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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

romans

anéantir, de Michel Houellebecq

Publié le 1 Février 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Février 2022

La publication d’un roman de Michel Houellebecq est toujours un événement littéraire ; l’écrivain est une star, il a ses idolâtres et ses détracteurs. J’aime bien sa manière d’écrire, j’ai apprécié la plupart de ses romans et c’est assez naturellement que je me suis imposé de lire anéantir dès sa parution.

Les premiers chapitres sont accrocheurs, prometteurs. Les touches d’ironie décalées caractéristiques de Houellebecq transparaissent derrière le style simple, direct, à la fois classique et libre. Je me suis laissé docilement embarquer par la fiction, début 2027 – oui, dans cinq ans ! – à Paris, dans les cercles du pouvoir.

Là, on s’inquiète d’une mystérieuse organisation terroriste qui s’attaque au commerce mondial, tout en diffusant des messages composés de signes cabalistiques, auxquels les hackers les plus affûtés n’entravent que pouic. L’on prépare aussi les élections présidentielles, qui approchent. La Constitution ne permet pas au président en exercice – qui n’est pas nommé, mais ressemble à qui vous savez – de se représenter pour un troisième mandat, une option que ne rejetterait pourtant pas l’opinion publique. On subodore que le président pourrait faire élire un homme de paille, avec l’intention de revenir cinq ans plus tard pour deux mandats supplémentaires ; un scénario à la Poutine / Medvedev.

J’en ai eu l’eau à la bouche et je me suis préparé à suivre tout cela en compagnie de l’antihéros houellebecquien de service, l’homme apathique sans qualités, central dans chaque roman de l’auteur. Il est un peu monté en grade par rapport à ses prédécesseurs. Pensez : un énarque, haut fonctionnaire ! Paul Raison est le chef de cabinet (le chef, pas le directeur !) du ministre de l’Economie et des Finances, un certain Bruno Juge, que certains lecteurs identifient à Bruno Lemaire… une assimilation qui fonctionne assez bien. Pour corser le tout, j’apprends que le père de Paul était un agent très important des services secrets français. Voilà qui laissait augurer une histoire passionnante !

Un feuilleton en-dessous de mes espérances ! Je n’ai eu à me mettre sous la dent que le quotidien tristounet du presque quinquagénaire Paul Raison et de sa grise famille. Sortir de l’ENA n’empêche pas d’être un homme comme les autres, avec ses petites misères secrètes. A l’exception des deux dernières parties (sur sept), où la glissade progressive vers le néant, inattendue et glaçante, m’a littéralement tétanisé, j’ai lu les sept cents pages d’anéantir sans enthousiasme ni déplaisir. L’écriture est tellement habile, fluide, avec ici ou là un commentaire désabusé aussi pertinent qu’hilarant, que malgré la longueur du livre, je n’ai pas eu le sentiment de m’ennuyer.

Ai-je perdu mon temps ?… Pas autant que Paul et sa femme, qui ne se sont pas touchés pendant dix ans ! Ils s’y remettent, y prennent goût, baisent comme des fous… Malheureusement, c’est un peu tard ! Mais ils ont raison, ce serait bête de mourir idiot…

Il me reste des questions sans réponses. Quel est l’intérêt des nombreux et indéchiffrables rêves de Paul ? A quoi rime l’intervention clandestine d’un commando de gentils mercenaires d’extrême droite, juste pour sortir un père âgé et handicapé d’un établissement de soins et l’installer dans sa famille ? 

Je lis dans la presse qu’anéantir est l’occasion pour Houellebecq d’exprimer sa foi catholique et ses convictions politiques très conservatrices. On évoque aussi le pessimisme de l’auteur et sa vision prémonitoire de l’effondrement de notre civilisation. Rien que cela ! Il y a pourtant eu pire dans l’histoire et il y a toujours pire de nos jours sur la planète. Le talent d’un romancier est de faire vivre des personnages de fiction ; ils ont leurs idées, leurs convictions, leur sensibilité ; ce sont les leurs. En tant que lecteur de romans, ça ne m’intéresse pas de savoir si ce sont aussi celles de l’auteur.

En conclusion, je me demande quand même si une forme de magie n’est pas en train de se dissiper. En d’autres termes, serai-je aussi prompt à lire le prochain Houellebecq ?

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

Pour lire mes critiques des précédents romans de Michel Houellebecq, cliquez sur les liens :

Sérotonine

Soumission

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Elise sur les chemins, de Bérangère Cournut

Publié le 27 Janvier 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2022, 

Lire des vers libres n’est pas mon habitude,

Mais à titre d’exception,

Sur amicale recommandation,

Je me suis accordé cet interlude.

Selon ses propres propos, Bérangère Cournut a « toujours écrit des trucs un peu bizarres » : des poésies, des contes, des romans, des récits d’aventures survenues dans des contrées tellement lointaines qu’elles paraissent improbables. Ecrit en vers libres, Elise sur les chemins est une nouvelle expression de la créativité bizarroïde de son auteure.

Nés dans une famille libertaire vivant isolée dans un paysage de collines boisées, Elise et ses neuf frères et sœurs vont à l’école de la nature. La mère joue le rôle d’institutrice, pendant que le père s’occupe de la logistique du gîte et du couvert (en mode chasse-cueillette). C’est Elise qui raconte.

Les deux aînés, Onésime et Elisée, décident un jour de partir en ville parfaire leur formation d’horticulteur dans un internat. Le reste de la famille a du mal à comprendre. Elise aussi ; il est tellement agréable de traîner sur les chemins forestiers, de s’accrocher à des branches ou de sauter d’une pierre à l’autre au bord de la rivière…

Dans les rochers, Elise croise la Vuivre, un être fabuleux, mi-fille, mi-serpent. Toutes deux prennent l’habitude de se rencontrer, de se parler.

Deux ans plus tard, la famille est sans nouvelles d’Onésime et d’Elisée. Elise part les rechercher à la ville. Une expédition pour une plongée dans un monde qu’elle ne connaît pas, où les rapports humains lui apparaissent impitoyables. Elle y découvrira les êtres féminins maléfiques qui chamboulent la tête des jeunes hommes. Mais la Vuivre l’avait mise en garde…

A la frontière du réel et du fantastique, Elise sur les chemins est un charmant et poétique conte philosophique empreint de beaux sentiments. Les vers libres donnent une sorte de rythme musical à la lecture, très fluide.

L’auteure a trouvé son inspiration dans la vie d’Elisée Reclus (1830-1905), dont elle reprend les prénoms des nombreux frères et sœurs. Grand voyageur, géographe réputé, auteur d’une encyclopédie en vingt volumes (La Nouvelle Géographie Universelle), Elisée Reclus fut aussi un infatigable défenseur d’utopies anarchistes et communistes. Militant pacifique, on pourrait le qualifier d’écologiste avant l’heure.

N’étant pas vraiment un roman,

Ce livre ne peut être réellement

 Jugé comme les autres.

Je ne lui attribue donc aucune note.

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Le ladies football club, de Stefano Massini

Publié le 27 Janvier 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2022, 

Je suis allé au bout du livre,

Pourtant le choix de son auteur

De l’écrire en vers libres

M’avait au premier abord fait peur.

Stefano Massini n’en est pas à sa première expérience du vers libre. Il y a deux ans, ce dramaturge italien s’était fait remarquer par une saga écrite selon le même procédé littéraire : neuf cents pages, trente mille vers sur l’épopée de la famille Lehmann – oui, celle des Brothers disparus dans l’éclatement de la bulle financière de 2008.

Faisant du vers libre une sorte de marque de fabrique personnelle — partagée avec sa brillante traductrice Nathalie Bauer —, il récidive avec le Ladies Football Club, un conte humoristique et philosophique, racontant l’histoire de la première équipe féminine de football.

Novembre 1917. En Angleterre, les hommes jeunes valides sont à la guerre. Manquant de main-d’œuvre, l’industrie fait appel aux femmes. C’est notamment le cas d’une usine de munitions, où l’on met au point de nouvelles bombes, légères, sphériques, des boules de la taille d’un ballon de football… Midi, pause casse-croûte ! Onze ouvrières mangent leur sandwich dans la cour de l’usine. Un prototype traîne là. Une ouvrière donne un coup de pied dedans et l’envoie rouler. Les dix autres la rejoignent et elles se mettent à jouer au football…

Elles y prennent goût et recommencent chaque jour – avec un vrai ballon ne risquant pas d’exploser. Elles adoptent presque machinalement les gestes des professionnels. Ce n’est pas vraiment surprenant : depuis des années elles étaient contraintes d’écouter leurs pères, frères et maris commenter en détail les hauts faits de leurs idoles. De fil en aiguille, malgré l’opposition et les quolibets de leur patron, elles parviennent à former une équipe structurée, en rencontrent d’autres, sur de vrais terrains, devant un vrai public ; victoire, match nul, défaite, la vie du football, quoi !

Comment les hommes réagissent-ils ? Ils passent successivement par l’incrédulité, l’indignation, l’ironie… concèdent enfin des compliments – à contrecœur ! Une fois la guerre terminée, ils s’efforceront de reconquérir ce qu’ils estiment leur appartenir. Une loi interdira le football féminin ; la boucle est bouclée, il faudra plusieurs décennies avant qu’il réapparaisse.

Les personnalités des onze ouvrières footballeuses sont savoureuses. Le déroulé de leurs matches est très amusant. Les vers libres donnent à cette histoire fantaisiste une atmosphère de fable allégorique. Les arrière-pensées politiques sont manifestes, ce qui n’empêche pas le texte d’être drôle et touchant.

Question : qui lira ce livre ? Les hommes aiment le football et ne lisent pas. Les femmes lisent mais n’aiment pas le foot… Bon ! Peut-être suis-je un peu caricatural…

N’étant pas vraiment un roman,

Ce livre ne peut être réellement

Jugé comme les autres.

Je ne lui attribue donc aucune note.

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Terra Alta, de Javier Cercas

Publié le 15 Janvier 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2022, 

Après quelques livres difficiles, la plume déliée et ondulante de l’écrivain espagnol Javier Cercas – via son traducteur habituel – m’a procuré l’effet d’un bain de fraîcheur. Le plaisir d’une lecture tranquille, même pas troublée par la découverte dans les premières pages d’un double assassinat sordide. Devant les corps affreusement torturés d’un couple de personnes âgées richissimes, l’enquête se met en branle, avec aux premières loges, un jeune flic du nom de Melchor Marin.

Terra Alta se présente ainsi comme un roman policier tout ce qu’il y a de plus classique : quand il y a meurtre, l’objectif est d’identifier et d’arrêter le ou les meurtriers. Mais l’auteur prend son temps, s’étend sur le quotidien du jeune enquêteur, de sa séduisante épouse Olga et de leur petite Cosette. (Tiens ! Quel drôle de prénom !) La petite famille mène une vie heureuse à Gandosa, le principal village de la Terra Alta, une région reculée au fin fond de la Catalogne… Cela durera-t-il ?…

Au deuxième chapitre, on oublie le crime de Terra Alta. Focus sur Melchor et son passé. Il s’avère que son parcours, dans la banlieue de Barcelone, n’a pas été un long fleuve tranquille. Une adolescence révoltée, sans père, auprès d’une mère prostituée qui mourra assassinée, des fréquentations qui l’ont conduit à la drogue, à la violence, à la délinquance, au grand banditisme. Au bout du compte, un long passage par la case prison, où s’établira avec un avocat une relation de confiance mutuelle.

Sauvé par la lecture de romans ! La découverte du chef-d’œuvre de Victor Hugo, Les Misérables, aura amené Melchor à réfléchir sur lui-même, à la lumière de l’itinéraire de son héros Jean Valjean. S’estimant comme lui victime d’injustices, il finira par comprendre que la haine qu’il nourrit à l’égard de la société l’empêche de progresser. Mais la rédemption d’un Jean Valjean transformé en M. Madeleine ne lui paraîtra pas crédible. Ce qui en revanche le fascinera, c’est la vertueuse, mais dangereuse intransigeance du policier Javert, l’antihéros par devoir, l’homme qui applique la loi envers et contre tout sentiment. Melchor décidera de se mettre au service de la justice – une justice à sa façon ! – et de devenir à son tour policier.

Les chapitres suivants sont alternativement dédiés au présent et au passé. Le présent montre à Terra Alta une enquête qui n’avance pas, sauf lorsque Melchor la mène… à sa manière, ce qui lui coûtera très cher. Le passé dévoile un aspirant policier qui se construit, n’en faisant qu’à sa tête, guidé par un sens rigide du Bien et du Mal. Passé et présent se rejoindront lorsque Melchor, auréolé d’une gloire récente méritée, jettera l’ancre dans le monde minuscule de Gandosa, où chacun recherchera son accointance, non sans le laisser découvrir tout seul ce qu’il faut savoir sur les autres.

Je me suis attaché à ce personnage de Melchor pourtant dérangeant compte tenu de ses dérapages incontrôlés de violence. Sa détermination implacable et introvertie cache une sensibilité extrême. Mais la justice est-elle vengeance ou application froide de la règle. Qui définit ce qui est juste et injuste, ce qui doit être toléré, ce qui doit être puni : les lois ou la Loi ? Tant que sa radicalité restera exclusive de toute conscience humaniste, Melchor ne sortira pas du silence.

Le silence ! Dans la collectivité comme chez l’individu, il arrive que le silence masque la haine, la peur, la culpabilité. En Espagne, la guerre civile est toujours présente dans la mémoire des anciens. L’un de ses épisodes les plus sanglants, la bataille de l’Ebre, se déroula non loin de Terra Alta… Une piste ? Peut-être ! Mais comment de jeunes enquêteurs pourraient-ils la suivre ?

Du coup, le fil de résolution des énigmes du crime est décevant. Je n’aime pas quand les clés d’un mystère sont dévoilées sous la forme d’une confession exhaustive à la fin d’un polar ; un écrivain se doit de trouver mieux. Il n’empêche que Terra Alta est un roman agréable à lire. On peut déplorer que la narration s’étende sur de nombreux détails accessoires, dont on ne saisit pas au prime abord le charme ni l’intérêt. Je trouve que cela confère à la lecture une forme de lenteur dont je tiens à faire l’éloge, car cela distingue ce livre d’un thriller de base.

GLOBALEMENT SIMPLE     ooo   J’AI AIME

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Lilas rouge, de Reinhard Kaiser-Mühlecker

Publié le 15 Janvier 2022 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2022, 

Que la lecture de ce livre a été longue et ardue ! Lilas rouge, un roman de sept cents pages très denses, raconte l’histoire d’une famille du terroir en Autriche, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la fin du siècle. Trois générations de paysans autrichiens qui ne parlent pas ! Taiseux comme peuvent l’être certains paysans obsédés par leurs récoltes. Taiseux comme peuvent l’être certains Autrichiens, lorsqu’il est question de la participation de leur pays aux crimes du Reich nazi.

Les Goldberger sont des exploitants agricoles prospères. Leurs terres sont situées en Basse-Autriche, à proximité du village de Rosental. Dans la famille, ils sont plusieurs à s’appeler Ferdinand, un prénom fameux dans l’histoire de l’Empire austro-hongrois.

Le fondateur de la lignée, appelons-le Ferdinand 1er, apparaît à Rosental pendant la guerre, à son corps défendant, mais avait-il le choix ? Dans son ancien village, en Haute-Autriche, il était le chef local du parti nazi. Il ressort qu’il a abusé de ses pouvoirs et que sa sécurité s’en est trouvé menacée. Avec l’accord du parti, il a accepté d’être exfiltré, de quitter sa riche exploitation forestière et d’entreprendre, à plus de soixante ans, une nouvelle vie à l’autre bout du pays, dans une ferme en ruine sur des terres agricoles en friche. Veuf, il est accompagné par sa fille Martha, à peine sortie de l’adolescence, tandis que son fils, qui porte le même nom de Ferdinand, est au front. A Rosental, le nouvel arrivant conserve son uniforme et ses prérogatives de serviteur officiel du régime. Fort de son expérience précédente, il garde une certaine réserve, mais lors de l’exécution publique d’un prisonnier, il perd les pédales et fait preuve de barbarie. Il lui en coûtera de violentes représailles, sitôt la fin de la guerre. Pour sa part, il s’en remettra facilement, mais pas Martha.

Ferdinand 1er travaille d’arrache-pied, remet d’aplomb la ferme et les terres qui sont désormais les siennes. Son sens des affaires lui assure la prospérité. De retour de captivité, Ferdinand II rejoint son père, prend les rênes de l’exploitation agricole et en poursuit le développement. Quand son fils cadet, Thomas, lui succède à son tour, le travail se mécanise et se modernise. Financièrement, les Goldberger père & fils s’en sortent bien, bon an mal an. Leurs épouses, effacées en apparence comme il se doit, apportent l’équilibre qui manque à ces hommes restés frustes et qui se ressemblent. Des paysans durs à la tâche, les pieds dans la terre, le nez sur leurs comptes, obsédés par la transmission. Des caractères entiers, colériques, tourmentés, peu attachants… Une tendance à boire plus que de raison…

Ferdinand 1er garde le silence sur ses exactions. Dans la famille, chacun ressent la réputation sulfureuse qui entache leur nom, mais nul ne cherchera à en savoir plus. Plutôt que d’affronter la vérité, ils se laissent impressionner par un texte biblique, qui mentionne « un Dieu jaloux, qui punit les fautes des pères sur leurs enfants jusqu’à la troisième et à la quatrième génération ».

Un châtiment ! Voilà ce qui expliquerait les difficultés auxquelles la famille doit faire face : le mutisme de Martha, les dérives de Paul et son sacrifice, l’absence de progéniture au foyer de Thomas et Sabine… Combien de générations ? Les Goldberger gambergent sur les chiffres : trois, quatre, ou trois plus quatre ?… L’apparition inattendue d’un Ferdinand III mettra-t-elle fin à la malédiction ?

Reinhard Kaiser-Mühlecke est un Autrichien lettré d’à peine quarante ans, né dans une famille de paysans. Il travaille dans l’exploitation agricole de ses parents, tout en se consacrant en même temps à l’écriture. Lilas rouge est son quatrième roman. Connaissant son sujet, il s’y étend longuement, très longuement, sur la vie quotidienne des paysans. En dépit de son talent littéraire, je n’ai pas éprouvé de passion pour les descriptions très détaillées du travail aux champs ni pour celles de l’entretien du matériel agricole ou de l’aménagement des étables.

La lecture de Lilas rouge m’a demandé beaucoup d’efforts, tant pour déchiffrer la vérité des faits, que pour m’y retrouver dans les monologues intérieurs des personnages. Lorsqu’on est confronté au silence, il est difficile de savoir ce qu’il s’est réellement passé, il est difficile de savoir ce que les gens ont en tête. C’est cette opacité que l’auteur s’est attaché à reconstituer. Avec brio.

TRES DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Le dernier tribun, de Gilles Martin-Chauffier

Publié le 21 Décembre 2021 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2021, 

Journaliste à Paris Match, écrivain salué par plusieurs prix littéraires, Gilles Martin-Chauffier est un observateur attentif de la comédie humaine contemporaine. Les élites de notre société ont, par leurs intrigues, inspiré la plupart de ses romans. On y découvre des proches du pouvoir – politiques, journalistes, magistrats – qui prétendent défendre la morale des institutions, tout en y dérogeant sans réserve à titre personnel, plus préoccupés par leurs ambitions et leurs intérêts que par le bien public.

Ces travers républicains ne datent pas d’hier. Dans Le dernier Tribun, Martin-Chauffier déplace son objectif critique vers la Rome de Jules César, une façon de parler, car ce dernier n’apparaîtra qu’à la toute fin de l’ouvrage, au moment où, après avoir franchi le Rubicon, il sera adoubé par le Sénat en tant que Cesar Imperator. Pendant la majeure partie du livre, César est en Gaule, où il fait la guerre, amassant gloire et fortune, laissant le pouvoir à ses partenaires du triumvirat, Crassus et Pompée. Cette Rome est aussi celle de Cicéron, l’avocat, homme politique et écrivain bien connu des latinistes.

L’auteur a inséré sa fiction dans un épisode authentique de l’histoire de Rome, marqué par la rivalité féroce de deux hommes qui se haïssent. A ma droite, Cicéron, défenseur officiel des lois et des institutions de la République, et en même temps, avocat de ceux qui les enfreignent, pour peu qu’ils soient riches ou puissants. A ma gauche, Publius Claudius Pulcher, issu d’une des plus anciennes familles patriciennes, qui a démocratisé son nom en Clodius, afin de se faire élire tribun de la plèbe.

Pour la narration des péripéties, l’auteur cède la parole à Metaxas, un Grec, professeur de philosophie, présenté comme un ami d’enfance de Claudius. Metaxas est sollicité pour venir à Rome préparer et étayer les prises de paroles de Claudius/Clodius, dans les joutes oratoires qui vont l’opposer à Cicéron. Martin-Chauffier a clairement choisi son camp. Claudius est un homme séduisant, raffiné, généreux, un play-boy aux inclinations démocrates, tenté par la vague de l’activisme. Cicéron est un homme vieillissant au physique rabougri, un opportuniste vaniteux, cupide et lâche, un conservateur toujours prêt à sacrifier ses convictions. Le combat sera implacable, la République n’y survivra pas.

Rome est alors au sommet de son emprise sur le monde méditerranéen. Pour les riches Romains, le passé fameux d’Athènes reste un symbole de finesse intellectuelle et d’élégance harmonique, mais la Grèce n’est plus qu’une colonie soumise. Metaxas n’a pas d’autre choix que de répondre à l’appel de Claudius et de rejoindre Rome. La découverte de la ville le fascinera : villas somptueuses et taudis pouilleux, vertus et turpitudes, flamboyance et décadence.

Metaxas croise des peoples de l’époque. Parmi ceux qui n’ont pas encore été cités, le poète Catulle, l’officier Marc-Antoine, la future reine d’Egypte Cléopâtre. A leur contact, le frugal Metaxas ne risque-t-il pas d’être perverti par les avantages de l’opulence, par les trompettes de la renommée ? Dans les riches milieux patriciens, les femmes mariées ou ayant été mariées – la plupart ne le sont plus ! – celles qu’on appelle les matrones jouent un rôle essentiel. Parmi elles, Diana Metalla, une femme d’un certain âge, à l’apparence et à la personnalité impressionnantes. Metaxas restera-t-il fidèle à Tchoumi, sa douce compagne, qui l’attend patiemment dans leur petite maison, sur la côte de la mer Egée ?

Le dernier tribun est très agréable à lire. L’auteur mêle avec talent chronique historique et fiction romanesque. La plume est légère, fluide, facile, au point de s’égarer parfois dans des longueurs bavardes et inutiles. Un regret : il est à plusieurs reprises fait état de l’à-propos et de l’humour des textes écrits par Metaxas, mais aucun contenu concret n’est dévoilé.

Dans Le dernier tribun comme dans La Nuit des orateurs (Hédi Kaddour), dont les événements se situent cent cinquante ans plus tard, l’étendue des inégalités, la violence des pratiques et la dépravation des mœurs romaines frappent par leur démesure. Le basculement de la République vers l’Empire n’aura pas d’effet. Pas (encore) de quoi mettre en péril la puissance de Rome.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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La nuit des orateurs, de Hédi Kaddour

Publié le 21 Décembre 2021 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2021,

Roman historique très imprégné de lyrisme, La nuit des orateurs révèle, chez son auteur, une érudition et un travail d’écriture hors du commun. Romancier après avoir été poète, Hédi Kaddour, un Franco-tunisien que son prénom n’a pas empêché d’être en son temps reçu premier à l’agrégation de lettres, est une grande figure de la littérature française, qu’il a enseignée à l’Ecole Normale Supérieure et aux États-Unis. Mais à mon grand embarras, je dois avouer que la lecture de son livre m’a déconcerté. Il va falloir que je m’en explique.

Nous sommes à Rome, à la fin du premier siècle de notre ère, sous le règne de l’empereur Domitien, dont l’un des favoris vient d’être condamné pour prévarication, après les accusations – justifiées – d’un sénateur. Ce dernier a ensuite multiplié les provocations indirectes à l’endroit de l’empereur, au risque de se voir inculper pour lèse-majesté, un crime passible de la peine de mort. Deux amis, Publius et Pline, jeunes notables proches du pouvoir, pourraient être convaincus de complicité et promis au même sort. Tout se jouera au cours d’une nuit, dans le premier cercle des fidèles de l’empereur, tandis que la vie mondaine et culturelle de Rome bat son plein.

L’auteur nous plonge au cœur des rivalités entre les élites de l’Empire, de leurs luttes pour la survie dans l’entourage d’un empereur tout-puissant, qui s’arroge droit de vie et de mort sur ses sujets, et en abuse. Chacun revient sur ses atouts personnels, affute sa stratégie pour s’attirer de bonnes grâces ou pour induire en erreur les délateurs. Art de la manipulation, de l’insinuation, de la médisance, de la calomnie. Qu’il s’agisse de rumeurs, de réquisitoires ou de plaidoiries, tout repose sur le choix des mots, sur le choc de l’image de soi. Seul l’empereur peut s’y soustraire : un battement de paupières ou une crispation de la lèvre lui suffisent pour signifier une décision.

Pour dénouer les crises, il faut savoir agir, écouter, bien comprendre les enjeux politiques et historiques. Tandis que les hommes perdent leur lucidité, une femme se mobilise : Lucretia, l’épouse de Publius. Les deux jeunes notables survivront. Signés Tacite et Pline le Jeune, leurs écrits laisseront d’ailleurs la trace de cette affaire et le témoignage de la cruauté sournoise de Domitien.

Le livre brosse un tableau fouillé de la vie quotidienne dans les lieux de pouvoir de la Rome impériale. Une société structurée, où citoyens patriciens, plébéiens, esclaves, affranchis et étrangers évoluent dans des castes extraordinairement inégalitaires. Le formalisme complexe et intangible des rituels civils et politiques masque en fait le ramollissement des âmes. Les mœurs, incroyablement dissolues, violentes, barbares, détonnent par rapport à l’idée que j’en gardais depuis mes cours d’histoire et de latin.

Le climat général est à la méfiance. L’Empire est une dictature et comme dans toutes les dictatures, tous se tiennent les uns les autres par la barbichette de la méfiance. Ils ont tous peur ; depuis l’esclave, qui redoute d’être battu à mort ou envoyé au fond d’une mine, jusqu’au haut magistrat, qui craint que ses faiblesses ne déplaisent à l’empereur, avant de réaliser que ses forces pourraient aussi déplaire à l’empereur. Un empereur cruel, parce qu’il se méfie des complots, jusqu’à en voir partout.

Tout cela est passionnant. Pourquoi alors mon sentiment de déception ? Plusieurs types de difficultés. Une terminologie très spécifique à la Rome antique, ce qui nuit à la fluidité du récit. Et surtout, un texte qui devient très analytique, dès lors que l’auteur s’insère dans le cerveau des personnages. Les réflexions sont énoncées et réénoncées en variations subtiles, sous forme de monologues intérieurs, où chacun fourbit son argumentation, ressassant forces et faiblesses, avantages et inconvénients, chances et menaces. Les phrases deviennent longues, très longues, d’abord isolément, puis en séries. Lorsqu’on en est réduit à des analyses syntaxiques complexes et ennuyeuses, le risque est de perdre le fil général. Plusieurs chapitres m’ont ainsi laissé au bord du chemin.

Un peu comme lorsque, jeune lycéen, je me débattais dans une version latine difficile.

TRES DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021

Publié le 29 Novembre 2021 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2021, 

Consacrée par le plus convoité des prix littéraires, cette œuvre d’un jeune écrivain sénégalais nommé Mohamed Mbougar Sarr suscitera autant de réactions d’incompréhension que d’avis enthousiastes. Nombre de lecteurs ne franchiront pas les cent premières pages. Bien qu’habitué à chroniquer chaque année le Goncourt, je m’y suis moi-même plongé avec un peu d’appréhension, imaginant pour je ne sais quelle raison un livre cérébral, trop intelligent pour moi.

Dans La plus secrète mémoire des hommes, le narrateur, Diégane, est un double de l’auteur. Il est sur la trace d’un écrivain compatriote, T.C. Elimane, tombé dans l’oubli après la publication en France, en 1938, d’un ouvrage mythique introuvable, Le Labyrinthe de l’inhumain. Trois générations les séparent et ils ne se rencontreront pas. Diégane reconstituera les origines et le parcours de son devancier, grâce aux confidences d’une écrivaine plus âgée. Elle-même ne connaît Elimane que par ce que lui ont rapporté une poétesse haïtienne et une chroniqueuse française, croisées des années plus tôt. On dispose aussi des témoignages d’une danseuse nue, d’un couple d’éditeurs juifs, d’une mère sombrant dans la démence et d’un voyant nonagénaire non-voyant…

… Vous me suivez ? Il est vrai que la trame est compliquée et ce n’est rien à côté du texte. Sa lecture impose un effort d’attention soutenu. Sans trop s’embarrasser des transitions, MMS s’est fait un malin plaisir d’enchâsser des dialogues et des récits datant d’époques différentes à Paris, Amsterdam, Buenos Aires ou Dakar.

Une fois cette complexité surmontée, l’écriture est sublime. MMS sait décocher des mots inattendus, balancer des métaphores éblouissantes, tout en livrant une prose limpide, légère, accessible, dont les lignes et les pages défilent sans aspérités. Le charme de la lecture est si captivant qu’on en perd par moment le fil général de la narration, comme on peut s’égarer, lors d’une belle promenade, quand nos sens nous font oublier le chemin.

Sous son nimbe poétique, La plus secrète mémoire des hommes est un roman, l’histoire d’un personnage de fiction, inspiré d’une histoire vraie. C’est aussi la réflexion d’un écrivain sur les écrivains, sur l’acte d’écrire, sur l’impératif d’un exil réel ou symbolique pour l’accomplir. C’est en même temps la quête d’un jeune écrivain africain francophone, qui s’interroge sur le dénominateur commun à ces trois qualificatifs : écrivain, africain, francophone.

Dans la France de 1938, la plupart des chroniqueurs littéraires trouvaient impensable qu’un Africain fût l’auteur d’un chef-d’œuvre, sauf à avoir pillé des textes existants. Aujourd’hui soucieux de s'afficher dans l’air du temps, ils le portent d’office au pinacle médiatique. En Afrique, ce même écrivain francophone fera la fierté des siens… ou sera montré du doigt, pour avoir choisi de réussir selon des critères occidentaux, ceux de l’ancienne puissance coloniale. Question : le texte de Mohamed Mbougar Sarr est-il un plaidoyer pour la littérature universelle, ou recèle-t-il une revendication qui en réserverait l’accessibilité aux seuls lecteurs africains ? Autrement dit, ma chronique est-elle légitime ?

« Un grand livre ne parle jamais que de rien, dit l’un des personnages, et pourtant tout y est ». Tout ! MMS a mis tout ce qu’il a pu dans La plus secrète mémoire des hommes ! Notamment un long monologue obsessionnel à la Faulkner ou à la Bernhard, des pages qui surprennent, mais en l’occurrence légitimes. On y trouve aussi sur un strapontin les écrivains Gombrowicz et Sabato, et on se demande ce qu’ils viennent y faire. Même remarque pour l’officier nazi amateur de littérature ou pour la malédiction à la Rascar Capac. Des accessoires qui prennent trop de place ou pas assez.

La plus secrète mémoire des hommes est un livre riche, envoutant. Sa profusion, son questionnement, son lyrisme avaient de quoi séduire les jurés. C’est un livre exceptionnel – au sens d’exception –, mais il reste imparfait. Le risque est pourtant qu’il ait absorbé tout le potentiel littéraire de l’auteur. Son inspiration est-elle renouvelable ou est-il déjà condamné à ne plus écrire, comme Elimane avant lui ?

TRES DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Le Voyant d'Etampes, d'Abel Quentin

Publié le 29 Novembre 2021 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2021 

Il a figuré parmi les quatre derniers finalistes du Goncourt. Peut-être même méritait-il la récompense suprême. Mais en ces temps où l’on n’évoque l’esprit « woke » qu’avec des pincettes, Le Voyant d’Etampes est si politiquement incorrect, que la lui attribuer aurait pu déclencher un scandale chez Drouant lors de la proclamation des résultats. On aurait pu entendre certains s’écrier : La honte !… ou bien : on se lève et on se casse !… Et d’autres auraient prévu de venir à poil l’année prochaine…

Le narrateur, Jean Roscoff, vient de prendre sa retraite de maître de conférences à la fac d’histoire. Une carrière décevante, passée à enseigner la guerre froide et la politique américaine dans les années cinquante à des étudiants indifférents. Il avait bien tenté de la relancer, en 1995, en publiant un essai sur l’affaire Rosenberg, du nom de ce couple exécuté aux Etats-Unis pour espionnage au profit de l’URSS. Mais la thèse qu’il y soutenait de leur innocence fut anéantie le jour même de sa parution, par la déclassification de documents secrets Défense prouvant leur culpabilité. Ou comment se retrouver gravement discrédité ! C’était pas de chance, mais voilà, Jean Roscoff est un loser. Et consommation de spiritueux n’apporte pas de consolation spirituelle.

Sa femme, une consultante en top-management, l’a quitté. Sa fille Léonie, la prunelle de ses yeux, est en couple avec une militante woke particulièrement radicale. Celle-ci ne dissimule pas le dédain que lui inspire son privilège de mâle sexagénaire bien né. Il a beau évoquer son action lors du lancement de SOS Racisme et sa participation à la marche des Beurs en 1985, ses labels d’un antiracisme datant de trente-cinq ans tombent à plat.

Dans l’espoir d’une réhabilitation sur le tard, il tente une nouvelle expérience littéraire. Exhumant un ancien projet de jeunesse, il écrit et publie la biographie d’un obscur poète américain, Robert Willow, un sympathisant communiste poussé de ce fait à s’exiler à Paris, où il côtoie Jean-Paul Sartre et les existentialistes, avant de s’installer à Étampes pour se consacrer à sa poésie, puis de se tuer en 1960 dans un accident de la route. Jean Roscoff ne manque pas de talent, ses proches trouvent l’ouvrage brillant, tout en étant conscients qu’il est par nature voué à une diffusion confidentielle. Mais lors de la première séance de dédicaces, on pose à l’auteur une question qui va tout changer.

Prisonnier de son antiracisme universaliste à la mode de Touche pas à mon pote !, Jean Roscoff ne voit pas venir le piège, pas plus qu’il n’avait prêté attention à la couleur de peau de Robert Willow, ni perçu les actuelles tendances intellectuelles et activistes, dites « éveillées », à expliquer une œuvre par l’origine ethnique de son créateur. Roscoff est taxé d’appropriation culturelle, ce qui pour ses accusateurs et -trices, équivaut à un forfait d’« oppression dominatrice à caractère raciste, néo-colonialiste, néo-impérialiste » et j’en passe.

Un forfait dont il faut le punir et qui déclenche un déchaînement incontrôlable de harcèlement vindicatif sur les médias et les réseaux sociaux. Les radicaux lancent les anathèmes, des minables planqués derrière l’anonymat du web embrayent sur les injures et les menaces, puis quelques abrutis en mal de mauvais coups passent à l’acte.

Le livre est à la fois drôle et effrayant. Drôle car on rit des mésaventures du malheureux Jean Roscoff qui n’en rate pas une. Effrayant parce que les péripéties fictives issues de l’imagination fertile de l’auteur sont tout à fait vraisemblables. Leur orchestration est d’une fluidité redoutable.

Avocat dans le civil, l’écrivain dont le pseudonyme est Abel Quentin dispose d’une verve étincelante et variée. Sa prose est à la fois maîtrisée et souple. De longs monologues mélancoliques à la syntaxe parfaite laissent place aux réflexions à voix basse ou haute d’un homme qui s’interroge, puis aux répliques furieuses d’un accusé qui se débat. Peut-être une légère et excusable tendance à la verbosité, qui pourrait ennuyer quelques lecteurs. Mais à l’arrière-plan, de la première à la dernière page, la présence mordante d’une ironie amère au service d’une dénonciation par l’absurde.

GLOBALEMENT SIMPLE  ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Temps sauvages, de Mario Vargas Llosa

Publié le 9 Novembre 2021 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2021, 

On ne présente plus Mario Vargas Llosa, né il y a quatre-vingt-cinq ans au Pérou, installé en Espagne. Cet écrivain et intellectuel médiatique est une valeur sûre de la littérature latino-américaine. Il se pose aussi aujourd’hui en adepte de l’idéal humaniste et libéral occidental, tout en en restant un observateur attentif et un commentateur critique. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 2010.

Temps sauvages, qui vient d’être publié, est un roman politico-historique se donnant des allures de thriller. L’auteur reconstitue des événements survenus au Guatemala au vingtième siècle, entre les années quarante et soixante. Le cœur de l’intrigue est plus précisément l’organisation d’un coup d’État ayant conduit, en 1954, à la démission du Président Jacobo Arbenz Guzman.

A qui profite le crime, est-il courant de s’interroger. Arbenz avait lancé une vaste réforme agraire, qui déplaisait à l’United Fruit Company, un trust américain géant disposant d’un monopole de la culture et de la distribution de bananes dans la plupart des pays de l’Amérique latine. La firme avait pris l’habitude d’y imposer, par la corruption à grande échelle, des lois économiques, fiscales et sociales à sa convenance. Une pratique à l’origine de l’appellation désobligeante de république bananière…

Pour préserver des intérêts contrariés par la politique d’Arbenz, United Fruit s’offrit les services d’un brillant stratège de la propagande et du lobbying. Par ses réseaux dans la presse américaine et dans les sphères au pouvoir à Washington, il parvint à instiller l’idée qu’Arbenz était à la solde de Moscou et que son projet était l’installation d’une tête de pont communiste en Amérique centrale. Surfant sur le contexte de guerre froide et sur la paranoïa maccarthyste de l’époque, sa campagne de fake news fonctionna à plein et amena le Département d’Etat et la CIA à détacher au Guatemala, avec discrétion mais efficacité, des moyens humains et logistiques pour y porter au pouvoir une équipe à leur solde.

Vargas Llosa précise que son ouvrage est « un roman plein de mensonges et d’omissions ». Partant de faits véridiques, il a imaginé des péripéties quotidiennes dramatisées, dans l’intention de tenir son lecteur en haleine. Il a aussi recréé les profils et les rôles des protagonistes, pour en faire des personnages louches, sombres, parfois carrément monstrueux. Parmi eux, le colonel Carlos Castillo Armas, un homme névrosé et étriqué qui remplaça Jacobo Arbenz Guzman à la tête du pays, avant d’être abattu trois ans plus tard, parce qu’il avait cessé de plaire à ses donneurs d’ordres ; l’ambassadeur américain Peurifoy, un exécutant de haut vol, dépourvu du moindre état d’âme, dévoué corps et âme à son administration, au point d’en accepter les voltefaces sans se poser de questions. Dans l’affaire intervinrent aussi Rafael Trujillo, le mégalomane dictateur de Saint-Domingue, et son exécuteur des basses œuvres préféré, Johnny Abbes Garcia, tous deux déjà connus chez Vargas Llosa pour avoir été les affreux héros d’un précédent roman, La Fête au Bouc *. N’oublions pas Marta Borrero Parra, une jolie femme surnommée miss Guatemala, qui joua un rôle trouble au milieu de ces machos. Pour le reste, des intervenants pour la plupart minables, des officiers d’opérette, des don Juan de bordels, des tueurs aussi sanguinaires que lâches, des mercenaires de quatre sous…

Les chapitres ne suivent aucun ordre chronologique, ce qui nécessite un temps d’adaptation pour la lecture, car sur les vingt années de temps sauvages balayées par l’auteur, les coups d’État sont fréquents et impliquent les mêmes intervenants… dans des rôles différents. Un peu perdu, j’ai suspendu ma lecture après une dizaine de chapitres, je les ai reparcourus pour avoir les idées plus claires et repartir du bon pied. Au final, Temps sauvages s’est laissé lire agréablement, même si des pages comportent des longueurs et des redites inutiles qui m’ont donné l’impression de verbiage ou de remplissage.

Vargas Llosa a toujours détesté les populismes, de droite comme de gauche. Il croit toutefois à la fatalité tragique de l’Histoire. Avec celle qu’il raconte dans Temps sauvages, il montre du doigt la politique menée par les États-Unis en Amérique centrale, dont l’effet aura été, selon lui, inverse de ce qui avait été escompté, avec l’émergence de nombreuses guérillas communistes et l’avènement du castrisme à Cuba.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

* Cliquez pour lire ma critique de La Fête au Bouc

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