (Allez voir des photos sur Internet !). Comme lui, son enfance a souffert de la guerre civile entre nationalistes et communistes, puis d’une guerre d’expansion effroyable menée par le Japon Impérial jusqu’à son anéantissement en 1945.

 

Comme François Cheng, Tianyi se découvre une âme d’artiste. C’est dans la peinture qu’il exprime son talent, en premier lieu dans la calligraphie, un art pictural majeur dans un pays comme la Chine, dépositaire d’une civilisation millénaire fondée sur les signes.

 

Comme son créateur encore, Tianyi s’installe à Paris après la guerre. Mais alors que c’est pour fuir une guerre civile meurtrière que François Cheng et sa famille s’expatrient, c’est pour guérir un chagrin d’amour – sur lequel je reviendrai – et grâce à l’octroi d’une bourse, que Tianyi vient étudier la peinture européenne et la confronter à celle de son pays d’origine. Des motivations différentes entre l’auteur et son personnage, mais probablement le même regard désenchanté sur la grisaille du ciel et des immeubles de Paris, la même prise de conscience brutale de leur singularité physique d’asiatique, et le même ahurissement lors de la rencontre de beaux esprits parisiens prétendant connaître mieux qu’eux les traditions chinoises.

 

Tianyi ira jusqu’à Amsterdam et Florence pour approfondir sa connaissance de la peinture européenne et en découvrir les grands maîtres classiques. A Paris, il nouera une relation intime avec une musicienne française, Véronique, qui l’inspirera et facilitera son intégration.

 

A la différence de Cheng qui reste en France où il mènera le parcours que l’on sait, Tianyi repartira en Chine à la recherche de son grand amour perdu. Un Amour avec un grand A, un idéal spirituel qui avait autrefois uni « Trois êtres faisant Un » : Tianyi, l’Ami et l’Amante. Un idéal qui s’était fracassé sur les contingences concrètes, charnelles, d’une relation amoureuse classique, et qui ne retrouvera du sens que plus tard, lorsque l’un(e) des Trois aura disparu. Une disparition physique, et non spirituelle, car « Deux » ne peut être une fin en soi. Entre le Yin et le Yang, il y a un vide qui n’est ni l’un ni l’autre, à moins qu’il ne s’agisse d’un tout qui serait à la fois l’un et l’autre…

 

Retour en Chine, donc, mais dans des conditions difficiles. Tianyi découvre les turpitudes absurdes et criminelles du régime mis en place par Mao Zedong, dont le narrateur ne cite jamais le nom, et qu’il dépeint comme un tyran insensible à l’humain, ignorant de l’économie, préoccupé par son seul pouvoir personnel, ce qui, quelques années plus tard, le conduira à tenter de le renforcer par l’inepte politique de Révolution Culturelle.

 

Considéré comme suspect par le régime, Tianyi passera plusieurs décennies en rééducation dans un camp dit de travail, copie conforme des camps de concentration nazis et soviétiques (je ne parle pas des camps d’extermination nazis que je mets sur un autre plan). Une vie de souffrances et d’avilissement dans le Grand Nord chinois, où une nature sauvage et des intempéries impitoyables ramènent l’homme qui veut survivre à son état primitif.

 

A l’insu de ses gardes, Tianyi réussira à peindre l’œuvre de sa vie, une fresque clandestine qui consacrera l’accomplissement de son talent.

 

Il terminera ses jours dans une sorte d’asile, libre de relier à sa façon les pages éparses d’une existence tourmentée, alimentée d’espoirs et de nostalgies. Une vie semblable au cours d’un fleuve, symbole chinois du temps qui n’en finit jamais de s’écouler. Car pour finir, il ne reste que cela : écrire, pour que tout soit Dit.

 

Le Dit de Tianyi, roman imprégné de culture et de philosophie chinoise, est écrit dans une langue française très harmonieuse et poétique. C’est aussi un documentaire passionnant sur les événements de vingtième siècle en Chine. Quelques pages sont difficiles d’accès. Je devine en François Cheng, un amoureux de la beauté et de l’humanité, même si l’on ne peut empêcher le Mal de s’y dissimuler.

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Abigaël, de Magda Szabo

Publié le 3 Décembre 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire

Décembre 2017,

Magda Szabo est une écrivaine hongroise renommée dans son pays. Inédit en France, son roman Abigaël, qui date de la fin des années soixante, vient d’être traduit et publié à l’occasion du centenaire de sa naissance.

L’histoire se situe en Hongrie, pendant la seconde guerre mondiale. Le personnage principal en est Gina, une adolescente de quatorze ans élevée à Budapest par un père veuf, un général, fort occupé en ces temps difficiles. Fille unique, Gina a mené jusqu’alors une vie d’enfant gâtée, très gâtée.

 

Un jour, sans raison apparente et alors qu’elle n’avait jamais été séparée de son père adoré, Gina se retrouve éloignée en province, cloîtrée dans un pensionnat de jeunes filles, une institution religieuse aux us austères et aux règles intolérantes. Rebelle à une situation qu’elle ne comprend pas, elle éprouve les pires difficultés à s’adapter à une nouvelle vie et à se nouer d’amitié avec les autres pensionnaires. Il lui faudra du temps pour entrevoir les intentions de son père… La mettre à l’abri.

 

La Hongrie est entrée en guerre aux côtés des Allemands, un engagement que tous ne partagent pas, même au sommet de l’armée. Une résistance et des tergiversations qui conduiront les Allemands à envahir la Hongrie, avec les conséquences qu’on imagine…

 

Dans le jardin du pensionnat où elle est recluse, Gina découvre qu’une statue féminine fait l’objet d’un culte secret de la part des jeunes pensionnaires, qui l’ont baptisée Abigaël. Une sorte de bon génie qui apporte quelques conseils et offre des échappatoires aux règles trop strictes de l’institution. Rien d’inconvenant, rien de surnaturel. Qui est derrière Abigaël ? Une femme ou un homme ? Est-ce la personne mystérieuse, que l’on surnomme le Résistant, qui fait tourner en bourrique les autorités de la ville en dénonçant de manière malicieuse et provocante une guerre menée stupidement et du mauvais côté par l’Etat Hongrois ? La découverte ne sera pas une grande surprise. Il est de bon ton pour les héros de se déguiser en antihéros.

 

Tout cela ressemble à un livre pour enfants. Disons pour grands enfants ! Comme Les malheurs de Sophie, que ma mère m’avait fait lire il y a très très longtemps, Abigaël est l’histoire d’une adolescente turbulente, souvent punie, parfois ostracisée. Qu’on se rassure ! Gina et les autres filles finiront par faire la paix et par s’embrasser Folleville. Toutes solidaires, bien que toutes amoureuses – platoniquement ! – du même beau professeur principal ! Restent les jeux, les potins et les cachotteries dissimulés aux professeurs et aux religieuses qui font office de surveillantes. Un personnel encadrant strict et sectaire, mais pas si méchant que cela. Et c’est pour la bonne cause, on est drôlement content de l’apprendre.

 

Le récit traîne en longueur. Certes, l’auteure est parvenue à entretenir un certain mystère sur les péripéties et sur les incertitudes du futur pour Gina. Mais de nombreuses scènes donnent l’impression de se répéter. A plusieurs reprises, j’en suis arrivé à me demander ce que je faisais dans ce pensionnat de jeunes filles où j’avais l’impression oppressante d’être moi-même enfermé. Je suis désolé d’avouer que la fin du livre a été comme une délivrance.

GLOBALEMENT SIMPLE     oo    J’AI AIME… UN PEU

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