Décembre 2022,
Je ne vais pas tourner autour du pot ; je tiens finalement pour remarquable et captivant ce pavé de sept cents pages que son éditeur présente comme un chef d'œuvre, mais au début, j’ai éprouvé quelques réticences à m’y lancer. En l’ouvrant, j’ai en effet été déconcerté par des têtes de chapitres et de sous-chapitres étranges, puis par un premier épisode de science-fiction, un genre dont je ne suis pas amateur. Il m’a aussi fallu du temps pour trouver mes repères dans les quatre ou cinq récits qui s’entrecroisent autour d’allusions cryptées à un texte antique plus ou moins égaré, titré comme le roman, La Cité des nuages et des oiseaux. Quatre ou cinq récits d’aventures fictives, dont les protagonistes n’ont rien à voir entre eux, et qui se sont déroulées à des époques et dans des lieux différents.
Qu’on en juge ! Ça commence dans un futur lointain avec Konstance, une petite fille confinée dans un vaisseau spatial ; on croit comprendre qu’il emporte des habitants d’une Terre devenue inhospitalière vers une planète très éloignée, un voyage censé durer plusieurs décennies. On assiste ensuite, en l’an 1453, aux dernières heures de l’Empire romain d’Orient à Constantinople, théâtre des heurs et des malheurs d’Anna, une jeune Byzantine, et d’Omeir, un jeune bûcheron bulgare recruté par les armées ottomanes. Mais l’essentiel de l’intrigue prend place de nos jours, très précisément le 20 février 2020, dans une petite ville des Etats-Unis, à l’occasion de la répétition d’un spectacle d’enfants ; des circonstances explosives mettent aux prises deux personnes : Seymour, un adolescent révolté de dix-sept ans présentant des symptômes d’autisme, et Zeno, un octogénaire désenchanté, qui n’avait trouvé un sens à sa vie qu’à la suite d’une relation nouée en captivité pendant la guerre de Corée.
Qu’ont-ils tous en commun ?
Dans le précédent roman d’Anthony Doerr, Toute la lumière que nous ne pouvons voir — une de mes premières critiques, en 2015 —, j’avais aimé le principe de la construction littéraire, alternance de courts chapitres consacrés à deux personnages éloignés et destinés à se croiser. Dans son nouveau roman, l’on retrouve le même système narratif, à un niveau bien plus complexe.
La Cité des nuages et des oiseaux est un puzzle dont les pièces paraissent a priori difficiles à ordonner. On en entrevoit peu à peu l’image finale, celle qui relie les personnages et les époques : une image symbolique, celle de l’immortalité du conte fabuleux évoqué dès les premières pages, attribué fictivement par Anthony Doerr — qui en est l’auteur véritable — à Antoine Diogène, un poète grec du début de notre ère. Après avoir traversé les siècles, rongé par le temps, les conditions climatiques et toutes sortes d’accidents, le manuscrit original sera miraculeusement déchiffré grâce aux technologies numériques d’aujourd’hui, avant que Konstance, dans son vaisseau spatial, ne le reconstitue à son tour… avec des moyens du bord très archaïques !
Dans ce roman, au-delà du plaisir à résoudre le puzzle énigmatique dont la conception enchevêtrée est un véritable prodige littéraire, on se laisse prendre au talent créatif et narratif de l’auteur. Les personnages sont captivants, attachants et l’on est happé par l’envie de savoir ce qu’il adviendra d’eux.
L’écriture de l’édition française est très soignée, probablement fidèle à l’intention de l’auteur. Le texte, essentiellement narratif, très descriptif, est constitué de longues phrases harmonieuses, parsemé de détails plaisamment fouillés, d’allusions nébuleuses, de références érudites, de métaphores lyriques, qui lui confèrent une musicalité agréable… parfois un peu lénifiante. Il m’est arrivé de m’endormir.
Le livre peut se voir comme un hommage à la littérature, cette discipline qui entrelace le rêve et le réel, sillonne le temps et l’espace, gravant pour l’éternité l’imagination des écrivains, dans son dessein merveilleux d’apporter connaissance, sensation et émotion à celles et ceux qui aiment lire.
Tout au long de l’ouvrage, l’auteur ne manque pas d’évoquer les dégradations actuelles et à venir de la planète. Ce n’était pas nécessaire, mais il faut bien se placer dans l’air du temps.
DIFFICILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP